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Quels facteurs expliquent les décisions qui ont influencé, au cours des soixante dernières années, la politique des États-Unis dans le monde ? Réédité dix ans après une première version, l’ouvrage permet de comprendre pourquoi et comment les présidents américains formulent leur politique étrangère. L’orientation de la conduite internationale de la première puissance mondiale repose sur une savante répartition des pouvoirs entre l’exécutif et le Congrès, l’influence des lobbies, des think tanks et des cercles étroits de conseillers du président. L’ouvrage du professeur David se démarque de la littérature existante en proposant une analyse de la prise de décision centrée autour du Conseil de sécurité nationale (National Security Council – nsc). En pointant l’importance de la manière dont le président tranche les querelles institutionnelles, orchestre son système décisionnel, choisit ses conseillers ou lit les événements internationaux, l’ouvrage diffère de la plupart des livres écrits, en français, sur la politique étrangère des États-Unis. Le professeur David se concentre sur les hommes, plutôt que sur les organes ou les valeurs morales qui sous-tendent la conduite diplomatique. Sensiblement étoffée, cette deuxième édition intègre une historiographie actualisée conduisant l’auteur à revoir certains débats qui ont animé l’analyse décisionnelle, notamment dans la partie traitant des institutions. La démonstration se décline en douze mouvements.

Les trois premiers chapitres forment une vaste introduction aux concepts qui forment le cadre d’analyse. Dans le premier chapitre, l’auteur aborde successivement la place du processus décisionnel dans la théorie des relations internationales, puis il pose les limites à la rationalité d’une prise de décision. Il s’attache, ensuite, à tirer les enseignements des approches cognitive et organisationnelle, appliquées à l’analyse décisionnelle. Dans un dernier point, il insiste sur la part capitale de la relation conseillers/décideurs dans un système gouvernemental. Les rouages administratifs du système décisionnel américain sont décortiqués dans le deuxième chapitre. Ce n’est qu’après avoir traité des acteurs classiques du système de politique étrangère et de défense – président, département d’État, département de la Défense, communauté du renseignement, bureaucraties connexes et bureau exécutif de la présidence – qu’est soulignée la centralité du nsc. Le troisième chapitre est consacré au contexte politique. Prenant appui sur les précédents du colonel Housse et d’Harry Hopkins, l’auteur rappelle, d’abord, que le recours aux conseillers spéciaux en politique étrangère est bien antérieur à 1947, date de la mise en place du nsc. Cette précision apportée, il est ensuite fait mention du recours croissant à des processus parallèles de décision qui tient, pour l’essentiel, à la détérioration progressive de l’ascendant politique naguère revêtu par le département d’État. Le professeur David dresse, enfin, un tableau général des modes de gestion et des différents styles de présidences.

Les pages suivantes illustrent les évolutions du nsc au fil des présidences. Ainsi, sous les administrations Truman et Eisenhower (chap. 4), le nsc connaît une croissance institutionnelle qui le conduit, au début des années soixante-dix, à une quasi-suprématie. L’attitude des États-Unis au moment de la guerre de Corée et lors de la bataille de Diên Biên Phu fait, à cet égard, figure de symbole. Les présidences Kennedy et Johnson (chap. 5) marquent une césure importante puisque, comme le montrent la crise de Cuba et l’intervention au Vietnam, le nsc s’impose comme une véritable alternative au département d’État. Avec l’arrivée aux affaires du couple Nixon/Kissinger (chap. 6), un véritable « coup d’État organisationnel » se produit. Le nsc devient « impérial », en ce sens qu’au lieu de favoriser la participation bureaucratique au processus décisionnel, il est utilisé pour la contourner, voire l’exclure. C’est ce que confirme la décision d’envahir le Cambodge en avril 1970. Contrecoup de cette révolution, les années 1974-1976 (chap. 7) marquent un « assagissement » du nsc, comme en témoignent les difficultés de la prise de décision de l’administration Ford après la capture du navire marchand « S.S. Mayaguez » par la marine cambodgienne. Avec le trio Carter/Brzezinski/Vance (chap. 8) le nsc et le département d’État se trouvent dans une situation de concurrence exacerbée, qui sera à l’origine de l’incapacité de la diplomatie américaine à formuler une réponse cohérente à la révolution iranienne. Durant la présidence Reagan (chap. 9) le nsc sera, tour à tour, insignifiant puis omnipotent. La Maison-Blanche, pour reprendre la formule du secrétaire Haig, « ressemblait à un bateau fantôme… dont personne ne tenait le gouvernail ». Dans un tel contexte, nul ne s’étonne qu’un scandale comme l’Iran-Contra ait pu se produire. Il faut attendre l’élection de George Bush (père) pour voir le nsc réhabilité (chap. 10), la personnalité du président constituant la principale source des réussites et des revers de la diplomatie américaine entre 1989 et 1992. Sous les administrations Clinton (chap. 11), le nsc est réorienté. Alors qu’au cours des premières années, la politique étrangère américaine est caractérisée par les atermoiements (Haïti, Rwanda), l’arrivé d’Anthony Lake à la tête du nsc au cours de l’été 1995 entraîne un revirement diplomatique. Le changement de cap des États-Unis face à la situation en Bosnie en apporte la claire illustration. Au cours du premier mandat de George W. Bush (chap. 12), la tragédie du 11 septembre va transformer radicalement l’échiquier décisionnel. Le nsc est « inféodé » aux préférences de quelques décideurs très influents (Cheney, Rumsfeld) et déterminés à réaliser des objectifs définis depuis quelque temps déjà. L’incapacité de Condoleezza Rice à filtrer des informations erronées concernant l’Irak, l’illustre. En guise de conclusion, cependant, l’auteur insiste sur le statut inégalé et l’influence considérable acquise par le nsc, une institution à laquelle le professeur David promet encore de belles années. En fin d’ouvrage, une bibliographie exhaustive recense les principaux travaux scientifiques traitant de l’analyse décisionnelle dans le domaine de la politique étrangère américaine.

Au final, « Au sein de la Maison-Blanche » est bien plus qu’un ouvrage confirmant le renouveau des études francophones – notamment sous la plume de Samy Cohen – de la politique étrangère des États-Unis sous l’angle décisionnel. Le professeur David propose une vision mâtinée des lectures de Graham Allison et d’Irving Janis, et remarquablement étayée par des études de cas, choisis avec une extrême finesse et traités avec une grande rigueur. L’ouvrage est présenté comme un instrument didactique, destiné tant à l’enseignement qu’à la recherche. S’adressant aux étudiants, aux chercheurs, voire aux décideurs, ce travail particulièrement fouillé et argumenté offre donc matière à réflexion et stimulation pour mieux discerner le sens des décisions politiques, en mesurer les constantes et la complexité.