Étude bibliographique

L’empire américain et ses nouveaux barbaresDiscussions autour de la qualification du rôle des États-Unis dans le monde[Record]

  • Élisabeth Vallet

À la suite de l’ouragan Katrina qui a ravagé la Louisiane et anéanti une grande partie de la Nouvelle-Orléans en août 2005, éditorialistes et analystes ont évoqué sans relâche l’étrange vulnérabilité de la première puissance mondiale. Incapable de gérer une crise dont le scénario avait pourtant été envisagé un an auparavant, contraint de dégarnir un front (l’Irak) pour en alimenter un autre (la sécurité sanitaire et militaire à la Nouvelle Orléans), l’« hyperpuissance » serait devenue un colosse aux pieds d’argile. Aux dires de plusieurs observateurs de la vie politique aux États-Unis, Katrina constituerait un point tournant (turning point) de la politique américaine, au même titre que le 11 septembre 2001, il y a de cela quatre ans. De la même manière, la fin de la guerre froide avait consacré l’émergence d’un « empire sans rival », autour d’un monde qui tendait vers l’unipolarité sans tout à fait s’en satisfaire. Si la notion d’empire est constamment présente dans la littérature américaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle connaît un essor réel à travers le foisonnement d’ouvrages et d’articles récents usant – et abusant parfois – de la qualification « d’empire ». La politique étrangère menée par l’administration Bush et les perceptions qui en découlent, ne sont pas étrangères au regain de la notion. Elle est d’ailleurs assortie d’une connotation négative lorsqu’il s’agit d’appréhender l’expansion militaire et culturelle américaine en termes d’impérialisme, particulièrement depuis la mutation de la politique étrangère sous l’impulsion du gouvernement Bush et dans le sillage de l’onde de choc créée par le 11 septembre. Au travers de la littérature pléthorique générée dans cette mouvance, nous avons choisi de privilégier, parmi les ouvrages récents, des regards différents sur l’empire américain, virtuel, avéré, imposé, internalisé ou sollicité. Au coeur de ces analyses, repose le rôle pivot des États-Unis dans le monde, et surtout sa (re)qualification, en autant de déclinaisons contemporaines de l’Empire. L’ouvrage d’Arnaud Blin, « Le désarroi de la puissance. Les États-Unis vers la ‘guerre permanente’? » se situe dans la logique des théoriciens du déclin de l’Empire. Sans discuter la nature de la puissance américaine – par essence impériale –, c’est son paradoxe qu’envisage Arnaud Blin, entre régression et progression. L’auteur, qui a dirigé le Centre Beaumarchais à Washington, analyse la « stratégie de guerre permanente », qu’il présente comme le socle du « grand dessein » néoconservateur. Or, ajoute-t-il, la puissance américaine n’a pas les moyens de ce « grand dessein » et c’est là que reposerait l’essentiel du paradoxe. L’ouvrage de Barthélémy Courmont, « L’empire blessé. Washington à l’épreuve de l’asymétrie », s’inscrit dans une optique similaire, où la première puissance mondiale pourrait être amenée à céder face aux « nouveaux barbares », non en raison de leur force ou de leurs assauts conjugués et récurrents, mais du fait d’une réponse inadaptée qui la conduirait à sa perte. Barthélémy Courmont, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (iris), explique que la démarche impériale des États-Unis ignore l’évolution de sa perception à l’étranger : devenue une « démocratie autiste refusant d’admettre la critique », les États-Unis seraient dès lors voués au déclin. L’emprunt à la terminologie impériale pour redéfinir la place des États-Unis dans le monde mène parfois plus loin encore, et jusqu’à la re-qualification même du régime politique américain, comme en témoigne le titre de l’ouvrage de Vincent Michelot : « L’empereur de la Maison-Blanche ». L’auteur, qui enseigne la civilisation américaine à la Faculté des Langues de l’Université Lyon 2, décrit la présidence américaine en trois temps : le « couronnement » (l’élection), la « gestion …

Appendices