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L’ouvrage codirigé par Ryerson Christie et Élisabeth Dauphinée est constitué d’une sélection de treize communications présentées lors de la douzième conférence annuelle du Centre for International and Security Studies ; conférence dont l’un des objectifs, comme l’indiquent ses codirecteurs dans la préface, était d’interroger « radicalement » le rôle des relations internationales comme science et pratique dans le cadre de sa complicité avec la violence et la guerre. En d’autres termes, l’ouvrage s’inscrit dans une perspective épistémologique fondamentalement critique au sujet de l’impact de la théorie des relations internationales sur la pratique, sur les fondements de l’interface entre la science des relations internationales, l’éthique, la paix, la violence et la guerre. Cette orientation permet d’envisager d’autres possibilités alternatives de réfléchir sur la paix en tant que théorie et pratique dans le cadre de dialogue interdisciplinaire créé par la douzième conférence annuelle du Centre for International and Security Studies.

L’ambition épistémologique de l’ouvrage est formulée dans six questions majeures stimulant la réflexion et harmonisant les communications. Ce sont des questions ayant trait à : l’investissement subjectif des chercheurs en relations internationales dans les objets d’études ; la contribution des chercheurs à la culture de la violence qu’est leur science ; l’adéquation entre la discipline des relations internationales et la pratique du peacebuilding ; l’impact des paradigmes classiques des relations internationales sur la sous-estimation des perspectives de non-violence ; la contribution de la science des relations internationales, soit à l’enracinement des conflits dans des contextes spécifiques, soit à la réduction ou à l’expansion des possibilités de réconciliation dans des situations post-conflictuelles. Ces différentes questions mettent à l’épreuve les mythes de la neutralité de la science des relations internationales et de l’innocence des chercheurs.

Treize contributions traduisent, chacune dans le cadre de son objet d’étude, le pari d’interrogation critique et de renouvellement des relations internationales. Elles font ressortir, à partir de diverses disciplines telles que la science politique, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie et autres sciences environnementales, des axes de démystification et de renouvellement de la science et de la pratique des relations internationales. Il s’agit 1) de l’influence fondamentale de la culture et de la langue du chercheur sur le choix des objets d’étude et la construction de leur sens (Kyle Grayson) ; 2) du rôle de normalisation du conflit et de vecteur de recrutement à l’armée américaine joué par les jeux vidéo (Abhinav Kumar) ; 3) de la légitimation dans la culture populaire de la domination masculine, du militarisme et de l’impérialisme par les films tels que Gladiator, Troy et Alexander (Carmen Sanchez) ; 4) de la construction par la télévision à partir des récits sur la captivité des soldats américains en Irak de l’héroïsme et de la nécessité de la violence rédemptrice (Michael Dartnell) ; 5) de l’antériorité de la formation des catégories cognitives cristallisées sous la forme de l’antisémitisme par rapport au développement de l’État moderne (Frédérick Guillaume Dufour) ; 6) de la déconnexion entre la dépolitisation du concept de genre par les Nations Unies et ses usages par l’armée et les services de renseignement américains à des fins de violence et d’impérialisme (Sandra Whitworth) ; 7) des relations collusives entre les conceptions libérales de la paix et la violence dans les sociétés extra-occidentales (Anna Agathangelou) ; 8) de la transformation de l’intervention humanitaire en récit de l’héroïsme d’une race (blanche) et d’un sexe (masculin) (Bobby Benedicto) ; 9) de la reproduction et de la légitimation par la science des relations internationales de la violence de l’État d’origine des auteurs (David Grondin) ; 10) de la remise en cause de la séparation entre le sujet et l’objet, entre la théorie et la praxis dans les sociétés postconflictuelles (Ryerson Christie) ; 11) du positionnement des ong humanitaires comme acteurs éthiques (Ritu Mathur) ; 12) de la possibilité pour le chercheur de construire la région écologique au Moyen-Orient comme contribution à la paix (Stuart Schoenfeld) ; et 13) de l’usage de l’anglais par les jeunes en Bosnie comme moyen de transcender les clivages identitaires, et d’envisager leur réussite sociale (Heather Hermant).

En définitive, l’ouvrage codirigé par Ryerson Christie et Élisabeth Dauphinée est riche et varié. Il enrichit les objets et les méthodes d’explication des relations internationales. Toutefois, il reste que l’absence de définition préalable du concept de base d’éthique ne permet pas de marquer les accords et les désaccords avec les différentes contributions, encore moins de mesurer les apports. La faiblesse majeure de l’ouvrage est de partir du postulat de l’existence d’une conception universelle de l’éthique ; or, l’éthique, en tant qu’elle implique grosso modo la distinction entre le bien et le mal, est marquée par une tension permanente entre universalisme et relativisme.