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Il existe un paradoxe à propos des opérations spéciales et des forces qui les exécutent. Le secret entourant ces activités fascine l’imagination de tous les publics, mais prive également le lecteur des détails importants pouvant en permettre une compréhension d’ensemble. La littérature existante porte donc principalement sur des récits descriptifs d’opérations conduites dans le passé. Force of Choice tente de pallier cette lacune en établissant une base théorique ou du moins une typologie des différentes opérations et des forces militaires impliquées dans leur conduite.

Les auteurs sont majoritairement des praticiens des forces spéciales ou du moins, connaissent en détail la conduite de leurs opérations. Certains auteurs comme le général à la retraite Ulrich Wegener, le général Peter Schoomaker ou le colonel à la retraite Scott Crerar jouissent d’une notoriété solide de par leur carrière ou leurs faits d’armes dans les forces spéciales. D’autres auteurs reconnus pour leurs contributions scientifiques, tels que les Lieutenants-colonels Bernd Horn et David Last, ainsi qu’Anna Simons viennent compléter et équilibrer cette brochette impressionnante de contributeurs à cet ouvrage collectif.

L’ouvrage se divise en trois parties. La première partie établit l’assise théorique des forces spéciales qui sera ensuite appuyée dans la deuxième partie par quatre études de cas. La troisième partie se concentre sur l’avenir et les possibilités qu’offriront les forces spéciales dans un monde de plus en plus dépendant de la technologie.

Le premier chapitre s’attaque au problème le plus épineux concernant l’étude des opérations spéciales, sa définition. Cette tâche est des plus importantes, car une certaine confusion s’est établie entre ce qui peut être considéré une opération spéciale, une force spéciale, des forces d’élite et une force d’opérations spéciales. La confusion est telle que les organisations utilisent ces termes pour désigner des entités différentes et ce, au sein même des forces armées d’un seul pays. En énumérant et comparant les différentes définitions, Bernd Horn réussit à distinguer les tâches de chaque type de force, ainsi que les critères qui distinguent chaque concept d’un autre. Ce chapitre constitue l’ossature essentielle de l’ouvrage et une clarification théorique importante.

Dans le second chapitre, David Last utilise la typologie élaborée précédemment afin de démontrer que le Canada ne possède pas de forces d’opérations spéciales (à part la Force opérationnelle interarmée). En fait, selon l’argumentation de l’auteur, ce n’est pas que le Canada ne possède pas de forces d’opérations spéciales, mais bien que toutes ses forces pourraient être considérées comme spéciales. Dans ce même chapitre, l’auteur énumère les rôles qui pourraient être assumés par des forces d’opérations spéciales dans un avenir rapproché. Ces principaux rôles sont : le contre-terrorisme, la réponse aux menaces d’armes de destruction massive, l’arrestation de criminels de guerre (au pays et à l’étranger), la réponse aux activités militaires des multinationales, les opérations d’information, les opérations de stabilisation et l’appui aux forces conventionnelles. En définitive, David Last élabore quatre options possibles afin de garantir les capacités nécessaires pour l’environnement stratégique contemporain. L’une de ces options, soit la création d’une nouvelle organisation dédiée aux opérations spéciales, jugée la plus ambitieuse par l’auteur, a d’ailleurs été mise de l’avant en février dernier par le gouvernement canadien. Ce chapitre offre de nombreux éléments théoriques utiles à la compréhension des opérations spéciales. Malheureusement, cette section offre un ensemble éclaté et aurait pu se concentrer sur quelques éléments, dont l’image très pédagogique de la comparaison entre Salvation Army et Dirty dozen.

Dans le troisième chapitre, le capitaine de marine William Mcraven suggère que la mise en place d’une stratégie basée sur les opérations spéciales pourrait remplacer le besoin pour un pays de déployer d’autres types de forces ou de conduire d’autres genres d’opérations. L’argumentation centrale présentée repose sur l’hypothèse que les opérations spéciales pourraient fournir un raccourci vers la victoire ou une puissance de dissuasion importante. Bien que l’effort de réflexion théorique soit louable, ce chapitre n’est malheureusement pas à la hauteur des autres sections de l’ouvrage. En effet, l’auteur tire certaines conclusions rapides et boiteuses, alors qu’il propose des postulats erronés sur la théorie de la guerre et sur l’utilité même de la réflexion théorique qui, selon lui, constitue un quatrième niveau de la conduite des activités militaires (niveaux tactique, opérationnel, stratégique et, théorique). L’une de ces observations surprend dès les premières lignes, alors que Clausewitz lui-même ne reconnaîtrait pas ce qui est supposé être le fondement de sa réflexion sur la guerre. L’auteur semble confondre la nature de la guerre et sa conduite, il mélange également les niveaux d’opération, surtout lorsqu’il suggère l’infériorité numérique des forces spéciales et il compare même la nature des opérations spéciales à ce qui distingue le nucléaire des armes plus classiques, ce qui a pour effet de biaiser les conclusions.

Totalement à l’opposé du troisième chapitre, la section rédigée par Anna Simons est sans doute la meilleure contribution à l’ouvrage. Cette dernière section théorique articule la dimension complexe des relations entre les soldats des forces d’opérations spéciales. Pour cette auteure, ce sont ces mêmes relations qui distinguent les forces spéciales des autres et qui constituent la clé de leurs succès. En plus d’établir cette importante réflexion théorique, ce chapitre cherche à évaluer les besoins technologiques des forces d’opérations spéciales dans l’avenir et de déterminer les impacts de cet avancement. D’entrée de jeu, ce chapitre établit pourquoi les forces d’opérations spéciales se sont développées. La deuxième partie analyse les éléments théoriques de l’efficacité de ces forces qui reposerait principalement sur l’équipe et la cohésion. Ce chapitre se termine sur l’évaluation admirable, bien que succincte, de l’impact potentiel de la technologie sur l’élément humain des forces d’opérations spéciales.

La deuxième section de l’ouvrage se consacre aux études de cas. Les chapitres cinq et huit traitent respectivement de l’expérience américaine lors de la guerre du Vietnam et des actions britanniques durant les Falklands. Ces deux chapitres sont intéressants, bien structurés, clairs et identifient les leçons importantes reliées aux opérations spéciales.

Bien que les deux autres chapitres soient également bien structurés et complets, le fait qu’ils traitent tous les deux du même cas, rend l’un des deux moins pertinent. Le chapitre d’Ulrich Wegener, le créateur de la force spéciale 9 responsable du raid allemand contre des terroristes à Mogadiscio en 1977 est descriptif, mais comporte des informations inédites. Le chapitre de Paul de B. Taillon comporte plus d’observations théoriques mais est répétitif.

La troisième section de Force of Choice se penche sur l’avenir des forces d’opérations spéciales. Le chapitre de Peter Schoomaker fait l’éloge de la création du commandement américain des opérations spéciales. Nous pouvons y trouver une description des événements ayant mené à cette création. La principale force de ce chapitre est de décrire les capacités que peuvent offrir les forces d’opérations spéciales. Ainsi, en évaluant les capacités, plutôt que les tâches, il est plus facile de projeter le rôle probable que pourront jouer ces forces dans l’avenir. Ces capacités sont conformes aux autres bases théoriques énoncées dans l’ouvrage, ce qui rend cet exercice très crédible. Les capacités anticipées par l’auteur sont une série d’options alternatives flexibles, une économie d’effort stratégique et la possibilité de contrer ou d’offrir des options asymétriques. Pour cet auteur, les forces d’opérations spéciales demeureront un atout majeur dans l’environnement stratégique de l’avenir.

Scott Moore offre dans le chapitre dix une approche semblable à celle du chapitre précédent. L’objectif de cet auteur est de planifier les besoins américains pour les vingt prochaines années. La contribution principale de ce chapitre est de fournir la définition de plusieurs concepts qui ne sont pas expliqués précédemment, bien qu’ils aient été utilisés par plusieurs auteurs de cet ouvrage. Cette partie est donc très utile pour le néophyte afin de comprendre les implications stratégiques des opérations des forces spéciales. En élaborant les capacités recherchées dans l’avenir, l’auteur recoupe les éléments avancés par David Last et Peter Schoomaker précédemment, tout en y ajoutant plusieurs éléments. Finalement, l’auteur présente une vision de l’avenir qui permet au lecteur d’anticiper quels seront les besoins sécuritaires et organisationnels, tout en établissant les qualités requises pour les forces d’opérations spéciales de l’avenir. L’ouvrage se termine par une conclusion de David Last qui résume les différentes observations théoriques énoncées dans les chapitres. Cette section est efficace, car elle constitue un lien entre différents chapitres et les apports de chacun.

En définitive, cet ouvrage se démarque de la littérature courante par sa contribution théorique. Force of Choice souffre cependant d’un problème caractéristique des ouvrages collectifs, c’est-à-dire que les chapitres qui en forment le tout sont inégaux. L’élaboration de certains fondements théoriques aurait pu être plus claire et solide si l’ouvrage avait été composé en un seul texte. Malgré ses faiblesses, ce livre s’avère utile pour tout étudiant, professeur ou professionnel de la défense qui désire obtenir une vision d’ensemble de la nature et de l’utilisation des forces d’opérations spéciales du point de vue militaire.