Comptes rendus : Régionalisme et régions - Golfe Persique

Leveau, Rémy et Frédéric Charillon (dir.), Monarchies du Golfe. Les micro-États de la péninsule arabique, coll. Études de la documentation française, Paris, La Documentation française, 2005, 144 p.[Record]

  • Simon Petermann

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  • Simon Petermann
    Département de science politique,
    Université de Liège, Belgique

Voici un livre fort utile à ceux qui s’intéressent à une région stratégiquement importante et finalement peu connue du grand public. Comme toutes les publications de La Documentation française, cet ouvrage est particulièrement dense et soigné. Il contient non seulement les contributions de huit experts, mais également des tableaux explicatifs incluant des données chiffrées ainsi que des fiches par pays qui permettent d’avoir une vue d’ensemble sur la région. L’un des maîtres d’oeuvre de l’ouvrage, Rémy Leveau, professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris et conseiller scientifique à l’ifri, est décédé alors qu’il venait de mettre la dernière main avec Frédéric Charillon à cet ouvrage sur les monarchies du Golfe. C’est lui qui analyse dans un premier chapitre les perspectives ouvertes par l’intervention américaine en Irak sur la stabilité intérieure des monarchies du Golfe. Son analyse est d’autant plus lumineuse que ces dernières arrivent aujourd’hui à une date charnière de leur histoire. En effet, pendant des décennies, ces « États-rentiers » évoquaient à l’esprit de l’observateur occidental une quadruple image : celle de la sclérose de l’exécutif, celle de l’absence de démocratie, celle de la manne pétrolière, le tout dans un environnement géopolitique local qui semblait immuable. Or, cet environnement est maintenant en pleine mutation, avec l’intervention américaine en Irak, ses conséquences et la montée de l’islamisme radical. La rente pétrolière se tarit – ou du moins, pose avec plus d’acuité que jamais la question de la diversification des recettes et des activités économiques. La quiétude des exécutifs s’en trouve affectée ; l’interne et l’externe se combinent dans une situation qui pourrait amorcer un processus radicalement nouveau. Dans le domaine interne, de nouvelles classes sociales de « nationaux du Golfe » émergent et celles-ci revendiquent les mêmes privilèges que leurs aînés, mais ne les obtiendront plus. On redécouvre une réalité connue, à savoir que les économies du Golfe reposent sur des populations actives très majoritairement étrangères, venues essentiellement d’Asie du Sud et du Sud-Est. Olivier Da Lage analyse précisément dans le deuxième chapitre l’émergence d’une identité « khalijienne » (1971-2004). L’urgence de réformes profondes semble maintenant comprise par les élites et les décideurs mais leur mise en place n’est pas facile. Il faut tenir compte des mutations de l’opinion et le fait que l’ouverture politique, dans ces conditions, n’est pas sans risques. L’ouverture politique est d’autant plus difficile que la situation extérieure, vient singulièrement compliquer la donne, combinant des dimensions régionales et globales. À l’échelle régionale, ces pays font figure de micro-États dont les politiques extérieures – peu coordonnées entre elles – sont dépourvues de ressources substantielles et de plus, bloquées entre deux puissances régionales redoutables : l’Arabie saoudite et l’Iran. À l’échelle globale, les monarchies doivent aujourd’hui gérer les nouvelles ambitions américaines, avec une Administration qui vise ni plus ni moins, à partir d’un changement de régime en Irak, l’imposition d’une nouvelle donne proche-orientale. Cela passe par une présence occidentale durable dans la région. Ce qui n’est guère évident compte tenu de la situation en Irak qui est loin d’être stabilisée et où des rebondissements sont possibles. C’est Frédéric Charillon qui analyse les scénarios possibles pour les politiques étrangères concernées et qui expose avec clarté les différentes dimensions du problème interne-externe. Deux contributions plus thématiques reviennent sur ce rapport interne-externe sur des points clés de l’avenir du Golfe : d’une part, l’état des liens interétatiques mais aussi transnationaux qui existent entre le Golfe et l’Asie du Sud ; d’autre part, l’état d’une opinion publique toujours fragile ou plutôt d’une « rue arabe » souvent évoquée dans la presse mais rarement analysée à la lumière des …