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Le Canada anglais possède-t-il une identité nationale distincte de celle des États-Unis ? Cette question demeure d’actualité près de 150 ans après la création de la fédération canadienne. L’accélération du processus d’intégration nord-américain avec et depuis la signature de l’Accord de libre-échange avec Washington a ravivé l’intérêt des chercheurs sur le sujet. L’histoire des idées au Canada anglais révèle toutefois l’importance de cette interrogation depuis les débuts du processus de formation de l’identité canadienne. Pour comprendre l’essence d’une telle identité canadienne, Smith retrace les fondements du continentalisme et met en lumière sa nécessaire prise en considération pour mieux saisir les principales caractéristiques de l’identité canadienne. Il postule que, fruit d’une dialectique entre des forces nationales et continentales et d’une expérience historique unique, une identité proprement canadienne (anglaise) existe effectivement.
Regroupement d’articles publiés entre 1970 et 2000, Le Canada. Une nation américaine ? est la traduction française d’un ouvrage rédigé en anglais en 1994, dont deux chapitres furent retirés au profit d’un texte (chap. 5) qui aborde les relations canado-américaines au 20e siècle. L’originalité de cet ouvrage est d’aborder la question identitaire du Canada anglais dans un rapport d’altérité avec les États-Unis (et les idées continentalistes) en mettant l’accent sur son processus de formation en constante évolution davantage que sur une simple explication démonstrative. Dans cette perspective, Smith traite de l’influence des idées américaines sur la pensée canadienne, de la nature de la distinction canadienne, ainsi que du degré d’indépendance idéologique de la société canadienne.
La première (et la plus développée) partie de l’ouvrage aborde le thème du continentalisme. Smith présente l’influence, au début du 20e siècle, des idées et des préoccupations américaines sur l’identité canadienne (anglaise) dont ses effets sur la mission du pays (chap. 1), définie comme un « avant-poste de la culture britannique… combinée à une version modeste et limitée du mythe du Nouveau monde ». Cette influence se traduit également par le rôle déterminant des schèmes de pensée américains dans le développement de l’identité canadienne, soulignant l’importance du continentalisme dans le processus de formation identitaire canadien (chap. 2). Smith nuance toutefois, sur fond de critique des écrits de Samuel Moffett, en précisant que cette idée a rencontré « une certaine résistance », au point de montrer que le Canada ne se dirige pas vers une forme d’« américanisation » (chap. 3). Cette préservation de la distinction des idées canadiennes doit néanmoins son existence à l’aide apportée par l’État canadien afin de résister à la force des idées américaines (chap. 4), compte tenu de la taille de la population, du vaste territoire et de la position géographique du Canada. Cette aide et les termes de celle-ci représentent d’ailleurs d’importantes composantes de la distinction canadienne.
Le plus récent chapitre (écrit en 2000) termine cette première partie en abordant les relations canado-américaines plus actuelles (chap. 5). Smith identifie quatre phases (très floues) de cette relation unique, aux dates qui se chevauchent ou qui demeurent imprécisées. Il s’agit 1) de la reconnaissance de l’écart de pouvoir entre les deux pays, conduisant à l’acceptation de l’inévitabilité de s’adapter à la domination américaine ; 2) du fait que le Canada peut exploiter cette puissance pour contribuer à son propre développement ; 3) de l’idée du contrepoids, où le contre-balancement de la puissance des États-Unis passe par l’établissement de liens avec d’autres États ; et 4) que la résistance à cette puissance doit passer par une relation plus étroite avec les États-Unis, contribuant de fait à obscurcir la distinction entre nationalistes et continentalistes.
La seconde partie de l’ouvrage traite directement de l’identité canadienne (anglaise) en abordant les mythes et les symboles développés afin de définir la société canadienne. Parmi les éléments clés de la distinction canadienne, Smith relève au chapitre 6 la dualité linguistique et la nature essentiellement pluraliste et conservatrice de la société canadienne (sans pour autant négliger l’importance de l’individualisme), établie sous la forme d’une mosaïque. Ainsi, le Canada est une « non-nation », au sens traditionnel du terme, en raison de l’absence d’une culture unique et unificatrice. Ceci contraste vis-à-vis de l’idée du «creuset» américain. Au cours des années 1970 et 1980, les États-Unis se sont d’ailleurs rapprochés du pluralisme canadien, réduisant de facto les différences entre les deux nations (chap. 7). Afin de préserver la nation, le Canada a, quant à lui, poursuivi une stratégie inclusive (chap. 8), stratégie qui s’accorde avec la pensée postmoderne (exclusion des certitudes absolues, refus de privilégier une langue ou une culture, refus d’établir un mode de vie particulier en norme sociale).
La troisième et dernière partie de l’ouvrage se penche sur la question de la «mentalité» canadienne. Smith y affirme que la meilleure preuve de l’existence d’une autonomie idéologique canadienne-anglaise est l’existence de conceptions propres (chap. 9). Il s’agit d’un amalgame entre des principes conservateurs et un credo individualiste. Ainsi, le collectivisme et le conservatisme fondamentaux à la société canadienne (manifestes par la centralisation du pouvoir, la social-démocratie et la planification industrielle, par exemple), tout autant que l’importance de l’individu, guident et façonnent les comportements des Canadiens (Smith demeure toutefois vague sur la manière dont procède cette influence). L’enchevêtrement et la coexistence de ces principes sont particulièrement explicites dans l’oeuvre du penseur impérialiste, chrétien et conservateur, George Monro Grant (chap. 10). Le développement de présupposés proprement canadiens, indépendants de l’influence américaine, montre ainsi les limites de cette influence. Le Canada (anglais) n’est donc pas une nation américaine.
En exposant les efforts canadiens de conceptualisation d’un caractère national, Smith offre une analyse nuancée et très bien fouillée du processus de formation de l’identité canadienne anglaise, à partir duquel de nombreuses applications pourraient être effectuées. En revanche, l’auteur néglige le rôle spécifique et les intérêts des acteurs ayant contribué à ce processus.
Au niveau de la forme, seule l’introduction pose le fil conducteur de l’ouvrage en l’absence de conclusion. On regrette ainsi qu’une réflexion à jour (rappelons que des articles datent de plus de 30 ans) sur les thèmes abordés n’ait été présentée en guise de conclusion.
Enfin, l’ouvrage est intéressant davantage pour son objet d’étude que pour ses méthodes d’analyse et ses apports théoriques sur le sujet. En ce sens, il intéressera davantage l’étudiant ou le chercheur souhaitant se pencher sur la question identitaire canadienne que le sociologue ou le politologue désirant explorer de nouvelles facettes théoriques de ce processus.