Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Adler, Emanuel, Communitarian International Relations. The Epistemic Foundations of International Relations, coll. The New International Relations, New York, Routledge, 2005, 334 p.[Record]

  • Niels Lachmann

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  • Niels Lachmann
    Institut d’études politiques de Bordeaux

Emanuel Adler figure parmi les tenants les plus renommés d’une approche constructiviste des relations internationales. La publication d’un recueil de certains de ses travaux est alors d’autant plus intéressante que cet ouvrage contient des manuscrits non publiés jusqu’à présent. Plus encore, Adler élabore, dans son premier chapitre, une approche constructiviste « communautaire », à l’intersection de l’observation sociologique de ce qu’il nomme des « communautés de pratique » et de la théorie politique, ou plus généralement, des aspects analytiques et normatifs des réflexions sur les communautés. Plutôt que de se contenter de présenter son cheminement intellectuel ainsi que les facettes de son travail et d’en tirer la quintessence, il propose donc une vision théorique des relations internationales peu répandue, dont des éléments apparaissent dans tous ses autres textes, écrits entre 1981 et 2002, et qui sont regroupés dans quatre sections : évolution cognitive, communautés épistémiques et communautés de sécurité, qui constituent trois des apports principaux d’Adler à l’approche constructiviste, et finalement identité et paix au Proche-Orient, qui montre l’engagement normatif et politique issu de son travail conceptuel. La première section est orientée essentiellement vers la conceptualisation du changement dans les relations internationales. Dans un essai inédit datant de 1981, puis dans un texte publié en 1991, Adler argumente que l’évolution cognitive, soit le processus d’apprentissage collectif qui permet l’émergence de nouvelles orientations politiques, contribue au fait que les relations internationales sont en devenir, et n’est donc pas un simple mécanisme de retour à des points de départ fixes, comme le suggèrent les conceptions réalistes de l’équilibre de puissances et de la stabilité hégémonique (chap. 2-3). L’approche constructiviste, qui selon un article important paru en 1997 – repris ici dans le chapitre 4 – est le « terrain mitoyen » entre « rationalisme » et « épistémologie interprétative », permet de cristalliser ces intuitions et concepts. En effet, à l’instar d’Alexander Wendt, Adler voit dans le constructivisme le moyen approprié pour rendre justice à la fois à l’influence de la structure et à la liberté de l’agent, à l’impact des facteurs matériels et à la portée des idées, aux conceptions des théoriciens et aux pratiques des acteurs politiques, et finalement à la fonction critique et à la capacité de résolution de problèmes apportées par l’approche théorique. Cet esprit synthétique se retrouve dans son effort actuel de concilier approches analytiques et normatives avec phénomène communautaire (chap. 1). L’agenda de recherche constructiviste, selon Adler, inclut tout particulièrement l’étude de deux formes de communauté : les communautés épistémiques, susceptibles de formuler des orientations politiques nouvelles qui aboutissent à une évolution cognitive, et les communautés de sécurité, qui sont des régions socialement construites où il n’est même plus envisagé que les conflits soient résolus par la force. Les deux sont des communautés de pratique, dans le sens où elles regroupent des acteurs qui ne se considèrent pas au début liés par une appartenance commune, mais se reconnaissent progressivement comme partageant le même « état d’esprit ». Les communautés épistémiques regroupent en effet des acteurs qui au départ ne partagent pas tous les mêmes intérêts et idées, comme le montre Adler avec les exemples de la « guérilla idéologique » qui mena le Brésil dans les années 1970 et 1980 à favoriser le développement d’une industrie informatique nationale (chap. 5), puis de la diffusion de conceptions de contrôle des armes nucléaires initialement développées par des experts aux États-Unis (chap. 6). Quant aux communautés de sécurité, leur caractère socialement construit est souligné par le fait qu’elles sont « imaginées » et ne reflètent pas automatiquement une proximité géographique ou autre (chap. 7). Plus généralement, …