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À une époque où critiquer l’efficacité et la pertinence même du Conseil de sécurité des Nations Unies semble être résolument de bon ton dans certains cercles politiques de Washington, Michael Matheson nous offre un point de vue radicalement différent, voire plutôt optimiste, de l’évolution des capacités du Conseil de sécurité. S’appuyant sur une expérience de plus de trente ans au Département d’État américain, l’auteur analyse le rôle de plus en plus central que joue le Conseil de sécurité des Nations Unies de l’après-guerre froide dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Libéré des contraintes de l’opposition bipolaire qui a paralysé son action lors de la guerre froide, le Conseil de sécurité a pu s’adapter progressivement aux nouvelles difficultés posées à la sécurité mondiale. La thèse est simple : la fin de la guerre froide a finalement permis au Conseil de sécurité de jouer le rôle qui lui était assigné par la Charte des Nations Unies, soit d’être « l’arbitre suprême de la paix et de la sécurité internationales ». S’il est permis de douter de cette affirmation, le Conseil de sécurité étant justement conçu pour être paralysé lors de divergences entre les cinq grands (États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie et Chine, disposant chacun d’un droit de veto), le développement proposé par l’auteur est cependant suffisamment intéressant pour qu’on s’y attarde un peu plus longuement.

Selon Michael Matheson, la fin de l’opposition stérile entre les deux blocs idéologiques a permis de libérer l’autorité légale du Conseil et d’en faire un acteur de premier plan sur la scène internationale. Si le Conseil est maintenant libéré (unbound) des contraintes politiques imposées par l’opposition bipolaire, son champ d’action demeure toutefois restreint par les contraintes juridiques propres à la Charte des Nations Unies. Bien des auteurs ont analysé cette revitalisation du Conseil de sécurité depuis la fin de la guerre froide, que ce soit sous l’angle du nombre de résolutions adoptées, du nombre croissant de missions de maintien de la paix bénéficiant du sceau de la légitimité onusienne, ou encore sous l’angle de l’utilisation de moins en moins fréquente du droit de veto par les membres permanents, signifiant ainsi la naissance d’un réel système de sécurité collective. L’intérêt de cet ouvrage, qui est par ailleurs aussi sa limite (on y reviendra), est de traiter cette question sous l’angle juridique, c’est-à-dire sous l’angle de l’élargissement du champ de compétence légale du Conseil de sécurité, lui permettant ainsi de faire face à un spectre plus étendu de menaces à la paix et à la sécurité internationales.

De facture claire, le livre est divisé en sept chapitres, les deux premiers chapitres exposant la thèse de l’auteur tandis que les cinq autres traitent chacun d’un élément concret de l’extension de l’autorité légale du Conseil de sécurité. Le premier chapitre examine la place unique qu’occupe le Conseil de sécurité au niveau du droit international ainsi que certaines contraintes liées à son mode de fonctionnement. Il est bien démontré que le Conseil de sécurité, contrairement à l’idée reçue, est capable d’adaptation lors de blocage persistant entre ses membres, notamment en ce qu’il permet de contourner la menace du veto pour mettre en oeuvre et assurer le suivi de projets concrets en déléguant son autorité à des organes compétents. Dans le deuxième chapitre, l’auteur présente l’idée que le potentiel légal du Conseil de sécurité était présent dès la fondation des Nations Unies mais que celui-ci était restreint par l’interprétation a minima de son mandat par les États membres. La fin de la guerre froide a permis d’élargir son mandat, notamment par le biais d’une interprétation plus large de ce qui constitue une « menace à la paix et à la sécurité internationales », qui en vient à inclure aussi bien les crises humanitaires (région kurde en Irak ou la Somalie), que les violations graves des droits de l’homme (Bosnie) ou les menaces à la démocratie (Haïti et Sierra Leone). Les autres chapitres abordent tous un élément précis de cette extension du mandat et de la portée des décisions du Conseil de sécurité (régimes étendus de sanctions, extension du mandat des missions de maintien de la paix, utilisation plus fréquente du chapitre vii de la Charte des Nations Unies, prolifération des commissions techniques et approfondissement du droit pénal international).

L’analyse optimiste de l’auteur concernant le rôle central joué par le Conseil de sécurité sur le plan du droit international est généralement bien étayée. L’ouvrage fournit en cela une riche base de renseignements juridiques et d’exemples pour tous ceux qui s’intéressent à l’évolution des compétences du Conseil de sécurité dans le monde post-bipolaire. Toutefois, il est décevant que l’auteur n’aborde pas davantage l’aspect de la concrétisation dans la sphère politique de cette extension légale du mandat et des décisions du Conseil de sécurité. L’auteur semble le réaliser à certains moments, sans être pour autant capable de bien répondre à ces interrogations. Par exemple, lorsque l’auteur traite de l’extension de la portée, de la fréquence et de l’importance de l’utilisation des sanctions par le Conseil de sécurité, il conclut en affirmant que la décision de la mise en oeuvre de sanctions « doit être de la discrétion et du jugement des membres du Conseil puisque les principes généraux de droit ne donnent que très rarement des réponses claires et précises à des questions données ». C’est en effet une piste de réflexion qui mérite d’être étudiée et analysée davantage, le droit international n’étant qu’une facette de la réalité de la scène internationale. Une analyse juridique d’un organe aussi politique ne peut être que partielle, et c’est donc en relation avec d’autres ouvrages traitant de l’évolution du Conseil de sécurité (David Malone, The un Security Council. From the Cold War to the 21st Century) ou l’excellent ouvrage de Ramesh Thakur (The United Nations, Peace and Security) que nous conseillons la lecture du livre de Michael Matheson.