Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Linklater, Andrew et Hidemi Suganami, The English School of International Relations. A Contemporary Reassessment, coll. Cambridge Studies in International Relations, no 102, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 308 p.[Record]

  • Jérémie Cornut

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  • Jérémie Cornut
    Département de science politique
    Université du Québec à Montréal, Montréal

Pour les théoriciens des relations internationales, l’École anglaise (ea) est une étrangeté. Certains ouvrages la considèrent comme une approche sui generis, tandis que d’autres en font une version du réalisme. On l’a pourtant qualifiée de « rationaliste » et « institutionnaliste ». De nombreux débats ont émergé à propos de ses éventuels membres et de son programme de recherche. Et ceux qui la considèrent comme une école ajoutent presque systématiquement qu’elle est très hétérogène, et parfois contradictoire. L’ouvrage The English School of International Relations, en prenant pour objet d’étude l’ea elle-même, est donc bienvenu. Il permet, partant des textes clefs de l’ea, abondamment cités, de faire le point sur de nombreuses questions controversées. Andrew Linklater et Hidemi Suganami, les deux auteurs, eux-mêmes liés à l’ea dont ils ont une très bonne connaissance, sont des théoriciens des relations internationales confirmés. L’ouvrage est composé de deux parties tout à fait distinctes, et que l’on peut lire séparément. Les trois premiers chapitres, écrits par Suganami, ont pour objectif de démontrer que l’ea est effectivement une école. Il s’agit donc de mettre en évidence les points communs, par-delà les différences, entre Manning, Wight, Bull, James, Vincent et Watson. La deuxième partie, constituée des quatre chapitres suivants, prolonge la réflexion des solidaristes de l’ea sur la possibilité d’une société mondiale. Plus précisément, le premier chapitre retrace l’histoire de l’idée d’« École anglaise », en deux étapes distinctes. Tandis que dans les années 80 le débat se concentre sur l’existence même de l’ea (Jones, qui est le premier à la penser comme une entité distincte ouvre le débat, qui est ensuite alimenté par Suganami, Graber et Wilson), dans les années 90, cette existence étant acquise, il s’agit de savoir qui en fait partie et ce dont il s’agit (ce qui permet de réfuter successivement les points de vue de Buzan, Little et Dunne). Le deuxième chapitre décrit l’apport de l’ea à la discipline des relations internationales, qui se fait dans trois directions : une analyse de la structure internationale (autour des concepts de système international, société internationale et société mondiale) est complétée par une analyse fonctionnelle de la société internationale contemporaine (alimentée par le débat solidariste/pluraliste) et par une analyse historique. Celle-ci part de questions telles que : quel degré d’homogénéité culturelle est nécessaire à un système d’États ? L’équilibre de la puissance est-il stable ? Y-a-t-il des alternatives préférables à un système d’États ? Y-a-t-il des constantes dans les codes des différents systèmes d’États ? Suganami présente les réponses de Bull, Watson, Buzan, Little et Linklater à ces questions. Se voulant une réponse à un court article de Finnemore selon lequel l’épistémologie et la méthodologie de l’ea devraient être clarifiées pour que celle-ci puisse s’exporter, le troisième chapitre décrit la manière dont l’ea étudie les relations internationales. Le premier point commun aux auteurs de l’ea est le fait que tous attribuent de l’importance à l’histoire. Les différentes réflexions présentées ne forment pas un ensemble clair et cohérent, mais Suganami identifie huit éléments qui résument la position de l’ea sur le sujet. Le deuxième point commun à l’ea est épistémologique : en plus de recourir aux idéaux-types, tous considèrent qu’il ne s’agit pas de formuler des lois scientifiques pour prédire ou expliquer les relations internationales. Bien qu’ils ne renoncent pas à une analyse causale, ils adoptent une approche compréhensive des relations internationales. Le troisième point commun, soit le rapport aux normes, aux valeurs et à l’éthique, qui clôt la première partie, est, selon Suganami le moins consensuel de tous. …