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Le 25e rapport annuel sur les conflits internationaux de l’Institut québécois des hautes études internationales et du Programme Paix et sécurité internationales est devenu un instrument indispensable pour les étudiants et les chercheurs qui s’intéressent à l’évolution des relations internationales à travers les nombreux conflits qui continuent, malheureusement, à provoquer maintes tragédies dans diverses régions du monde. Comme le rappelle avec raison Gérard Hervouet dans son avant-propos, il s’agit d’un exercice qui requiert tout à la fois de la modestie, de l’expertise et un certain sens de l’histoire. Ce livre, reconnaît-il, ne constitue sans doute pas un annuaire ou un bilan exhaustif de l’état du monde stratégique, mais il est cependant devenu au fil des ans un ouvrage de référence tant par son sérieux scientifique que par la pertinence de ses analyses.

Le présent rapport met à nouveau l’accent sur un certain nombre de thématiques transversales qui ont fait l’actualité en 2007 mais qui ne sont pas nécessairement nouvelles pour autant. La première thématique étudiée par Albert Legault et Marilou Grégoire-Blais est bien évidemment celle de la guerre en Irak, qui continue à faire couler beaucoup d’encre et dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences sur la géopolitique de la région. Dans leur contribution, les auteurs s’imposent quelques réflexions sur le phénomène plus global de la guerre avant d’aborder les grandes interrogations que se pose Washington sur l’avenir du conflit en Irak, d’en examiner les coûts et les options en matière de retrait des troupes. Au terme de leur réflexion, les auteurs constatent que les Démocrates, s’ils arrivent au pouvoir, hériteront d’une situation peu enviable et qu’il faudra bien que la guerre cesse même si aucune véritable stratégie de retrait n’existe actuellement. Quelle que soit l’Administration élue en 2009, il faut s’attendre à ce que Washington maintienne d’importants dispositifs militaires dans la région, ne serait-ce que pour apporter son appui au pouvoir à Bagdad, ou pour éviter que l’Irak ne soit transformé en une base d’opérations pour les activités terroristes dans le monde.

La deuxième thématique abordée par Michel Fortmann et Loïc Baumans concerne les risques nucléaires en 2007. Les auteurs reviennent sur le dossier nucléaire iranien et sur les sanctions votées par le Conseil de sécurité qui sont restées inopérantes du fait de l’attitude de la Russie et de la Chine et des nombreuses volte-faces qui ont caractérisé la politique iranienne ces dernières années. Ils constatent, au terme de leur analyse, que « la voie de la diplomatie musclée est la seule qui s’impose, mais pour combien de temps encore ? ». Le second cas examiné est celui de la Corée du Nord. Dans ce dossier, rien n’est simple. Après les démonstrations de force en 2005 et 2006, Pyongyang s’est résigné, sous les pressions internationales, à reprendre les pourparlers en juillet 2007. Le troisième dossier concerne le triangle nucléaire États-Unis/Russie/Chine. Ici encore, les auteurs analysent la façon dont la suprématie nucléaire américaine est perçue par la Russie et la Chine qui cherchent à moderniser leurs arsenaux nucléaires pour maintenir une capacité de seconde frappe. Les auteurs constatent que Washington ne manifeste pas l’intention d’utiliser sa supériorité nucléaire de façon offensive dans le cadre de ses relations avec Pékin et Moscou mais souhaitent la mise en route d’un nouveau processus de négociations entre grandes puissances pour relancer les efforts multilatéraux en faveur de la non-prolifération.

La troisième thématique étudiée concerne la Russie, ses griefs et ses défis. Dans cette partie de l’ouvrage, Jacques Lévesque et Ekaterina Piskunova, s’interrogent longuement sur le comportement plus déterminé, voire plus agressif, de la Russie vis-à-vis des États-Unis et de l’otan à travers trois enjeux politiques internationaux majeurs pour elle en 2007 soit, le projet américain de déploiement de systèmes antimissiles en Europe de l’Est, le dossier nucléaire iranien et l’avenir du Kosovo. La Russie de Poutine cherche, en effet, à réaffirmer avec force sa présence sur la scène internationale. Les auteurs cherchent à comprendre comment cette dernière perçoit les intentions des États-Unis, comment elle estime pouvoir s’y opposer tout en préservant des aires de coopération avec eux et en renforçant son influence dans le monde. Les relations entre la Russie et l’Iran, ainsi que la problématique du Kosovo, qui risque de rebondir en 2008, sont particulièrement bien mises en perspective.

La quatrième thématique, étudiée par Marie-Joëlle Zahar, concerne les conflits au Moyen-Orient. À partir du constat que les feux des conflits qui ont embrasé le Moyen-Orient à l’été 2006 sont difficiles à éteindre, l’auteure s’arrête plus particulièrement sur la crise politique libanaise qui s’est considérablement aggravée pendant cette période et qui semble, avec le conflit israélo-palestinien, être au coeur des tensions régionales. Elle analyse la crise du pacte national au Liban, l’épineux dossier des relations avec la Syrie, le rôle du Hezbollah dans cette crise. La situation dans les territoires palestiniens est analysée par le menu : le rapport des forces entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, l’intransigeance israélienne et son obsession sécuritaire, et l’indifférence internationale face à l’aggravation de la situation. L’auteure constate avec amertume que rien ne semble désormais suffisant pour éviter le chaos, la désunion et la faillite dans lesquels s’enfoncent l’Autorité et la société palestiniennes. Elle s’interroge enfin sur les ondes de déstabilisation aux confins du Moyen-Orient, notamment la situation en Turquie, la crise latente dans la péninsule arabique et le sursaut islamiste en Afrique du Nord.

Trois auteurs, Mamoudou Gazibo, David Ambrosetti et Béatrice Kankindi, analysent quant à eux la situation dans l’Afrique subsaharienne. L’évolution politique en Côte d’Ivoire, le Niger avec ses richesses minières convoitées, l’Afrique centrale avec ses crises multiples, le Burundi, la régionalisation des conflits au Tchad et en République centrafricaine, l’Afrique orientale et la Corne, la Somalie, le drame du Darfour, sont les dossiers abordés par les auteurs qui concluent ce chapitre en écrivant que « les missions internationales et autres initiatives de paix ont encore un bel avenir devant elles, malheureusement ! ».

C’est Gérard Hervouet qui s’interroge sur le contraste toujours accentué entre la prospérité et les conflits en Asie. Dans son étude, il s’attarde tout naturellement sur la montée en puissance militaire de la Chine et les appréhensions américaines, puis évoque le cas de Taïwan, ses multiples démarches pour se faire reconnaître diplomatiquement ainsi que les tensions qui en résultent avec la Chine continentale plus que jamais décidée à s’opposer à toute déclaration d’indépendance de l’île. L’auteur analyse ensuite l’avancée notable réalisée avec la Corée du Nord suite à l’Accord du 13 février 2007. Dans son étude, il évoque également le cas du Japon, celui des pays de l’Asie du Sud-Est, l’avenir toujours incertain de l’Afghanistan, l’évolution des rapports entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire.

La dernière thématique étudiée par Gordon Mace et Catherine Drouin concerne les Amériques et les relations interaméricaines. Les deux auteurs analysent dans un premier chapitre la stratégie du Venezuela en Amérique latine, le projet bolivarien et l’ingérence croissante du Venezuela en Amérique latine, son adhésion (encore en suspens) au mercosur et ses éventuelles conséquences. Le second chapitre est consacré aux biocarburants et à l’intérêt de Washington pour ceux-ci. Enfin, dans un troisième chapitre, les auteurs étudient la difficile relation entre les flux migratoires et la sécurité régionale. Dans leur conclusion, ils reviennent sur le Venezuela et son agitation sur la scène latino-américaine mais insistent également sur une menace potentiellement plus sérieuse vis-à-vis de la stabilité régionale à long terme, à savoir la criminalité de plus en plus présente dans toutes les sous-régions des Amériques mais avec des visages différents.

Ce rapport annuel sur les conflits dans le monde 2007 offre donc un panorama assez complet des dossiers les plus chauds dans le monde. Il est cependant dommage que le terrorisme international n’ait pas fait l’objet d’une étude approfondie. Il est vrai que plusieurs études y font allusion. Certains de ces dossiers, nous l’avons souligné, sont récurrents et complexes et doivent donc, à chaque fois, être mis en perspective. L’exercice est toujours difficile, car à peine l’encre est-elle sèche, qu’il faut déjà revoir sa copie, tant la situation internationale évolue rapidement. En s’abstenant de jugements définitifs au terme de leurs analyses, les auteurs ont, comme à chaque fois, fait preuve de sagesse et de modestie. Un regret cependant, c’est qu’il n’y ait aucune carte dans ce rapport. Or, celles-ci sont souvent nécessaires pour comprendre les grands enjeux géopolitiques et les conflits en cours. Je suis persuadé que les directeurs de la publication seront réceptifs à cette remarque pour les prochaines éditions.