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Énoncer que le conflit israélo-arabe pourrait être traité selon « deux poids, deux mesures » est généralement interprété comme relevant d’une démarche militante anti-israélienne. Aussi bien, cette interrogation ne trouve-t-elle guère sa place dans la littérature savante puisqu’elle nécessite chez ceux qui la posent le courage d’affronter la désapprobation d’une communauté scientifique devançant en cela l’opinion publique occidentale dominante. En s’engageant dans ce débat nos auteurs ne manquent pas d’un certain courage qui va en contrepartie de pair avec la prudence de ne fonder leurs analyses que sur des données purement quantitatives.

Dans l’introduction de l’ouvrage, T. de Wilde d’Estmael et Michel Liégeois s’en expliquent : ils comptent sur « la rigueur empirique et l’honnêteté analytique » pour contrebalancer la « passion » qui anime la plupart des analystes du conflit israélo-arabe selon leur degré d’implication. S’agissant de la critique commune aux deux parties, disent les auteurs, consistant en la partialité de l’onu en faveur de leur adversaire, ils vont donc, pour y voir plus clair, s’en tenir à l’exploitation de données quantitatives appropriées. Ainsi parviendront-ils notamment à mettre en lumière les évolutions de la politique onusienne vis-à-vis du conflit israélo-palestinien et à « débusquer les mythes » qui en altèrent la perception.

En fait d’« onu », il n’est question ici que de la production du Conseil de sécurité de l’onu (cs) et de son Assemblée générale (ag) en termes de résolutions. L’analyse de l’activité du cs fait l’objet d’une première partie, la plus fournie et la plus instructive aussi. Après quelques généralités sur les méthodes de travail et moyens d’actions du cs, les observations empiriques qui s’ensuivent montrent que, contrairement à certains préjugés, le conflit israélo-arabe, avec 260 résolutions le concernant de 1948 à 2006, non seulement n’est pas surreprésenté, mais également qu’aucune d’entre elles ne se réfère au chapitre vii de la Charte (recours à la coercition). D’autres préjugés qui tendraient à dénoncer le parti-pris pro-israélien du concert des grandes puissances s’exprimant dans le cadre du cs ne résisteraient pas à l’examen du contenu de ces résolutions, puisque qu’une majorité d’entre elles désapprouvent d’une manière ou d’une autre les agissements d’Israël, majorité qu’aggraverait la prise en compte de résolutions rejetées pour cause de veto ou non soumises au vote sous l’effet du « veto préventif » (retrait d’un projet de résolution sous la menace d’un veto certain).

À l’ag de l’onu, la désapprobation de la politique israélienne est plus constante encore et plus sévère. Émanant d’une institution aux pouvoirs limités qui s’est fait une spécialité de l’« incantation » et de l’« antienne rituelle » où anti-israélisme et anticolonialisme se confondent, elle est insignifiante.

En limitant leur recherche à la production du cs et de l’ag de l’onu, T. de Wilde d’Estmael et M. Liégeois ont certes délibérément limité leur propos, ce qui, on peut le regretter, les a amenés, entre autres, à se dispenser de toutes références bibliographiques. On peut regretter encore davantage le fait qu’une relative égalité formelle de traitement de chaque partie par le cs – les gesticulations de l’ag étant nulles – les conduise à répondre par la négative à la question des deux poids, deux mesures. La construction compliquée d’indices de pondération censés contextualiser les chiffres n’a pas suffi à pleinement situer ceux-ci dans l’ordre politique d’ensemble hors duquel ils ont peu de sens. Les « équilibres » qu’ils révèlent ne sont en effet qu’une condition parmi d’autres de la poursuite encouragée d’un conflit inégal favorable à l’une des parties. À l’inverse, la désignation des responsabilités et les sanctions qu’elles appelleraient relèveraient d’un « manichéisme » insupportable à la « communauté internationale » telle qu’elle s’exprime au sein du cs.

Toutefois, faute de répondre par oui ou par non à la question des deux poids, deux mesures qu’ils ont formulée eux-mêmes, les auteurs ont opposé à juste titre la « grande velléité » des résolutions adoptées à la « redoutable efficacité » de celles qui ne l’ont pas été, parce que, précisément, elles étaient efficaces. Ce faisant, ils ont bien montré que, quantitatif ou non, le traitement du conflit israélo-arabe relève de la volonté des États, dont l’onu ne s’avère qu’un lieu de mise en scène.