Étude bibliographique

La récente crise dans les relations transatlantiques[Record]

  • Frédéric Cyr and
  • Jean-François Juneau

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  • Frédéric Cyr
    Département d’histoire Université de Montréal C. P. 6128, succ.Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7

  • Jean-François Juneau
    Département d’histoire
    Université de Montréal
    C. P. 6128, succ. Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7

Peu d’alliances ont connu autant de succès que l’Alliance atlantique. Le fait que celle-ci ait survécu à la disparition du pacte de Varsovie et de l’Union soviétique illustre bien sa capacité à s’adapter et à quel point elle reste importante pour ses membres. Pourtant, cela n’a pas empêché l’irruption d’un sérieux conflit en son sein au sujet de l’Irak à partir de l’automne 2002, crise qui a atteint son point culminant à l’hiver et au printemps 2003. Fait d’autant plus surprenant, ce conflit qui oppose surtout les États-Unis et la Grande-Bretagne à la « vieille Europe » regroupée autour du couple franco-allemand survient dix-huit mois seulement après le « Nous sommes tous Américains » du quotidien français Le Monde (Colombani 2001) et les proclamations de solidarité inconditionnelle du chancelier allemand Gerhard Schröder au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Les relations transatlantiques semblent depuis être entrées dans une crise si profonde qu’il n’est pas rare d’entendre parler de « la fin de l’Occident » (Kupchan 2002b ; Frum 2005 ; Marquant 2004), en référence à la perspective d’un éclatement de l’Alliance. Que l’Alliance atlantique soit en crise n’a cependant rien de nouveau. Les tensions au sujet du réarmement de l’Allemagne entre 1950 et 1955, la crise de Suez de 1956 ou l’opposition gaulliste à l’Alliance dans les années 1960 en sont de bons exemples. Néanmoins, le conflit transatlantique à propos de l’Irak a ceci de particulier qu’il est apparu dans le contexte des problèmes croissants dans les relations entre les États-Unis et l’Europe depuis la fin de la guerre froide en 1989-1991. Cette étude propose de passer en revue les différentes interprétations avancées pour expliquer ces tensions hors du commun, en s’attardant plus particulièrement aux politiques nationales des acteurs dans le contexte de la crise irakienne, aux répercussions des transformations géopolitiques depuis la fin de la guerre froide ainsi qu’aux perspectives qui en découlent pour l’avenir de l’Alliance. Pour comprendre la crise, le premier réflexe est d’aller examiner les politiques des États concernés. Certains auteurs croient d’abord que des décisions « unilatérales » prises par le gouvernement de George W. Bush à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont eu un effet irréversible et néfaste sur le lien transatlantique. Par exemple, Pierre Hassner et Justin Vaïsse expliquent que la politique étrangère américaine depuis la Seconde Guerre mondiale avait toujours pris soin d’entretenir de bonnes relations avec les alliés européens. À partir de 2001, les idéologues de l’administration Bush auraient cependant choisi d’exporter la démocratie sans se soucier des organisations internationales, chères à l’Europe. Le nouveau gouvernement aurait alors rejeté le multilatéralisme, qu’il percevait « comme un obstacle [et] une atteinte à la souveraineté et à la liberté d’action des États-Unis » (Hassner et Vaïsse 2003 : 28). De même, pour Elizabeth Pond, l’invasion irakienne aurait été l’aboutissement logique de l’idéologie conservatrice du département de la Défense, mené par Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz. En tant qu’unique superpuissance, les États-Unis se seraient donné le droit d’assurer leur sécurité à l’aide d’attaques préventives. Pond estime que les décisions unilatérales prises par les républicains ont érodé la confiance mutuelle dans l’Alliance. À deux reprises, après l’annonce de G. Schröder, en août 2002, proclamant que l’Allemagne ne participerait pas à une « aventure en Irak » et, en janvier 2003, alors que le président français Jacques Chirac confirme lui aussi qu’il ne souhaite pas intervenir pour que l’onu sanctionne les plans d’invasion américains, le gouvernement Bush a ignoré ses alliés. E. Pond (2004) estime que l’invasion américaine unilatérale a placé l’Alliance atlantique au « seuil de la mort …

Appendices