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Quels sont les contours de l’idée européenne dans l’histoire ? Comment s’est manifestée l’idée d’une unité européenne ? C’est à ces questions que s’attaque George Chabert dans ce livre, en nous proposant une « archéologie de l’idée européenne » basée sur une compilation de sources. Le livre s’attache d’abord à retrouver les traces écrites, littéraires, intellectuelles, idéologiques d’une conscience européenne et des projets d’unité européenne. C’est à l’aune de ce postulat de départ qu’il faut le juger, comme une compilation de réflexions philosophiques sur l’identité et l’unité européennes.

Le livre nous emmène de Charlemagne à Jean Monnet au fil d’un plan mêlant le chronologique et le thématique. Différents thèmes cristallisant l’idée européenne sont passés en revue (spiritualité, chrétienté, raison, droit, projets impériaux, etc.), cette progression thématique recouvrant une progression chronologique qui s’achève avec l’Union européenne et les projets de « constitutionnalisation » de cette dernière. L’auteur prend soin d’éviter les anachronismes, mais cette organisation thématique peut paraître assez artificielle. On peut aussi regretter certains manques : en se concentrant par exemple sur la définition d’une Europe chrétienne en opposition à l’islam, Chabert ne laisse-t-il pas de côté une définition plus positive basée sur l’idée de valeurs chrétiennes, influence importante par exemple sur l’action des partis chrétiens-démocrates de l’après-1945 ?

On aperçoit dans le livre les différentes composantes d’une identité européenne et d’une définition de l’Europe. Chabert met en avant l’attachement à la raison, l’importance de la science, le rôle du droit, le fond judéo-chrétien et l’élément qui pour lui lie tous ces aspects en un tout « européen » : l’individualisme, la concentration sur l’homme de ce système de pensée. Chabert discute et commente cette caractérisation de la civilisation européenne, tout en rappelant la division perpétuelle du continent. Réalité intellectuelle, sociale, construction idéologique, l’Europe n’en reste pas moins perpétuellement divisée malgré les projets réguliers d’union. Enfin, l’accent est mis sur l’universalisme du projet intellectuel européen. Le retour sur l’histoire proposé par Chabert, s’il n’apporte rien de fondamentalement nouveau à la connaissance du sujet, est intéressant dans le rappel qu’il fait des racines de l’idée européenne. Ce retour sur le passé trace une perspective essentielle pour qui veut comprendre le débat sur un sentiment européen dont l’absence forme aujourd’hui une des caractéristiques de la construction européenne.

Le livre de George Chabert offre donc un riche panorama des traces intellectuelles, littéraires, philosophiques laissées dans l’histoire par les débats sur l’Europe. On peut y regretter certains oublis, les aspects parfois artificiels de la classification thématique et un certain manque de distance dans l’analyse qui laisse le lecteur sur sa faim. Il y a un aspect très classique, presque suranné à ce livre, avec son érudition exubérante, sa pléthore de citations, son côté compilation de références et des défauts qui font penser à une écriture au fil de la plume. L’ouvrage fonctionne d’abord comme une somme de sources. Certaines parties, le dernier chapitre en particulier, manquent de rigueur pour tout lecteur connaissant les développements précis. Historien des idées, Chabert est plus à l’aise dans l’étude des traces philosophiques, idéologiques, littéraires et intellectuelles laissées par l’idée d’Europe que dans la présentation des développements actuels concrets de l’intégration européenne.

L’ouvrage s’apparente à une compilation, son but apparaissant clairement différent de celui d’autres études plus rigoureuses sur la conscience européenne, comme les résultats du projet dirigé par René Girault Identité et conscience européennes au 20e siècle ou le livre d’Élisabeth du Réau L’idée d’Europe au xxe siècle. Pris en complément de ces travaux plus rigoureux, ce livre donne des éléments susceptibles de nourrir une réflexion sur l’identité européenne et les formes diverses prises au fil de l’histoire par l’idée d’Europe.