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Si, en effet, les personnes ne sont pas égales, elles n’auront pas des parts égales ; mais les contestations et les plaintes naissent quand, étant égales, les personnes possèdent ou se voient attribuer des parts non égales, ou quand, les personnes n’étant pas égales, leurs parts sont égales […] Le juste est, par suite, une sorte de proportion (Aristote 2007 : 244-245).

Les États-Unis, on le sait, sont Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ccnucc) (onu 1992a), mais n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto (onu 1997 : art. 3, par. 1). En 1997, le Sénat américain a voté la résolution Byrd-Hagel (United States Senate 1997) dans laquelle il liait la ratification à l’engagement des pays en développement, catégorie englobant les économies émergentes telles que la Chine, le Brésil, l’Inde, la Corée du Sud et le Mexique, à des réductions de leurs émissions de gaz à effet de serre. L’argument était vicieux puisqu’il avait déjà été convenu lors de la négociation de la ccnucc que ces pays émergents, au titre de leur statut de pays en développement, seraient exemptés de toute obligation chiffrée de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre pendant la première phase d’engagement du Protocole de Kyoto (2008-2012) (onu 1997 : art. 3, par. 1), et ce, même s’ils contribuaient alors à 40 % des émissions mondiales de co2 (aie 2007). Ce faisant, le gouvernement américain envoyait un message implicite mais non moins fort au monde entier, celui qu’un régime multilatéral sur les changements climatiques qui ne traiterait pas les États parties à la Convention de la même manière serait inéquitable et injuste (Shelton 2007 : 640).

Pourtant, depuis la Conférence de Stockholm sur l’environnement humain, le droit international de l’environnement s’est construit autour de l’idée que l’équité devait être au centre de la coopération internationale afin de poursuivre, à l’échelle mondiale, un développement durable. Le principe 9 de la Déclaration de Stockholm sur l’environnement humain (onu 1972) formule cette idée :

Les déficiences de l’environnement imputables à des conditions de sous-développement et à des catastrophes naturelles posent des problèmes graves, et le meilleur moyen d’y remédier est d’accélérer le développement par le transfert d’une aide financière et technique substantielle pour compléter l’effort national des pays en voie de développement et l’assistance fournie en tant que de besoin.

En 1972, à la Conférence de Stockholm, la communauté internationale prenait ainsi le pari que le traitement différencié, qui était déjà invoqué dans la sphère économique pour qu’un nouvel ordre économique international (noei) voie le jour et corrige le fossé qui séparait les pays en développement des pays développés, permettrait de promouvoir la protection de l’environnement à l’échelle planétaire. Dans la sphère environnementale, il faut attendre 1992 pour que le traitement différencié porte expressément un nom, soit celui des « responsabilités communes mais différenciées ». Ce principe est formulé parmi les 27 principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (onu 1992b) qui doivent permettre d’opérer le changement de paradigme que le développement durable suggère au monde entier. En formulant ce principe, la communauté internationale prend acte du fait que, les inégalités économiques étant systémiques, le développement durable ne peut être concrétisé que si, dans les accords multilatéraux en environnement, les obligations des pays développés et des pays en développement sont à géométrie variable.

Le principe des responsabilités communes mais différenciées mérite notre examen, puisque, s’il a été particulièrement déterminant dans les négociations de la ccnucc et du Protocole de Kyoto, il a également fait en sorte que les États-Unis et les pays émergents ne s’engagent pas à réduire leurs émissions entre 2008 et 2012, alors que le réchauffement du climat exige une réponse collective.

Dans cet article, nous nous proposons d’étudier les relations qui existent entre le principe des responsabilités communes mais différenciées et les concepts d’équité et de développement durable. Cette étude permettra d’éclairer le mieux possible l’incidence que ce principe a eue sur les négociations portant sur le réchauffement climatique à Rio, à Kyoto et à Copenhague et de réfléchir à ses conséquences potentielles sur la coopération internationale pour répondre à ce défi planétaire.

I – Des origines, des fondements, des filiations et du statut juridique du principe des responsabilités communes mais différenciées

Pour comprendre comment le principe des responsabilités communes mais différenciées est devenu la pierre angulaire du régime de la ccnucc (onu 1992a) et du Protocole de Kyoto (onu 1997), il faut retracer les contours du débat relatif à la pauvreté qui a fait son chemin depuis l’époque où les pays en développement réclamaient qu’un noei voie le jour, au lendemain de la décolonisation, et de celui sur l’environnement et la pauvreté qui a teinté la Déclaration de Stockholm, en 1972 (onu 1972 ; Brunnée 2008 ; Lavallée, 1998) et qui a ensuite permis au principe des responsabilités communes mais différenciées d’être expressément formulé dans la Déclaration de Rio, en 1992 (onu 1992b)[1].

A — Les origines : économiques ou environnementales ?

L’historique du principe des responsabilités communes mais différenciées a déjà été retracé par la littérature soulignant qu’un traitement différencié a d’abord été au coeur des revendications des pays du tiers-monde, lors de la première Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (cnuced), en 1964, qui réclamaient que des règles nouvelles, dérogatoires du droit international commun, soient adoptées pour faciliter leur commerce et le financement de leur développement (Feuer et Cassan 1985 ; Rajamani 2006 ; Prebish 1964 ; Bartenstein et Côté 2009 ; Zen 2009). Cette revendication a été reprise dans l’enceinte de l’onu, dans les années 1970, par les partisans d’un noei qui instaurerait un système économique et social, qui corrigerait les inégalités et rectifierait les injustices et permettrait d’éliminer le fossé croissant qui les sépare des pays développés (onu 1974 ; Bedjaoui 1979 ; Borella 1984 : 59). Si ce noei ne s’est pas concrétisé, la revendication des pays pauvres pour qu’une différenciation de leurs obligations soit reconnue a tout de même fait son entrée dans le système commercial multilatéral sous le nom de « traitement différencié et plus favorable ». Ce traitement déroge à la clause de la nation la plus favorisée, dite clause npf, en prenant en considération les besoins des pays en développement dans la Partie iv du gatt de 1947 (gatt 1947), qui a été ajoutée à l’accord général, en 1964 (gatt 1965). Désormais, c’est la clause d’habilitation ou clause « permissive » (gatt 1979) « qui constitue le fondement juridique du traitement spécial dont pouvaient bénéficier les pays en développement dans le cadre du gatt et dont ils peuvent aujourd’hui bénéficier dans le cadre de l’omc » (Zen 2009 : 32; omc 1994 ; Bulajić 1993). Le traitement différencié n’a certes pas jugulé les inégalités économiques ; il a tout de même permis de moduler les obligations des pays en développement et cette dualité normative est toujours présente dans les négociations du cycle de Doha (Vadcar 2005 ; Bartenstein et Côté 2009).

L’idée d’un traitement différencié a été reprise dans les négociations qui ont eu lieu dans le cadre des travaux de codification du droit de la mer (onu 1982) avant de faire son apparition à Stockholm, en 1972 (Rajamani 2006 : 33), lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain. L’objectif de cette dernière est de développer une structure cohérente pour organiser la réponse de la communauté internationale aux problèmes environnementaux, en identifiant notamment les questions qui ne peuvent être résolues que par une coopération internationale, comme celles relatives aux « patrimoines communs » appelés « global commons » (onu 1968 ; Hardin 1968). La participation des pays en développement à cette conférence n’est pas jouée d’avance, puisque ces pays insistent sur la responsabilité historique des pays développés dans la dégradation de l’environnement et la surexploitation des ressources (Lavallée 1998 ; Brunnée 2008).

Finalement, 113 pays en développement assistent à la Conférence de Stockholm. Leur préoccupation pour le développement économique transparaît dans l’acte final de la conférence, la Déclaration de Stockholm, dont les principes 9, 10, 11, 12 et 23 traitent spécifiquement des circonstances particulières de ces pays et insistent sur la nécessité de transferts technologiques pour qu’ils puissent se développer plus « proprement » (Rajamani 2006 : 54-57 ; Halvorseen 1999 : 20-22 ; Zen 2009). Le défi est de taille mais l’enjeu environnemental l’est également.

Si le principe des responsabilités communes mais différenciées n’est pas expressément libellé dans la Déclaration de Stockholm, il n’en reste pas moins que ses fondements y sont déjà énoncés. Il n’est pas étonnant qu’au lendemain de la conférence la différenciation des obligations des pays en développement se soit trouvée au coeur des négociations internationales sur l’appauvrissement des stocks de poissons (onu 1982) et sur l’érosion de la couche d’ozone (onu 1995 ; onu 1997).

En effet, la Déclaration de Stockholm (onu 1972) a contribué significativement à l’évolution du droit international de l’environnement. Certes, la contribution la plus évidente, en termes strictement juridiques, est la proclamation du principe 21, connu comme le « principe de prévention », qui vient tempérer le principe de la souveraineté permanente d’un État sur ses ressources, déjà formellement consacré en 1962 (onu, 1962). Toutefois, la portée de la Déclaration de Stockholm (onu 1972) est beaucoup plus vaste et la majorité de ses principes portent sur les problèmes environnementaux globaux, intemporels et de développement, et dépassent ainsi la portée, importante mais limitée, du principe 21. Jutta Brunnée observe, à juste titre, que la « structure » du droit de l’environnement international a changé à partir de la Déclaration de Stockholm, « passant d’un cadre transfrontalier et bilatéral à un cadre global, qui cherche à prendre en considération la recherche de l’équité entre les générations actuelles, notamment Nord-Sud, et les générations futures » (Brunnée 2008 : 41-62). Ces considérations liées à l’équité, esquissées à Stockholm, intègrent ensuite la sphère politique, avec la publication du rapport Our Common Future, connu sous le nom de rapport Brundtland, en 1987 (cmed 1988).

Lorsque la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, présidée par Gro Harlem Brundtland, propose au monde entier le vaste dessein de s’engager sur la voie du développement durable, elle le fait d’ailleurs en mettant l’accent sur la nécessité d’établir une équité entre les générations présentes et entre les générations présentes et les futures (Weiss 1992 ; Shelton 2007 : 643 ; Bastrow Magraw et Hawke 2007 : 630-631).

B — Les filiations : équité et développement durable ?

À la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, à Rio, en 1992, ces considérations liées à l’équité sont omniprésentes. Au « Sommet de la Terre », 175 États sont représentés (Lavallée 2008 ; Arbour et Lavallée 2006 : 35). Les principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement qui y est formulée fournissent un cadre conceptuel encore beaucoup plus englobant que celui de Stockholm, afin de prendre en compte l’équité et la dimension temporelle que présentent les défis environnementaux. Une lecture attentive permet de distinguer deux catégories de principes dans la Déclaration de Rio, quoique ces catégories ne soient pas étanches. La première comprend des principes qui sont inhérents au concept du développement durable : l’intégration de l’environnement et du développement économique, l’équité entre les générations et les États, l’équité entre les générations présentes et futures ainsi que le non-épuisement des ressources naturelles (Sands 1995 : 338).

Une deuxième catégorie de principes, dont certains sont issus d’autres sphères du droit international, est également présente dans la Déclaration de Rio. Il s’agit de principes permettant de faciliter la mise en oeuvre d’un développement durable. Ces principes sont le principe de la souveraineté permanente sur les ressources et le principe de prévention, le principe de bon voisinage et de coopération internationale, le principe de précaution, le principe du pollueur-payeur et le principe des responsabilités communes mais différenciées (Sands 1995 : 338 ; Birnie et Boyle : 85-96).

Le développement durable

Bien que le concept du développement durable, tel qu’il est formulé dans le rapport Brundtland, ne soit pas repris textuellement dans la Déclaration de Rio (1992b), son essence l’est. Tout d’abord, le principe d’intégration se trouve dans le principe 4 qui exhorte les pays, riches et pauvres, à modifier leur paradigme de développement :

Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément.

Quant au principe 3, il reprend les concepts d’équité intra et intergénérationnelle lorsqu’il énonce que :

Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures.

Défini en 1987 par le rapport Brundtland comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (cmed 1988 : 51), ce nouveau paradigme de développement invite les États et les populations du monde entier à faire de nouveaux choix légitimés par l’équité intra et intergénérationnelle :

Le développement durable implique une transformation progressive de l’économie et de la société… Même au sens le plus étroit du terme, le développement soutenable présuppose un souci d’équité sociale entre les générations, souci qui doit s’étendre en toute logique à l’intérieur d’une même génération (cmed 1988 : 51).

L’équité

La théorie originale qu’Édith Brown Weiss a élaborée (1989), et qui s’est retrouvée, en substance, au principe 3 de la Déclaration de Rio (onu 1992b), signifie que « le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures ». Le concept d’équité intergénérationnelle suggère que tous les États sont les fiduciaires ou les « gouvernants » de la planète et qu’à titre de gardiens du patrimoine naturel mondial ils ont tous le mandat de remettre la planète dans le même état ou dans un meilleur état que ce que la génération précédente leur a laissé (Weiss 1989 ; Weiss 1992 ; Weiss 1993 ; Arbour et Lavallée 2006 : 78). Cette idée rejoint l’idée première que les États ont des « responsabilités communes » dans la préservation de l’environnement.

Les principes 3 et 6 de la Déclaration de Rio (onu 1992b) mettent l’accent sur les besoins comme facteurs justifiant la justice distributive entre les pays développés et les pays en développement, alors que le principe 7 souligne la nécessité de prendre en considération la « responsabilité » et « la capacité » :

Les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent (onu 1992b : principe 7).

Ainsi, le principe 7 porte en lui deux termes : des responsabilités « communes »… mais « différenciées ». Premier de ces termes, les « responsabilités communes » de protéger l’environnement incombent à tous les États de la planète, riches ou pauvres, parce que « l’intérêt commun de l’humanité » le commande (French 2000 ; Brunnée 2007 : 566). Cette idée est présente dans ce que Sands appelle le principe de coopération (Sands 2003 : 249; Sands 1995). Cette « responsabilité commune » correspond à un devoir moral commun et non à une responsabilité au sens juridique (Brunnée 2007 : 566 : Beyerlin 2007 : 442). À moins qu’un traité ne le prévoie spécifiquement, le droit international de l’environnement ne limite pas un État dans l’utilisation de ses propres ressources, si ce n’est par le principe coutumier de prévention, qui est formulé au principe 21 de la Déclaration de Stockholm (onu 1972) et repris au principe 2 de la Déclaration de Rio (onu 1992b). Suivant ce principe, « un État a l’obligation de ne pas causer de dommages transfrontaliers ou à des zones ne relevant d’aucune juridiction », sous peine de devoir fournir une réparation, ce qui arrive rarement en pratique. La responsabilité commune de protéger l’environnement dans « l’intérêt de l’humanité » ne peut pas, pour sa part, entraîner de telles conséquences, du moins pas directement.

Le principe 3 de la Déclaration de Rio (onu 1992b) nuance la responsabilité éthique « commune » des États, en ajoutant que les besoins actuels relatifs « au développement et à l’environnement » doivent être recherchés. Une différenciation des obligations des pays riches et des pays pauvres s’impose alors, ce qui rejoint le deuxième terme du principe 7 de la Déclaration de Rio : « des responsabilités communes… mais différenciées ».

C — Les fondements : valeur morale ou instrumentale ?

Le principe des responsabilités communes mais différenciées est « le prix » que les pays développés doivent payer pour la participation des pays en développement au vaste dessein que constitue l’intégration des considérations environnementales au développement économique. Jutta Brunnée (2007 : 566) le décrit d’ailleurs comme l’autre face (flip-side) du concept de l’intérêt commun.

Rajamani avance que le principe des responsabilités communes mais différenciées peut être analysé comme le moyen que la communauté internationale a trouvé pour répondre à deux exigences :

  1. L’exigence de concilier les responsabilités dans la dégradation de l’environnement et les capacités financières et technologiques différentes des États pour y faire face (onu 1992b : principe 7), lesquelles rejoignent également l’idée que les besoins de développement des pays pauvres sont prioritaires au regard de la protection de l’environnement (onu 1992b : principe 6). Ces trois facteurs, considérés dans leur ensemble, forment ce qu’on peut appeler la « valeur intrinsèque ou morale » du principe des responsabilités communes mais différenciées (Rajamani 2006 : 150 ; Zen, 2009).

  2. La seconde nécessité du principe des responsabilités communes mais différenciées est de nature « instrumentale », puisque son utilisation peut encourager une participation plus large des pays en développement au regard d’un régime environnemental donné (Rajamani 2006 : 150 ; Zen, 2009).

La valeur intrinsèque ou « morale » du principe

Le principe des responsabilités communes mais différenciées a une valeur intrinsèque ou morale, lorsqu’il vise à reconnaître que la responsabilité de certains pays est plus grande que celle d’autres pays dans la création d’un problème qui touche la communauté internationale dans son ensemble, que les capacités actuelles des pays en développement ne leur permettent pas de limiter les impacts environnementaux de leur développement et que ces pays ont des besoins prioritaires en matière de développement économique, de survie, de santé et d’éducation (Rajamani 2006 : Bartenstein et Côté 2009 : Zen 2009). Cette valeur intrinsèque du principe est, on le voit, intimement liée à l’équité intragénérationnelle et intergénérationnelle. Toutefois, dans l’interprétation de cette « équité » qui est au coeur du principe des responsabilités communes mais différenciées, il y a un monde qui sépare les pays en développement des pays développés. Les premiers mettent l’accent sur les responsabilités historiques des pays développés et, donc, sur le principe du pollueur-payeur formulé au principe 16 de la Déclaration de Rio, tandis que les derniers insistent sur le principe de précaution (principe 15) et, ainsi, sur les facteurs liés à la responsabilité actuelle et future dans la perpétuation de ces problèmes et sur la capacité de plus en plus évidente de certains pays en développement appelés « émergents » à répondre aux défis qu’ils posent en contractant, eux aussi, des obligations dans les traités (Sands 1995 : 344).

Concernant la responsabilité dans les problèmes environnementaux globaux, les pays développés ont réussi à éliminer toute référence à leur responsabilité historique, c’est-à-dire toute référence à leur comportement passé en mettant plutôt l’accent sur les responsabilités actuelles et futures, en raison des « […] pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent » (onu 1992b : principe 7). La proposition de formulation du principe que proposait initialement le G77 était beaucoup plus explicite dans l’attribution des responsabilités historiques aux pays industrialisés (French 2000 : 37 ; Bartenstein et Côté 2009) et justifiait les pays en développement de réclamer que les pays développés supportent les coûts de la protection de l’environnement, conformément au principe du pollueur-payeur. Une variante de cette logique se fonde sur le concept de l’équité intergénérationnelle, formulée au principe 3 de la Déclaration de Rio (onu 1992b : principe 3), qui repose sur la relation que chaque génération entretient avec les générations passées ou futures dans l’utilisation des ressources naturelles de la planète (Shue 1999 : 531-545 ; Zen 2009 : 37).

La valeur intrinsèque du principe des responsabilités communes mais différenciées tire sa deuxième justification de la capacité financière et technologique supérieure des pays développés, acquise grâce à un développement économique peu respectueux des limites de la planète (Rajamani 2006 : 140). Déjà, lors du sommet de Stockholm, en 1972, la communauté internationale reconnaissait que l’environnement pouvait difficilement être protégé dans des pays où la pauvreté est endémique (onu 1972 : principe 9), notamment les pays les moins avancés, qui dépendent davantage de l’environnement pour la satisfaction de leurs besoins et qui se retrouvent souvent dans des zones écologiquement plus fragiles.

La troisième et dernière justification de la valeur intrinsèque ou morale du principe des responsabilités communes mais différenciées découle des besoins particuliers des pays en développement. La différenciation fondée sur la situation et les besoins particuliers des pays en développement reconnaît que la protection de l’environnement à l’échelle globale ne constitue pas une priorité pour ces pays et que, si l’on traite également des États qui sont de jure égaux (onu 1945) mais de facto inégaux, les conséquences ne peuvent être qu’inéquitables (French 2000 ; Aristote : 244-245 ; Rajamani 2006). Cette considération pour la situation et les besoins particuliers des pays en développement est présente dans le préambule de la Déclaration de Stockholm (onu 1972) et dans les principes 3, 6 et 11 de la Déclaration de Rio. Elle est aussi implicitement reconnue dans le principe 7 de la Déclaration de Rio (onu 1992b : principes 6, 7 et 11 ; Zen 2009).

La valeur instrumentale ou « pratique » du principe

Le principe des responsabilités communes mais différenciées a également une valeur instrumentale, lorsqu’il est utilisé pour favoriser la convergence des pays développés et des pays en développement autour de certains régimes (Halvorssen 1999 : 67 ; Rajamani 2006 ; Rajamani 2000 ; Brunnée 2007). Dans la sphère environnementale, les pays en développement jouissent d’un plus grand pouvoir de négociation – même si ce pouvoir demeure modeste – que dans le cadre de la libéralisation des échanges (French 2000 ; Shue 1999). Non seulement possèdent-ils une grande partie des ressources naturelles de la planète, mais certains pays émergents, particulièrement le Brésil, l’Inde et la Chine, désignés sous l’acronyme bric, se développent à un rythme très rapide, en plus de connaître une croissance démographie importante, ce qui menace notre survie (Arbour et Lavallée, 2006 : 13-30, 238-244 ; Zen 2009 : 40). Comme il est difficile de convaincre les pays en développement de participer à l’objectif de protéger les « patrimoines communs » (global commons) (Hardin 1968), la différenciation de leurs obligations facilite la coopération pour conclure des accords multilatéraux sur l’environnement. La technique de la différenciation a d’ailleurs été utilisée avec succès dans plusieurs accords environnementaux auxquels un grand nombre de ped sont Parties, notamment dans le Protocole de Montréal sur les substances appauvrissant la couche d’ozone, la Convention sur la diversité biologique (onu 1992c), la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (onu 1994), et est devenue la « substantifique moelle » (Rabelais 1534) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (onu 1992a) et du Protocole de Kyoto (onu 1997).

En favorisant la participation universelle aux régimes environnementaux, la différenciation des obligations environnementales des pays en développement et des pays développés favorise a priori la mise en oeuvre des autres principes de la Déclaration de Rio (onu 1992b) – prévention, précaution et pollueur-payeur – qui sont nécessaires à la poursuite d’un développement durable. Toutefois, pour que le principe des responsabilités communes mais différenciées joue pleinement son rôle, il est nécessaire qu’un équilibre soit recherché, d’une part, entre la responsabilité historique et la responsabilité actuelle des États dans le réchauffement du climat et, d’autre part, entre ces deux responsabilités temporelles et la capacité différente des États d’y répondre, tant sur le plan de l’atténuation que de l’adaptation au problème. Ce n’est qu’à cette condition que la différenciation des obligations, dans un régime donné, tendra véritablement vers un développement durable, comme le reconnaît d’ailleurs le principe 7 de la Déclaration de Rio lorsqu’il déclare que « [l]es États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre » (onu 1992b : principe 7).

C — Le statut juridique: principe coutumier ou mécanisme « législatif » ?

Les principes occupent une place beaucoup plus évidente en droit international de l’environnement que dans n’importe quelle autre sphère du droit international (De Sadeleer 2002 : 1 ; Birnie et Boyle 2002 : 25 ; Sands 1995 : 336). La soft law, en tant que source du droit international de l’environnement, est un sujet controversé puisque ce qui distingue généralement les normes juridiques des autres normes sociales, c’est justement leur caractère prescriptif et contraignant. Ainsi, affirmer qu’une norme soft est du droit peut sembler, a priori, « une contradiction dans les termes » (Birnie et Boyle 2002 : 24).

Pourtant, ces principes de la soft law jouent un rôle important dans le développement du droit international de l’environnement (De Sadeleer 2002 : 1 ; Birnie et Boyle 2002 : 25 ; Sands 1995 : 33 ; Arbour et Lavallée 2006 : 43). De plus, certains des principes de la Déclaration de Stockholm (onu 1972) ou de la Déclaration de Rio (onu 1992b) ont le statut de principe coutumier. Il en est ainsi du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, du principe de l’utilisation non dommageable du territoire qu’on appelle le principe de prévention, ainsi que de bon voisinage et de coopération (Arbour et Lavallée 2006 : 43-87). Ces principes coutumiers s’imposent aux États même lorsqu’ils ne sont pas intégrés dans un traité auquel ils sont Parties. En effet, c’est une « banalité » (Dupuy 2007 : 454) de dire qu’étant un droit sans « […] super-législateur mondial » (Arbour et Parent 2006 : 29), le droit international est un droit consensuel dont l’acte de naissance dépend soit du consentement tacite, qui est à l’origine du droit coutumier, soit du consentement formel, qui est à l’origine du traité.

La coutume est la « preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant le droit » (cij : art. 38, par. 1). Elle est donc une pratique que les États respectent parce qu’ils ont la conviction de se conformer à une règle de droit (Arbour et Parent 2006 ; Dupuy 2008). L’article 38.1 du Statut de la Cour internationale de justice classe cette source parmi les sources principales du droit international, à côté du traité. Tantôt le traité codifie une coutume existante, tantôt il crée le droit. Nous avons déjà mentionné que le principe des responsabilités communes mais différenciées, formulé au principe 7 de la Déclaration de Rio (onu 1992b), a été repris dans de nombreux traités adoptés dans son sillage, dont la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (onu 1992a) et le Protocole de Kyoto (onu 1997). Ce faisant, ces traités ont-ils codifié un principe coutumier déjà existant ou créé du droit positif ?

Malgré le fait que les pays en développement souhaiteraient que le principe des responsabilités communes mais différenciées soit reconnu comme principe de la coutume internationale, la doctrine considère, à juste titre, que le principe des responsabilités communes mais différenciées ne peut pas, par son caractère intrinsèque (Rajamani 2006 : 159), devenir un principe coutumier (Birnie et Boyle 2002 : 103 ; Stone 2004 : 300 ; Bodansky 1995 : 116). Lavanya Rajamani explique que ce n’est pas l’absence de l’opinio juris qui empêche ce principe de relever de la coutume, mais bien son absence intrinsèque de caractère normatif qui lui fait défaut, dès le point de départ. Son raisonnement s’appuie sur celui de la Cour internationale de justice qui a jugé dans l’Affaire du Plateau continental de la Mer du Nord (onu 1969 : 42,43) que, pour relever de la coutume, « il faut tout d’abord que la disposition en cause ait, en tout cas virtuellement, un caractère fondamentalement normatif et puisse ainsi constituer la base d’une règle de droit ».

Le principe des responsabilités communes mais différenciées ne semble pas avoir un « caractère fondamentalement normatif », contrairement aux principes de précaution et du pollueur-payeur qui pourraient devenir des principes coutumiers parce qu’ils prescrivent une norme de conduite. Rajamani qualifie le principe des responsabilités communes mais différenciées de « principe équitable » puisque celui-ci n’est pas, intrinsèquement, une norme prescriptive (norm-creating) (Rajamani 2006 : 159 ; Stone 2004 ; Birnie et Boyle 2002 ; Bodansky 1995). Toutefois, lorsqu’il est utilisé dans un traité, le principe des responsabilités communes mais différenciées peut donner vie à une norme qui, elle, pourra prescrire un comportement donné. Nous avançons que ce principe pourrait ainsi entrer dans la catégorie des legal principles dont parle Dworkin, en les opposant aux legal rules (Dworkin 1997 : 22), puisque son rôle est d’articuler un traité donné (Brunnée 2007 : 567). Il serait donc apparenté à un mécanisme « législatif », qualification qui rejoint celle proposée par d’autres auteurs qui avancent que le traitement différencié est une « technique juridique » (Bartenstein et Côté 2009 : 30).

II – De la réception du principe des responsabilités communes mais différenciées dans le régime sur le climat, à Rio, Kyoto et Copenhague

A — Les manifestations du principe des responsabilités communes mais différenciées dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

La Conférence de Rio a donné le coup d’envoi du régime multilatéral sur les changements climatiques. Comme son intitulé nous l’indique, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (onu 1992a) jette les bases du régime international sur le climat. En vigueur depuis le 21 mars 1994 et ratifiée par 191 pays, cette convention a pour objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère afin de prévenir toute « perturbation dangereuse du climat » (onu 1992a : art. 2). La sémantique de cet article 2 de la ccnucc en fait un objectif très large, puisqu’il y est question « d’éviter toute perturbation dangereuse du système climatique », et ce, sans qu’on donne plus de détails sur le niveau de dangerosité que les Parties ne doivent pas dépasser. De plus, il est mentionné que cet objectif doit être atteint dans « un délai suffisant », ce qui ouvre la porte à plusieurs scénarios, dans un horizon temporel indéfini (Arbour et Lavallée 2006 : 234-235).

Cette « convention-cadre » ne prévoit que deux obligations contraignantes communes pour tous les États parties. La première leur impose de faire l’inventaire national des sources d’émission de ges et des puits de carbone qui en permettent l’absorption, et de mettre en place un programme national pour atténuer les changements climatiques (onu 1992a : art. 4, par. 1 ; Arbour et Lavallée 2006 : 241-242). La seconde exige qu’ils communiquent ces inventaires nationaux ainsi que le contenu de leurs programmes nationaux (onu 1992a, art. 12 par. 1 ; Arbour et Lavallée 2006 : 242).

Si les responsabilités communes ont constitué le point de départ de la ccnucc (onu 1992a), la communauté internationale a fait le pari que c’est la différenciation des responsabilités qui devait en assurer l’efficacité (French 2000 ; Rajamani 2000 ; Rajamani 2006 ; Zen 2009). Le principe des responsabilités communes mais différenciées est ainsi explicitement mentionné dans le préambule de la ccnucc qui souligne que « les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière ». On reconnaît toutefois aussitôt que « la majeure partie des gaz à effet de serre émis dans le monde par le passé et à l’heure actuelle tirent leur origine des pays développés », que « les émissions par habitant dans les pays en développement sont encore relativement faibles » et que « la croissance économique durable et l’éradication de la pauvreté » sont des besoins prioritaires légitimes des pays en développement et que l’on ne peut pas appliquer à ces dernières les mêmes normes qu’aux pays développés puisque ces normes risqueraient d’être trop coûteuses sur les plans économique et social. La ccnucc reconnaît donc que « la part des émissions totales imputable aux pays en développement ira en augmentant pour leur permettre de satisfaire leurs besoins sociaux et leurs besoins de développement » (onu 1992a : préambule).

L’article 3 de la Convention énumère les principes qui doivent guider sa mise en oeuvre. Parmi ces principes, on trouve une formulation particulièrement alambiquée du principe de précaution (onu 1992a : art. 3 par. 3), laquelle donne à penser que les États n’ont pas voulu que leur croissance économique soit freinée par la nécessité de stabiliser le climat (Arbour et Lavallée 2006 : 238-239). On y trouve aussi la formulation du principe des responsabilités communes mais différenciées dans laquelle n’apparaît aucune référence aux « responsabilités historiques » des pays développés, mais bien seulement une référence à l’équité, à la responsabilité et aux capacités :

Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés Parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes (onu 1992a : art. 3, par. 1).

Les États-Unis – craignant que les principes énumérés à l’article 3 puissent entraîner des conséquences juridiques – ont pris soin de faire ajouter un chapeau à l’article 3 (Sands 1995 : 337) qui déclare que « [d]ans les mesures qu’elles prendront pour atteindre l’objectif de la Convention et en appliquer les dispositions, les Parties se laisseront guider, entre autres, par ce qui suit » (onu 1992a : art. 3).

Malgré cette prudence, le principe des responsabilités communes mais différenciées se manifeste de différentes manières dans le régime constitué de la ccnucc (onu 1992a) et du Protocole de Kyoto (onu 1997). En effet, toutes les modulations possibles du principe s’y retrouvent. Rajamani avance que les modulations du principe sont au nombre de trois (Rajamani 2006a ; Rajamani 2000). Bartenstein et Côté estiment qu’il en existe quatre (Bartenstein et Côté 2009). Ils considèrent, en effet, qu’aux normes qui différencient les pays développés et les pays en développement par rapport aux obligations centrales du traité comme dans le Protocole de Kyoto (onu 1997), aux normes qui différencient les pays développés et les pays en développement relativement à la mise en oeuvre des obligations[2] et aux normes qui assurent une assistance financière et technique aux pays en développement dans un objectif de renforcement des capacités (Rajamani 2006 ; Zen 2009), il faut ajouter une quatrième catégorie, soit « les normes qui encouragent les parties à coopérer en tenant compte des besoins des pays en développement » (Bartenstein et Côté).

B — Les manifestations du principe des responsabilités communes mais différenciées dans le Protocole de Kyoto

La conséquence obligée de la différenciation déjà opérée dans le préambule et le texte de la ccnucc est simple : le Protocole de Kyoto module les obligations entre pays développés et pays non développés pour la première période d’engagement (2008-2012) (onu 1997, art. 3 par. 1). Ouvert aux 189 pays Parties à la cccnucc, celui-ci a été ratifié par 184 pays, mais il ne comporte d’engagement de réduction des émissions que pour les 38 pays industrialisés ou en transition vers une économie de marché de l’annexe i. Ces derniers ont un objectif global de réduction de 5 % par rapport aux émissions de 1990. Cet objectif global se traduit par des engagements quantifiés modulés selon les pays, par exemple moins 6 % pour le Canada et le Japon, moins 8 % pour l’Union européenne, selon les chiffres de l’annexe B du Protocole de Kyoto (onu 1997 : annexe B ; Arbour et Lavallée 2006 : 253).

Seuls les pays développés visés à l’annexe II (onu 1997) sont tenus de respecter les engagements de soutien financier et de transfert de capacités et de technologies vers les autres parties en développement (onu 1997 : art. 11). Les pays qui ont une économie en transition, qui font partie de l’annexe I, mais pas de l’annexe II, doivent diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre, mais ils ne sont pas tenus de fournir une assistance financière aux pays en développement. Ces derniers, qui ne figurent dans aucune annexe du Protocole de Kyoto (onu 1997), n’ont consenti à aucun engagement de réduction de leurs émissions bien qu’ils soient Parties au Protocole de Kyoto.

Pour les plus pessimistes, l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, le 16 février 2005, à la suite de la ratification inespérée de la Russie, a été une mauvaise nouvelle pour la protection de l’atmosphère (Pardy 2004 : 27 ; Doelle 2002 ; Arcas 2001), essentiellement parce qu’il encourage le développement économique des pays en développement en leur accordant un « droit de pollueur » et que la cible globale des engagements de réduction des pays de l’annexe I, qui est de 5 %, est loin d’être suffisante pour stabiliser le climat.

Bien que ces critiques ne soient pas dépourvues d’intérêt, il faut les nuancer. Tout d’abord, le Protocole de Kyoto (onu 1997) a été adopté en vertu de la ccnucc (onu 1992a) pour la première période d’engagement, débutant en 2008 et se terminant en 2012 (onu 1997 : art. 3, par. 1). Il a toujours été une première « pièce du puzzle » (Berstein, Brunnée et al. 2007 : 15) pour tenter de favoriser l’action collective au niveau international, notamment en fixant des cibles de réduction des émissions et en mettant en place des mécanismes de flexibilité pour aider les pays de l’annexe I à atteindre leurs cibles. Le Protocole de Kyoto ne peut être compris que comme une étape dans une série d’étapes qui doivent conduire vers l’objectif de stabiliser le climat pour éviter un réchauffement qui serait dangereux (ccnucc : art. 2).

Dès l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, en 2005, la question de l’« après-Kyoto » s’est posée et a donné lieu à une longue période de négociations.

C — La remise en cause du principe des responsabilités communes mais différenciées par l’« Accord de Copenhague » ?

La route vers Copenhague

Afin de dresser le bilan de la Conférence de Copenhague et de jeter un éclairage sur l’accord qui y a été conclu, il est nécessaire de situer les négociations de cet accord dans le contexte plus large des tensions non résolues entre les pays riches et les pays pauvres sur l’identité des États qui ont la responsabilité de protéger le l’environnement. Ces tensions sont exacerbées en matière de changements climatiques, puisque cette question remet en cause les éléments moteurs de nos économies que sont le pétrole, le charbon, le gaz naturel et, par conséquent, les secteurs de l’énergie, du transport, de l’agriculture, et, d’une manière générale, un modèle économique qui a permis aux États du Nord de s’industrialiser et auquel aspirent des milliards de pauvres sur la planète.

Pour comprendre les tensions qui ont marqué les négociations de tout le régime international sur le climat et qui ont conduit au point culminant de la conclusion de l’Accord de Copenhague, il faut tout d’abord brièvement rappeler les trois étapes qu’a connues l’évolution de ce régime. La première étape a débuté en 1991, avec la négociation de la ccnucc (onu 1992a), qui a été adoptée en 1992 et qui est entrée en vigueur en 1994. La seconde étape a été marquée par la négociation du Protocole de Kyoto (onu 1997), qui prévoit les cibles quantifiées de réduction des émissions des pays développés jusqu’en 2012 et qui établit des mécanismes fondés sur le marché pour les atteindre. La troisième étape est celle qui semble avoir pris fin avec l’Accord de Copenhague (Copenhague 2010).

Pendant la première décennie du régime, c’est-à-dire la période allant de la ccnucc (onu 1992a) aux accords de Marrakech, en 2001 (onu 2001), le processus de négociation a été marqué par des tensions entre les pays développés. En effet, pendant toute cette période, c’est surtout le « bras de fer » entre l’Union européenne et les États-Unis qui a monopolisé les négociations (Bodansky 2010 : 2, 3 ; Bodansky et Chou 2004 ; Hunter 2007 : 79-83).

Les tensions entre l’Union européenne et les États-Unis ont perdu de l’importance dans les négociations qui ont suivi les accords de Marrakech (ccnucc 2001). Elles ont été remplacées par des tensions entre les pays développés et les pays en développement, et plus particulièrement entre les États-Unis et les économies émergentes, la Chine en tête (Bodansky 2010). La position américaine était claire : le Protocole de Kyoto (onu 1997) n’était pas une solution viable et il fallait que les pays émergents, désormais responsables de 50 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, s’engagent aussi à réduire leurs émissions.

Dans ce contexte, les négociations d’un accord pour la période post-Kyoto ont suivi deux processus parallèles. Le premier, appelé Ad Hoc Working Group on Further Commitments for Annex I Parties under the Kyoto Protocol (processus awg-kp), a été mis en place en 2005, à la Conférence de Montréal (ccnucc 2005), conformément à l’article 3.9 du Protocole de Kyoto (onu 1997). Ce processus avait pour objectif d’aboutir à la négociation d’une seconde période d’engagements uniquement pour les pays industrialisés de l’annexe I du Protocole de Kyoto. Les États-Unis ne participaient évidemment pas à ce processus de négociation.

En 2007, les Parties à la Convention-cadre ont adopté le Plan d’action de Bali (ccnucc 2008), qui lançait le processus de négociation parallèle, appelé Ad-Hoc Working Group on Long-term Cooperative Action under the Convention (awg-lca). Ce processus soulevait deux questions importantes. Premièrement, les négociations devraient-elles mener à deux accords ou deux « résultats », l’un en vertu du Protocole de Kyoto (onu 1997) et l’autre en vertu de la ccnucc (onu 1992a), ou plutôt à un seul résultat qui rassemblerait les deux processus ? En second lieu, ces accords ou « résultats » devraient-ils être de nature juridiquement contraignante ? Les pays en développement ont fait bloc pour s’opposer à ce qu’un seul accord soit adopté en vertu de la ccnucc plutôt que du Protocole de Kyoto. Pour eux, seule la négociation d’une seconde période d’engagement des pays développés de l’annexe I du Protocole de Kyoto était envisageable. Les pays de l’annexe i et les États-Unis ne considéraient, quant à eux, que l’autre possibilité, soit la négociation d’un seul accord, juridiquement contraignant, qui fixerait les engagements des pays développés et des pays en développement (Dubash 2009 ; Bodansky 2010). Cette position est présente dans le Plan d’action de Bali, lequel visait à « […] permettre l’application intégrale, effective et continue de la Convention par une action concertée à long terme, dès à présent, d’ici à 2012 et au-delà […] » (ccnucc 2008).

Deux remarques importantes doivent être faites au sujet du Plan d’action de Bali (ccnucc 2008). Premièrement, cette « feuille de route vers Copenhague » rappelait le principe des responsabilités communes mais différenciées (ccnucc 2008 : art. 1a) et mentionnait que l’action collective pour l’atténuation des changements climatiques devait envisager des engagements d’atténuation pour les « pays développés » et des « actions» pour les « pays en développement » (ccnucc 2008 : art. 1b). Le Plan d’action de Bali ne faisait donc plus référence aux annexes i et ii du régime, ce qui présageait déjà une autre différenciation pour la seconde période d’engagement que celle opérée dans le Protocole de Kyoto (onu 1997 ; Zen 2009 : 64). Les hypothèses envisagées pour une action à long terme comprenaient :

  1. une augmentation maximale du climat de 1,5 à 2 degrés Celsius ;

  2. des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre d’un maximum de 350 ou 450 parties par million (ppm) ;

  3. une réduction des émissions globales de 25 % à 40 % d’ici à 2020 ;

  4. une réduction des émissions globales de 50 % d’ici à 2050 ;

  5. un plafonnement des émissions globales aux environs de l’année 2020 (ccnucc 2008).

L’autre remarque importante sur le Plan d’action de Bali (ccnucc 2008) est qu’il ne prévoyait pas la forme que pourrait prendre l’accord qui serait adopté pour la seconde période d’engagement de la ccnucc (onu 1992a). Contrairement au mandat de Berlin de 1995 (ccnucc 1995), qui avait réclamé l’adoption d’un « protocole », le Plan d’action de Bali (ccnucc 2008) ne spécifiait ni la forme ni le caractère contraignant de l’accord qui devait être négocié à la Conférence de Copenhague, ce qui laissait ouvert un large éventail de possibilités, notamment :

  • une décision de la Conférence des Parties, prise en vertu des pouvoirs que lui confère l’art. 7.2 de la ccnucc, et prévoyant que d’autres négociations seraient menées sous l’égide de la ccnucc pour adopter un accord pour la deuxième période d’engagement du régime ;

  • l’adoption, par la Conférence des Parties, d’un amendement à la ccnucc ou d’un amendement à l’une de ses deux annexes ou aux deux, déterminant des actions ou des engagements additionnels des Parties à la ccnucc

  • La dernière possibilité était l’adoption, par la Conférence des Parties, d’un nouvel instrument juridique complétant ou remplaçant le Protocole de Kyoto, pour la seconde période d’engagements.

Au printemps 2009, il était devenu évident que la Conférence de Copenhague ne pourrait donner tout au plus lieu qu’à un « accord de mise en oeuvre » de la ccnucc, ainsi que le souhaitaient les États-Unis (US Department of State 2009). Cet accord ne prendrait pas la forme d’un protocole de la ccnucc (onu 1992a), mais pourrait avoir un caractère contraignant s’il était adopté par une décision prise par le consensus de la Conférence des Parties, à Copenhague. Un tel « accord de mise en oeuvre » offrait aux États-Unis la flexibilité dont ils avaient besoin pour faire appel à quelques pays seulement, pour coexister avec un Protocole de Kyoto (onu 1997) amendé ou coexister avec un nouveau protocole. Un tel accord offrait même la possibilité de remplacer complètement le Protocole de Kyoto (Bodansky, 2009). L’Accord de Copenhague devait être un « accord de mise en oeuvre de la ccnucc ». Il ne l’a pas été…

La Conférence de Copenhague

Du 7 au 18 décembre 2009, les yeux du monde étaient rivés sur la capitale danoise, Copenhague. La conférence, surnommée Hopenhagen Conference dans certains milieux, devait permettre au monde entier d’emprunter le chemin nécessaire pour ne pas atteindre un réchauffement climatique qui serait dangereux (onu 1992a : art. 2). Or, un mois avant l’ouverture de la Conférence de Copenhague, le Secrétariat de la ccnucc était forcé de reconnaître que le résultat de cette conférence pourrait tout au plus donner lieu à la conclusion d’un engagement politique.

L’Accord de Copenhague, document de trois pages, a été ficelé à la fin de la conférence. Ayant parrainé cet accord, le président Barack Obama l’a qualifié de « percée significative et sans précédent » (The Associated Press 2009). L’Accord de Copenhague est-il une percée significative ou est-il plutôt l’accord de « la nuit des longs couteaux » ? A-t-il miné la ccnucc (onu 1992 a) et le Protocole de Kyoto (onu 1997) ? Que représente-t-il pour l’avenir du climat ? Remet-il en question le bien-fondé du recours au principe des responsabilités communes mais différenciées en droit international de l’environnement, plus spécifiquement pour stabiliser le climat par le moyen de la coopération internationale ?

La réponse à ces questions est complexe et demande qu’on considère la nature de l’Accord de Copenhague, son contenu, les inscriptions des pays qui ont complété ses annexes avant le 1er février 2010 et ses conséquences potentielles pour l’avenir du processus de coopération internationale entrepris, en 1991, sous l’égide des Nations Unies.

La nature de l’Accord de Copenhague

L’Accord de Copenhague est un accord politique, juridiquement non contraignant. Proposé par les États-Unis, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, il a été négocié par un groupe de 26 « chefs d’État, chefs de gouvernement, ministres, et autres chefs de délégation présents à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de 2009, à Copenhague » (ccnucc 2009). Il n’a pas été adopté par la Conférence des Parties, ce qui aurait nécessité le consensus de la Conférence des Parties, alors que certains pays, représentés par la Bolivie, le Venezuela et le Soudan, s’y sont opposés. La Conférence des 194 parties à la ccnucc a finalement seulement « pris note » de cet accord, juste avant que la conférence ne prenne fin (ccnucc 2009).

L’accord ne peut pas être considéré comme un accord de mise en oeuvre de la Convention, car il n’a pas été adopté par une décision de la Conférence des Parties. Il n’est juridiquement pas lié à la ccnucc (onu 1992a), ni notamment à ses principes, énumérés à l’article 3 et à l’article 4 de la ccnucc, qui oblige chaque État Partie à communiquer l’inventaire de ses sources d’émission et des puits de carbone qui en permettent l’absorption, selon les méthodes approuvées par la conférence. Il n’est pas non plus lié aux institutions de la ccnucc, notamment au Fonds mondial pour l’environnement (fem) qui a été chargé de servir de mécanisme financier de la ccnucc (onu 1992 a : art. 11), au Fonds d’adaptation et au Fonds spécial des pays les moins avancés établis dans le cadre des accords de Marrakech (ccnucc 2001).

Le contenu de l’Accord de Copenhague

L’accord prévoit les engagements politiques suivants :

  • La réduction par les Parties développées 

     

    Chaque partie établit ses propres cibles de réduction d’émissions et sa propre année de référence. Elle les indique dans l’annexe I de l’accord, avant le 1er février 2010. Les réductions seront mesurées, rapportées et vérifiées (mrv) selon les règles que la ccnucc a déjà adoptées et selon celles qu’elle adoptera dans le futur.

     

  • Les actions d’atténuation par les pays en développement 

     

    Les pays en développement, catégorie englobant les pays émergents, inscriront leurs actions d’atténuation nationalement acceptables (namas) dans l’annexe ii de l’Accord de Copenhague avant le 1er février 2010. Toutefois, les pays les moins avancés et les petits États insulaires ne s’y engagent que s’ils reçoivent un soutien financier et/ou technologique.

La question de l’engagement des pays en développement à soumettre leurs actions nationales d’atténuation à une « mesure, un rapport et une vérification » (mrv) sur le plan international a été au coeur des différends entre les États-Unis et la Chine, tout au long de la Conférence de Copenhague. Sur cette question, l’accord distingue trois situations mais, au final, fait en sorte que les pays en développement n’ont pas à soumettre leurs actions nationales d’atténuation à des mesures, rapports et vérifications à moins que leurs actions n’aient bénéficié du soutien financier ou technologique aménagé par l’accord. Dans les autres cas, les pays en développement doivent simplement communiquer périodiquement des informations à ce sujet. Par conséquent, les actions nationales d’atténuation de l’Inde, de la Chine ou du Brésil ne seront pas soumises à des mesures et des vérifications sur le plan international, et ils en sont ravis… ce qui ne peut pas manquer de nous laisser songeurs.

  • Le soutien financier des pays en développement

     

    L’Accord de Copenhague prévoit la création d’un « Fonds climatique vert de Copenhague » (Copenhagen Green Climate Fund) à son paragraphe 5, dont la formulation est alambiquée. Ce paragraphe prévoit que de nouveaux fonds additionnels et prévisibles seront destinés aux pays en développement pour soutenir autant leurs actions en matière d’atténuation que leurs actions d’adaptation. L’engagement politique et collectif des pays développés est de fournir des ressources nouvelles et additionnelles approchant les 30 milliards de dollars pour la période 2010-2012 et de « poursuivre l’objectif de mobiliser collectivement » 100 milliards de dollars par année à compter de 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement.

     

  • L’adaptation

     

    L’article 3 de l’Accord de Copenhague mentionne que le soutien financier et technologique sera accordé en priorité aux pays les moins avancés, aux petits États insulaires et qu’il tiendra compte des besoins des pays africains.

     

  • La réduction des émissions par la réduction de la déforestation

     

    L’accord reconnaît le rôle crucial que jouent la déforestation et la dégradation des forêts dans le réchauffement climatique et propose un soutien à l’établissement immédiat de mesures comme le redd-plus pour soutenir les pays en développement.

     

  • Les mécanismes de flexibilité

     

    Ces mesures ne sont pas prévues de manière détaillée dans l’accord. Celui-ci se contente de mentionner que différentes approches, dont celles fondées sur le marché, seront poursuivies.

Les inscriptions des pays développés et des pays en développement dans les annexes de l’Accord de Copenhague

En date du 1er mars 2010, le Secrétariat des Nations Unies avait reçu les inscriptions de 41 pays industrialisés dans l’annexe I de l’Accord de Copenhague et de 32 pays en développement dans l’annexe ii, notamment la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.

Toutes les économies importantes, représentant environ 80 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se sont ainsi engagées politiquement dans l’Accord de Copenhague. Quarante pays en développement se sont, quant à eux, abstenus. Ils ont exprimé le souhait qu’un accord juridiquement contraignant soit conclu sous l’égide de la ccnucc et ont indiqué que l’assistance financière était essentielle à tout accord.

L’avenir du régime de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto

L’Accord de Copenhague est en vigueur dès maintenant et vient faire obstacle à la mise en oeuvre efficace du Protocole de Kyoto (onu 1997). De plus, bien que l’Accord de Copenhague approuve les décisions des deux processus parallèles de négociation entrepris sous l’égide des Nations Unies (awg-kp et awg-lca) de poursuivre les négociations en vue d’un accord dans le cadre de la ccnucc (onu 1992a), il est, pour le moment, difficile d’imaginer comment ces négociations pourront conduire à un tel accord dans les prochains mois. En effet, bien qu’une centaine d’États parties à la ccnucc aient décidé de ne pas compléter les annexes de l’Accord de Copenhague, les États les plus puissants et les plus pollueurs, eux, l’ont fait.

Enfin, des pays comme le Canada qui s’étaient engagés, dans le Protocole de Kyoto (onu 1997), à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais qui n’avaient pas encore mis en place les politiques énergétiques et industrielles nécessaires pour respecter leurs engagements, ne peuvent qu’être soulagés du dénouement de la Conférence de Copenhague. Ils ne sont plus inquiétés ni par le prix politique éventuel à payer, ni par le mécanisme de sanctions du Protocole de Kyoto, qui avait été négocié à Marrakech en 2001 (ccnucc 2001). Ce mécanisme prévoit qu’un pays qui ne respecterait pas son plafond d’émissions au titre du Protocole de Kyoto pourrait être tenu de les compenser à la deuxième période d’engagement. La tonne non réduite durant la première phase d’engagement deviendrait donc 1,3 tonne au cours de la seconde période d’engagement.

Conclusion

Le monde rejette actuellement 42 milliards de tonnes de dioxyde équivalent (gtcCo2-eq) dans l’atmosphère, par année (Solomon et al. 2007 : 36 ; aie 2008 ; Labrousse et Soumaïla 2007 : 25). La moitié de ces émissions sont le résultat des activités humaines dans les pays riches de l’ocde et des anciens pays de l’Europe de l’Est qui représentent 1,28 milliard d’habitants, soit 20 % de la population mondiale, et qui s’accroît au rythme de 0,3 % par an. L’autre moitié des émissions est causée surtout par les pays émergents et, dans une moindre mesure, par les pays pauvres. Ces pays représentent 5,13 milliards d’individus, soit 80 % de la population mondiale. Si l’on considère que la population de ces pays s’accroît de 1,5 % annuellement, la contribution de ces derniers au problème du réchauffement climatique ne pourra que continuer de croître (Solomon et al. 2007 : 37). Cette situation a le potentiel d’annuler tout effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui ne serait effectué que dans les pays développés. Ce contexte est à l’origine des positions divergentes des pays développés et des pays en développement dans les négociations ayant conduit à la Conférence de Copenhague.

L’Accord de Copenhague du 18 décembre 2009 est un accord politique dans lequel les pays développés et les pays en développement s’engagent volontairement à protéger le climat, les premiers au moyen de cibles de réduction qu’ils choisissent et les seconds, au moyen d’actions nationales qui paraissent « nationalement appropriées ». L’impasse créée autour de l’interprétation divergente du principe des responsabilités communes mais différenciées par les pays développés et les pays en développement, au titre desquels figurent les pays émergents, ne pouvait conduire à un autre résultat.

Toute réflexion concernant la seconde période d’engagement du régime climatique porte inévitablement sur les responsabilités communes mais différenciées des pays développés et des pays en développement. En effet, au cours des négociations ayant précédé l’Accord de Copenhague, un consensus existait sur la nécessité de limiter la hausse de la température moyenne sur la planète à 2 C°, mais les divergences ont persisté sur la question de la répartition de l’effort : qui y participerait et qui serait à « l’avant-garde » des actions ?

Les pays en développement ont insisté sur la responsabilité historique des pays développés pour exiger que seuls les pays de l’annexe i du Protocole de Kyoto (onu 1997) contractent des obligations de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre pour la seconde période d’engagement. Les États-Unis, suivis en cela par la vaste majorité des pays développés de l’annexe i, ont, quant à eux, mis l’accent sur la responsabilité actuelle des pays en développement qui émettent actuellement 50 % des émissions globales de gaz à effet de serre et qui continueront progressivement de les augmenter (Solomon et al. 2007). Les propos que Todd Stern, délégué en chef des États-Unis, a tenus à Copenhague illustrent bien que les fondements du principe des responsabilités communes mais différenciées ne sont pas les mêmes selon que l’on est Américain ou Chinois :

« […] Au cours des 200 ans qui ont suivi la révolution industrielle, les gens ignoraient totalement le fait que les émissions causaient l’effet de serre… Ce n’est pas la bonne façon d’envisager les choses. Nous reconnaissons parfaitement notre rôle historique dans le fait d’avoir rejeté dans l’atmosphère des émissions qui y sont maintenant. Mais je rejette catégoriquement toute idée de culpabilité ou de réparation » (Todd Stern, dans Samuelsohn 2009).

Depuis que le Sénat américain a refusé de ratifier le Protocole de Kyoto (onu 1997), les États-Unis maintiennent leur position : « Sans réductions comparables des émissions des plus grands pays en développement qu’on appelle les pays émergents, nous ne nous engagerons pas dans le cadre d’un accord contraignant. » Cette position – qui sert bien le dessein des pays développés de sortir du « carcan » des annexes de la ccnucc (onu 1992a), applicables au Protocole de Kyoto (onu 1987) – place le reste de la planète sur la « corde raide ». D’une part, les autres pays développés qui ont ratifié le Protocole de Kyoto (onu 1997), comme le Japon ou les pays européens, veulent que les États-Unis s’engagent, tout comme eux, à réduire leurs émissions. D’autre part, les pays en développement ont un choix difficile à faire. Ils peuvent choisir de sacrifier ce qu’ils ont obtenu à Stockholm, en 1972, et à Rio, en 1992, c’est-à-dire la reconnaissance que l’équité et la différenciation de leurs obligations sont les conditions sine qua non de leur participation à tout effort international pour atténuer le réchauffement climatique. Ils peuvent décider de ne pas sacrifier le principe de la différenciation et permettre alors aux États-Unis d’invoquer une fois de plus ce motif pour refuser des engagements juridiques et pouvoir ainsi continuer de polluer l’atmosphère sans impunité (Dubash 2009 ; Arbour et Lavallée 2006).

Enfin, les pays émergents, qui font partie de la catégorie non homogène des pays en développement, veulent que les pays développés commencent à « être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes », comme ils se sont engagés à l’être dans la ccnucc (onu 1992a), avant de leur demander de s’engager de façon contraignante à réduire leurs propres émissions. Les pays émergents rappellent aussi aux pays développés que l’aide financière aux pays en développement n’est pas une action « caritative », mais une obligation légale qui relève du principe des responsabilités communes mais différenciées qui est l’un des principes fondateurs de la ccnucc.

À Copenhague, les pays développés ont finalement réussi à faire primer les responsabilités communes sur les responsabilités différenciées. Dans le tout premier paragraphe de l’Accord de Copenhague (ccnucc 2009), le principe des responsabilités communes mais différenciées est rappelé, mais les considérations relatives à « la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial » ou à l’admission, par les pays développés, « de la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable », lesquelles sont formulées dans le principe 7 de la Déclaration de Rio, en 1992, sont disparues.

À son paragraphe 2, l’Accord de Copenhague met plutôt l’accent sur le fait que l’objectif global d’éviter une hausse des températures de 2° C doit être atteint sur les fondements de l’équité et que la coopération internationale doit tenir compte des besoins en matière de développement et d’éradication de la pauvreté des pays en développement. En insistant ainsi sur les besoins des pays en développement, la différenciation des efforts étatiques n’est ainsi plus mise en relation avec la responsabilité historique des pays développés dans la création du problème climatique.

L’Accord de Copenhague fait ainsi une mince place au principe des responsabilités communes mais différenciées mais son articulation n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était dans le Protocole de Kyoto (onu 1997). En effet, dans cet accord, les pays développés sont les seuls pays qui s’engagent à respecter des cibles de réduction d’émissions, mais ces cibles et l’année de référence sont celles de leur choix. Quant aux pays en développement, ils s’engagent à mettre en oeuvre des actions « nationalement appropriées » d’atténuation. Lorsqu’on sait que ces engagements sont strictement politiques, cette différenciation entre les pays développés et les pays en développement devient moins importante qu’elle n’y paraît a priori.

Enfin, on trouve une autre articulation du principe des responsabilités communes dans l’Accord de Copenhague qui prend la forme d’un soutien financier et technologique que les pays développés s’engagent à fournir aux pays en développement. Les engagements sont peu précis et la forme que prendra cette assistance est indéterminée. L’argent est pourtant, on le sait, « le nerf de la guerre » et, sans lui, il est impossible de lier développement et environnement au Sud afin d’infléchir des modèles de développement en matière de développement durable. Ces pays du Sud vont encore graduellement augmenter leurs émissions pour atteindre 60 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans les prochaines années. Dans l’accord, on a annoncé qu’on s’attaquerait à ce problème par le truchement d’une promesse d’assistance financière incertaine. Si l’aide financière ne suit pas concrètement les engagements politiques, il faudra conclure que cette manifestation du principe des responsabilités communes mais différenciées n’a joué, à Copenhague, qu’un rôle instrumental.

Bien que les échos soient partagés concernant l’Accord de Copenhague, et que certains estiment qu’il représente une avancée sur le plan du développement durable, puisque les États-Unis et les pays émergents s’engagent au moins politiquement à respecter certains engagements, la nature politique de l’accord l’empêche de bénéficier d’un régime juridique de sanctions en cas de non-respect de ces engagements. Il est vrai que les sanctions sont rarement utilisées, en droit international, pour réprimer des comportements étatiques qui contribuent à la pollution de l’environnement. Il n’en demeure pas moins que la question des sanctions en cas de non-respect est très importante pour donner de la crédibilité à un accord international et ainsi s’assurer que les États se sentiront tenus de se conformer aux engagements convenus.

En dernière analyse, nous ne pouvons qu’espérer que cet accord donnera de bons résultats en termes d’atténuation du réchauffement climatique et d’adaptation puisque, si nos inquiétudes sont fondées, les plus grands perdants de la Conférence de Copenhague seront les populations qui vivent dans les pays en développement les plus pauvres ainsi que les petits États insulaires.

Tant que la détermination des pays en développement qui peuvent bénéficier d’une différenciation de leurs obligations climatiques se fera selon le principe de « l’auto-élection[3] », c’est-à-dire que tant que les pays émergents pourront eux-mêmes décider d’appartenir à la catégorie des pays en développement, des différends surviendront et empêcheront de mettre en oeuvre le principe des responsabilités communes mais différenciées, dans les accords environnementaux, d’une façon qui soit équitable et qui puisse rallier les États autour d’engagements juridiques.

La négociation climatique n’est pas une négociation internationale comme les autres, où les pays devraient avoir des intérêts particuliers à défendre. Il s’agit d’une négociation pour organiser la réponse collective à une menace commune et où l’intérêt à défendre est celui des populations des pays les plus pauvres, des petits pays insulaires et des générations futures. Pour défendre les intérêts de ceux qui sont trop peu puissants ou qui ne sont pas encore nés, les sacrifices actuels ne devraient-ils pas être ambitieux et obligatoires tout en étant planétaires, équitables et proportionnels ?