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La question de la légitimité jouit d’un statut paradoxal au sein des relations internationales. D’un côté, il s’agit d’une caractéristique fondamentale de la vie internationale, présente quotidiennement dans toutes les sociétés. D’un autre côté, la légitimité sur la scène internationale n’a retenu qu’une attention secondaire de la part des chercheurs étant donné qu’il s’agit avant tout d’un concept appliqué à l’échelle nationale.

L’ouvrage dirigé par Hilary Charlesworth et Jean-Marc Coicaud vise justement à corriger le tir et à démontrer que la légitimité est une composante primordiale du système mondial auquel il faut s’attarder. Pour parvenir à cettte fin, les auteurs examinent le système multilatéral et se penchent sur des cas où la légitimité est mise à l’épreuve au sein des institutions internationales. En fait, l’ouvrage se concentre essentiellement sur l’Organisation des Nations Unies (onu), et plus particulièrement sur le Conseil de sécurité, et tente de voir comment ces batailles pour la légitimité influencent la stabilité et la légitimité du système international dans son ensemble.

Fault Lines of Legitimacy cherche aussi à identifier des moyens de renforcer la légitimité internationale et, par conséquent, l’autorité de la loi sur la scène internationale. Le message fondamental de cet ouvrage est que, bien que la recherche de la légitimité constitue en soi une quête constamment inachevée, il est impératif de tout mettre en oeuvre pour l’accroître.

Le livre est divisé en quatre sections. La première traite de l’histoire de la légitimité internationale et de sa structure. La seconde section analyse le rôle qu’a joué le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies dans la construction du concept de légitimité sur la scène internationale. La troisième partie se penche sur la légitimité des interventions humanitaires. Enfin, la quatrième section explore l’émergence de nouvelles formes de légitimité à l’international en se basant sur les débats et les pratiques de l’onu.

Dans la première partie de l’ouvrage, Coicaud restitue tout d’abord la légitimité dans sa dimension théorique. Il définit la légitimité politique comme étant un processus au cours duquel les gouvernés reconnaissent le droit des gouvernants de diriger et acceptent, jusque dans une certaine mesure, que ceux-ci profitent des privilèges du pouvoir. Il démontre ensuite que ce concept, avant tout étudié au sein des États, a progressivement capté l’attention des chercheurs de relations internationales. L’auteur s’attaque aussi à la construction du concept de légitimité sur la scène internationale. Il affirme notamment que le développement de ce dernier au cours des vingt dernières années ne s’est pas fait sans heurts. En effet, plusieurs des organisations qui ont contribué à mettre la question de la légitimité internationale sur la carte dans la période après-guerre froide l’ont fait au milieu de controverses.

À ce sujet, le chapitre écrit par Vasuki Nesiah qui examine les problèmes de légitimité dans les interventions militaires contemporaines s’avère très pertinent. L’intérêt de cette recherche vient du constat que depuis la fin de la guerre froide les interventions armées sont de plus en plus légitimées par des motifs humanitaires. À cet égard, l’auteure constate que les concepts « humanitaire » et « militaire », bien qu’ils puissent paraître en opposition à première vue, peuvent devenir complémentaires et servir à motiver des volontés impériales. Elle fournit plusieurs exemples récents pour appuyer ses propos, dont l’intervention de l’onu au Kosovo en 1999. Nesiah déconstruit également la manière dont le langage humanitaire a pénétré l’offensive militaire en Afghanistan et démontre que le débat précédant l’assaut de novembre 2001 a paradoxalement porté plus sur la responsabilité de protéger que sur la nécessité d’intervenir. L’auteure conclut que l’utilisation du concept normatif de légitimité peut s’avérer risquée étant donné que ce dernier est volatile et aisément manipulable.

Un autre chapitre intéressant est celui de Jun Matsukuma, qui se penche sur la légitimité des sanctions économiques en Irak. L’auteur insiste tout d’abord sur la nécessité de bien distinguer le concept de légitimité de celui de légalité. À cet égard, il rappelle que les sanctions économiques imposées au peuple irakien, bien que légales, pourraient être considérées comme illégitimes si elles se trouvaient en contradiction avec les règles générales du droit international. Il ajoute que le Conseil de sécurité a le devoir de faire tout en son pouvoir pour réduire l’impact de ces sanctions sur la population. Matsukuma termine en affirmant que, malgré toutes les critiques faites à l’égard des sanctions économiques, celles-ci peuvent constituer une solution de remplacement désirable à l’utilisation de la puissance militaire.

En somme, Fault Lines of Legitimacy est un ouvrage original qui apporte une contribution importante à la littérature traitant à la fois de la gouvernance, du droit international et des institutions internationales. En s’appuyant sur des études de cas pertinentes, les contributeurs réussissent à placer la légitimité au coeur du système international et à montrer son importance. Il s’agit donc d’une lecture essentielle pour tout chercheur intéressé par le multilatéralisme et plus particulièrement par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies.