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Cet ouvrage présente de façon lucide certains enjeux de l’immigration en ce début de 21e siècle. L’intérêt de ce travail est de considérer la nature évolutive des régimes de migration par rapport aux transformations des économies et des institutions politiques nationales. À une époque où les flux migratoires connaissent une croissance remarquée, toutes catégories et régions confondues, la question qui s’impose est celle de savoir mieux réguler l’immigration à un moment où de nombreux États-nations se trouvent sous forte tension depuis le ralentissement économique de 2008. Ce qui se dessine est un cadre politique à la fois souple pour certains et contraignant pour les autres, pouvant rapidement s’adapter aux remous actuels.

Nicola Phillips conceptualise ce projet autour de trois grandes balises, invitant des chercheurs reconnus au sein des études migratoires. La première vise à rapprocher le champ de l’économie politique internationale de celui de l’immigration, qui reste surtout le terrain des sociologues et des anthropologues. Il ne s’agit pas d’effectuer une analyse des multiples débats théoriques pouvant animer cette école, mais de repositionner cette discipline par rapport à un enjeu capital du système économique mondial, soit la mobilité migrante et ses effets sur le marché. La seconde introduit une lecture plus dynamique et critique des processus produits pas des acteurs et insiste sur le fait que la « nouvelle » économie politique internationale ne doit pas se limiter à l’étude des structures. Enfin, l’analyse par l’économie politique internationale permet de dépasser une lecture géopolitique classique caractérisée par une mobilité historique du sud vers le nord. Dans le contexte de la mondialisation, l’étendue des migrations et la multiplication des espaces introduisent des dynamiques nouvelles liées à la complexité des marchés internationaux et des réseaux migrants.

Cet ouvrage se divise en trois sections. Depuis les années 2000, la migration se transforme à partir du capitalisme globalisé. De nouvelles segmentations du marché de l’emploi et des formes de migrations de travail exposent les écarts entre les immigrants les plus désirables (travailleurs hautement qualifiés) et ceux des catégories indésirables (clandestins et réfugiés). La contribution de Carl-Ulrik Schierup et Stephen Castles et celle de Harald Bauder analysent les rapports aux économies nationales et aux modes de gouvernance, de même que les transformations des économies occidentales sous l’influence du régime néolibéral et de l’accroissement des inégalités, surtout la précarisation de l’emploi. À partir de la typologie classique dressée par Gosta Esping-Andersen des trois formes d’État-providence, les auteurs tracent une dynamique de l’intégration des populations immigrées depuis les années 1950. D’un moment intégrateur, les sociétés européennes sont passées en quelques décennies à un désengagement structurel du marché et du social. L’essor du néolibéralisme marque la fin d’une approche régulatrice de l’économie capitaliste et l’adoption de modèles souples et flexibles pouvant répondre aux besoins des acteurs économiques. Dans l’ensemble des pays européens et aux États-Unis, les immigrants les plus pauvres et les minorités ethniques ont été quasiment poussés à la marge du système. Deux études de cas illustrent bien les écarts économiques et la fragilité de certains individus au sein du système globalisé et, surtout, moins protégé par la présence de l’État régulateur, soit les femmes migrantes (chap. 4) et les immigrants clandestins dans le cas américain (chap. 5).

La relation entre la migration et le développement constitue un autre dossier important. Cette section de l’ouvrage fait place à des contributions soulignant le besoin de repenser ce grand dossier du développement à l’aire de la globalisation et du transnationalisme. Ronald Skeldon pose les jalons d’une analyse du débat autour de la relation entre la migration et le développement. En relation avec l’idéologie néolibérale, l’auteur examine comment les politiques publiques et les discours sont venus à présenter l’immigrant comme un acteur de son propre développement économique. Les chapitres suivants présentent divers contextes nationaux et régionaux.

Enfin, la mobilité des migrants dans un espace plus ouvert demande un autre cadre de régulation politique, social et économique, d’où l’insistance sur la gouvernance. La question qui intéresse les auteurs est de savoir comment les acteurs économiques gèrent les flux migratoires au-delà de la simple réaction des États, qui peut paraître contradictoire avec le contexte économique de libéralisation. Il s’agit surtout de cerner la relation entre les structures et les acteurs dans un contexte où la souveraineté nationale réagit au poids des frontières et à un rapport nouveau à la citoyenneté et à l’intégration. En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, ces problématiques se posent devant le défi de l’intégration de certaines catégories de migrants. La réforme des politiques d’immigration demeure difficile en raison d’une fixation obsessive à l’immigration clandestine. Un autre cas présenté est celui de l’Australie, fortement hiérarchisé au regard des tensions ethniques et d’une gestion politique des flux en provenance de certaines régions.

Nicola Phillips conclut par une analyse du sérieux ralentissement économique de 2008. Il ne s’agit pas de tomber dans une lecture catastrophique de la crise économique, mais d’y déceler les effets complexes sur les structures et les acteurs, soit les États et les migrants. La crise expose les migrants les plus vulnérables, ceux et celles qui migrent des régions pauvres vers des sociétés plus nanties mais également fragilisées. Elle montre également un aspect peu étudié de la culture néolibérale, soit cette idée que les migrants eux-mêmes sont en mesure de se mouvoir dans un nouvel environnement conçu pour les individus les plus adaptables.