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Ce numéro de la revue est tout entier consacré à Raymond Aron, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la parution de Paix et guerre entre les nations, son opus magnum consacré aux relations internationales. Il s’ouvre, fait exceptionnel, sur un article inédit de Raymond Aron lui-même, daté de 1969 et intitulé « Clausewitz et notre temps ». Nous tenons à exprimer notre gratitude au coordonnateur de ce numéro spécial, Jean-Vincent Holeindre, au Centre Raymond-Aron de l’École des hautes études en sciences sociales, à la Société des amis de Raymond Aron ainsi qu’à Dominique Schnapper pour avoir rendu possible cette parution. Ce texte offre un condensé de l’argument qu’Aron développera, quelques années plus tard et sur plusieurs centaines de pages, dans l’ouvrage Penser la guerre, Clausewitz. Aron y pose essentiellement la question de la pertinence du concept clausewitzien de guerre, élaboré à l’époque des guerres napoléoniennes, pour penser la guerre à son époque, c’est-à-dire celle de la guerre froide. C’est ainsi toute la problématique, toujours d’actualité, de l’évolution historique du phénomène guerre et donc du système international, qui se trouve abordée. Plus que cela, l’article expose de manière saisissante la méthode de réflexion théorique d’Aron au moment où l’oeuvre s’échafaude. En particulier, on y voit comment la prise de conscience de l’incertitude gouvernant les calculs stratégiques de l’acteur politique, qu’alimente chez Aron la lecture de Clausewitz, contribue à fonder sa théorie non mécaniste des relations internationales. Aussi, que vous vous intéressiez à la stratégie militaire ou à la sociologie du système international, aux théories ou aux questions de méthode, vous serez nombreux à goûter le plaisir de retrouver ou, pourquoi pas, de découvrir la prose stimulante et rigoureuse de Raymond Aron.

Le numéro fait ensuite place à une série d’articles portant sur l’ensemble de la contribution de l’auteur de Paix et guerre entre les nations à la théorie des relations internationales. Plus précisément, Jean-Vincent Holeindre a réuni théoriciens des relations internationales et exégètes de la pensée aronienne afin de réfléchir sur la contemporanéité de l’oeuvre de Raymond Aron. Comme le coordonnateur du numéro le fait bien ressortir dans son introduction, les auteurs s’entendent à tout le moins sur le constat que la théorie aronienne, à la fois réaliste et sociologique, offre des angles à partir desquels il est possible de concilier les réalismes, libéralisme et, même, constructivisme d’aujourd’hui. Mis ensemble, l’article de Aron sur l’actualité de Clausewitz pour son temps et les articles qui suivent sur l’actualité d’Aron pour le nôtre produisent un remarquable effet de télescopage. C’est en définitive à une réflexion sur les permanences et les contingences de la pensée sur l’international à travers deux siècles qu’invite le numéro.

Enfin, ce numéro marque le début d’un nouveau mandat à la direction d’Études internationales. Après douze années passées à la barre de la revue, Gordon Mace a décidé de passer le flambeau. Les lecteurs et collaborateurs de la revue savent l’immense travail qu’il a accompli au cours de ces années qui furent marquées, entre autres, par le passage de la revue au format numérique, par la refonte du processus d’évaluation des articles par les pairs, par la modernisation du mode de production même de la revue dans un contexte financier exigeant. Tous ces défis ont été admirablement relevés par Gordon Mace. Au nom de la grande communauté de ceux qui, à un titre ou à un autre, font et apprécient Études internationales, je tiens à le remercier chaleureusement. À titre de nouveau directeur de la revue, je m’efforcerai, avec l’aide de Richard Ouellet qui en demeure le directeur adjoint, de poursuivre l’oeuvre de Gordon Mace.