Comptes rendusThéorie, méthode et idées

A Whole New World. Reinventing International Studies for the Post-Western World, Pierre P. Lizée, 2011, New York, Palgrave Macmillan, 250 p.[Record]

  • Luc Sindjoun

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  • Luc Sindjoun
    Université de Yaoundé II

L’ouvrage de Pierre Lizée est d’une ambition épistémologique manifeste, annoncée et affichée par son titre, notamment par le sous-titre « Réinventer les études internationales dans le monde post-occidental ». Tout est clair et net : les relations internationales en tant que savoir sont confrontées à une crise de connaissance et d’explication du monde qui s’est émancipé totalement ou partiellement de l’hégémonie occidentale. En d’autres termes, dans cette perspective, les concepts et les méthodes utilisés jusqu’à présent dans la science des relations internationales étaient liés à la stabilité de l’Occident et à son ascension au statut de puissance régulant le monde. La science des relations internationales est ainsi contestée dans son statut épistémologique de savoir universel, tant ses concepts et ses méthodes sont socialement et historiquement situés ; elle participe d’un langage en phase avec le logiciel de la domination occidentale du monde. Dans ce contexte, en revendiquant sa complicité intellectuelle avec Fareed Zakaria, Pierre Lizée souligne la transformation du monde du fait de l’émergence des puissances non occidentales comme la Chine et l’Inde ; émergence corrélative du déclin relatif des puissances occidentales. Il s’agit donc d’un monde nouveau dont la connaissance et l’explication ne peuvent découler que d’un relais des paradigmes, mieux d’une révolution paradigmatique, au sens de Thomas Kuhn. Ainsi se présente le domaine de définition et de validité de l’ouvrage de Pierre Lizée. La démonstration initiale est en fait un questionnement sur l’universalité des principaux paradigmes des relations internationales. Il s’agit notamment du réalisme et du libéralisme, qui ont la prétention de rapporter et d’expliquer les comportements des acteurs politiques où qu’ils se trouvent. La deuxième démonstration de l’ouvrage de Pierre Lizée renvoie à la construction du « monde non occidental » comme étant un monde spécifique. Cette opération intellectuelle est menée par et dans la critique du néoréalisme et du libéralisme dans leur inaptitude à comprendre la spécificité de la violence dans le « monde non occidental » ainsi que le refus « structurel » de la construction de l’État. Dans le même ordre d’idées, mention est faite, d’une part, de l’inadaptation au « monde non occidental » de la notion d’individu telle qu’elle est développée dans les analyses libérales et néolibérales des relations internationales et, d’autre part, de la nécessité à prendre en compte la différence dans les relations internationales. La troisième et dernière démonstration qui clôt l’ouvrage porte sur la réinvention des relations internationales. Au terme d’un parcours polémique marqué par la déconstruction du réalisme, du libéralisme et du constructivisme, Pierre Lizée opte pour la reconstruction des relations internationales. Ici, sont à l’ordre du jour : d’abord, la redéfinition du réalisme qui, tout en conservant sa prétention universaliste, s’enrichirait davantage au contact des particularités et intégrerait les sens pluriels de la puissance et de la rationalité ; ensuite, la redéfinition du libéralisme dans le cadre d’une combinaison dynamique entre l’universalisme et le libéralisme ; enfin, la recherche de nouveaux paradigmes des relations internationales à partir d’un élargissement des cadres d’analyse de la violence, de l’État, de la démocratisation et du développement économique. Au total, l’ouvrage de Pierre Lizée est fondé sur l’idée du changement : changer les manières de penser en vigueur dans la science des relations internationales pour comprendre un monde qui change sous le coup de l’émergence du « monde non occidental ». Le pari épistémologique de Pierre Lizée est dans une large mesure relevé. Toutefois, des réserves subsistent : d’abord, il s’agit des réserves ayant trait au fait que « le monde occidental » et le « monde non occidental » sont présentés de manière artificielle comme étant coupés l’un de l’autre, …