Article body

« Justice et moralité », « droit naturel et politique internationale », voilà les mots clés de l’ouvrage Justice and Morality, publié dans la collection Éthique et politique internationale de la maison d’édition Ashgate. Il s’inscrit dans le cadre des études tentant de « moraliser » les relations internationales, avec pour objectif de voir régner dans le monde une sorte de « diplomatie éthique » ou morale. Même si l’auteure s’en défend, l’approche prônée ici est à l’opposé de celle qui domine dans la diplomatie internationale, très marquée – osé-je le dire – par l’école réaliste.

Composé de cinq chapitres, en plus d’une bien longue introduction de 19 pages, l’ouvrage apparaît comme une revue approfondie de la littérature sur les mots clés mentionnés plus haut, et moins comme une étude théorico-empirique qui tente de théoriser la diplomatie éthique et de démontrer comment elle peut fonctionner en réalité. Cela est peut-être un jugement un peu sévère sur l’oeuvre d’Amanda Russell Beattie, car tel ne semble pas être l’objectif de son étude. En effet, il semble qu’elle vise principalement à proposer « un autre moyen » pour comprendre comment être, à la fois, un individu « social » et un individu « moral ». En d’autres mots, elle vise à démontrer les facteurs pouvant permettre une harmonie, voire une réconciliation entre les obligations ou principes moraux d’un être humain et les exigences, parfois non morales, de sa communauté sociale (p. 13). Puisque les relations internationales des États sont conçues et appliquées par des humains ayant ou devant avoir des principes moraux, ces principes peuvent bien régir la conduite des relations interétatiques, du moins le croit elle.

Dans le premier chapitre, Russell Beattie présente trois auteurs des Lumières et de l’école du « contrat social », en l’occurrence T. Hobbes, J. Locke et J.-J. Rousseau, dont les idées auraient beaucoup influencé les auteurs de la modernité. Elle note que les trois ont en commun une prédilection pour les notions de stabilité et de l’autorité politique légitime comme principaux objectifs de la politique, mettant peu d’accent sur les considérations morales (p. 31). Cependant, elle nous rapporte les idées de trois penseurs du « droit naturel », lesquels (Hugo Grotius, Pufendort et Emmerich de Vattel) auraient développé certaines des idées des trois premiers, tout en y injectant des concepts du droit international, notamment le droit de la guerre, et des considérations morales. Pour Amanda Beattie, ces penseurs du droit naturel se sont efforcés de conceptualiser le rôle de la justice et de la morale dans la politique internationale, une conception qui, selon elle, a laissé sa marque sur cette discipline de nos jours (p. 40).

L’auteure tente ensuite d’établir l’influence de la tradition du droit naturel et ses postulats moraux sur certaines conceptions contemporaines des relations internationales. Pour y voir plus clair, elle s’intéresse davantage aux travaux de Thomas d’Aquin qui incarne, à ses yeux, un des piliers de la tradition du droit naturel. Au contraire de saint Augustin, associé à l’école réaliste des relations internationales, Thomas d’Aquin aurait réussi, par une mise en oeuvre particulière de la doctrine de la grâce, à démontrer une prédisposition naturelle des humains à non seulement connaître ce qui est bon, mais aussi à le chercher activement. En d’autres mots, selon l’auteure, Thomas d’Aquin établit que la moralité (provenant de la cité de Dieu) et les relations internationales (basées sur les conceptions des humains) peuvent bien cohabiter, contrairement aux pensées réalistes (p. 52).

Dans le quatrième chapitre, Beattie nous présente certains exemples afin d’illustrer l’influence des considérations morales sur la politique internationale contemporaine. Se basant sur les travaux de certaines penseuses féministes, comme Fiona Robinson, elle soutient que les mécanismes de la justice internationale (on peut penser à la Cour pénale internationale), l’émergence de puissantes organisations de défense des droits humains et celle du concept de l’intervention humanitaire sous le principe de « responsabilité à protéger » sont des notions morales qui sont en train d’influencer celles de la « raison d’État » (p. 112). Pour elle, cette dernière notion est en train de défier le « droit traditionnel » des États selon la conception réaliste, exigeant que ces derniers, afin de jouir de ce droit, respectent les droits moraux de leurs citoyens (p. 132).

Il est donc possible de résumer cet ouvrage comme étant une étude qui révèle les tensions entre le droit international et les relations internationales dominées par l’école réaliste, avec une tentative de démontrer la possibilité – voire le désir – que les deux cohabitent. C’est de bonne guerre. Cependant, il faut reconnaître que, malgré une prise en compte accrue des notions morales dans la pratique contemporaine des relations internationales, la conception réaliste semble toujours dominer. En effet, la mise en oeuvre des politiques basées sur ces notions demeure tributaire de la volonté des grandes puissances qui ne sont guidées dans cela, le plus souvent, que par leurs intérêts géostratégiques. Le livre d’Amanda Beattie a toutefois le mérite de nous présenter ces tensions et ces développements dans un livre bien fouillé, même si l’on regrette certaines répétitions non nécessaires et des fautes de frappe ici et là.