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Cet ouvrage, par deux professeurs universitaires et juristes belges – Damien Vandermeersch est également avocat général à la Cour de cassation belge – est l’un des rares livres juridiques publiés en français sur les juridictions pénales internationales chargées de la répression contre le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, auxquels il joint les tribunaux nationaux.

Dans une première partie, les auteurs examinent la concurrence de compétence entre les juridictions internationales et les juridictions nationales, de même que leurs avantages respectifs. Ils rappellent les principaux instruments internationaux applicables à ces crimes, dont la Convention sur le génocide, les conventions de Genève et de La Haye, la Convention contre la torture, le Statut de la Cour pénale internationale (cpi) et les conventions en matière de terrorisme.

La deuxième partie évoque l’émergence et l’évolution des juridictions pénales internationales et le problème de fond de leur atteinte à la souveraineté nationale des États. Elle examine la formation des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, de la cpi, et celle des tribunaux dits internationalisés ou mixtes du Sierra Leone, du Timor-Leste, du Cambodge, du Kosovo, du Liban, de la Bosnie-Herzégovine. Les auteurs décrivent le contexte de la création de ces tribunaux, leur base juridique, leurs compétences et leurs procédures, avec un résumé de leurs activités. Le Statut de la cpi est décrit en détail, ainsi que les situations et les enquêtes ouvertes par la cour en République démocratique du Congo, en Ouganda, en République centrafricaine, au Soudan, au Kenya, en Libye et en Côte d’Ivoire.

L’évaluation de l’action des juridictions internationales (chapitre 5) souligne le problème fondamental de leur indépendance : les tribunaux internationaux sont dépendants des autorités nationales pour la recherche et l’arrestation de suspects, en l’absence d’une force de police internationale, et la Cour pénale internationale est accusée de pratiquer une justice du Nord contre le Sud. La procédure des tribunaux, destinée à assurer pleinement les droits de la défense, est critiquée pour être lourde et longue. Du côté positif, les tribunaux pénaux internationaux ont joué un rôle déterminant dans l’uniformisation du droit pénal international et des garanties procédurales des droits de la défense, ainsi que pour l’intégration des normes et pratiques internationales dans le droit interne des États.

Les auteurs innovent en proposant la mise en place de cours pénales régionales ou de chambres régionales de la cpi, qui fonctionneraient comme juridictions internationales de première instance et jouiraient d’une certaine autonomie, comme la cpi elle-même. Par ailleurs, ils confirment les avantages des juridictions internationalisées, plus proches du lieu des faits et moins coûteuses que les tribunaux internationaux.

La troisième partie, également innovante pour un ouvrage sur la justice pénale internationale, décrit d’abord la répression par les juridictions nationales par une étude de leur compétence, les principes de territorialité, de personnalité active et passive et les conditions d’application de la compétence universelle. Les modalités d’application de ces principes dans le droit français, le droit suisse et le droit belge sont examinées. Suivent des exposés sur la résolution des conflits positifs de compétence entre les juridictions de différents États, les poursuites menées par les juridictions nationales, l’extradition et l’entraide judiciaire et les difficultés ainsi que leur mise en oeuvre.

Dans la quatrième partie (conclusion), les auteurs estiment que la peine qu’on peut infliger aux personnes déclarées coupables de crimes de droit international humanitaire ne peut pas répondre aux fonctions classiques attribuées à la peine : fonctions de rétribution, de réparation, de prévention. Ils doutent du caractère exemplaire et dissuasif de la peine, ainsi que du manque de pertinence de la finalité d’amendement et de resocialisation de la peine pour le criminel de guerre ou le coupable de génocide et de crime contre l’humanité. Il reste que la peine aurait pour fonction d’interrompre le cercle vicieux de l’impunité et de la vengeance.

Le procès aurait comme vertu première de redonner une humanité à l’inhumain, en permettant l’expression et le partage des réalités vécues par les différents acteurs. Il y a également d’autres formes de réaction, dont la voie civile en vue de la réparation du dommage causé, ainsi que les solutions alternatives à la justice, telles que les commissions de vérité et de réconciliation et les gacacas rwandaises, tout en excluant l’amnistie.

Le livre apporte une contribution utile et précise à la littérature francophone sur le développement de la justice pénale internationale depuis Nuremberg et sur le droit pénal international. Il pose les bonnes questions sur l’indépendance des tribunaux internationaux et mentionne des avenues possibles. Les références aux tribunaux nationaux remplissent un vide, particulièrement en raison de la complémentarité statutaire de la Cour pénale internationale. On peut souhaiter que les exemples français, belges et suisses soient complétés à l’avenir par une étude des droits britanniques et américains. La conclusion plutôt négative à l’égard de la justice pénale internationale semble en contraste avec les résultats obtenus par la plupart des tribunaux internationaux ou internationalisés décrits dans la deuxième partie.

Deux remarques : les seuls juges militaires de Nuremberg étaient les juges soviétiques (p. 49) ; on peut mettre en doute l’affirmation selon laquelle « la plupart des États ont un système constitutionnel respectueux de l’indépendance des juges (voire instituant ceux-ci en un pouvoir judiciaire) » (p. 64).