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D’entrée de jeu, Gabas et Chaponnière mentionnent que la question de la Chine en Afrique est à la mode dans les milieux universitaires (p. 15). En effet, de nombreux auteurs, ainsi que plusieurs commentateurs dans le monde des médias, parlent abondamment de cette montée, qu’on dit irrésistible, de la Chine et voient dans l’aide et les investissements chinois des moyens de prise de contrôle de l’Afrique des mains d’un Occident fatigué au profit de la puissance émergente. Cet ouvrage collectif se donne pour objectif d’évaluer et de comprendre les motivations des investissements chinois en Afrique, leurs modalités et leurs impacts grâce à la mise en commun de savoirs d’experts issus de disciplines variées – géographie, économie et science politique. Cet ouvrage a l’ambition d’aller au-delà des rumeurs et des lieux communs pour comprendre ce qui se passe réellement en Afrique en ce qui a trait à la Chine.

Plus spécifiquement, les auteurs avancent quatre thèses dont les démonstrations représentent autant d’objectifs que se donne l’ouvrage. Premièrement, ils suggèrent que les relations entre la Chine et l’Afrique illustrent les bouleversements de puissance au niveau mondial. Deuxièmement, ils démontrent que la coopération chinoise en Afrique est une tentative de faire valoir le consensus de Beijing (en opposition avec le consensus de Washington), inspiré de l’expérience est-asiatique de développement. Troisièmement, ils indiquent que la marge de manoeuvre politique offerte aux États africains par la présence de la Chine comme compétiteur représente une occasion de mettre en oeuvre des politiques de développement plus efficaces ou à tout le moins différentes. Enfin, ils montrent que la Chine est en train de devenir un acteur incontournable en Afrique sur le plan de l’aide, du commerce et de l’investissement.

Pour atteindre ces quatre objectifs, l’ouvrage se présente en trois sections distinctes : la première pose le cadre économique et politique de la situation, la seconde examine le système d’aide au développement de la Chine et la troisième s’intéresse à six études de cas sur la présence chinoise en Afrique. Dans la première section, le chapitre clé est celui de Chaponnière et Gabas qui montrent de manière à la fois précise et nuancée la place importante des investissements, de l’aide et du commerce chinois du point de vue de la statistique. Les auteurs exploitent efficacement diverses sources et offrent une solide critique de la valeur des sources disponibles, de leurs forces, mais surtout de leurs limitations à décrire pleinement et de manière transparente la réalité de la Chine en Afrique. Ils en arrivent au fait qu’il n’est pas possible de cerner précisément la réalité de l’investissement chinois en Afrique, mais que les flux progressent rapidement. Ce chapitre, nécessaire même s’il est technique, est utile pour mettre en perspective les autres sections du livre.

La section sur le système d’aide au développement de la Chine est certainement celle qui posait le plus grand défi, car elle aborde un sujet de taille et surtout d’accès difficile. Quoique la présentation de ce système soit bien faite, utile et convaincante, de même que la preuve de la production de savoir sur l’Afrique par des intellectuels chinois, cette section demeure plutôt descriptive, et l’on y retrouve à un moindre degré l’aspect critique et le recul qui caractérisent le livre dans son ensemble.

Le choix des différentes études de cas est heureux. L’ouvrage nous mène ainsi aux quatre coins de l’Afrique, du Cap-Vert à l’Afrique du Sud en passant par le Mali et le Niger, et illustre bien la diversité des réalités de la Chine en Afrique. Ces études débusquent efficacement les rumeurs, souvent infondées, sur ce qu’implique la présence chinoise en Afrique. L’utilisation de méthodologies et de cadres disciplinaires variés permet de saisir efficacement le sujet abordé sous ses multiples aspects. Elle met en évidence la diversité des acteurs chinois (différents ministères, investisseurs, entrepreneurs et, de manière très intéressante, diaspora chinoise) et la pluralité de leurs rationalités. Il est efficacement démontré que, si ces acteurs ont un cadre commun – coopérer dans une perspective gagnant-gagnant avec les États africains –, ils n’agissent pas en suivant une grande stratégie commune et coordonnée.

Les études de cas, particulièrement celles du Niger et du Zimbabwe, illustrent bien les désillusions vécues par les pays africains face aux promesses chinoises. Cette relation de coopération égalitaire gagnant-gagnant entre pays du Sud s’avère parfois rhétorique : bas salaires versés, discrimination envers les locaux, peu de transfert de compétences, faible respect des normes nationales, rythme de travail trop rapide pour un encadrement gouvernemental, liens entretenus exclusivement avec le palier national de gouvernement. De plus, le commerce chinois, qui dope la croissance africaine, s’avère ressembler étrangement à un commerce nord-sud typique (produits manufacturés contre matières premières) entre les économies asymétriques de la Chine et celles de ses partenaires africains. Par ailleurs, les cas étudiés confirment que la présence de la Chine sert de contrepoids aux donateurs occidentaux.

Ce livre se distingue par sa rigueur. Les auteurs indiquent clairement quand l’information est fiable et quand elle ne l’est pas, faute de sources ou parce que la situation est trop instable ou récente pour être adéquatement mesurée et comprise. Ce qui peut sembler une lacune importante nous apparaît, en fait, comme une honnêteté intellectuelle dont l’avantage est de mettre la table pour des chercheurs futurs. L’apport des différents chapitres est parfois un peu inégal, comme c’est hélas le cas de beaucoup d’ouvrages collectifs, mais l’effet d’ensemble reste efficace. En somme, un livre à mettre entre les mains de chercheurs sur l’Afrique, principalement dans le domaine du développement et de la coopération internationale, mais aussi entre celles de chercheurs en relations internationales qui tentent de comprendre l’influence chinoise et ses modalités.