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Cet ouvrage collectif, qui a une grande portée théorique et pratique, se distingue au sein d’une littérature abondante, principalement en droit international pénal, en science politique, en relations internationales et en sociologie, relative aux liens entre la paix et la justice pendant et après un conflit armé. En effet, l’analyse des interactions entre les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration des anciens combattants (ddr), d’une part, et la justice pénale (nationale et internationale), la justice traditionnelle, les commissions vérité et les programmes de réparation, d’autre part, a le mérite de circonscrire le débat autour d’institutions et de mécanismes précis, pouvant exprimer de façon tangible les tensions et les opportunités liées à la mise en oeuvre des mécanismes de construction de la paix (rétablissement, maintien et consolidation de la paix) et ceux de la justice transitionnelle (jt).

L’ouvrage est divisé en deux parties. La première regroupe des contributions relatives aux thématiques principales dans les situations de conflit et d’après-conflit.

Ainsi, la nécessité de combler le vide institutionnel qui sépare les programmes de ddr et de jt constitue le premier thème traité. Selon Sharp, l’Organisation des Nations Unies (onu) en tant qu’organe principal de la construction de la paix, mais aussi en tant qu’institution ayant impulsé et soutenu le développement de la jt, peut servir de cadre idéal pour relier les deux mécanismes. Précisément, la Commission de consolidation de la paix, outil de coordination des activités de l’onu en l’espèce, pourrait jouer un grand rôle dans l’intégration et, à défaut, dans la coordination des programmes de ddr et ceux de la jt. Concernant la même thématique, Waldorf estime, quant à lui, que l’établissement par l’onu des normes communes relatives aux programmes de ddr pourrait servir de piste crédible pour relier les programmes de ddr à ceux de la jt.

La thématique de la jt dans un conflit en cours est également abordée. Ce sujet très pertinent traduit un changement de paradigme faisant désormais de la jt un acteur clé dans la résolution des conflits. Engstrom, dans sa contribution, met davantage l’accent sur les interventions judiciaires dans les conflits en cours et leurs impacts sur la construction de la paix.

Enfin, le dernier thème traité dans la première partie se rapporte au pluralisme juridique et plus spécifiquement au rôle de la justice traditionnelle. La contribution de Nagy révèle les avantages du recours aux modes traditionnels de résolution de conflit, en parallèle avec les mécanismes officiels nationaux et internationaux, mais aussi les limites de ces processus lorsqu’ils sont réinventés pour répondre à la problématique des crimes de masse.

La deuxième partie du livre est consacrée à des études de cas. Ainsi, les contributions relatives à huit pays analysent d’une manière pratique les différentes thématiques développées dans la première partie. Pour plus de clarté, nous pouvons les classer en trois sous-parties.

La première est relative à l’adéquation entre les ddr et la jt dans des conflits en cours. Les contributions relatives à la Bosnie-Herzégovine, à la Colombie et à l’Ouganda, avec leurs spécificités, stigmatisent les tensions entre la prise en compte des droits des victimes et les nécessités de cessation du conflit.

La deuxième sous-partie a trait aux situations de transition ou de post-transition proprement dites. Il s’agit des cas de la Sierra Leone, du Liberia et du Cambodge. Ces études permettent de comprendre l’impact de l’exécution des programmes de ddr bien avant la mise en oeuvre des mécanismes de jt. L’absence de la prise en compte de la problématique des droits humains par les programmes de ddr est indexée par les contributeurs comme l’une des principales causes de l’échec des programmes de ddr, surtout dans son volet réintégration.

Enfin, la troisième sous-partie est relative à l’analyse des mécanismes de « justice transitionnelle » qui ne sont pas véritablement en lien avec un conflit armé. Les contributions relatives au Liban et au Kenya s’inscrivent dans ce cadre.

Pour finir, il est important de mentionner, une fois de plus, l’apport de cette nouvelle publication pour les théoriciens, mais aussi et surtout pour les acteurs de terrain oeuvrant dans les programmes de construction de la paix et dans les mécanismes de jt. Qui plus est, les pistes de réflexion esquissées dans la conclusion quant à la coordination des programmes de construction de la paix avec la jt et le développement sont d’un grand intérêt. Cependant, on pourrait formuler une critique d’ordre méthodologique à l’égard de l’ouvrage. En effet, les études relatives au Liban et au Kenya qui analysent des situations caractérisées par l’absence de véritable transition politique et de mécanismes de maintien ou de consolidation de la paix semblent être en marge de la problématique générale du livre qui a trait aux interactions entre les mécanismes de jt et les programmes de construction de la paix, dont principalement le ddr. Ces contributions très intéressantes auraient été plus avantagées dans le cadre d’une autre étude.