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Alors que la bipolarité s’effondrait, nombreux étaient ceux qui plaidaient pour un ordre international différent, libéré de la lourde rigueur du condominium empiriquement mis en place par les États-Unis et l’URSS tout au long de la guerre froide. Dans cette recherche, la France était particulièrement en flèche, ne serait-ce qu’au travers de la résolution adoptée le 8 décembre 1988 par l’Assemblée générale des Nations Unies, ouvrant la voie au « droit d’ingérence humanitaire », au terme d’un long débat intellectuel qui s’était installé dans le contexte d’une bipolarité finissante. Mario Bettati, le juriste, et Bernard Kouchner, l’un des fondateurs de Médecins sans frontières (msf), posaient alors, avec ce nouveau document qu’ils avaient inspiré, les principes d’un genre apparemment nouveau : celui de l’intervention. Le postulat était simple et semblait s’imposer : face à une menace urgente pesant sur tout ou partie d’un peuple, les autres États, voisins, proches ou éloignés, ont non seulement le droit, mais le devoir d’agir hors de leur propre espace de souveraineté, comme pour assister quiconque en danger. Le concept semblait clair : une nouvelle pratique des relations internationales concevait l’intervention comme une suspension de la souveraineté d’autrui afin de résoudre un conflit de nature intra-étatique qui l’éprouvait (Bass 2008 ; Finnemore 2003).

Fausse évidence en réalité. D’abord, parce qu’on faisait trop facilement fi du principe fondamental de souveraineté, base même du droit international (Bartelson 1995 ; Krasner 1999). La question méritait certes d’être posée : la souveraineté vaut-elle encore quand elle sert de paravent aux crimes d’un dictateur ? L’offensive intellectuelle ainsi menée était forte et pouvait emporter la conviction, mais pouvait-on si vite oublier que le principe de souveraineté était en réalité double ? Immunité offerte à toute puissance, elle était aussi protection ultime face à l’arbitraire des plus forts qui agissent du dehors. Bousculer la souveraineté n’est pas une mince affaire : on avait dès le départ omis d’aménager le vide conceptuel et politique qui risquait d’en dériver.

En fait, un tel débat est très ancien et la nouveauté qu’on lui prête n’est pas aussi avérée qu’on le dit. Évidemment, des siècles d’orthodoxie souverainiste, hypocritement durcie par la guerre froide, donnaient à l’ingérence une tonalité tellement négative, voire injurieuse, qu’on était facilement disposé à oublier l’Histoire. Pourtant que d’aises ont été prises, partout et toujours, avec le principe de souveraineté, y compris au temps du conformisme westphalien. Les guerres de succession, les interventions opérées par la sainte-Alliance, puis par le Concert européen, la protection exercée en faveur des chrétiens du Proche-Orient sont là pour en témoigner. Il est vrai qu’alors la philosophie n’était pas principalement liée à l’intervention libératrice, mais davantage à l’intervention répressive.

Cependant, l’idée d’une ingérence émancipatrice, positivement connotée, s’esquissait déjà : la Révolution française ne l’avait-elle pas pratiquée, prolongeant l’oeuvre de ceux qui se battirent un peu plus tôt pour l’indépendance des États-Unis ? L’idée commençait donc à courir et attirait ses premières objections : de Robespierre en tout premier lieu, lui qui restait convaincu que la guerre n’offrait pas les conditions idéales à la construction de la liberté, tant elle était porteuse d’effets pervers. De même, oublie-t-on trop vite les hésitations d’un Stuart Mill devant la suspension de la souveraineté d’autrui, renforcées encore chez un libéral comme Richard Cobden. On n’a que très peu en mémoire les circonvolutions juridiques au temps même de la bipolarité, lorsque la résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies condamnait fermement toute intervention extérieure contre un État souverain qui se conduisait conformément au droit international. Mais alors, que devait-il se passer s’il ne se comportait pas conformément à celui-ci ? L’aporie n’est pas loin : Indira Gandhi face au Bengladesh naissant dans la douleur, Pham Van Dong aux prises avec le drame du Cambodge des Khmers rouges, et Julius Nyerere à propos de l’Ouganda, surent s’en souvenir…

En fait, bien des raisons militaient pour que le débat vînt à rebondir à la fin des années quatre-vingt, bien au-delà de la chute du Mur en elle-même. La transformation de la guerre y est pour beaucoup : à la guerre westphalienne qui met face à face des puissances, alliées ou ennemies, succèdent des guerres de décomposition sociale et institutionnelle. Sans mode de résolution connu, ces conflits plongent désormais dans l’ordinaire des sociétés, mêlant combattants et populations civiles, suscitant des crises humanitaires, alimentaires, sanitaires épouvantables. Autant de situations inextricables qu’un usage frileux des ressources onusiennes ne pouvait en aucun cas soulager. La pensée humanitaire se développe alors d’autant plus vite qu’elle est entretenue par une médiatisation de ces conflits qui popularise l’idéal humanitariste tout en montrant, au gré des images diffusées, sa nature dérisoire, ses insuffisances et son incapacité à faire face aux nouvelles barbaries (Smillie et Minear 2004 ; Hoffman et Weiss 2006). Les menaces portées aux Kurdes du nord de l’Irak, dès que Saddam Hussein eut battu en retraite du Koweït (1991), la famine en Somalie ou les massacres au Rwanda (1994) comme ceux de Srebrenica (1995), guident les consciences et brouillent les diplomaties rivées sur les méthodes traditionnelles. L’exposé des motifs conduisant à agir semble désormais impeccable, mais tout le reste manque : le droit, la mise sous contrôle de la puissance mobilisée, la reconstruction de la souveraineté mise à mal, la définition de l’optimum d’efficacité de l’acte même d’intervention, etc.

On a cru un temps qu’un nouveau droit allait pourtant se former, véritable espoir face aux formes nouvelles de conflictualité : la résolution 688 du Conseil de sécurité ouvrait un chemin plein d’optimisme et soulagea incontestablement le peuple kurde en faveur duquel fut assuré un couloir d’intervention humanitaire. La perspective devait se développer autour de l’idée de responsabilité qu’on allait ensuite accoler à celle de protéger. Les années quatre-vingt-dix regorgent de littératures sur la responsabilité (Deng et al. 1996 ; Weiss et Hubert 2001). Le célèbre rapport de la commission co-présidée par Gereth Evans et Mohamed Sahnoun (2001) allait officialiser une doctrine : quand un État n’est plus à même d’assurer la protection de ses citoyens, le principe de subsidiarité vient de lui-même s’imposer, en érigeant la communauté internationale en tutrice des peuples martyrs. Le hasard des dates fait parfois mal les choses : sorti en décembre 2001, le rapport allait être aspiré par les automatismes néo-conservateurs qui eurent vite fait de traduire ses subtils arguments en simple justification du regime change. On proclame haut et fort que les « peuples libres » auraient pour mission de libérer les autres… et de les convertir à leurs propres normes. D’instrument complexe de solution des conflits, le principe d’intervention se transformait ainsi en fin en soi, voire en fin de l’Histoire.

Cette incapacité de distinguer l’instrument du but est au fondement des malheurs de cette nouvelle pratique. Elle fut aussi à la base de toutes les méfiances, portées notamment par ceux qui savaient qu’ils ne seraient jamais en mesure de contrôler le processus. Telle est l’origine des craintes nourries par les puissances émergentes qui n’en retenaient que les mauvais coups portés au principe de souveraineté ; elles furent suivies en cela par la plupart des pays du Sud dont les régimes redoutaient d’en être un jour la cible, et par la Russie elle-même qui comprit très tôt que le Conseil de sécurité perdrait l’essentiel du contrôle d’un processus appelé à « s’otaniser ». Aussi, lorsqu’il fut question d’en faire un axiome onusien, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Maison de Verre, la prudence fut-elle de mise et l’idée, pourtant reprise dans la déclaration finale, soigneusement édulcorée.

Aujourd’hui, le bilan est peu engageant : peu efficace, imprécisément conceptualisée, l’intervention, telle qu’elle est devenue, ne convainc ni dans la pratique ni dans l’analyse. Elle conduit à des typologies complexes et obscures qui obligent à distinguer entre des interventions unilatérales, généralement légalisées ex post par les Nations Unies – à l’instar de l’intervention américaine en Irak ou en Afghanistan – , des interventions confiées par l’Organisation des Nations Unies (onu) à des États volontaires (« coalition of the willing ») ; comme dans le cas de Haïti (1994), de la Somalie (1992), du Timor (1999) ou de la Libye (2011), voire des interventions hors mandat onusien (Kosovo, 1999 ; Syrie-Irak, 2014) ou des interventions qui se réclament d’accords bilatéraux, comme au Mali en 2013. Il est à noter le rôle souvent central de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan), comme déclencheur de l’opération (le Sommet du Pays de Galles en septembre 2014 a été le lieu de décision de l’intervention contre Daesh), soit comme opérateur (en Afghanistan ou en Libye qui ne sont pourtant pas des pays bordés par l’Atlantique !).

À part l’intervention à Timor, les résultats apparaissent comme globalement négatifs, voire franchement dysfonctionnels. L’exception timoraise s’explique aisément et nous avertit des limites du principe. La crise, qui en est à l’origine, n’était pas à proprement parler une guerre civile, mais une guerre internationale, liée à l’occupation illégale de cet ancien territoire portugais par l’armée indonésienne : l’intervention n’a fait que restaurer la souveraineté d’un territoire qui en était privé ; on restait dans le modèle classique des relations interétatiques.

Les objections à ce mode d’action n’ont donc cessé de se multiplier (Beebe et Kaldor 2010 ; Barnett et Weiss 2011), dans un débat surtout orchestré dans le monde extra-occidental : l’intervention est présentée comme peu efficace, porteuse d’effets pervers, suscitant de nouveaux conflits au lieu de conduire la paix, supposant un usage peu pertinent de l’instrument militaire, bloquant les efforts de coopération internationale en vue de promouvoir le « state-building » ou le « nation-building », servant davantage les intérêts de puissance que la cause de la paix. Il est vrai que les interventions pratiquées ont davantage ouvert à une extension du conflit qu’à sa réduction : les exemples irakien, afghan, libyen sont là pour en témoigner ; il est clair également qu’aucune de ces interventions n’a pu déboucher sur une dynamique probante de construction étatique ou nationale. Même les États kosovar et timorais éprouvent encore aujourd’hui les plus grandes difficultés à s’institutionnaliser. En outre, tous ces conflits impliquent directement des acteurs sociaux plus que des armées : l’usage d’une force venue de l’extérieur peut être légitimement tenu pour suspect et en tout cas décalé par rapport aux sources mêmes des hostilités.

En fait, l’intervention s’est imposée comme « technique internationale » sans qu’on n’ait jamais pris soin de poser à son propos trois questions pourtant fondamentales : qui ? Comment ? Pourquoi ? Autrement dit, qui est habilité à la mener ? Comment peut-on la conduire et par recours à quels instruments ? Dans quelle fin, en vue de quels objectifs ? Le plus grave est que cette omission est probablement volontaire : comme bien souvent dans la « diplomatie de connivence », les questions qui fâchent et qui provoquent trop de dissensus sont soigneusement évitées et contournées avec application (Badie 2011).

La question du « qui » conduit à un droit international qui n’est pas encore écrit. La référence légale paraît être la Charte des Nations Unies et en particulier son chapitre 7 qui prévoit l’usage de la force à l’encontre des États qui n’auraient pas suivi les injonctions du Conseil de sécurité. La difficulté tient déjà bien sûr à l’imperfection d’un Conseil qui est en fait soumis aux contraintes de la puissance beaucoup plus qu’à la règle de droit. Mais le plus grave est ailleurs : la Charte des Nations Unies a été rédigée dans un contexte de post guerre mondiale et visait essentiellement à prévenir un nouveau conflit interétatique susceptible de dégénérer ; elle s’applique avec difficultés à des conflits intra-étatiques qui sont devenus l’ordinaire des relations internationales (Thakur 2006). Ce document fondateur ne répond donc qu’indirectement au problème qui est le nôtre : qui est compétent pour remettre de l’ordre dans les affaires des autres et pour poser la question de la dévolution du pouvoir chez un tiers ?

En réalité, les puissants souhaiteraient jouer un rôle de gendarme, là où il n’y a pas de gendarmerie et où il n’y a, au grand maximum, qu’une caserne de pompiers ! Ce rôle de gendarme ne peut bien entendu revenir qu’à ceux qui en ont les moyens : dès lors, l’intervention risque de glisser, faute de gendarmerie institutionnalisée, vers l’intervention de puissance, catégorie nouvelle, éloignée de l’intention originelle, qui consacre le désir, stratégique ou inconscient, de tout bras séculier de la « communauté internationale » d’en retirer un certain nombre d’avantages unilatéraux. C’est bien là le triomphe et la revanche des réalistes sur les idéalistes : portée par ceux-ci, l’intervention va en premier lieu servir ceux-là !

Pourtant, la cause est claire : intervenir à titre subsidiaire chez l’autre n’est légitime que quand l’initiative est bien celle de la totalité (nous n’osons pas dire la « communauté ») à laquelle appartient celui qui est visé. Une initiative solitaire ne serait pas seulement suspecte : elle serait privée de légitimité, tant le choix de subsidiarité ne saurait dériver d’un acte unilatéral. Un mandat des Nations Unies est indispensable et ne peut être émis qu’ex ante et à une majorité qualifiée traduisant une volonté partagée et non un choix partisan : un mandat obtenu de manière courte reflèterait une communauté internationale clivée et nous éloignerait de l’esprit de subsidiarité… Rêvons un peu : que puisse enfin se constituer une armée des Nations Unies permettant d’éloigner un peu plus le spectre de l’intervention de puissance, comme l’appelait brillamment de ses voeux Boutros Boutros-Ghali, dans son Agenda pour la Paix et comme d’ailleurs la Charte le prévoyait initialement. Les plus puissants n’en ont pas voulu, mais ils pourraient se convaincre que l’entêtement leur a été finalement très coûteux (Boutros-Ghali 1992). On devine qu’on est loin de ces dispositifs : la question du « qui » est non seulement escamotée, au nom de l’urgence et du principe de réalité, elle est malmenée, bricolée ou occultée par recours à des formules suspectes, comme « les responsabilités particulières » de tel ou tel État (Responsabilité impériale ? Néocoloniale ?), la demande formulée par un dirigeant local souvent très « clientélisé », qu’on a aidé à écrire la lettre d’appel à l’aide. Étape confuse qui nourrit bel et bien l’intervention de puissance.

La question du « comment » est au moins aussi complexe. La pensée stratégique occidentale est comme définitivement installée dans l’idée que toute violence internationale ne peut être réduite que par le recours à l’instrument militaire. Elle s’agrémente en cela d’un retour puissant de la thématique de la « guerre juste » qui conduit en même temps à légitimer, à sa manière, l’intervention et à « criminaliser » la cible, ce qui ouvre d’autant plus facilement la voie à un élargissement des compétences de l’intervenant, voire à son droit de décider du devenir des titulaires de l’autorité (Walzer 1999). On comprend alors la nature intime du lien qui unit l’interventionnisme à la doctrine néoconservatrice. On perçoit aussi toute l’importance des politiques de « sanction », voire de « punition », qui accompagnent tout ou partie de l’intervention.

Ce lien intime constitue un risque. D’abord, parce qu’il dote l’intervenant d’un réel sur-pouvoir qui n’est pas réellement contrôlable par une quelconque institution internationale, y compris judiciaire, tant il est vrai qu’on s’écarte alors de la compétence stricte de la Cour pénale internationale (cpi) qui n’est pas là pour juger des défauts de fonctionnement d’un système politique, et qui, de surcroît n’est pas reconnue par la totalité des puissances potentiellement intervenantes. Mais surtout, on entretient ainsi l’idée que ces crises constitutives d’intervention résultent d’un usage malveillant et coupable de la violence, davantage que d’un état de décomposition sociale et institutionnelle. En bref, le paradigme du « bad guy » plus ou moins diabolisé fait plus fortune que la réflexion sur l’origine sociale de ces conflits. Ce faisant, on dévalue l’aspect inédit de ceux-ci et tout ce qui les sépare de la guerre classique de nature clausewitzienne (Kaldor 1999). On oublie que la guerre d’hier était une compétition de puissance, là où celle d’aujourd’hui est au contraire alimentée de la faiblesse des structures politiques et sociales.

Si, en revanche, on admet cette différence, il est légitime de se demander si le recours à l’instrument militaire est toujours pertinent, si les crises sociales se combattent efficacement par les armes, si celles-ci ne sont pas davantage adaptées à la lutte contre les effets de puissance, si leur recours ne vient pas, au contraire et de manière perverse, renforcer le camp des entrepreneurs de violence, leur surajouter un début de légitimité nationale face à « l’envahisseur », comme on a pu le constater en Afghanistan ou en Irak.

Enfin, la question du « pourquoi » nous ramène à la finalité même de ces interventions. Dans la doctrine clausewitzienne, cette interrogation est centrale, même fondatrice : il s’agit de « terrasser » l’ennemi pour parvenir à un résultat précis. L’intervention, aujourd’hui, ne s’opère qu’en rapport à une multifonctionnalité latente qui ne permet pas de distinguer entre ce qui est prioritairement voulu et ce qui est dérivé de façon plus ou moins attendue. L’épisode libyen est particulièrement éclairant. La résolution 1973 du Conseil de sécurité, datée du 17 mars 2011, qui fut prise sous chapitre 7, autorisait le recours à la force face à la violence montante en Libye. Elle était construite sur un rappel adressé aux dirigeants de la Jamahiriyya qui devaient veiller à assurer la protection de leur peuple. On pouvait en déduire que, dans le cas contraire, il devenait possible d’utiliser tous les moyens nécessaires pour arrêter la violence. Mais, sitôt l’intervention amorcée, les buts sont venus à se brouiller : on se souvient de la conférence de presse tenue le 15 avril suivant par les responsables politiques américain, britannique et français qui posaient explicitement la question du maintien au pouvoir de Mouammar Kadhafi, ce dont la résolution d’origine ne soufflait mot.

Ce glissement est en réalité inscrit dans toutes les ambiguïtés qui accompagnent le concept d’intervention, faisant communément passer de l’endiguement de la violence au changement de dirigeants, puis à la mise en place de nouveaux princes, voire au changement de régime et à la punition (ou l’exécution) des anciens responsables. Tout cela sous le contrôle des puissances agissantes : l’intervention se rapproche alors irrésistiblement et mécaniquement de ce que nous avons appelé « intervention de puissance ». Cette évolution, particulièrement nette dans la crise libyenne, a modifié les équilibres d’origine, conduisant même les puissances émergentes à l’opposition déclarée. Le contre-discours sur la souveraineté y a trouvé une partie de sa source, confirmant ainsi que le dépassement du système westphalien ne vaut pas annulation mais redéploiement de l’idée de souveraineté. Cette considération, majeure chez certains, a notamment conduit le Brésil à élaborer un projet de manifeste habilitant l’idée même de « responsability while protecting » (Kaldor 1999). En même temps, on perçoit bien que l’intervention reste un phénomène inévitablement évolutif, les rationalités politique et militaire se relayant pour conduire à une sorte de loi d’airain de l’élargissement que plus personne ne contrôle totalement. Le phénomène est-il alors encore supportable par le système international ?

L’intervention ressemble à ces techniques chirurgicales dont on perçoit in abstracto l’utilité, mais dont on doit admettre que la médecine n’en maîtrise pas encore l’usage. Le prix à payer est souvent la mort du patient en salle d’opération, mais aussi beaucoup de ressentiments, de doutes et de méfiances chez ceux qui se sont sentis concernés. On peut certes objecter que, sans soin, le malade glisserait vers une mort lente, voire brutale, mais, au lieu de contempler un impossible dilemme qui offre l’option entre deux échecs dramatiques, mieux vaut penser l’avenir, celui d’une vraie intervention qui ne serait pas de puissance, mais réellement régulatrice. Pour réussir dans cette voie, on a besoin de construire – ou reconstruire – un vrai multilatéralisme, celui des origines, avec son armée et son état-major, un droit international mis à jour, une reconnaissance de la vraie nature de la nouvelle conflictualité et… d’une vraie vertu.