Comptes rendusHistoire

Confronting Memories of World War II. European and Asian Legacies, Daniel Chirot, Gi-Wook Shin et Daniel Sneider (dir.), 2014, Seattle, University of Washington Press, 330 p.[Record]

  • Simon Petermann

…more information

  • Simon Petermann
    Université de Liège, Liège, Belgique

George Orwell a écrit un jour que celui qui contrôle le passé contrôle également le présent et le futur. Cette maxime s’applique parfaitement à certaines situations étudiées dans cet ouvrage collectif dont les dix contributeurs se sont penchés sur les tragédies de la Seconde Guerre mondiale tant en Europe qu’en Asie. Ceux-ci se sont attachés, de manière critique et sans a priori, à comparer la manière contrastée dont ces événements s’inscrivent dans la mémoire collective des peuples concernés. Mémoire, mythe, culpabilité, honte, repentir et réconciliation sont les maîtres-mots de l’ouvrage. Les différentes relations entre histoire et mémoire sont clairement mises en évidence. L’histoire étudie et tente de comprendre le passé, souvent de manière problématique et incomplète ; elle appelle l’analyse et le discours critique. La mémoire ravive le souvenir des événements du passé et les préserve de l’oubli. Elle est toujours portée par des groupes vivants et, à ce titre, elle évolue constamment, souvent inconsciente dans ses déformations successives, également vulnérable à toutes les formes de manipulations. Ce qu’on appelle la mémoire historique est généralement considéré comme une forme particulière de mémoire collective, qui se distingue des souvenirs individuels. Elle vise à renforcer le sentiment de communauté en fonction des changements rapides qui affectent la société, la politique, l’économie et la culture. Par ailleurs, la mémoire historique ne reflète pas forcément les réalités historiques. Subjectivité et jugements de valeur sont souvent en filigrane. Elle peut ainsi jouer un rôle fonctionnel, ce qui l’expose à d’éventuelles manipulations, au risque d’être utilisée pour falsifier ou donner une interprétation volontairement erronée de l’histoire. Les directeurs de l’ouvrage ne manquent pas de rappeler combien les mémoires sont tributaires des contextes spécifiques. Ainsi, le lecteur sera frappé tout de go par la diversité et l’intensité des controverses qui agitent encore de nos jours l’Asie. Les contentieux territoriaux, pour quelques îles souvent inhabitées, du Japon avec la Chine, avec la Corée du Sud ou encore avec la Russie s’inscrivent, certes, dans une dimension géostratégique ayant pour toile de fond une concurrence pour le leadership régional, voire international, et un contrôle des richesses naturelles. Toutefois, ces contentieux entraînent les protagonistes à invoquer le passé, à savoir essentiellement l’impérialisme japonais et ses conquêtes territoriales à partir de 1931 en Mandchourie, puis en 1937 dans le reste de la Chine, sans oublier la colonisation de la Corée à partir de 1905. Les différents « lieux de mémoire » des uns et des autres ravivent périodiquement les revendications sur ces territoires contestés. Ces tensions sont exacerbées par les courants néo-nationalistes au Japon, certains ne cachant ni leur sympathie ni leur nostalgie pour l’ancien empire militaire. Selon eux, le Japon d’après-guerre n’a pas à se repentir pour ses actions passées, car la guerre était destinée à libérer les peuples d’Asie de la domination coloniale occidentale. Ces dérives et l’absence officielle de repentir pèsent lourd dans l’issue d’éventuelles négociations. Mais le Japon n’est pas le seul en cause : les historiens officiels chinois réécrivent systématiquement l’histoire de l’Asie et même celle du monde afin de légitimer la montée en puissance (pacifique !) d’une Chine en pleine expansion économique et militaire (voir à ce sujet l’apport de Gilbert Rozman). Le cas de l’Allemagne occupe, bien évidemment, une place de choix dans cette large approche comparative adoptée par les directeurs de l’ouvrage. Contrairement au Japon, l’Allemagne fédérale (mais non l’Allemagne communiste de 1949 à 1990) reconnaît très tôt sa responsabilité dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ; son repentir des innombrables crimes perpétrés par les nazis a ouvert la voie de la réconciliation en Europe et a permis également l’établissement de relations …