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À la suite d’une étude quantitative de l’ensemble des 5 381 audiences publiques et privées (executive sessions) tenues par les commissions sénatoriales sur les forces armées (Armed Services) et sur les relations extérieures (Foreign Relations) entre 1947 et 2008, Linda L. Fowler dresse un portrait exhaustif du déclin de la surveillance des politiques de l’exécutif dans le domaine de la sécurité nationale aux États-Unis. L’auteure analyse ce phénomène souvent évoqué, mais rarement étudié de manière rigoureuse, pour expliquer en partie la perte d’influence du pouvoir législatif en politique étrangère. Watchdogs on the Hill met ainsi en lumière une dimension négligée de la délégation des pouvoirs du Congrès, qui est concomitante avec l’expansion de ceux de la présidence en cette matière.

Organiser des audiences afin que la Maison-Blanche, les départements et les agences fédérales soient considérés comme responsables de leurs actions, ainsi que contribuer à informer la population américaine sur les enjeux sécuritaires et internationaux du moment sont deux des principaux devoirs de la législature. Fowler explique la diminution du nombre de jours d’audiences publiques et privées tenues par les deux commissions sénatoriales à partir de la fin des années 1980 par une variété de changements institutionnels. Trois facteurs spécifiques retiennent son attention : le changement de la valeur qu’attribuent les sénateurs au travail dans les commissions, les buts et les comportements propres aux commissions étudiées ainsi que les calculs stratégiques des législateurs quant à la réputation des partis démocrate et républicain sur les dossiers internationaux.

Les sénateurs ont vu leur nombre moyen d’affectations à des commissions presque doubler, passant de 2,1 en 1947 à 4,1 en 2008, alors même que la durée des sessions législatives a diminué de manière significative. Ont dès lors émergé des problèmes de charge de travail accentuée et d’allocation d’un temps de plus en plus restreint, qui ont contraint les sénateurs à tenir moins de journées d’audiences publiques et privées. De plus, l’intérêt pour ces élus de s’impliquer dans ces activités de surveillance a décru avec la réduction de la couverture médiatique du travail du Congrès à partir des années 1990.

Fowler ajoute que les deux commissions étudiées servaient avant tout les intérêts de leurs membres plutôt que de s’assurer que les lois étaient respectées et que le public comprenait bien les enjeux sécuritaires. La commission des forces armées s’est surtout concentrée sur le processus budgétaire associé à la défense afin que les électeurs de ses membres bénéficient des dépenses militaires. Elle n’a pas manqué non plus d’être très attentive aux besoins des troupes lorsqu’une intervention armée était en cours. S’inspirant du modèle des « patrouilles policières » et des « alarmes de feu », Fowler indique que cette commission a eu tendance à protéger les administrations républicaines en effectuant moins d’enquêtes régulières en période de crise ou de guerre, en plus d’organiser des audiences privées lorsque le nombre de victimes américaines d’un conflit augmentait.

La commission des relations extérieures a pour sa part pris l’habitude d’utiliser les audiences pour rehausser le prestige de la majorité sénatoriale et de ses membres ayant des ambitions présidentielles, et ce, au détriment du processus d’autorisation des budgets pour le Département d’État et l’aide étrangère. Cette commission ayant perdu de son lustre dans les dernières décennies, il est devenu difficile pour elle d’attirer dans ses rangs des sénateurs seniors capables de mener des audiences pour remplir la mission de surveillance de la législature. Par conséquent, ses membres ont privilégié l’organisation d’audiences générales sur la situation politique dans le monde et dans quelques régions particulières plutôt que d’exercer une surveillance contraignante pour l’exécutif.

Pour remédier à ces manquements à la mission de surveillance du Congrès, Fowler suggère de réorganiser le travail des commissions. Elle estime que le Sénat devrait s’inspirer de la période de questions du régime parlementaire britannique et instaurer un nouveau rythme d’audiences permettant à ses membres d’interpeller les responsables des politiques de sécurité nationale de l’exécutif de manière régulière. De plus, l’auteure affirme qu’il faut proposer des incitatifs aux sénateurs pour qu’ils revalorisent le travail au sein des commissions étudiées. À cette fin, les partis devraient désigner comme porte-parole en matière de sécurité nationale les présidents et les premiers membres en importance du parti minoritaire de ces commissions. Elle invite aussi les dirigeants républicain et démocrate à nommer un sénateur responsable de l’élaboration des positions du parti sur les enjeux de défense et de politique étrangère.

Bien que Fowler pose un diagnostic juste du déclin de la surveillance, le remède qu’elle suggère pourrait accentuer la tendance qu’elle critique au lieu de la freiner. Inciter les sénateurs à assumer pleinement leur rôle de chien de garde de l’exécutif en matière de sécurité nationale en créant de nouvelles responsabilités partisanes sur ces enjeux risque d’intensifier la polarisation au sein des commissions. Cette solution aurait pour conséquence d’exacerber le caractère partisan de l’implication de la législature sur ces dossiers, un phénomène bien documenté dans la littérature depuis le début des années 1990. Elle pourrait renforcer la mauvaise habitude qu’a la commission des forces armées de protéger les présidents républicains et celle qu’a la commission des relations extérieures d’être plus critique à l’endroit de ces présidents qu’envers leurs homologues démocrates. Pousser les sénateurs à se comporter comme des « entrepreneurs de politiques » pour améliorer les activités surveillance des commissions est une idée qui a fait ses preuves. Cependant, s’appuyer davantage sur les partis politiques pour y parvenir alimenterait la division et les querelles partisanes au Sénat et entre le Congrès et la Maison-Blanche durant les périodes de cohabitation.