L’identité du chercheur influence-t-elle les problématiques de recherche qu’il ou elle choisit ? Dans le cas des études féministes en Relations internationales, la réponse semble claire, car celles-ci passent par une critique des travaux des pères fondateurs de la discipline. En effet, les approches dites traditionnelles des Relations internationales, par exemple le réalisme, l’institutionnalisme néolibéral ou, encore, l’analyse en politique étrangère, ont privilégié une vision statocentrée de la politique internationale. Les acteurs principaux des cas d’étude, c’est-à-dire les représentants de l’État ou des organisations internationales, sont majoritairement masculins et le rôle des femmes est généralement passé sous silence (Sjoberg 2015). Bien qu’il y ait une tendance croissante à parler des perspectives de genre dans le monde universitaire et politique (Cohn 2008) – sous la bannière du concept de gender mainstreaming –, cette tendance ne semble pas encore bénéficier d’une grande visibilité dans la discipline, qu’on prenne en exemple les catalogues des grandes presses universitaires (mis à part les collections spécialisées) ou, encore, les tables des matières des grandes revues. Les travaux féministes et sur le genre sont souvent exclus des plateformes les plus influentes. Cette introduction au numéro spécial se veut critique face à la discipline des Relations internationales, qui a souffert d’un cloisonnement scientifique des questions de genre. En science politique, cela peut s’expliquer partiellement par la création d’un sous-champ distinct pour étudier les questions liées au genre (Alonso et Lombardo 2016). Étape pourtant nécessaire à l’avancement des connaissances sur le genre, cette séparation a permis aux approches traditionnelles et critiques d’évoluer en parallèle, plutôt que d’encourager un pluralisme ontologique et épistémologique au coeur des grands débats. L’historiographie des Relations internationales rend compte du clivage entre positivistes et postpositivistes, mais ce débat ne met guère en lumière l’apport des approches genrées aux problématiques de recherche (centrées sur le conflit et la coopération internationale), qui sont centrales à l’évolution de la discipline (Marchand 1998). Certains auteurs avancent même que ce troisième débat en ri a nui au féminisme, comme nous le rappelle Leah Sarson dans ce numéro (Ship 1994 ; Sylvester 2004). Il faudrait ajouter par ailleurs que certaines théoriciennes féministes s’opposent à ce que la « variable genre » soit normalisée ainsi, car cela risque d’éclipser les perspectives féministes constructivistes ou postmodernes qui ne sont pas portées par les mêmes élans épistémologiques (Steans 2003). Dans le cadre de ce numéro spécial, nous nous intéressons aussi aux dynamiques de genre qui façonnent notre environnement de recherche, une considération professionnelle importante pour plusieurs des auteures. Cette dimension nous pousse vers un questionnement plus approfondi sur les inégalités basées sur le genre dans la discipline des ri, mais aussi vers des considérations plus pratiques comme la recherche de terrain et la façon dont cette expérience professionnelle peut être vécue de façon différente par les hommes et par les femmes. Comment donc réconcilier identité, objet de recherche et contribution scientifique ? Ce questionnement nécessite un exercice profondément introspectif, que nous avons proposé aux auteures de ce numéro. Les contributions s’articulent ainsi autour de trois défis : Les femmes qui ont contribué à ce numéro spécial ont réfléchi à une ou plusieurs de ces questions. Nous avons ainsi traité de la place des femmes dans le domaine des Relations internationales, de leurs contraintes, de leurs influences et, somme toute, de leur apport scientifique aux Relations internationales axées sur les questions de sécurité, un domaine particulièrement masculin, tant à cause de la surreprésentation des hommes que de l’aspect militarisé des études stratégiques. Dans ce numéro d’Études internationales, nous nous sommes souciées de présenter plusieurs perspectives ontologiques, épistémologiques et méthodologiques pour élargir le …
Appendices
Bibliographie
- Alonso Alba et Emanuela Lombardo, 2016, « Ending Ghettoization ? Mainstreaming Gender in Spanish Political Science Education », European Political Science, vol. 15, no 3 : 292-302.
- Basow Susan, Stephanie Codos et Julie Martin (dir.), 2013, « The Effect of Professors’ Race and Gender on Student Evaluations and Performance », College Student Journal, vol. 47, no 2 : 352-363.
- Carreiras Helena (dir.), 2006, Gender and the Military : Women in the Armed Forces of Western Democracies, New York, Routledge.
- Cohn Carol, 2008, « Mainstreaming Gender in un Security Policy : A Path to Political Transformation », dans S. M. Rai et G. Waylen (dir.), Global Governance : Feminist Perspectives, Londres, Palgrave.
- Cohn Carol (dir.), 2012, Women and Wars, Boston, Polity Press.
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- Kronsell Annica (dir.), 2012, Gender, Sex, and the Postnational Defense. Militarism and Peacekeeping, Londres, Oxford University Press.
- Marchand Marianne H., 1998, « Different Communities / Different Realities / Different Encounters : A Reply to J. Ann Tickner », International Studies Quarterly, vol. 42, no 1 : 199-204.
- Ship Susan Judith, 1994, « And What About Gender ? Feminism and International Relations Theory’s Third Debate », dans C. T. Sjolander et W. S. Cox (dir.), Beyond Positivism : Critical Reflections on International Relations, Boulder, Lynne Rienner.
- Sjoberg Laura, 2014, Gender, War, and Conflict, Boston, Polity Press.
- Sjoberg Laura, 2015, « Seeing Sex, Gender, and Sexuality in International Security », International Journal, vol. 70, no 3 : 434-453.
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- Slaughter Anne-Marie, 2015, Unfinished Business : Women Men Work Family, Toronto, Random House Canada.
- Steans Jill, 2003, « Engaging from the Margins : Feminist Encounters with the Mainstream of International Relations », The British Journal of Politics and International Relations, vol. 5, no 3 : 428-454.
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- Tickner Judith Ann, 1992, Gender in International Relations. Feminist Perspectives on Achieving Global Security, New York, Columbia University Press.
- Union européenne, 2014, In Partnership with Women : Informal Task Force on Women, Peace and Security. Page consultée sur Internet (eeas.europa.eu/archives/features/features- working-women/working-with-women/article21_en.html) le 25 octobre 2017.