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« La sécurité est-elle mieux pensée par ceux qui la critiquent ? » Thierry Balzacq, dans la lignée de ses oeuvres précédentes dans le domaine des études sécuritaires, nous livre un ouvrage sur les approches critiques des théories de la sécurité. Publié aux Presses de Sciences Po, université où l’auteur enseigne les questions épistémologiques et méthodologiques de relations internationales, Théories de la sécurité. Les approches critiques est autant une réflexion qu’un guide facilitant la compréhension des lectures critiques de la sécurité.

L’auteur souhaite avant tout fournir aux approches critiques des études de la sécurité ce qui leur fait souvent défaut, à savoir l’accessibilité. L’ouvrage se veut donc didactique et est rédigé de manière à permettre au lecteur de parcourir certains chapitres selon ses intérêts, voire d’omettre la lecture de l’un ou l’autre.

L’ouvrage se pose comme une intervention dans les études de sécurité, portant finalement plus sur la critique que sur la sécurité en elle-même. En effet, il ne s’agit pas d’une analyse exhaustive des approches critiques, mais plutôt d’une analyse de la critique s’adressant à certains dispositifs de sécurité. L’un des mérites de l’exercice réalisé par T. Balzacq est de mettre en évidence la pluralité des objectifs poursuivis par les différentes variantes de l’approche critique des études de sécurité. « Pour une partie, elle [l’approche critique] vise l’émancipation de l’individu. Pour l’autre, elle porte en elle-même sa propre finalité », avec plusieurs nuances entre les deux. En définitive, les approches critiques sont unies face à ce qu’elles critiquent, bien plus que dans ce qu’elles prescrivent comme modèles éthiques et politiques. Pour le démontrer, l’auteur examine quatre approches différentes et entend souligner le projet normatif et politique de chacune.

Dans un souci didactique louable, Balzacq utilise une structure d’analyse similaire dans chaque chapitre. Après avoir établi le contexte historique et intellectuel, l’auteur se penche sur les fondements théoriques de chaque approche, avant de passer à l’analyse de cas empiriques afin d’appuyer ses arguments. Tout au long de l’ouvrage, le lecteur est sensibilisé à la question fondamentale de l’ontologie de la sécurité, c’est-à-dire à l’essence du fait sécuritaire.

Théories de la sécurité. Les approches critiques débute par une lecture historique des études de la sécurité. Ce premier chapitre constitue une introduction détaillée du sujet, où Balzacq établit le rapport entre la sécurité et les Relations internationales. Dès les premières pages, l’auteur souligne le désaccord existant sur le sens du concept de sécurité et sur la nature des études sécuritaires. Il met en exergue l’incertitude croissante de ces études et pose l’avènement des approches critiques non comme un rejet ou un déni des approches traditionnelles, mais bien comme une tentative de dépassement raisonné.

Trois dimensions récurrentes structurent chacune des parties : le/la politique, l’ontologie et l’épistémologie. Selon Thierry Balzacq, c’est autour de ces trois espaces que se sont cristallisées les positions critiques et traditionnelles des études de la sécurité.

Dans le deuxième chapitre, l’auteur construit la théorie critique sur les principes d’émancipation et de reconnaissance politiques. Trois thèmes se prêtent selon lui à l’analyse critique : l’émancipation, le terrorisme et la sécurité humaine, cette dernière représentant l’extension pratique de la théorie critique. Ce chapitre, tout comme le premier, est indispensable à tout effort de compréhension des approches critiques des théories de la sécurité.

Les trois approches qui constituent les chapitres suivants, à savoir le constructivisme, le poststructuralisme et le féminisme, ont été choisies par Balzacq parmi les nombreux courants critiques. L’auteur illustre fort opportunément son analyse du constructivisme avec les théories de la sécurisation et de la sécurité sociétale. Le chapitre portant sur le poststructuralisme est plus dense que le précédent, en raison probablement de la méthode d’analyse adoptée et de la volonté de l’auteur de dissocier le poststructuralisme du postmodernisme. Dans le chapitre sur le féminisme, le lecteur regrettera un développement théorique quelque peu réduit en comparaison de ceux des chapitres qui précèdent. Balzacq décortique néanmoins de manière intéressante l’approche féministe et ses différentes composantes. Ce sont celles-ci qui illustreront le mieux le reproche qu’adresse l’auteur aux études critiques, à savoir la dispersion et l’exclusion des différentes approches et de leurs sous-branches entre elles.

Dans une courte conclusion, l’auteur rappelle que la condition nécessaire à toute pratique sécuritaire est la légitimité de la sécurité, bien que chacune des approches critiques propose une définition particulière de la sécurité et une conception différente des réponses qui doivent être apportées aux problèmes qui s’y rattachent. Cette légitimité doit donc constituer l’opérateur commun de ces approches critiques. Le grand défi des études critiques de la sécurité ne se trouve pas uniquement dans l’aspect normatif des solutions qu’elles proposent, mais bien dans la construction du sens de la critique, alors que chaque approche entend « légitimer sa position en recourant à un socle normatif qui exclut celui des autres ».

En conclusion, Théories de la sécurité. Les approches critiques est un ouvrage complet sans être exhaustif, qui tire sa force autant de l’analyse théorique que de ses illustrations empiriques. Sur un tel sujet, Thierry Balzacq se devait de relever le défi de l’accessibilité. Mission accomplie !