Comptes rendusThéorie, méthode et idées

The Making of a Salafi Muslim Woman : Paths to Conversion, Anabel Inge, 2016, Oxford Oxford University Press, 320 p.[Record]

  • Alessandra Bonci

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  • Alessandra Bonci
    Centre Interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient (ciram), Université Laval Québec, Canada

Anabel Inge aborde le sujet des femmes converties au salafisme au Royaume-Uni à travers un travail ethnographique exhaustif dans sa ville, Londres. Avec cet ouvrage, l’auteur se propose d’humaniser la tendance la plus radicale de l’islam au moyen de ses protagonistes, des jeunes ordinaires. La chercheuse veut aller au-delà de la représentation caricaturale des néophytes, que l’on décrit souvent comme victimes d’un « lavage de cerveau ». Elle désire rendre leur agentivité aux actrices principales du salafisme anglais grâce à la narration de leur désobéissance et de leur choix. Le salafisme au Royaume-Uni, son élaboration et ses figures cruciales ouvrent le livre et nous donnent les clés pour suivre l’auteur tout au long de sa recherche. La ville de Londres n’a pas beaucoup changé depuis qu’elle a été rebaptisée « Londonistan » dans les années 1990 en raison d’une présence massive d’extrémistes islamiques. Brixton, le quartier le plus actif dans la diffusion des tendances radicales, et sa mosquée, sont devenus le quartier général du salafisme le plus intransigeant du Royaume-Uni. Ici même commence l’histoire des vingt-trois femmes interviewées par Anabel Inge. L’échantillon se compose de dix-huit jeunes issues de milieux musulmans et de cinq chrétiennes. Inge explique que ses participantes ont toutes consciemment changé d’orientation religieuse en se ralliant au salafisme dans un acte de désobéissance qui a souvent provoqué la désapprobation de leur famille. L’ouvrage est issu d’une double approche méthodologique. L’approche fonctionnelle, qui décrit la nouvelle identité religieuse comme une sorte de nouvelle identité par procuration ; et l’analyse du discours, utile pour décrypter les messages idéologiques. L’auteur explique la primauté des deux méthodes, puisque ni les facteurs biographiques ni la simple idéologie ne suffisent pour qu’une femme devienne salafiste. Les chemins vers la conversion sont multiples. D’abord, chez les musulmanes, le fait de s’approcher du salafisme naît de la perception que la famille d’origine n’était pas « assez » pieuse. Autrement dit, à un moment de leur vie, les néophytes ont perçu le besoin d’instructions religieuses plus claires. Les cinq femmes chrétiennes, par contre, sont devenues salafistes non pas pour des raisons familiales, mais en raison de deux aspects problématiques du christianisme : le concept de la Sainte Trinité qui, selon elles, unit de manière peu compréhensible l’idée d’humain et de divin, et la sotériologie. En effet, l’idée chrétienne de la vie au-delà de la mort reste floue, à cause du pardon. Au contraire, l’islam impose de nombreuses conditions à la réalisation de la vie après la mort qui font en sorte que les fidèles se sentent contraints de les suivre scrupuleusement. En général, une crise personnelle mène à la conversion. Mais, selon les interviewées, le vrai dilemme se manifeste dans la décision même de s’affilier ou pas au salafisme. En effet, bien que la plupart des connaissances de ces jeunes aient gravité autour de la mosquée de Brixton, les participantes révèlent à Inge qu’elles se sont rapprochées de plusieurs groupes islamistes avant d’adopter le salafisme. L’auteur appelle cette panoplie d’options le « marché de l’islam ». L’option salafiste n’est donc pas le premier choix des fidèles, puisque son image « problématique » en tant qu’idéologie radicale a d’abord éloigné les jeunes. Mais le désir de vérité et de radicalité, ainsi que des cours de religion fournis gratuitement par les salafistes, ont déclenché le choix de ces femmes, malgré l’opposition de leurs familles dans bien des cas. En dépit de cette adversité, Inge explique qu’un sentiment de paix a comblé les esprits des néophytes après l’adhésion à leur nouvelle communauté. Par contraste, les interviewées décrivent la période qui a précédé leur conversion au salafisme comme une zone …