Comptes rendusÉtudes stratégiques et sécurité

Why Terrorists Quit : The Disengagement of Indonesia Jihadists, Julie Chernov Hwang, 2018, Ithaca, Cornell University Press, 206 p.[Record]

  • Anne-Gabrielle Ducharme

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  • Anne-Gabrielle Ducharme
    Département de science politique, Université McGill, Montréal, Canada

Ce compte rendu remporte le 1er prix du concours de recensions 2018-2019

L’étude des motivations guidant des individus vers des idéologies radicales et des comportements violents est maintenant foisonnante. Why Terrorists Quit : The disengagement of Indonesian Jihadists contribue à cette sphère de recherche, mais adopte un point de départ différent. Julie Chernov Hwang propose en effet d’explorer les raisons poussant les terroristes à abandonner l’action violente plutôt qu’à la choisir. Bien qu’elle soit ancrée dans le domaine des études stratégiques et de sécurité, il est impossible d’exclure les considérations socio-psychologiques de cette recherche sur le comportement d’individus engagés au sein de réseaux terroristes indonésiens. Cette contribution se trouve ainsi à une intersection des sciences humaines que certains considèrent déjà comme un domaine d’étude circonscrit : l’étude du terrorisme. Pour comprendre le phénomène du désengagement – concept que l’auteure définit comme un processus menant à la fin de toute implication au sein d’activités violentes –, des événements aussi épars qu’un changement de gouvernement et une paternité récente sont à prendre en compte. Viennent témoigner de cette hétérogénéité factorielle les quatre éléments qu’énumère Chernov Hwang afin d’expliquer le phénomène : un désillusionnement vis-à-vis des tactiques et des têtes dirigeantes du groupe, une réévaluation des coûts et des bénéfices qu’implique un tel engagement, l’élaboration d’un réseau social externe au groupe extrémiste, et une priorisation du travail formel et de la vie de famille au détriment d’un investissement de temps au sein d’une organisation radicale. L’auteure poursuit en étayant les récits personnels de cinq de ses interviewés. Les descriptions détaillées des réflexions les ayant menés à un désengagement permettent de soutenir empiriquement l’argumentaire de Chernov, mais également d’exploiter le principal avantage des entretiens semi-dirigés, soit un accès intime à la psychologie des participants. C’est d’ailleurs ici que repose la richesse de cet ouvrage : une centaine d’entrevues conduites avec cinquante-cinq individus issus de sept groupes terroristes indonésiens. De longs et nombreux entretiens offrent également des portraits plus complexes et nuancés de la réalité. Ici, cette complexité offre une lumière sur les divisions marquant les groupes djihadistes. On apprend qu’une fracture importante autour de l’usage de la violence contre des populations civiles divise le groupe Jemaah Islamiyah, l’une des hordes terroristes les plus tristement célèbres d’Asie du Sud-Est. Le fait d’avoir perpétré un acte violent menant à la mort de femmes et d’enfants fut d’ailleurs pour beaucoup de participants l’élément déclencheur d’un désillusionnement croissant envers le djihad. Des quatre facteurs explicités par l’auteure, celui dont l’influence semble la plus importante est la formation de liens sociaux avec des acteurs extérieurs au groupe terroriste. Seuls les interviewés ayant su tisser des liens forts et durables avec des membres de leur famille, des amis ou des mentors issus du monde professionnel ou académique présentent un risque réellement faible de renouer avec des démarches violentes. Ces interactions à l’extérieur du réseau terroriste permettraient l’exposition à des trames narratives différentes, et octroieraient à l’individu à risque les ressources mentales nécessaires pour une analyse plus critique des activités du groupe violent. L’auteure pondère tout de même le potentiel de ces affinités nouvelles ou préservées, et souligne que le désengagement n’est pas toujours définitif. Par exemple, une éventuelle attaque de l’Indonésie par des troupes étrangères était pour plusieurs intervenants un événement qui pouvait justifier une reprise des activités au sein du camp djihadiste. La dernière portion de l’ouvrage s’attarde aux programmes indonésiens visant le désengagement et la déradicalisation. Bien que prometteurs en théorie, les efforts gouvernementaux manquent de ressources, de modes d’évaluation efficaces et de systématicité dans leur implantation. Leur finalité (cachée) pose également problème selon l’auteure. Les programmes destinés aux prisonniers condamnés pour terrorisme visent avant tout à recueillir des informations …