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Pendant longtemps, l’intérêt pour le Commonwealth britannique est resté comparable à celui que l’on aurait pu avoir pour une ancienne liste de diffusion d’un site Internet auquel on aurait été inscrit de force et que l’on aurait ignoré pendant des années. Mais le Commonwealth britannique attire de nouveau l’attention. Cause principale de ce regain d’intérêt, le référendum de 2016 sur le Brexit, qui a provoqué une recherche effrénée pour trouver des partenaires commerciaux alternatifs, situation que certains commentateurs ont qualifiée ironiquement d’« Empire 2.0 ». Mais ce regain d’intérêt n’est pas uniquement lié au Brexit. Le scandale du « Windrush », où des seniors britanniques venus des Caraïbes dans les années 1960 ont été menacés d’expulsion consécutivement au durcissement de la politique migratoire des conservateurs, a aussi servi de rappel gênant d’un héritage impérial souvent décrit dans des ouvrages récents comme un bastion de domination raciale et d’exploitation économique. Le regain d’intérêt pour l’Empire a provoqué un réveil brutal dans un pays où l’histoire impériale est rarement enseignée à l’école. Dans ce contexte, le Commonwealth est généralement décrit soit comme un exemple de néocolonialisme, soit comme un symbole progressiste de partenariat international. Empire’s New Clothes évite cette dichotomie et accole un autre qualificatif au Commonwealth : inutile.

Cette position peut sembler étrange pour le directeur de l’Institute of Commonwealth Studies, mais Philip Murphy fournit une analyse complète des raisons pour lesquelles le Commonwealth a plus d’importance en termes de perception de l’influence britannique qu’en termes de politique réelle. En tant que successeur institutionnel de l’Empire, le Commonwealth conserve l’image et le pedigree d’une idée permettant d’exercer un soft power considérable. Mais les États nouvellement indépendants ont rapidement réduit le Commonwealth à un rôle symbolique, devant, par exemple, le refus de l’Irlande de participer à la Seconde Guerre mondiale ou le fait que l’Inde devienne une république et rejette l’identité commune du Commonwealth en même temps que la monarchie britannique. Le Commonwealth demeure pourtant un sujet de recherche important du simple fait de sa survie.

Selon Murphy, si le Commonwealth a pu persister aussi longtemps, c’est grâce à sa capacité de s’adapter pour trouver une pertinence, si réduite soit-elle, que ce soit en jouant un rôle dans la négociation de la fin de la domination blanche en Rhodésie ou en servant simplement d’organe technique et de forum. Surtout, le Commonwealth a conservé la grande majorité de ses membres. Cependant, Murphy doute que le Commonwealth puisse servir de base à la future politique commerciale britannique : l’idée selon laquelle les anciennes colonies viendraient à l’aide d’une Grande-Bretagne isolée et dans le besoin pour une troisième fois en un peu plus de cent ans est, pour Murphy, proprement délirante. Ce traitement du Brexit distingue l’ouvrage Empire’s New Clothes d’autres analyses récentes du Commonwealth et rend le texte particulièrement anglocentrique, avec moins de discussions sur la signification du Commonwealth pour les autres États membres, à quelques exceptions notables. D’une part, Murphy soutient que le taux élevé de rétention des États membres dans le Commonwealth est dû au fait que l’adhésion est bon marché et que quitter l’organisation serait coûteux en capital politique. Sur ce point, Murphy n’explique pas pourquoi des États tels que le Zimbabwe, l’Afrique du Sud, la République des Fidji, la Gambie et le Pakistan, qui ont été suspendus du Commonwealth, ont récemment demandé à y revenir. Notons que la plupart de ces États ont été suspendus pour coups d’État militaires, mais que lors de la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (chogm) en avril 2018 à Londres, les Britanniques ont exprimé leur désir de réintégrer le Zimbabwe après le coup d’État militaire qui a renversé Robert Mugabe. Murphy décrit néanmoins la façon dont les États parias ont instrumentalisé le Commonwealth à travers l’exemple récent du Sri Lanka, qui a courtisé le Commonwealth pour accueillir le chogm en 2013 dans le but de faire oublier son bilan en matière de droits de l’homme dans les dernières années de sa guerre civile.

Au-delà de ces digressions, Murphy se concentre sur l’avenir de la Grande-Bretagne et sa dépendance envers ses anciennes colonies. Le « mythe du Commonwealth » a joué un rôle important dans la promotion du Brexit, en rassurant les électeurs sur la possibilité d’un avenir économiquement viable en dehors de l’Union européenne. Cette confiance dans le Commonwealth serait cependant une chimère : selon Murphy, à court terme, le commerce avec le Commonwealth pourrait en fait diminuer, puisque l’ue a récemment signé des accords avec des États membres, comme l’accord avec le Canada (aecg), conclu en 2017. L’immigration étant l’une des questions déterminantes du débat sur le Brexit, il est peu probable que la Grande-Bretagne puisse conclure des accords avec l’Inde, l’économie la plus dynamique du Commonwealth, sans assouplir sa réglementation sur les visas. Pour Murphy, les promesses des politiciens pro-Brexit de s’appuyer sur le Commonwealth, cette organisation politiquement inutile, ne sont que démagogie, un chant de sirène risquant fort de faire échouer la Grande-Bretagne sur des écueils.

Cet ouvrage grand public est de lecture agréable, mais il dresse un sombre portrait de l’avenir de la Grande-Bretagne post-Brexit. Murphy lance une polémique souvent piquante contre l’invocation du mythe du Commonwealth en tant que filet de sécurité préconstruit pour quitter l’Union européenne. Pour lui, il est temps que le soleil se couche sur ce vestige de l’Empire britannique.