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Traiter des tensions européennes et asiatiques en mettant l’accent sur ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine et au Pakistan peut paraître curieux. Qu’y a-t-il de commun entre ces deux pays, entre les régions où ils se trouvent, les Balkans occidentaux d’un côté, l’Asie du Sud de l’autre ? La réponse est simple. Ces régions sont toutes les deux d’une grande complexité due à la juxtaposition de cultures et, de ce fait, présentent des problèmes identiques bien qu’à des échelles différentes. Elles symbolisent les tensions européennes et asiatiques.

Les Balkans, dont le nom vient d’une montagne bulgare, s’étirent de la mer Adriatique à la mer Noire, de la plaine de Pannonie à la mer Méditerranée. Les Balkans occidentaux comprennent les territoires de l’ancienne Yougoslavie auxquels il faut ajouter l’Albanie. L’Asie du Sud comprend, selon la définition la plus communément admise, sept pays : l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Népal, le Bhoutan, le Sri Lanka et les Maldives. On y associe parfois, pour une compréhension plus complète des événements géopolitiques, à l’ouest, l’Afghanistan, au nord les républiques chinoises du Xinjiang et du Tibet et à l’est, le Myanmar.

I – Une diversité ethnique et religieuse

Certes, bien des différences séparent les Balkans occidentaux et l’Asie du Sud. Les dimensions d’abord. Il ne faut parcourir que quelques centaines de kilomètres pour traverser les premiers, mais plusieurs milliers de kilomètres pour aller du nord au sud ou de l’ouest à l’est de la seconde. De même, les chiffres de population n’ont rien à voir, quelques dizaines de millions d’habitants dans les Balkans occidentaux, un milliard et demi en Asie du Sud. Toutefois les ressemblances abondent : la diversité des populations, la multiplicité des cultures d’origine indigène et étrangère, l’existence de sociétés claniques (notamment en Albanie, dans la Province Frontière du nord-ouest au Pakistan et certaines régions de l’Inde, qui mériteraient une étude comparative), la présence significative de l’islam, la faillite des États, les conflits internes et externes intimement mêlés.

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A — Dans les Balkans occidentaux

Les Albanais, indigènes, peuvent être considérés comme les descendants des Illyriens par contraste avec les envahisseurs slaves arrivés aux viie et viiie siècles de régions voisines de l’Oural. Les Slaves incluent Serbes, Croates, Bosniaques, Slovènes et Macédoniens. La pratique religieuse, tombée en oubli à l’époque communiste, reprend. Les Albanais et les Bosniaques appartiennent à la religion musulmane. Ils furent convertis à l’islam pendant la période ottomane. Les Serbes sont essentiellement orthodoxes. Les Slovènes et les Croates se réclament du catholicisme.

La Bosnie-Herzégovine est le pays le plus hétérogène. Les Bosniaques, musulmans, constituent presque 50 % de la population. Les Serbes, de confession orthodoxe, représentent environ 34 % de la population et les Croates, généralement catholiques, 15 %. Ces trois principales communautés parlent des langues voisines. À vrai dire, à l’époque de Tito, ces idiomes constituaient une seule et même langue, le serbo-croate, même si les alphabets étaient différents, cyrillique pour les Serbes, latin, légèrement modifié pour les Croates et les Bosniaques. Aujourd’hui, les trois langues ont tendance à diverger, bien que les différences portent surtout sur les termes culturels et religieux. La communauté juive de Bosnie-Herzégovine, constituée de descendants venus d’Espagne au moment de l’Inquisition, est en forte diminution depuis les conflits armés des années 1990.

Balkanisation, Macédoine, voilà des termes qui symbolisent bien, dans notre vocabulaire courant, le mélange de choses dissemblables, la mixité des cultures et des civilisations présentes dans les Balkans.

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B — En Asie du Sud

C’est un salmigondis semblable que l’on retrouve en Asie du Sud où les communautés sont innombrables, ce qui semble logique dans un ensemble aussi vaste. Les Dravidiens (comme les Tamouls et les Télougous du sud de l’Inde, les Brahouis du Balouchistan...) sont considérés comme les descendants des autochtones. Les gens du nord, au contraire, sont les descendants des envahisseurs aryens (certains historiens, peu nombreux, proches d’hindouistes extrémistes, contestent l’existence de cette invasion[1]). La communauté anglo-indienne conserve encore par ailleurs une certaine spécificité.

Ces diverses populations pratiquent de nombreuses religions. L’hindouisme domine en Inde et au Népal, l’islam au Pakistan, au Bangladesh et aux Maldives, tout en étant également présent en Inde et au Sri Lanka. Dans cette île, ainsi qu’au Bhoutan, prédomine le bouddhisme. Le sikhisme se pratique surtout au Punjab indien et le jaïnisme dans certaines parties du Rajasthan mais on trouve des adeptes de ces deux religions dans toute l’Inde, bien qu’elles soient très minoritaires, notamment la seconde. Partout, le christianisme est pratiqué ; il peut même être majoritaire dans certaines régions comme dans le nord-est de l’Inde. Enfin, l’animisme existe encore dans certaines tribus vivant dans des zones reculées.

À l’époque coloniale, hindous, musulmans et adeptes des autres religions utilisaient des langues vernaculaires mais aussi l’hindoustani, sorte de lingua franca. Aujourd’hui, cet idiome s’est scindé en hindi utilisé par les hindous et l’ourdou, utilisé par les musulmans. L’hindi se modernise en puisant dans le sanscrit, l’ourdou le fait à partir du persan et plus encore de l’arabe. Un phénomène de différenciation semblable à l’évolution du serbo-croate existe donc.

La communauté juive de l’Inde, que l’on trouve surtout à Mumbai, capitale du Maharashtra et au Kérala, est en forte diminution. Celle du Pakistan, qui vivait surtout à Karachi a disparu.

II – Un passé récent de conflits

A — Dans les Balkans occidentaux

Les Balkans occidentaux ont connu la guerre dans les années 1990, avec la dissolution de la Yougoslavie. La Slovénie a obtenu son indépendance en 1991 pratiquement sans coup férir. La Croatie n’a pas échappé à des combats avec les forces serbes, mais a obtenu son indépendance rapidement en 1991. Dans une large mesure, ces deux pays, les plus riches de l’ex-Yougoslavie, ont fait sécession pour des raisons économiques, bien que les motivations politiques n’aient pas été absentes, les différenciations religieuses ne jouant pas un grand rôle. Avant tout, ils ne voulaient pas continuer à financer les autres républiques de la fédération. La Macédoine, également partie constituante de la Yougoslavie, a déclaré son indépendance en 1991, sans qu’il en résulte des confrontations armées. C’est la Bosnie-Herzégovine qui a souffert le plus. De 1992 à 1995, une véritable guerre civile a opposé les diverses communautés entre elles, les Bosniaques de confession musulmane, les Croates essentiellement catholiques et les Serbes de religion orthodoxe. Il s’est agi en même temps d’une guerre internationale avec participation de l’armée serbe. L’accord de Dayton-Paris, ainsi nommé parce que négocié sur la base américaine de Dayton et signé à Paris, a mis fin, en décembre 1995, à la guerre et consacré l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine.

Il y a donc eu implosion dans les années 1990 de la Yougoslavie, réduite désormais à la Serbie (elle-même incluant la Voïvodine à forte minorité hongroise et le Kosovo, à majorité albanaise) et au Monténégro

Les quatre nouveaux États, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine correspondent, sauf modifications mineures, aux anciennes républiques du même nom qui étaient alors des parties constituantes de la Yougoslavie. Les délimitations, alors internes, sont devenues des frontières internationales.

Deux États sont relativement homogènes du point de vue ethnique : la Slovénie qui l’a toujours été et la Croatie qui l’est devenue après le départ massif des Serbes pendant le conflit armé du début des années 1990.

La partie résiduelle de l’ex-Yougoslavie, c’est-à-dire l’État de Serbie-Monténégro, n’est guère homogène. Indépendamment des différences entre Serbes et Monténégrins, les disparités apparaissent surtout au Kosovo, où les Albanais, musulmans, sont majoritaires et les Serbes, orthodoxes, réduits à une faible minorité, du fait de départs massifs pendant les combats, non suivis de retours.

B — En Asie du Sud

En Asie du Sud, il y a eu aussi une recomposition de la carte politique depuis 1947. Le Pakistan, initialement composé de deux ailes, s’est scindé en deux, l’aile orientale devenant indépendante en 1971, après une guerre indo-pakistanaise, en prenant le nom de Bangladesh, pour des raisons politiques et économiques (la partie orientale se sentait laissée-pour-compte et se trouvait à la traîne en matière de développement). Il y a eu aussi des fusions, le Sikkim, à l’origine protectorat britannique puis indien, ayant été rattaché en 1975 à l’Union indienne. De plus, une petite part du Cachemire a été donnée par le Pakistan à la Chine en 1963, qui a, par ailleurs occupé, sans coup férir, et à l’insu de l’Inde, dans les années 1950, une grande partie de l’Aksai Chin, au nord-est du Cachemire.

III – Une situation actuelle caractérisée par des tendances centrifuges

La situation actuelle peut s’analyser par zones et par thèmes. Faisons d’abord une analyse générale par zones avant de concentrer notre attention sur quelques sujets spécifiques. Les deux analyses pourraient se chevaucher car en étudiant une zone on aborde nécessairement des thèmes et en examinant des thèmes, on se réfère obligatoirement à des régions géographiques. En fait, ce ne sera pas le cas car l’analyse par zones concernera des généralités, les sujets importants étant traités à part.

A — Par zones

Dans les Balkans occidentaux

Aujourd’hui, dans les Balkans occidentaux, les tensions entre les communautés demeurent latentes. Toutefois, la paix règne, la non guerre devrait-on dire avec plus de précision. Essentiellement à cause de la présence de forces armées internationales, comme en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo et de forces de police multinationales, en Macédoine par exemple. Mais les problèmes de définition des États demeurent. La carte politique peut encore se modifier car le processus de désintégration se poursuit. Le Kosovo, actuellement administré par l’onu, est susceptible de devenir indépendant. Le Monténégro a lui aussi vocation à s’émanciper ; d’ores et déjà, il jouit d’une large autonomie, notamment en matière économique et financière (l’euro y a cours, ce qui n’est pas le cas en Serbie). La Serbie-Monténégro, nouvelle appellation de ce qui subsiste de l’ex-Yougoslavie, ne survivra probablement pas. La Macédoine connaît de graves difficultés du fait de l’hostilité latente entre sa majorité macédonienne, de religion orthodoxe et sa minorité albanaise, de confession musulmane, dont une bonne partie souhaiterait être rattachée à l’Albanie.

La Bosnie-Herzégovine est peut-être moins menacée d’une dislocation qu’auparavant (le maintien d’un contingent militaire international est le principal garant de la paix) mais le risque demeure. Certains Croates, majoritaires dans l’Herzégovine occidentale et au Posavina, souhaiteraient que leurs territoires soient rattachés à la Croatie. Par ailleurs beaucoup de Serbes de la Republika Srpska, une des deux entités du pays, ne cachent pas leur désir de rattachement à la Serbie[2].

En Asie du Sud

Une présence militaire internationale existe en Afghanistan. En Asie du Sud proprement dite, seul le Pakistan accueille des militaires étrangers, en fait américains en relativement faible nombre, ainsi que des spécialistes civils de lutte antiterroriste. Quatre bases aériennes ont été mises à disposition des États-Unis à des fins logistiques pour l’appui de leur action en Afghanistan, bien qu’elles ne soient guère utilisées pour le moment.

Les conflits, y compris armés, de toute nature, de toutes intensités, se poursuivent en Asie du Sud alors qu’ils ont cessé dans les Balkans occidentaux. L’Inde doit faire face à des insurrections qui perdurent. Au Cachemire surtout où agissent des mouvements sécessionnistes favorables à l’indépendance ou au rattachement au Pakistan, mais aussi dans le Nord-Est agité par des organisations prônant une plus grande autonomie des territoires tribaux au sein de l’Union indienne, voire l’indépendance. Le mouvement sécessionniste cachemiri est d’origine locale mais soutenu par le Pakistan. Les insurrections du Nord-Est trouvent des appuis au Bangladesh. Par ailleurs, une insurrection d’inspiration communiste, connue sous le nom de naxalite, déchire des territoires éparpillés sur plusieurs États, comme le Chhattisgarh, l’Andhra Pradesh, le Madhya Pradesh et le Maharashtra.

Le Népal semble menacé dans son existence même par la rébellion maoïste qui vise à supprimer la monarchie. Elle progresse et contrôle de larges étendues de territoires.

Le Sri Lanka pourrait, lui aussi, disparaître en tant que tel, le mouvement sécessionniste tamoul paraissant en mesure de réussir, s’il reste uni, c’est-à-dire si la fronde en province orientale cesse. L’incapacité des principaux partis politiques cingalais à s’entendre rend plus difficile la recherche d’une solution. Les militants tamouls, qui profitent de cette division et de la faiblesse de l’armée sri lankaise, ont conquis militairement de larges territoires des provinces Nord et Est qu’ils administrent désormais et même établi une capitale provisoire à Kilinochchi.

Le Pakistan connaît des troubles graves provoqués par des groupes sectaires, sunnites et chiites. De plus, la présence de mouvements extrémistes internationaux, dont Al Qaeda, dans l’ensemble du pays, et plus particulièrement dans les grandes villes et dans les zones tribales, engendre des tensions permanentes.

Ces mouvements insurrectionnels, qui utilisent souvent des méthodes terroristes, agissent parfois de concert. Ils lient des contacts entre eux par-delà les frontières. Ainsi les insurrections maoïste du Népal et naxalite de l’Inde partagent la même idéologie, visant à déstabiliser les régimes en place et semblent vouloir coordonner leurs actions sur le terrain. Des pays étrangers peuvent, à l’occasion, soutenir insurrections et rébellions. Les États peuvent s’accuser mutuellement, comme, par exemple, l’Inde et le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh, le Pakistan et l’Afghanistan.

B — Par thèmes

Problème musulman

La présence significative de musulmans dans les Balkans occidentaux et en Asie du Sud constitue une préoccupation commune, compte tenu de la poussée fondamentaliste.

En Bosnie-Herzégovine, le contenu ethnique du terme bosniaque, qui se substitue à celui de musulman, alimente des polémiques. Selon certains, les Bosniaques descendent des Bogomiles qui auraient présenté des spécificités ethniques particulières en plus de leur pratique religieuse, comparable aux Cathares. Selon d’autres, ils sont de descendance serbe ou croate et seraient donc de simples convertis sans aucune particularité ethnique. En tout cas, peu de Bosniaques descendent des Turcs.

Ce problème d’identification se retrouve en Asie du Sud aussi. Peu de musulmans de l’Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Sri Lanka et des Maldives peuvent se targuer d’être des descendants d’Arabes ou de Moghols. Il n’y a pas de termes génériques pour les désigner. On les appelle tout simplement musulmans.

Le problème musulman va prendre de plus en plus d’importance dans les Balkans occidentaux, comme en Asie du Sud, ne serait-ce qu’à cause d’une natalité supérieure à celle des autres communautés et du fait de la mondialisation de l’islam.

Aux Bosniaques, s’ajoutent les Sandjakis, qui peuplent le Sandjak à cheval entre la Serbie et le Monténégro, les Albanais du Kosovo et de Macédoine ainsi que, naturellement, ceux d’Albanie. Un pays musulman, rassemblant des populations slaves de Bosnie-Herzégovine et du Sandjak reste une hypothèse que personne ne revendique actuellement. Un autre État musulman pourrait être créé, réunissant les populations non slaves albanaises, actuellement réparties entre l’Albanie, le Kosovo et la Macédoine. Ainsi naîtrait une grande Albanie, qui a ses sympathisants. Une jonction de ces deux nations hypothétiques ne serait pas envisageable car elles sont trop dissemblables sur les plans ethnique et linguistique. L’appartenance à une même religion et à la même dénomination sunnite ne saurait suffire. On l’a bien vu en Asie du Sud où les Bengalis de l’aile orientale du Pakistan n’avaient nulle envie de rester associés aux Balouches, Pathans, Sindis et Punjabis de l’aile occidentale.

En Asie du Sud, les musulmans seront bientôt 500 millions à comparer aux 800 millions d’hindous. L’écart entre les deux principales communautés diminue. Les tensions communautaristes (adjectif couramment utilisé en Asie du Sud pour qualifier les relations entre hindous et musulmans) pourraient s’amplifier dans les trois pays concernés, l’Inde et le Bangladesh surtout mais aussi, bien que pour le moment dans une moindre mesure, le Sri Lanka. En Inde, le nombre de musulmans avoisine les 150 millions, c’est-à-dire un nombre sensiblement égal à celui que l’on trouve au Pakistan ou au Bangladesh. Ils sont majoritaires dans la province du Cachemire, fortement présents (plus que la moyenne nationale d’environ 12 %) dans des provinces comme l’Uttar Pradesh, le Kérala, l’Assam et le Tripura. Au Bangladesh, la minorité hindoue, en baisse, représente encore environ 10 % de la population (27 % au moment du départ des Britanniques en 1947). Au Sri Lanka, la communauté musulmane atteint 8 % de la population de l’île mais est majoritaire dans certaines régions de l’est où ses représentants affichent une vive inquiétude à l’égard d’une possible indépendance des provinces Nord et Est, essentiellement peuplées d’hindous.

Musulmans des Balkans et musulmans d’Asie du Sud se connaissent et se fréquentent. Pendant le conflit armé qui a déchiré la Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995, des Arabes mais aussi, bien qu’en moindre nombre, des Sud-Asiatiques, surtout des Pakistanais, sont venus combattre aux côtés des Bosniaques. Des réfugiés bosniaques ont été chaleureusement accueillis au Pakistan où ils sont demeurés de nombreuses années. Des étudiants bosniaques ont effectué leurs études dans des établissements pakistanais, y compris à l’université islamique internationale d’Islamabad. Des militaires bosniaques ont étudié dans les écoles de l’armée pakistanaise.

Réfugiés

Les Balkans et l’Asie du Sud sont confrontés au problème des réfugiés. Ceux-ci s’installent pour la plupart dans d’autres régions de leurs propres pays et dans les pays voisins, où vivent des coreligionnaires, souvent de la même ethnie et parlant en général la même langue ou une langue proche. D’autres, moins nombreux, mais néanmoins en nombre significatif, partent vers l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord.

Réfugiés locaux : dans les Balkans occidentaux

Des mouvements de population très importants ont eu lieu dans les Balkans, du fait des conflits. Ils ont eu lieu entre les diverses républiques issues de l’ex-Yougoslavie et à l’intérieur même des républiques. Ils concernent surtout la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Il y a eu des regroupements par ethnies et religions. De véritables nettoyages ethniques se sont produits.

Parfois, les gens reviennent sur leurs lieux d’habitation d’avant guerre. Ils n’y sont pourtant guère incités par les gouvernements qui mettent en oeuvre une législation discriminatoire ou, pour le moins, ne montrent aucun zèle pour appliquer les lois destinées à favoriser les retours, malgré les pressions internationales et l’appartenance à des organisations multinationales, notamment au Conseil de l’Europe. De plus, des intimidations de tous ordres dissuadent les prétendants au retour, comme menace de démolition d’habitation, voire de minage... De telles attitudes, parfois traduites dans les faits, engendrent un sentiment d’insécurité à l’égard des Serbes voulant revenir en Croatie et chez les Bosniaques de Bosnie-Herzégovine candidats au retour en Republika Srpska et chez les Serbes du même pays voulant rentrer en Fédération bosno-croate. De nombreux Albanais du Kosovo avaient été chassés par les Serbes mais sont revenus, parce qu’ils étaient sécurisés par la présence de troupes internationales. Mais les Serbes chassés à leur tour du Kosovo hésitent à revenir car ils n’ont pas confiance dans la garantie internationale. De plus, les jeunes ménages de réfugiés peuvent être dissuadés de revenir pour une autre raison : la scolarité de leurs enfants risque de ne pouvoir être assurée selon les normes qu’ils souhaitent. Le manque d’emplois les décourage également. Enfin, en ce qui concerne la Croatie, le coût de la vie, élevé, n’incite pas les Serbes, sans ressources, réfugiés en Serbie ou en Republika Srpska, à revenir. Rien d’étonnant donc si certains ne retournent qu’à titre provisoire pour vendre leurs propriétés et repartir dans leur pays ou région d’accueil. Les crédits fournis par les organisations internationales pour les réinsertions ont, de plus, tendance à se réduire. De ce fait, les retours seront de plus en plus difficiles. Il reste encore 250 000 Serbes originaires de Croatie qui vivent en Serbie-Monténégro et 22 000 en Bosnie-Herzégovine (essentiellement dans l’entité serbe de la Republika Srpska[3]). Par ailleurs, environ 200 000 Serbes du Kosovo se trouvent comme réfugiés dans le reste de la Serbie-Monténégro.

En Asie du Sud

Les mouvements de population ne sont pas récents. Au moment de la partition de l’empire des Indes, en 1947, de vastes migrations portant sur une dizaine de millions d’individus ont eu lieu, des hindous quittant le Pakistan et des musulmans rejoignant le Pakistan[4].

Des communautés entières anciennement émigrées peuvent devenir apatrides. C’est le cas, depuis la naissance du Bangladesh, pour les habitants d’origine biharie, de l’État indien du Bihar, qui avaient émigré dans ce qui était alors le Pakistan oriental et pris fait et cause pour les Pakistanais de l’ouest pendant la guerre civile qui devait aboutir à la naissance du Bangladesh. Ce dernier refuse de leur octroyer la citoyenneté, puisqu’ils avaient choisi le Pakistan mais celui-ci ne fait que le minimum pour les accueillir. L’Inde, de son côté, ne veut pas non plus recevoir ces musulmans qui ont quitté l’une de ses provinces de leur plein gré. Environ 250 000 Biharis restent entassés dans une soixantaine de camps au Bangladesh[5], vivant dans des conditions misérables, attendant un éventuel rapatriement, si l’on peut employer ce terme, puisque le Pakistan leur est inconnu.

Les mouvements de population se poursuivent en Asie du Sud, souvent à grande échelle. Ils peuvent se faire au sein des pays ou d’un pays à l’autre.

Au Sri Lanka, l’insurrection conduite par le mouvement des Tigres Libérateurs de l’Eelam Tamoul a abouti à un regroupement des populations par ethnies et religions. L’épuration ethnique se fait par le sang, par des attentats terroristes. L’insécurité, génératrice de peur, met les populations en mouvement. Les Cingalais, généralement de confession bouddhiste, ont massivement quitté les zones tamoules du Nord et de l’Est. De même, certains Tamouls ont préféré rejoindre les zones à prédominance tamoule. La séparation se fait progressivement sur le terrain, pas seulement dans les coeurs. Du fait de l’absence de solution politique et de la reprise possible des combats entre unités gouvernementales et forces séparatistes, il n’existe aucune velléité de retour. En l’absence d’une solution politique, aucune législation n’existe pour les y encourager. Les maisons laissées vacantes deviennent des ruines. Les villages et hameaux abandonnés sont nombreux dans les provinces Nord et Est particulièrement. Certains Tamouls du Sri Lanka ont trouvé refuge dans le Tamil Nadu voisin. Ils ne rencontrent pas de problèmes d’intégration car cette province tamoule du sud de l’Inde se montre généralement accueillante, l’affinité ethnique, linguistique et religieuse jouant un rôle modérateur. D’aucuns s’adonnent à des activités politiques, mais la plupart cherche à survivre avec leurs familles en s’efforçant de trouver un emploi. Cette arrivée de nouveaux venus, en majorité militants, n’est pas sans danger pour l’Inde qui peut craindre un renouveau du nationalisme tamoul dans sa province sud. La tentation de l’indépendance pourrait renaître. Le gouvernement sri lankais, dominé, ce qui est normal, par les Cingalais, ne facilite pas outre-mesure le retour au pays de ces émigrés tamouls politiques, auxquels se sont ajoutés des émigrés économiques. Par exemple, des difficultés apparaissent en ce qui concerne les enfants nés en exil.

Les populations peuvent se transformer en armes politiques. Les transferts massifs de population, orchestrés par des États à l’intérieur même de leurs territoires, n’existent pas, sauf rares exceptions, en Asie du Sud, contrairement à ce qui se passe en Chine qui peuple de Hans le Tibet et le Xinjiang, régions où les autochtones deviennent minoritaires.

L’Inde aurait pu appliquer la même politique au Cachemire pour submerger la population locale, essentiellement musulmane. Elle n’a pas voulu modifier la législation, datant de l’époque britannique, qui interdit aux non Cachemiris d’acquérir des biens au Cachemire.

Le Pakistan n’a pas fait preuve de la même retenue à l’égard des Zones Nord rattachées au Cachemire à l’époque britannique et maintenant administrées directement par Islamabad, il est vrai très faiblement peuplées, où s’installent désormais de nombreux Punjabis et Pathans. Les nouveaux venus sont sunnites alors que les autochtones sont chiites, ce qui provoque des heurts, facilement contenus pour le moment.

Le Bangladesh laisse ses habitants pénétrer dans les États du nord-est de l’Inde, certains disent même qu’il les encourage. Ces émigrés illégaux, tous musulmans, qui franchissent par millions sans difficulté une frontière poreuse, bouleversent la composition de la population locale, hindoue ou chrétienne. Certains districts de l’Assam sont, de ce fait, désormais à majorité musulmane. Le Tripura a lui aussi une population à majorité musulmane, les tribus étant devenues minoritaires. Peut-être un jour, les nouveaux arrivés demanderont-ils le rattachement au Bangladesh des zones qu’ils ont investies. Ces migrations que l’Inde s’efforce sans succès de limiter en érigeant des clôtures le long de certaines parties de la frontière résultent-elles d’une nécessité économique, poussant des masses misérables d’un pays surpeuplé vers des zones relativement sous-peuplées ou bien se réclament-elles d’une vision stratégique visant à islamiser tout le nord-est de l’Inde pour l’assimiler ensuite ? Les deux explications peuvent sans doute être retenues[6].

Des exodes de populations vers l’Asie du Sud en provenance de pays voisins se produisent aussi. Les Tibétains ont maintenant cessé d’émigrer en Inde, mais ceux qui sont arrivés avec le Dalaï Lama, à la fin des années 1950 et dans la décennie 1960, y demeurent. Par ailleurs, les événements d’Afghanistan depuis des décennies ont poussé à l’exil plusieurs millions de personnes. Le nombre de réfugiés au Pakistan a atteint le chiffre de 3 millions, il serait encore de 1,5 million. Cet afflux malmène l’économie pakistanaise. De plus, l’affinité ethnique, culturelle, religieuse et linguistique entre les Pachtous afghans et les Pachtous pakistanais n’a pas empêché des tensions. Les populations locales sur les territoires desquelles arrivent en premier lieu les réfugiés afghans, c’est-à-dire les zones tribales, sont en effet elles-mêmes très pauvres. Les réfugiés afghans sont en général regroupés dans des camps, non seulement dans la province frontière du Nord-Ouest mais aussi dans les autres provinces pakistanaises. Cependant, un nombre non négligeable s’est dilué dans la population pakistanaise, notamment dans les grandes villes.

Réfugiés dans le monde

Les exodes nous concernent car ils ne se limitent pas aux pays voisins. Le monde occidental constitue un eldorado pour ces personnes en danger dans leurs propres pays, poussées aussi par la misère. Les Balkans et l’Asie du Sud constituent des foyers d’émigration très actifs.

Pendant les récents conflits des Balkans occidentaux, de nombreux Serbes, Croates, Bosniens-Herzégoviniens sont venus en Europe, y compris en France mais surtout en Allemagne (Croates particulièrement) et dans les pays nordiques ainsi qu’aux États-Unis. Ces flux se poursuivent, touchant même les jeunes générations, ce qui compromet l’avenir des pays balkaniques.

De même, de nombreux sud-Asiatiques, également jeunes, ont élu domicile en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Le Royaume-Uni accueille des ressortissants de tous les pays d’Asie du Sud, Indiens, Pakistanais, Bangladeshis, Sri Lankais. La France reçoit de plus en plus des Tamouls du Sri Lanka, réfugiés politiques parfois, économiques souvent, qui fraternisent ou cherchent à fraterniser avec la communauté tamoule originaire de Pondichéry, de citoyenneté française. Les États-Unis et le Canada possèdent des communautés originaires du Sri Lanka (surtout des Tamouls, réfugiés politiques mais aussi économiques) et de l’Inde fort importantes.

Un nombre non négligeable de ces réfugiés balkaniques et sud asiatiques ont acquis la nationalité des pays d’accueil.

Problèmes des frontières

Il n’existe pas de problèmes de frontière sérieux dans les Balkans, sauf entre la Slovénie et la Croatie, notamment pour la délimitation de la frontière maritime, dans la baie de Piran.

En Asie du Sud, au contraire, les litiges frontaliers demeurent. La Ligne Durand, séparant l’Afghanistan et le Pakistan, a été définie en 1893 pendant la période coloniale mais n’est pas reconnue par Kaboul (le seul régime afghan à l’avoir acceptée est celui des talibans). De même, la Chine ne reconnaît pas la Ligne McMahon, établie à l’époque britannique, dans la partie nord-est de l’Inde. Les frontières du Pakistan avec l’Afghanistan et de l’Inde avec la Chine restent donc des problèmes à résoudre. Le Cachemire, partagé entre l’Inde et le Pakistan, constitue par ailleurs une pomme de discorde entre New Delhi et Islamabad.

Les frontières maritimes entre l’Inde d’une part, le Myanmar, la Thaïlande, l’Indonésie et le Sri Lanka d’autre part ont été délimitées. Mais si un État tamoul indépendant devait voir le jour dans l’île de Sri Lanka, la frontière maritime devrait être renégociée entre les deux pays de l’île mais aussi avec l’Inde. Les frontières maritimes restent à fixer avec le Pakistan et le Bangladesh. L’enjeu est d’importance étant donné la présence possible, sous la mer, de gisements d’hydrocarbures.

Problème de l’eau

Les frontières sont parfois définies par des cours d’eau. De telles frontières, dites bleues, existent dans les Balkans.

Les Balkans forment un véritable château d’eau, la ligne de séparation des eaux entre la mer Adriatique et la mer Noire (où se jette le deuxième plus grand fleuve européen, le Danube) se trouvant proche de la première. Rares en fait, sont les cours d’eau qui se jettent dans la mer Adriatique, le plus connu étant sans doute la Neretva, qui arrose la célèbre ville de Mostar.

La dislocation de la Yougoslavie et donc la naissance de nouveaux États a nécessité des négociations pour éviter des litiges potentiels. On voit ainsi l’une des conséquences de dislocation d’États sur la gestion des ressources naturelles. La Save, fort beau cours d’eau, courait, à l’époque yougoslave, à l’intérieur d’un seul et même pays. Elle est devenue une voie d’eau internationale, traversant quatre pays. La Slovénie, la Croatie, la Serbie-Monténégro et la Bosnie-Herzégovine ont signé un accord de revitalisation et de développement de cette rivière qui se jette dans le Danube à Belgrade.

Les différends entre les États des Balkans occidentaux dus à l’eau restent en fait limités. Celui de la rivière Una, à Kostajnica, entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, a trouvé une solution. Il en est de même entre la Croatie et la Serbie-Monténégro au sujet d’une île (Sarengradska) sur le Danube.

Les barrages hydroélectriques peuvent constituer en temps de guerre des objectifs. L’un d’entre eux avait été endommagé en 1992 par les Serbes, celui de Peruca (dans la région de Zadar, sur la rivière Krka en Croatie). Le barrage hydroélectrique de Visegrad sur la rivière Drina avait été un moment menacé par des éléments bosniaques en 1992, qui n’avaient pu mettre à exécution leur intention. En temps de paix, les barrages, surtout s’ils ont vocation à produire de l’électricité, peuvent être à l’origine de litiges qui nécessitent des négociations bilatérales souvent âpres. Il en est ainsi pour le complexe de Trebinje, en Bosnie-Herzégovine (Republika Srpska) qui alimente la ville de Dubrovnik, en Croatie et pour quelques ouvrages hydroélectriques sur la rivière Drina, séparant la Bosnie-Herzégovine de la Serbie-Monténégro (plus précisément la Republika Srpska et la Serbie). Un remodelage des frontières est même parfois demandé. Ainsi, la Serbie-Monténégro revendique les centrales hydroélectriques de Zvornik, avec son lac de retenue et de Bajina Basta[7].

En Asie du Sud, les situations conflictuelles dues à l’eau sont nombreuses, au sein des pays et entre les pays.

En Inde, la répartition des eaux a provoqué et provoque toujours des crises graves. Dans le nord, le Punjab, très bien pourvu (comme l’indique d’ailleurs le nom de cette province, qui signifie cinq rivières) a fait preuve de réticence pour partager ses ressources avec l’Haryana, la capitale fédérale Delhi et le Rajasthan, État désertique par excellence. Dans le sud, le partage des eaux a aussi provoqué des tensions entre diverses provinces, par exemple pour le fleuve Kaveri. L’aménagement des bassins des cours d’eau encore non domestiqués nécessite de difficiles tractations politiques qui peuvent même dégénérer comme le montre l’exemple de la Narmada, qui se jette dans la mer d’Arabie après avoir arrosé le Madhya Pradesh, le Maharashtra et le Gujarat. L’arbitrage, au niveau fédéral, politique mais aussi judiciaire, a souvent été nécessaire. Le vaste projet de relier entre eux tous les principaux cours d’eau de l’Inde provoque déjà des débats houleux, à l’intérieur des provinces, entre les provinces et dans les administrations fédérales.

Au Pakistan, l’Indus et ses affluents font l’objet de convoitises par toutes les provinces. La Province Frontière du Nord-Ouest, le Balouchistan et le Sind se plaignent de la priorité qui serait accordée au Punjab, province il est vrai la plus peuplée et la mieux dotée en surfaces cultivables. La création de nouveaux barrages sur l’Indus provoque des confrontations entre les provinces.

Au Sri Lanka, Cingalais et Tamouls s’opposent pour la mise en valeur des terres dans le bassin du principal fleuve, la Mahaveli Ganga, les uns et les autres voulant obtenir la priorité pour peupler les zones nouvellement irriguées. Le litige, national pour le moment, pourrait devenir international si le mouvement sécessionniste tamoul arrivait à ses fins avec la création d’un État tamoul indépendant.

Inde et Pakistan s’opposent pour la poursuite de l’aménagement du bassin de l’Indus, même si le traité signé en 1960 sous l’égide de la Banque Mondiale a réglé l’essentiel des problèmes en répartissant entre les deux pays l’exploitation du fleuve et des affluents de la rive gauche. Le Pakistan accuse régulièrement l’Inde de construire des barrages non autorisés par le traité. Le Népal dénonce par ailleurs l’Inde pour l’utilisation jugée abusive d’une partie de son potentiel hydroélectrique et bloque des projets qui seraient pourtant bien utiles pour les deux nations, à des fins de production d’électricité mais aussi d’irrigation et de prévention des inondations catastrophiques qui ne manquent pas de se produire dans le bassin du Gange. La rébellion maoïste rend encore plus difficile, sinon impossible, la coopération bilatérale. Des actes terroristes qui pourraient être perpétrés par les insurgés communistes contre des ouvrages hydroélectriques sur les territoires népalais et indiens ne sont pas à exclure. Au Bhoutan, l’Inde a construit divers barrages et prévoit la construction d’autres ouvrages ; les deux pays y trouvent leur compte.

Le Bangladesh estime que l’accord passé avec l’Inde pour le partage des eaux du Gange n’est pas équitable et voudrait le renégocier. Le gouvernement indien refuse, car il veut sauvegarder le port de Kolkata (nouveau nom de Calcutta) qui nécessite un fort débit fluvial pour éviter l’ensablement. Un autre sujet de discorde est apparu entre les deux pays. En effet, l’Inde envisage de détourner une partie des eaux du Brahmapoutre au profit de ses provinces méridionales. À cette fin, un canal devrait être construit à travers le territoire du Bangladesh mais ce pays refuse.

Ce projet pourrait de toute manière être abandonné si la Chine mettait à exécution son intention de construire un gigantesque barrage sur le Brahmapoutre, dans la boucle qu’il décrit avant de pénétrer en territoire indien. Le Bangladesh souffrirait au moins autant que l’Inde avec la construction d’un tel ouvrage d’où les hésitations chinoises, alimentées par ailleurs par la crainte d’une détérioration grave de l’environnement, déjà très dégradé. Le Tibet est un véritable château d’eau qui donne naissance à de grands fleuves, arrosant la Chine mais aussi le Pakistan (Indus), l’Inde et le Bangladesh (Brahmapoutre) et les pays du Sud-Est asiatique (Mékong). On comprend ainsi mieux les efforts déployés par la Chine pour contrôler cette région de hauts plateaux, indépendamment de l’intérêt stratégique qu’elle présente pour entreposer des missiles, installer des bases de lancement, construire de grandes bases arrières et se positionner face à l’Asie du Sud[8].

C — Reconstruction d’États en décomposition

Dans les Balkans, comme en Asie du Sud, des États se sont décomposés ou sont en cours de décomposition, essentiellement parce qu’ils ont été ou sont en proie à des conflits armés (Bosnie-Herzégovine, Serbie-Monténégro avec sa composante du Kosovo, Sri Lanka, Népal, Afghanistan, ce dernier pays étant aux marches du Pakistan et de l’Inde), mais aussi parce qu’ils ont brusquement changé de régime (cas de nouveaux États comme la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine, issus de l’ex-Yougoslavie mais aussi de l’Albanie, pays où l’idéologie communiste était la plus dure, cas de l’Afghanistan aussi, naguère encore sous la férule des talibans et auparavant sous celle des communistes). Le Pakistan lui-même, tiraillé par des mouvements islamistes parfois opposés les uns aux autres, apparaît vulnérable.

Les appellations mêmes traduisent la difficulté d’organiser les États. Certaines sont même contestées, comme Macédoine, terme rejeté par la Grèce qui possède une province du même nom, ce qui, dit-elle, engendre des confusions et peut provoquer des revendications territoriales. Les noms doubles comme Bosnie-Herzégovine et Serbie-Monténégro traduisent une absence d’unité.

La reconstruction s’opère avec difficulté le plus souvent grâce à des aides internationales, fournies par des États et des organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales. Ces actions étrangères, souvent désordonnées, sont parfois mal perçues par les populations locales, qui y voient une ingérence insupportable. L’insécurité qui continue de régner et la corruption rampante empêchent tout développement et dissuadent les investissements nationaux et internationaux. Il en est ainsi dans certains pays des Balkans et d’Asie du Sud ou de ses marches.

Certes les Balkans occidentaux et l’Asie du Sud ne sont pas les seules régions du monde où se côtoient et parfois s’opposent diverses communautés ethniques et religieuses. D’autres régions pourraient se rattacher au même label, le Caucase par exemple. Les Balkans occidentaux et l’Asie du Sud n’en constituent pas moins des exemples types, exemples malheureux par certains côtés puisque ces régions ont connu récemment ou connaissent encore des conflits, y compris armés.

En aggravant la misère, en engendrant la peur, ces conflits armés ont favorisé l’émigration vers les pays voisins mais aussi dans le monde entier. Ainsi existent en Europe occidentale et en Amérique du Nord des diasporas balkaniques et sud-asiatiques fort nombreuses et actives, qui s’ajoutent à d’autres venues du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique Noire. Ces autres régions du monde, entièrement ou partiellement peuplées de musulmans, connaissent en effet elles aussi de graves tensions qui génèrent des flux de réfugiés.

Les sociétés occidentales, attractives par leurs niveaux de vie, reçoivent des émigrés du monde entier. Elles cessent d’être homogènes et deviennent de plus en plus multiethniques et multireligieuses. Des difficultés d’assimilation ou tout au moins d’intégration, notamment du fait de l’arrivée de populations de cultures non européennes, surtout musulmanes, apparaissent, susceptibles d’aboutir à des troubles graves. Les pays « exportateurs » de population deviennent au contraire parfois plus homogènes, comme le montrent la Croatie et la Serbie, pays dans lesquels les minorités deviennent encore plus minoritaires, après des nettoyages ethniques, parfois dans le sang, parfois nés de la peur consécutive aux guerres, comme le montre aussi le Sri Lanka où les diverses provinces regroupent de plus en plus des populations de même ethnie, de même culture et de même religion. Donc hétérogénéité et mélange au nord et à l’ouest, épuration et homogénéité à l’est et au sud caractérisent notre monde bien que la réalité reste plus complexe et ne se résume pas à cette formule lapidaire.