Article body

La période ayant succédé à la guerre froide aura vu apparaître un nouveau paradigme d’interventions militaires occidentales où se sont imbriquées maintes (nouvelles) conceptualisations de l’usage de la force, du droit d’intervenir et d’exporter – sinon d’imposer – la démocratie libérale. Or, l’évaluation de l’efficacité de ces interventions militaires menées, en premier lieu, par les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux, au cours des trente dernières années, a peu fait l’objet d’études systématiques prenant en compte la réalisation effective des objectifs initialement au coeur de la décision d’intervenir. De même – si l’on en croit l’auteur du présent ouvrage – les conséquences normatives de telles interventions ont été peu étudiées, autant pour les États intervenants que pour l’ensemble de la communauté internationale.

C’est principalement ce à quoi s’attardent Marek Madej et ses collaborateurs dans cet ouvrage où sont évalués le succès des plus récentes interventions militaires occidentales – en termes de réalisation des objectifs déclarés et non déclarés – ainsi que les conséquences inattendues venues entraver le succès mesuré des interventions.

En plus d’une étude de cas précise et étayée de six interventions militaires (Koweït, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Afghanistan, Irak et Libye), l’ouvrage fournit dans sa première partie un cadre d’analyse permettant de tester de nombreuses hypothèses de recherche concernant l’efficacité des interventions susmentionnées. Seules les interventions militaires au caractère à la fois multinational et multilatéral, et au sein desquelles le rôle dominant était occupé par des puissances occidentales, ont été retenues. Chacune des interventions est décortiquée et analysée en ce qui a trait, notamment, aux motifs déclarés ayant justifié la décision d’intervenir militairement ; au déroulement stratégique des opérations militaires ; aux aspects légaux et sociétaux de l’intervention, plus particulièrement en termes de soutien des sociétés civiles au choix d’intervenir par la force. Il est aussi question des conséquences normatives et politiques de l’intervention sur le plan intérieur (pour l’État ayant subi une intervention militaire) ainsi qu’extérieur, c’est-à-dire chez les États intervenants et, dans une plus large mesure, au sein de la communauté internationale.

La deuxième partie de l’ouvrage tire certaines conclusions quant aux changements paradigmatiques entourant la légitimité d’intervenir par la force dans les affaires internes d’autres États souverains. C’est aussi l’occasion d’étudier l’évolution des pratiques militaro-diplomatiques de l’Occident dans ce bref moment unipolaire qu’auront plus ou moins constitué les deux décennies suivant la chute de l’urss.

Ainsi, l’auteur principal et ses collaborateurs parviennent à dresser un bilan mitigé, sinon négatif, des interventions militaires occidentales depuis la guerre du Golfe jusqu’aux opérations otaniennes en Libye qui, inégales dans leur taux de succès mesuré, n’ont toutefois pas su s’améliorer avec le temps. L’interventionnisme accru de Washington et de ses alliés ne s’est donc pas ensuivi d’un raffinement des stratégies d’élaboration et de mise en place des interventions militaires. Les interventions des années 1990, au Koweït et en Bosnie, jugées dans l’ouvrage comme réussies, ont plutôt laissé place à des interventions partiellement réussies comme le Kosovo (1999) et à des échecs dont les cas les plus flagrants sont l’Afghanistan (2001) et l’Irak (après 2003).

L’une des plus importantes observations de l’ouvrage concerne de fait la déconstruction progressive des objectifs à l’origine des interventions, qui est estimée par Marek Madej comme la plus importante cause de la diminution de l’efficacité des interventions. Au cours des années 1990, les interventions étaient en effet centrées sur des objectifs relativement clairs et dont la réalisation était non seulement plausible, mais également garante d’une cessation des hostilités. À l’inverse, les plus récentes interventions militaires étudiées par les auteurs manquaient à la fois de conformité entre les objectifs déclarés et les objectifs réels, tout comme elles misaient sur des changements profonds au sein des sociétés où avaient lieu les interventions, tels que des changements de régime politique et l’implantation de la démocratie. Bref, des objectifs incomparablement plus complexes et difficiles à réaliser que ceux mis de l’avant lors des premières interventions.

Qui plus est, les ratés et mésaventures de l’Occident lors de ses dernières interventions militaires ont, au final, non seulement signé l’incapacité des missions à répondre à leurs propres objectifs, mais également fragilisé le statut et la réputation des États impliqués dans de telles opérations. La confiance envers la capacité de Washington et de ses alliés de mener à bien des interventions militaires s’est ainsi progressivement effritée. Cela a donné lieu, nous indique l’ouvrage, à une prolifération de pratiques interventionnistes faisant peu de cas du droit international, telles que les incursions militaires de la Russie en Crimée et de l’Arabie Saoudite au Yémen.

En somme, l’ouvrage, consciencieux dans les moindres détails et anecdotes concernant chacune des interventions présentées, fournit au lecteur un sommaire scrupuleusement ordonné des différents épisodes interventionnistes de l’Occident dans la période succédant à la guerre froide. La force de l’ouvrage réside certainement dans sa capacité à proposer une armature conceptuelle simple qui puisse permettre, en conclusion, de comparer aisément les différents cas d’intervention. Ce qu’il manque, par ailleurs, c’est un retour, avec les mêmes outils théoriques, sur les plus récents cas de non-intervention ou d’intervention militaire partielle des États-Unis. Là où l’Occident a hésité ou refusé d’intervenir militairement nous renseigne tout autant sur l’évolution de sa politique étrangère que les moments où la décision d’intervenir par la force a été concrétisée. Il s’agit en fait de la face ignorée de la même médaille.