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Nombreuses sont les villes […] qui se soustraient aux regards, sauf quand tu les prends par surprise.

Calvino (2013)

Introduction

« Je m’baladais sur l’avenue le coeur ouvert à l’inconnu. J’avais envie de dire bonjour à n’importe qui », chantait Jos Dassin. Dans l’imaginaire collectif, la promenade urbaine a ses moments de gloire – plutôt le XIXe siècle que les années soixante –, ses hauts lieux comme les Champs-Élysées et les grands parcs, ses figures comme le flâneur, ses penseurs comme Walter Benjamin et ses poètes comme Baudelaire qui la mettent si bien en mots et en scène.

Les historiens ont montré l’importance sociale et politique des promenades comme espaces et comme pratiques pour les sociétés urbaines européennes au XIXe siècle (Beck, 2009). Ils ont décrit leurs transformations, l’évolution du rituel et l’émergence de la figure du promeneur (Turcot, 2009). De la fin de l’Ancien Régime à la fin du XIXe, la promenade et les spectacles – avant l’apparition du sport et du cinéma – ont constitué le divertissement principal des populations urbaines. La promenade a survécu, demeurant jusqu’à la fin du XXe siècle l’un des loisirs importants dans beaucoup de milieux sociaux, notamment le dimanche (journal La Croix du 27 avril 1992, cité par Beck, 2009). En France, la promenade représente désormais dix-huit minutes du temps quotidien contre treize minutes seulement en 1974, sur une période au cours de laquelle les activités de loisirs et de temps libre sont passées de 3 h 53 à 5 h 11 (Institut national de la statistique et des études économiques, 2012).

Longtemps associée aux souvenirs de l’ennui dominical – on pense à la fameuse promenade familiale digestive du dimanche ou aux promesses d’une vieillesse apaisée – toujours peu considérée dans les enquêtes standardisées officielles, où les déplacements dits « de promenade » ne sont même pas recensés –, la promenade change désormais de statut et d’image. Cette mutation s’inscrit dans celle de la marche, « cet art ancestral […], entre pratique itinérante de l’espace, mise en jeu de la sensorialité du piéton et construction perceptive de la ville » (Thomas, 2007, p. 24), qui retrouve aujourd’hui sa place et son importance dans nos sociétés. La marche est désormais abordée comme un « opérateur possible de nouvelles formes de renouvellement urbain » (Amphoux, 2004, p. 25) et le promeneur comme autre chose qu’un flâneur, spectateur du théâtre de la rue. Il est défini par l’espace urbain, qu’il contribue à définir en retour (Turcot, 2009).

Dans nos sociétés en mouvement, la promenade joue un rôle de révélateur au regard d’un certain nombre de préoccupations, d’attentes et de questionnements généraux de la population sur l’avenir de nos villes, sur les transports, le développement durable, la nature (Bourdeau-Lepage & Vidal, 2012), la santé (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2010) ou le buen vivir (Acosta, 2014). Partout dans le monde, elle agit également comme un nouvel « imaginaire » (Wunenberger, 2006) mobilisateur, un objet urbanistique capable de « retourner » des villes, de convertir des quartiers oubliés et d’inscrire un bout d’espace et son environnement dans les normes d’une nouvelle modernité qui s’affichera dans les brochures de marketing territorial ou dans les films de promotion des compagnies aériennes comme un îlot du nouvel « archipel mondial des désirs ».

La promenade apparaît également de plus en plus comme un protocole, soit un « [e]nsemble de conventions nécessaires pour faire coopérer des entités distantes » (Futura, 2019), de même qu’un catalyseur pour des approches collectives de lecture et de coproduction de la ville et de ses espaces publics ou des démarches de pédagogie où sont essentiels la mobilisation du corps (Le Breton, 2000; Miaux, 2009), celle des sens (dimensions spatiales, visuelles, sonores, olfactives et du toucher) ainsi que l’engagement.

Ce sont ces protocoles d’agir ensemble en mouvement qui nous intéressent particulièrement ici et que nous allons analyser à partir d’expérimentations menées depuis quelques années dans différentes situations de recherche urbaine, de design de politiques publiques et de pédagogie. D’abord marginaux, ils deviennent peu à peu centraux dans nos façons d’enseigner, de diagnostiquer les territoires et de faire la ville. Par étapes successives s’ouvre un questionnement interdisciplinaire sur les modalités d’un « marcher ensemble » dans la recherche, la pédagogie et la fabrique urbaine.

1. Point de vue particulier

Le point de vue situé est celui d’un géographe « de plein vent » – que Lucien Febvre (1947) distinguait du « géographe de cabinet » –,celui de quelqu’un qui s’est beaucoup promené au XXe siècle et qui continue ses déambulations au XXIe. C’est l’expérience d’un homme engagé dans différents milieux et différentes fonctions : chercheur et pédagogue à l’université et dans différentes écoles; urbaniste et aménageur en agence; monteur et animateur de politiques publiques; citoyen et simple bipède. Ici, c’est surtout le pédagogue et « ambianceur » de politiques publiques qui s’interroge sur son expérience.

La proposition est triple : explorer les apports de ces protocoles de promenade dans la pédagogie, la recherche et la fabrique urbaine; mettre en avant l’intérêt de ces pratiques; repérer les risques et les limites de ces hybridations et de ces « hors les murs » à partir d’expériences menées au cours des dernières années.

La promenade est généralement définie comme une action, un espace et une qualité. Comme processus, c’est l’action de se promener, celle d’aller à l’extérieur pour se divertir ou faire de l’exercice. C’est également un déplacement effectué, un trajet fait en se promenant. En tant qu’espace, c’est un lieu spécialement aménagé pour la déambulation, la flânerie. Enfin, la promenade est souvent une qualité d’un déplacement : déambulation agréable, détente, pas lent. Au figuré, c’est également un cheminement mental, intellectuel et spirituel. C’est l’autre sens de cette réflexion qui se déploie à travers, d’une part, le cheminement d’un géographe, de même qu’une triple expérience pédagogique de fabrique urbaine et de transmission : savoir-faire (capacités), savoir-être (attitudes) et savoir (connaissances).

Le cheminement auquel le lecteur est invité est double et croise l’analyse des dispositifs de parcours géographiques et le retour réflexif sur un parcours de géographe (chercheur, professionnel et enseignant). La promenade sera examinée comme un acte pédagogique à travers des expériences développées sur différents terrains depuis une vingtaine d’années dans une logique d’open innovation ou innovation partagée, processus par lequel une organisation est capable de faire appel à des idées et expertises en dehors de ses propres murs (Chesbrough, 2003) : exploration urbaine, apprentissage scolaire et universitaire, animation et mobilisation territoriales ou géoartistiques, voire mouvement citoyen.

2. Actualité plurielle

Les sciences pédagogiques n’ont pas attendu ce début de XXIe siècle pour s’intéresser à la promenade et les spécialistes de l’aménagement, du paysage et de l’écologie développent depuis longtemps l’arpentage paysager et la marche transect, « relevé d’informations à travers un espace en suivant une ligne droite » (Donadieu & Mazas, 2002, p. 296), comme modalités de compréhension sensible de la qualité des espaces naturels ou urbanisés (Jouret, 1972). On assiste pourtant à un renouveau général de ces pratiques et protocoles dans lequel s’inscrivent nos disciplines, un mouvement dont elles constituent parfois des avant-gardes.

De Rio à Rabat en passant par Montréal, la promenade comme aménagement urbain et espace public est désormais au coeur des réflexions, projets et réalisations en aménagement urbain, ce que permettent de constater de nombreux exemples médiatisés comme la High Line de New York, ancien chemin de fer désaffecté, le Bund, sis le long des rives du fleuve Huangpu à Shanghaï, ou le projet parisien de promenade urbaine Barbès – La Chapelle – Stalingrad (Ville de Paris, 2019) qui fait débat. L’objet architectural est devenu un « géosymbole de l’urbanité » (Rieucau, 2012), tant par sa forme que par son esthétique et les pratiques qui s’y déploient; aussi « constitue[t-elle] à la fois un objet spatial et un objet social fonctionnant comme une scène sociétale, tel un territoire de mise en scène pour certains groupes sociaux, dans lequel on s’affiche, on se distingue, on se montre » (§ 29).

La promenade ou plus précisément la marchecomme activité cette fois – occupe désormais une place centrale dans les réflexions sur les déplacements, le transport et les problématiques de mobilité. On la retrouve également mobilisée dans les politiques de santé publique (OMS, 2010), qui peuvent s’incarner dans la réalisation de parcours de promenade et la promotion de la marche pour lutter contre l’obésité qui touche aujourd’hui 15 % de la population. Intégrée par les professionnels de la santé dans les parcours de soins, la marche serait une source de bien-être, favoriserait le développement et l’équilibre physique et psychologique (Dunn, Trivedi, & O’Neal, 2001; Glenister, 1996; Hassmen, Koivula, & Uutela, 2000), ainsi que la santé mentale (Rejeski & Mihalko, 2001). Fort de ces constats, de nombreuses municipalités engagent des actions qui visent le rééquilibrage de la voirie au profit des modes doux et l’amélioration de la qualité, de l’accueil et du confort des espaces publics (Rennesson, 2004). Ce mouvement s’accompagne de technologies, par exemple un monitorage opéré à l’aide de capteurs, sondes et applications qui permettent de « mesurer » la marche en temps réel, de même que d’une signalétique adaptée (voir Figure 1).

Figure 1

Exemple de signalétique piétonne à Grenoble

Photo : L. Gwiazdzinski, 2018

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La réflexion sur la promenade s’inscrit également dans une transformation de la ville et des mobilités (Urry, 2005) ayant contribué au renouveau des recherches sur la marche à la suite des travaux pionniers de Sansot (1973) et Augoyard (1979), qui ont notamment réintroduit le sensible, l’atmosphère, l’ambiance, l’imaginaire, l’habiter, les manières de faire, l’expression habitante, le vécu, l’ordinaire ou le quotidien dans l’étude des pratiques urbaines. Ces recherches se déploient dans de nombreuses directions et dans différentes disciplines. Alors que la littérature aborde souvent la marche dans une dimension affective (Le Breton, 2000), les arts s’intéressent à ses dimensions esthétiques. La sociologie et la philosophie (Paquot, 2004), qui se penchent sur les dimensions sociales ou les « pratiques et interactions dans l’espace public », se sont plus récemment intéressées à « la dimension sensible du cheminement » (Thomas, 2007, p. 16). Si la géographie porte son attention sur le « corps urbain », le mouvement et la production de la ville (Miaux, 2009), l’ingénierie et l’urbanisme approfondissent la question de la walkability ou « marchabilité » (Chibane & Gwiazdzinski, 2015), qui renvoie à une mesure de la « performance de l’espace » pour les pratiques piétonnes (Ewing, Schmid, Killingsworth, Zlot, & Raudenbush, 2003) et nécessite le déploiement de nouveaux aménagements urbains (Lavadinho & Winkin, 2006).

La promenade est désormais présente sous ce vocable ou sous le terme parcours dans nombre de démarches et de diagnostics participatifs en urbanisme et en aménagement – ainsi que dans des démarches citoyennes – à la fois comme outil de lecture sensible du territoire et comme protocole de mobilisation des acteurs de la fabrique urbaine et, plus particulièrement, de mobilisation des habitants. Elle est mise de l’avant dans un ensemble de dispositifs d’intervention et, notamment, à travers des approches comme l’urbanisme « temporel » ou « temporaire » (Gwiazdzinski, 2007a; Pradel, 2008), « événementiel » (Gravari-Barbas & Jacquot, 2007; Gwiazdzinski, 2009) ou « transitoire », ce dernier consistant à « profiter de l’opportunité d’un lieu inoccupé pour y développer un projet dans l’attente d’une mutation urbaine » (Benoît Quignon, directeur général de SNCF Immobilier, cité par Gerbeau, 2017); il peut encore s’agir d’un « urbanisme tactique » (Lydon & Garcia, 2015), qui propose « à tout citoyen d’agir matériellement sur son environnement urbain immédiat et quotidien afin de le rendre plus agréable à vivre » (Douay & Prévot, 2016).

Depuis quelques années, dans toute l’Europe et notamment en France, des collectifs déploient des promenades et parcours d’explorations sensibles; souvent conçus par des chercheurs et des professionnels des métiers de la ville (architectes, géographes, urbanistes, paysagistes, sociologues) comme des outils de médiation sur l’architecture, la ville et le patrimoine urbain, ils affichent de grandes ambitions : « Faire la ville avant la ville »; « Fédérer les acteurs »; « Lire le territoire »; « Ouvrir de nouveaux espaces de parole »; « Susciter des méthodes alternatives d’urbanisme »; « Transformer/Requalifier » (ArtePlan, n. d.). À Grenoble, le collectif Ici-Même [Gr.] met en place dans cette ville et ailleurs ses parcours urbains. La dynamique a notamment été reprise en 2011 par l’Hexagone de Meylan avec les Acteurs de curiosité territoriale (ACT) pendant les Rencontres-i (Conjard, 2011) et plus récemment par l’association l’Agglo et Grenoble Alpes Métropole, qui proposaient en 2017 des parcours métropolitains. À Marseille, la dynamique créée par des artistes-marcheurs a permis d’aboutir à un sentier de grande randonnée explorant le milieu périurbain pour Marseille-Provence 2013, série d’événements programmés dans le cadre de l’obtention par Marseille du titre de capitale européenne de la culture. À Lyon, le collectif Les Désarçonnés insiste sur les dimensions sonores des parcours et l’association Nomade Land se présente comme un « fabricant de balades urbaines ». À Paris, de telles démarches sont déployées par de nombreux collectifs et structures, telles Promenades urbaines, qui est aussi un pôle de recherche sur la ville, Le Voyage métropolitain, qui propose des parcours dans la grande couronne et travaille à la préfiguration du sentier métropolitain du Grand Paris, ou À travers Paris, qui offre des balades dans la petite couronne. Suite ou en parallèle à ces initiatives, un « tourisme de proximité » (Gwiazdzinski & Rabin, 2007), ou plutôt une activité de découverte du territoire par la marche, se développe grâce à la création de parcours et balades urbaines ouvertes à un plus large public.

La promenade est également de plus en plus présente dans des projets pédagogiques en milieux scolaire et universitaire, où les équipes sont à la recherche de nouveaux dispositifs d’apprentissage, dans un contexte où les universités multiplient les invitations à l’innovation, comme c’est par exemple le cas des séminaires annuels animés par le programme Promising de l’Université Grenoble Alpes (UGA) en vue de « mettre en valeur les idées et initiatives pédagogiques […] pour améliorer les pratiques et nourrir les réflexions », de « modéliser les expériences pour pouvoir les partager et les porter plus loin » ou d’enchanter, soit de « ressentir le plaisir et la puissance de l’atmosphère créative dans une dynamique ludique » (Promising, 2017). En éducation, d’autres types de savoirs sont désormais mis de l’avant (Centre national de documentation pédagogique [CNDP] & Centre de ressources Ville-École-Intégration [VEI], 2000) : savoirs d’action, savoirs d’adaptation, expertise d’usage, savoirs citoyens. À la croisée du savoir agir (les savoirs, les connaissances, les informations utiles au travail), du vouloir agir (motivation, volonté) et du pouvoir agir (environnement) (Vulbeau, 2009), la compétence n’est plus seulement mesurée en termes d’accumulation. Elle relève désormais d’une responsabilité partagée entre un individu qui la mobilise et le milieu dans lequel il opère. Dans l’aménagement et l’urbanisme, ce milieu est à la fois un milieu d’acteurs et un environnement construit et non construit.

Plus généralement, les protocoles de parcours géographiques participent à des approches de l’innovation sociale ou territoriale « qui reposent avant tout sur des processus collectifs d’apprentissage et apparaissent comme des ingrédients obligés de stratégies de développement alternatif porteuses de nouvelles valeurs » (Drevon, Gwiazdzinski, & Klein, 2017, p. 39), et au déploiement généralisé de processus de créativité et de design territorial (Gwiazdzinski, 2015) qui misent notamment sur la transversalité et la participation.

3. Moteurs et convictions de départ

Comme Saint-Exupéry, « je hais les sédentaires et dis mortes les villes achevées » (1969, p. 78). Le goût de la promenade et des parcours urbains se nourrit à plusieurs sources et expériences vécues. Il faut d’abord reconnaître que c’est effectivement « une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini » (Baudelaire, 1885, p. 64) et de pouvoir pour un temps « s’enraciner dans l’absence de lieu » (Weil 1990 citée dans Tomczak, 2003, p. 203). J’ai très vite repéré les limites des approches statistiques et des modèles, puis compris qu’une ville s’éprouve davantage qu’elle ne se prouve. Dans un domaine comme la géographie, je me suis rapidement méfié des seules approches à distance et in vitro. Les villes et les territoires sont nos paillasses de recherche, nos terrains. J’ai toujours regretté le peu d’intérêt pour les « quotidiens urbains » (Paquot, 2001) et pour les individus dans la discipline géographique (Gwiazdzinski & Rabin, 2005). En tant que cartographe, j’ai parfois eu l’impression d’être amputé de la majorité de mes sens en privilégiant naturellement la vue dans les représentations où la dimension temporelle était peu présente (Drevon et al., 2017). J’ai toujours eu besoin de bouger et de me mettre en mouvement, besoin de me frotter au réel, à « ce qu’on n’attendait pas » (Maldiney, 1994, p. 23). J’ai toujours été mal à l’aise dans les murs et les carcans, éprouvant l’envie de faire bouger les normes et d’innover, d’exister, d’être au-devant de soi dans l’ouverture.

Les situations ne manquent pas pour exprimer par l’exemple les limites d’une approche statique, sectorielle et à distance. Dans la recherche en sciences humaines et sociales, j’ai toujours regretté le temps nécessaire à la société pour prendre en compte un travail de recherche – à l’image des travaux pionniers de Mendras (1967) sur « la fin des paysans » –, un peu comme si des mondes ne se parlaient pas. En urbanisme et dans la fabrique de la ville, j’ai souvent pu mesurer la distance existant entre les professionnels et le terrain. Je me souviens de la surprise des membres d’une agence d’urbanisme à qui je demandais de faire le tour à pied de leurs projets sur le territoire. En pédagogie : je me rappelle l’opposition des parents d’étudiants en architecture que je souhaitais entraîner dans une traversée nocturne. C’était, paraît-il, « trop dangereux pour eux ». Ils continueraient à fabriquer la ville depuis leur atelier et en plein jour. À l’université, je me souviens de la réponse d’un groupe d’étudiants partis sur le terrain pour un diagnostic touristique; à leur retour et à la question sur la qualité de l’offre touristique rencontrée, la triste réponse tomba : « Impossible d’obtenir un rendez-vous avec le directeur de l’office du tourisme. » Aucun n’avait pensé tester l’offre. Surprise encore quand j’ai demandé à des étudiants de licence en géographie à combien de kilomètres se situait un monument emblématique de la ville. La réponse oscilla entre deux et quatorze. Même écart quand il s’est agi de mesurer le trajet en temps : j’obtins des durées comprises entre dix et quatre-vingt-dix minutes. Dans ces conditions, comment imaginer pouvoir se repérer dans l’espace et dans le temps? Comment participer à la compréhension des systèmes urbains et à la fabrique urbaine sans s’immerger, parcourir, arpenter et éprouver le territoire à la vitesse des pas, en interaction avec l’environnement traversé, avec le terrain au sens du concret, de la pratique, de « l’espace que l’on parcourt pour une étude de terrain, en étant sur les lieux, par opposition aux livres, documents, statistiques, au bureau » (Brunet, Ferras, & Théry, 1992, p. 478). Cette implication dans le monde grâce au mouvement serait même la condition fondamentale de la capacité à penser (Ingold, 2011).

Si le terrain joue aujourd’hui un rôle central dans la mythologie du géographe, l’idée voulant que la discipline repose sur la pratique du terrain ne s’est imposée que tardivement (Claval, 2013), au tournant du XXe siècle, où il a été sacralisé. Ensuite, les statistiques et les modèles de la « nouvelle géographie » ont mis à distance le terrain. En France, il a fallu attendre le milieu des années 1970, et ce que l’on a appelé le « tournant culturel » de la discipline, pour assister à un retour du terrain, qui doit beaucoup aux travaux sur l’espace vécu de quelques précurseurs de la géographie sociale (Frémont, 1974; Gallais, 1973). Autre évolution : depuis une trentaine d’années, les historiens de la géographie s’intéressent au contexte de travail du géographe (Berdoulay, 1981) et au terrain (Baudelle, Ozouf-Marignier, & Robic, 2001). Depuis les années 1990, la nouvelle curiosité pour le terrain qui apparaît en sciences sociales comme « le pendant du laboratoire des sciences expérimentales » (Calbérac, 2010) est désormais débattue dans le cadre du développement des épistémologies critiques (Volvey, Calbérac, & Houssay-Holschuch, 2012).

Ni scout ni adepte des marches militaires, je retrouve plutôt dans les promenades géographiques les principes et le plaisir vécu de la leçon de choses de l’enfance – par opposition à la leçon de mots –, celle de l’école de Jules Ferry. J’entends les conseils de Johann Heinrich Pestalozzi qui proposait d’apprendre avec la tête, avec le coeur et avec les mains, de rendre l’enfant actif et de donner du sens aux apprentissages en les reliant à des objets concrets et accessibles aux sens (Compayré, 1902). À l’université, la sortie, l’excursion ou le voyage sur le terrain qui donnent « une couleur qui participe largement de l’originalité de la discipline au sein des enseignements de sciences humaines et sociales » (Zrinscak, 2010, p. 40) sont des figures de l’apprentissage de la géographie qui ont définitivement scellé notre amour des parcours et de l’exploration. Les expériences de l’enseignement alternatif, qui ont tant de mal à se déployer en France, vont également dans le même sens.

Ce tropisme déambulatoire doit également beaucoup à la fréquentation et à la lecture d’auteurs très inspirants. Il a pu se nourrir de ma complicité avec le marcheur Hendrik Sturm, l’urbartiste Maud Le Floc’h, l’économiste Gilles Rabin, le bouquiniste Joël Henry et les étudiants de nos formations, notamment ceux qui ont fréquenté le master Innovation et territoire de l’UGA.

4. De la tradition du promeneur aux géoartistes

Les pratiques de la promenade que nous semblons découvrir ont une longue histoire. Au-delà d’Aristote, qui enseignait en marchant avec ses élèves, des péripatéticiens qui lui ont succédé ou de Rousseau et ses Rêveries du promeneur solitaire, nombreux sont les écrivains – Charles Baudelaire, Louis Aragon, André Breton ou Léon-Paul Fargue – qui ont aimé arpenter les villes, les traverser dans tous les sens et rapporter leurs expériences dans des chefs-d’oeuvre : Nadja, Le paysan de Paris ou Lepiéton de Paris. Dans les années 1920, les écrivains surréalistes ont développé la pratique de la « virée buissonnière », escapade sans itinéraire, déambulation sans but à partir d’une ville. Dès les années 1950, les situationnistes ont expérimenté la « dérive », « technique du passage hâtif à travers des ambiances variées » qui a été au coeur de leur projet de « changement libérateur de la société et de la vie » (Debord, 1989, p. iii). Ils firent de la dérive urbaine un moyen d’exploration « psychogéographique », une « étude des lois exactes et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus » (Debord, 1989, p. ix). Plus tard, Sansot a érigé les pratiques sensibles de la ville en « poétique de la ville » (2004). Certains, comme Réda, se sont évadés « hors les murs » (1982), dans les traces de Henry David Thoreau et de son éloge de la marche (2017), qui libère de l’aliénation exercée par la société, se débarrasse des préoccupations du village et abandonne l’artificialité de la vie. De la sorte, celui qui se définissait comme un homme du dehors pouvait alors être soi et se refonder en lointain écho à bien des pratiques actuelles et à nos propres expériences.

Dès les années 1990, Joël Henry et son laboratoire de tourisme expérimental de jeux et d’explorations ont développé de nombreux protocoles : l’alphatourisme ou comment visiter une ville de la première rue à la dernière rue par ordre alphabétique; l’anachrotourisme, qui consiste à se déplacer avec un très vieux guide de voyage; le nécrotourisme, qui passe par les cimetières, ou encore le kleptotourisme, qui se passe d’explications (Gwiazdzinski, 2007b). À Rome en Italie, au début des années 1990, le groupe d’architectes Stalker a expérimenté l’acte de traverser comme un acte créatif permettant de découvrir les « territoires actuels » (Stalker, 2000) négatifs de la ville bâtie, aires interstitielles et marginales, espaces abandonnés ou en voie de transformation, lieux de la mémoire réprimée et du devenir inconscient des systèmes urbains.

Depuis le début des années 2000, les parcours sont à la mode. Pour faire Le tour de la France, exactement, l’écrivain photographe Daudet (2014) a suivi les frontières du pays au plus près. Tesson (2016) a parcouru les chemins noirs. Le député Jean Lassale a traversé la France à pied. L’académicien français Rufin est parti en 2011 sur les routes de Compostelle (Rufin, 2013). Antoine de Baecque (2014) a traversé les Alpes en 2009. Le généticien Axel Kahn (2014, 2015) a parcouru la « diagonale du vide », des Ardennes au Pays basque. En toile de fond, on songe au Tour de la France par deux enfants, manuel scolaire républicain régulièrement réédité (Bruno, 1877/1977). Les parcours littéraires ou géographiques autour de grandes métropoles, tels London Orbital (2016) de Sinclair ou les expéditions à la recherche de taches blanches sur les cartes (Vasset, 2007), vont dans ce sens.

De nouveaux acteurs hybrides comme les géoartistes, collectifs d’artistes, d’urbanistes, paysagistes ou citoyens activistes, font également appel à des protocoles de parcours et promenades investissant et enchantant les temps et les espaces des villes : des marcheurs comme Mathias Poisson et Henrik Sturm; des danseurs et chorégraphes comme Annick Charlot, Philippe Saire et Yann Lheureux, à la suite d’Odile Duboc; des sociologues, des architectes et des urbanistes associés au sein de collectifs pluridisciplinaires, géoartistiques et néo-situationnistes comme le Collectif Etc, qui se qualifie de « support d’expérimentations urbaines participatives »; les paysagistes Coloco, regroupement d’explorateurs de la diversité urbaine à partir d’architectures, paysages, films et installations; les urbanistes d’AWP (Atelier Wunderschön Peplum) et de BazarUrbain; POLAU-pôle arts & urbanisme.

5. Un contexte nouveau et des convergences

Cette montée en puissance de la promenade et des parcours urbains s’inscrit dans un contexte favorable, à un moment où « la marche retrouve sa place et toute son importance dans les milieux urbains du XXIe siècle » (Thomas, 2007).

Outre les attentes des professionnels de la ville, on peut d’abord noter l’importance dans la société de mouvements comme le Do it Yourself, dans l’esprit des Makers (Anderson, 2012), les nouvelles pratiques extérieures (skate, parkour, urbex), la demande d’activités de plein air formulées par les populations urbaines, la recherche de rythme (Michon, 2008) et de lenteur (Honoré, 2005; Sansot, 2000), de participation (Zask, 2011) et de concret. À l’échelle des collectivités et des institutions locales, on peut noter : le besoin d’une offre de tourisme de proximité, qui provoque une multiplication des parcours de redécouverte; la recherche d’attractivité, dans une logique de marketing territorial; la quête de légitimité hors les murs d’institutions qui se cherchent un avenir loin des « bunkers » traditionnels; le besoin d’écoute des acteurs et la recherche du « vrai » terrain et des « vrais » gens dans la proximité. Depuis quelques années, on a pu constater la méfiance grandissante des étudiants vis-à-vis du tout transmissif, d’un savoir surplombant – et de dispositifs scéniques et symboliques comme l’amphithéâtre –, la préférence marquée pour les ateliers et la pratique; le besoin de concret, d’acquérir des compétences plus opérationnelles; le goût pour les rencontres avec les acteurs de terrain et hors les murs. De leur côté, les enseignants mesurent la limite des diagnostics in vitro et le besoin d’expérience in vivo, en mouvement et en résonnance avec les réflexions d’auteurs comme Crawford (2010) sur le sens et la valeur du travail.

La promenade s’associe également aux esthétiques à l’oeuvre dans la fabrique de la ville : la ville durable, au risque du « thermos à bobos »; la ville patrimonialisée, au risque de la « Disneylandisation » et de l’« Amélie Poulanisation »; la ville en mouvement et en continu, au risque du burnout; la ville créative, au risque de l’exclusion des passifs; la ville intelligente, au risque du sans contact et du sans politique; la ville nature, au risque du paradoxe; la ville événementielle pour « faire » société, quartier, famille (Nuits blanches, Fêtes des voisins, brocantes) et clignoter sur les planisphères; la ville contributive, au risque du temps.

C’est fort de cette expérience et dans cet environnement favorable que nous avons développé nos protocoles de parcours et promenades urbaines avec méthode et insouciance. Dans les trois manières dissemblables – l’aventure, l’ennui, le sérieux – de considérer le temps (Jankelevitch, 1963), j’ai souvent choisi l’aventure, cette tentation qui a beaucoup à voir avec le vertige.

6. Des terrains d’observation et d’expérimentation

La démarche, développée sur différents terrains, s’appuie sur trois hypothèses de travail principales :

  1. Il est possible de réduire la distance entre la recherche et les politiques publiques par un « faire » et éprouver ensemble.

  2. Le déplacement permet de relire le territoire.

  3. La richesse naît des croisements de regards.

Cette démarche mêle des protocoles géographiques, des dispositifs mixtes (université, artistes, collectivités) et coconstruits, une approche d’« innovation ascendante » ou « innovation par les usages » – au sens développé par von Hippel (2005) – et de créativité, avec une part importante donnée aux parcours et promenades. Derrière la rigidité apparente des règles et protocoles géographiques, elle laisse la place à la sérendipité de même qu’à ce mouvement naturel dont Sansot (2004) a montré qu’il redistribuait en permanence les cartes, provoquait des rimes inédites et des associations surprenantes.

Des expériences in situ ont pris la forme de traversées nocturnes de villes, de tours de métropoles, de parcours centre-périphéries et d’ateliers d’innovation urbaine. Elles s’appuient sur quatre convictions principales : la ville s’éprouve plus qu’elle ne se prouve; une question posée dans une discipline trouve sa réponse dans une autre; exister, c’est aller au-devant de soi dans la rencontre; la réalité n’existe pas… même si l’on s’y cogne parfois (Lacan, 1975).

En pédagogie, nous avons privilégié quelques principes : l’apprentissage par la pratique (learning by doing); l’apprentissage hors les murs; l’apprentissage avec les autres selon le modèle des approches socioconstructivistes, qui veut que l’acte d’apprendre soit l’interprétation d’une expérience, d’un langage ou d’un phénomène saisi dans son contexte (Brown, Collins, & Duguid, 1989; Lave, 1988); l’importance conférée à l’immersion et aux diagnostics au cours de la marche.

Les expérimentations ont été menées sous plusieurs formes. La première est celle des ateliers d’innovation ouverte du master Innovation et territoire menés entre 2012 et 2017 avec différents partenaires et sur des sujets élaborés ensemble :

  • Habiter une zone industrielle à risques (Agence d’urbanisme de la région de Lyon);

  • Temps et mobilité des jeunes et personnes âgées (Conseil général de l’Isère);

  • Vivement dimanche (Ville de Grenoble);

  • L’après Decaux et l’information municipale (Ville de Grenoble);

  • Bourg-centre de Lozère (Datar);

  • Bastille 2030 (Ville de demain);

  • Réseaux de nuit (Syndicat mixte des transports en commun de Saint-Martin-d’Hères);

  • Territoires apprenants (Institut de géographie alpine de l’UGA et rectorat de l’académie de Grenoble, voir Gwiazdzinski & Drevon, 2018).

La seconde est celle des Ateliers de l’imaginaire menés pendant quatre ans avec quatre masters du site grenoblois, d’une institution culturelle (l’Hexagone de Meylan), du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de l’Isère et d’artistes (Promising, 2014).

7. Des expériences multiples

Nous avons décliné l’art de la promenade sous différentes formes.

Souvent loin de la dérive définie par les situationnistes, nos expériences s’appuient sur des protocoles géographiques rassurants qui mettent en mouvement, créent des temps communs et permettent les frottements, la sérendipité et l’improvisation (Soubeyran, 2015) : les traversées nocturnes d’une centaine de villes depuis le milieu des années 1990 (Gwiazdzinski, 2006, 2007b); le tour à pied de Paris à la suite des émeutes urbaines (Gwiazdzinski & Rabin, 2007) et Protocole limites à Grenoble, portant sur les limites des métropoles en reconstruction; les ateliers d’innovation en urbanisme, en partenariat avec l’Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise (UrbaLyon, 2010); les résidences de géographes et les immersions (Vallée de la chimie, Territoires du dimanche, Nuit, Communes rurales de Lozère) avec les étudiants du master Innovation et territoire.

Ces expérimentations territoriales poursuivent le travail engagé depuis une dizaine d’années dans les ateliers géochorégraphiques avec Annick Charlot à Grenoble, à Lyon ou à Cerisy-la-Salle (Charlot & Gwiazdzinski, 2016), les laboratoires géoartistiques avec Yann Lheureux à Marseille en 2014, avec Philippe Saire à Lausanne (Gwiazdzinski, 2013c), avec Maud Le Floc’h et le Pôle des arts urbains depuis une dizaine d’années à Tours, avec Odile Duboc à Belfort pour la démarche prospective Carnets 2010 dès 1999 et à Grenoble depuis 2102, autour des Ateliers de l’imaginaire, un projet associant les étudiants de trois masters, le CAUE de l’Isère, l’équipe de l’Hexagone Scène nationale à Meylan et des acteurs socioculturels autour de thématiques (circuits courts, rencontres) ainsi que de dispositifs et protocoles coconstruits dans l’espace public.

8. L’exemple des traversées nocturnes

L’exemple le plus significatif de parcours est sans doute la traversée nocturne (Gwiazdzinski, 2006). Entre 1998 et 2015, nous avons organisé et déployé une centaine de parcours nocturnes, principalement en Europe : Paris, Rome, Sarajevo, Amsterdam, Helsinki, Cracovie, Thessalonique, Porto, Oviedo, Lyon, Bruxelles et, récemment, Genève, Grenoble, Milan et un bout de Shanghaï, dans un objectif d’exploration des nuits urbaines, de mise à l’agenda de la question et de développement d’expérimentations dans une recherche de villes plus accessibles et hospitalières (Gwiazdzinski, 2007a). Menées en parallèle à un ensemble de recherches documentaires classiques et à l’analyse diurne et « froide » de la nuit, ces démarches s’appuient sur trois convictions fortes : il y a une vie dans les villes après la tombée de la nuit; le mouvement permet de relire la ville; la nuit a beaucoup de choses à dire au jour et au futur des villes.

Pendant toute une nuit, par groupes de cinq à dix personnes et suivant des itinéraires définis à l’avance, l’agglomération est investie et livrée aux regards croisés des arpenteurs qui la traversent d’une périphérie à l’autre. Loin de l’espace imposé des guides touristiques et des parcours quotidiens, chacun interroge le « peuple de la nuit » et consigne aussi ses impressions sur les lieux de la nuit. Le carnet de route remis à chaque participant comporte une introduction à la thématique, une feuille de route, la liste des documents à remettre à la fin de la traversée, une dizaine de grilles d’impressions et de grilles d’interviews pour aller à la rencontre du « peuple » de la nuit et quelques règles d’observation empruntées à Perec : « [s]e forcer à écrire ce qui n’a pas d’intérêt, ce qui est le plus évident, le plus commun, le plus terne » (1974, p. 70). Démarrée à la tombée de la nuit, l’aventure se termine à l’aube. La traversée de la ville et de la nuit n’est qu’une étape d’un protocole global comportant une conférence de sensibilisation, des réunions de travail et de détermination des itinéraires, la traversée nocturne, une séance de synthèse et de remue-méninges et l’interpellation des autorités à partir des premiers résultats.

Les traversées nocturnes ont permis d’apporter un éclairage particulier sur la connaissance de la nuit. De nombreuses propositions ont émergé des interviews de personnes rencontrées, des réflexions des explorateurs et du travail collectif de remue-méninges en termes d’offre nocturne, d’accessibilité, de mobilité, de citoyenneté, de santé, de prévention, de communication et de sensibilisation, de lisibilité, d’imagibilité de la ville, d’urbanité, d’éducation, de mixité, de tranquillité, de solidarité ou d’égalité urbaine. Elles ont partout permis de sensibiliser et de mettre en réseau des collectivités, des scientifiques, des artistes, des techniciens et des citoyens intéressés et ont contribué à la mise à l’agenda de la nuit dans les politiques publiques.

9. Des règles et conditions pour avancer ensemble

Le bon déroulement des parcours exige le respect de quelques « règles » :

  • un protocole géographique minimum (tracé), même si c’est un leurre, un objet de réassurance permettant l’engagement des participants;

  • l’égalité des acteurs dans l’action malgré leurs différences; 

  • la qualité des objets, situations et récits produits par respect de tous les acteurs;

  • l’explicitation de chaque étape et la resynchronisation permanente des participants;

  • la réalisation de la « mission » et la production des livrables même s’ils sont parfois caricaturaux;

  • le respect des délais de livraison;

  • le contrat de confiance temporaire entre tous les partenaires associés;

  • l’ouverture et la bienveillance dans l’équipe et vers l’extérieur;

  • le jeu;

  • la bonne ambiance collective et le plaisir.

Les conditions de réussite pour cheminer ensemble sur des parcours apprenants ont été validées au fil du temps. Il s’agit tout d’abord de respecter les séquences de l’expérimentation : formulation, immersion, restitution. Avant le déploiement du protocole, il faut réfléchir à la préparation. Pendant ce déploiement, il faut assurer la disponibilité. Après, il faut soigner les traces et les représentations. À chaque instant il faut veiller à la coconstruction avec l’ensemble des participants.

Pour illustrer le propos, on peut examiner le déroulement d’un type de parcours géographique, soit la traversée nocturne[1] structurée autour de trois moments : en amont, pendant et après la traversée.

  1. Formulation. Des parcours (trois à dix) sont tracés en amont de la traversée de la ville choisie avec les services de la collectivité, les chercheurs, les étudiants, les artistes, les habitants mobilisés. Ces personnes doivent construire ces traversées en partant d’un endroit où – pour eux – commence la ville, vers un endroit où elle s’arrête, en passant par les quartiers de la ville qui dort, qui travaille et qui s’approvisionne. Les cartes sont insérées dans un carnet de route remis à chaque participant, de même que les instructions pour les interviews et observations et les informations utiles.

  2. Immersion. Le jour de la traversée, les acteurs de la ville (élus, services de l’urbanisme, services sociaux, sécurité, chercheurs, artistes, urbanistes, médecins, responsables associatifs, habitants associés) sont réunis en fin d’après-midi pour exposer en quelques minutes ce que représente la nuit dans leurs secteurs d’activités respectifs. Ces exposés enregistrés et filmés seront ensuite réutilisés au moment de la restitution. L’équipe d’organisation explique la démarche, rappelle les attentes, le protocole, les précautions et le rendez-vous du lendemain. Les carnets de bord sont distribués, ainsi que des sacs à dos et quelques victuailles. Des équipes de cinq à huit personnes sont constituées pour chaque parcours, le processus visant à équilibrer la composition entre les équipes afin de favoriser le décloisonnement. Un membre de l’équipe d’organisation est présent dans chaque groupe quand c’est possible. À la tombée de la nuit, chaque équipe rejoint le point de départ de son parcours. Chacun devra interroger dix personnes rencontrées et décrire dix lieux intéressants. La traversée se termine à l’aube et au bout de la ville.

  3. Restitution. Le lendemain matin ou en début d’après-midi – selon la résistance des participants – les « survivants » de la traversée nocturne se rejoignent pour une séance de synthèse et de créativité de trois heures qui se déroule en cinq étapes animées par les membres de l’équipe et des participants volontaires : présentation de l’expérience par chaque équipe (diaporama, image, vidéo, enregistrement sonore) afin de permettre une expression libre; séance de post-its sur ce qui a plu; séance sur ce qui ne fonctionne pas la nuit; séance de créativité sur ce que l’on pourrait faire pour favoriser des nuits plus accessibles et hospitalières. Les notes sont prises en direct et validées par un membre de l’équipe. Quelques jours ou semaines plus tard, lors d’une réunion avec les participants à la traversée – à laquelle la presse est parfois conviée afin de poursuivre les échanges avec la population –, un rapport de synthèse et de préconisations est présenté aux partenaires et mis en débat sur la base des travaux collectifs et de l’exploitation des carnets de bord.

10. Apports des parcours

Dans ces différents protocoles, les lectures croisées de la ville et la production de situations révèlent des territoires, laissent des traces et nourrissent l’imaginaire et les projets au-delà des arpentages. Les effets de ces parcours sur les participants sont nombreux. Ils s’inscrivent dans une « désorientation positive », ce processus ouvrant à l’infini du monde, pour reprendre l’expression de l’écrivain Patrick Chamoiseau, à un « lâcher-prise » que la fatigue facilite parfois; à une expérience et une expérimentation commune; à l’apprentissage de l’éprouver; à la mise en désir et à l’érotisation du territoire ou du « métier » des individus présents et souvent le dégagement d’un sens. Les participants témoignent souvent de la « belle expérience humaine », du « dialogue facile avec les personnes rencontrées » et de « la richesse des échanges ». Ici se mélangent des effets du terrain – d’un être au terrain –, du dialogue entre les participants et du parcours en lui-même.

Nous avons pu repérer quelques retombées concrètes de ces parcours et traversées de villes dans les politiques publiques : mise en place de petits « écosystèmes » dans la plupart des villes; expérimentations (par exemple un bus de nuit à Lyon); mise en place de toilettes publiques dans plusieurs villes; relance des politiques temporelles (à Lyon et à Rennes); développement des conseils de nuit et mairie de nuit; lancement de recherches-actions; transfert de savoir-faire et reproduction de ces traversées dans de nombreuses villes.

Les retombées concernent également les organisateurs et les participants. Après les traversées nocturnes ou les parcours autour de villes, nous avons pu mesurer une légitimité plus grande de notre parole, une sorte « d’avantage terrain » qui nous a permis de travailler sur d’autres aventures, comme celle du Grand Paris, en nous associant à des équipes d’architectes. En investissant les entre-temps, les no man’s land et autres no man’s time, nous avons découvert collectivement la complexité métropolitaine, au centre comme dans les marges.

Dans chaque territoire, ces expériences ont permis de constituer des groupes pluridisciplinaires prêts à poursuivre les investigations, à expérimenter de nouveaux services ou de nouvelles approches. Pour ceux qui y ont participé, ces parcours ont généré la fabrique d’espaces publics temporaires unifiés croisant, d’une part, l’espace public tel que défini par Habermas comme « lieu symbolique où se forme l’opinion publique » (Ballarini, 2010, § 1) et, d’autre part, les espaces publics physiques de l’urbaniste. Ils nous invitent également à imaginer une nouvelle dimension de la notion d’espace public comme lieu « du faire », du « fabriquer ensemble ».

Ces parcours participent également à une esthétique et à un design territorial dans les différentes étapes du projet : diagnostic, mobilisation, montage et service après-vente. Ils contribuent à l’arrivée d’un nouveau vocabulaire de la ville et de la ville émergente : mobile, agile, temporaire, réversible, mutable, adaptable, éphémère et ordinaire. Les apports pour la fabrique de la ville sont à cet égard intéressants. Avec d’autres, ils contribuent à l’émergence d’un urbanisme temporaire et temporel qui s’intéresse aux temporalités et aux rythmes; d’une « ville malléable » (Gwiazdzinski, 2007a) qui joue sur le modulaire, le temporaire et le multifonctionnel; d’une pensée hybride ou créole[2] des espaces et des temps de la ville qui jusque-là était plutôt basée sur la spécialisation et le zonage.

Les retombées en pédagogie sont importantes, notamment l’acquisition et la transmission de compétences. En matière de savoir-faire (capacités) : l’aller vers, l’organisation, le construire ensemble et le design. En matière de savoir-être (attitudes) : le respect de l’autre et des différences, l’ouverture, l’autonomie, l’engagement et la confiance. En matière de savoir (connaissances) : le terrain, l’art de la conversation territoriale et le cheminement. L’ensemble est possible en raison d’un aller-retour permanent entre pratique et théorie, immersion et prise de distance.

Plus largement, les retombées sont intéressantes pour le territoire et la société. Ces démarches convoquent les sens, le sensationnel et le sensible dans une société de la technique et de la raison. Face à la misère symbolique (Stiegler, 2003), elles contribuent à des mises en scène, mises en récit et fictionnalisations territoriales. Elles participent à une reconfiguration individuelle et collective des imaginaires politiques et artistiques ainsi qu’à l’émergence d’une ville « métaphorique » (Certeau, 1980, p. 142) qui permet de supporter l’autre ville, la ville fonctionnelle avec laquelle il faut composer au quotidien.

11. Vers des parcours pédagogiques apprenants

Ces différentes expériences permettent de tirer un certain nombre d’enseignements sur la promenade, sur les promeneurs, sur le dispositif, sur les compétences développées et sur les retombées pour nos disciplines; elles fournissent en outre les matériaux pour poser les premiers mots d’un petit vocabulaire adapté qui correspond à la richesse des expériences.

Le terme promenade utilisé au départ n’est pas tout à fait adapté à ces protocoles géographiques, qui ne correspondent pas à une « déambulation agréable » ou à une « détente ». Le pas n’est pas toujours un pas de promenade, voire un pas lent, très lent. Et toute promenade n’est pas un « voyage, [une] expédition facile et de courte durée, sans risques » (Larousse) : il y a toujours un risque à s’y engager, celui de « l’Ouvert » (Maldiney, 1974, p. 18), qui est aussi un mystère, mais aussi la confiance dans l’invitation que constitue la promenade telle que la voit par exemple Hölderlin dans La promenade à la campagne (1967), s’écriant : « [V]iens dans l’Ouvert ami », que Maldiney justifiait de la sorte : « [I]l faut partir pour être », ou encore : « Tout a lieu dans l’éclaircie d’un saut » (1964, p. 18). Enfin, en termes géographiques, la promenade n’est pas un « lieu en dehors d’une ville où l’on peut aller se promener » (Larousse) : toute la ville peut être promenade. Ainsi, nous parlerons plutôt de parcours pour décrire ces protocoles pédagogiques, car le terme renvoie également à « l’ensemble des étapes, des stades par lesquels passe quelqu’un » (Larousse).

Nous utiliserons la locution parcours géographiques apprenants pour paraphraser l’idée des territoires apprenants, « capables d’apprendre en permanence des actions de ses membres et de celles des autres » (Jambes, 2001, pp. 21-22), capables d’apprendre d’eux-mêmes et de leurs actions (Bier, 2010a), dans un contexte en mutation où l’on doit faire l’apprentissage de la fluidité spatiale, de la coopération et de la complexité. Les parcours s’inscrivent plus globalement dans les démarches d’intelligence territoriale et constituent un « moyen pour les chercheurs, pour les acteurs et pour la communauté territoriale d’acquérir une meilleure connaissance du territoire, mais également de mieux maîtriser son développement » (Girardot, 2004) et de contribuer à l’économie de la connaissance.

Le parcours apprenant est une forme d’apprentissage collectif où chacun oeuvre avec d’autres à la construction des connaissances en vue d’objectifs communs; en ce sens, la charte de l’Association internationale des villes éducatrices affirme que l’on apprend dans la ville, mais aussi de la ville. Pour certains, cette posture serait la seule alternative possible : « [L]a ville ne peut survivre sans devenir une ville de savoir, mais elle ne peut pas devenir une ville de savoir sans devenir une ville apprenante » (Bélanger & Partsch, 2006, cités par Bier, 2010b, p. 123).

Compte tenu de ces éléments, nous proposons la dénomination parcours géographiques apprenants pour qualifier ces dispositifs pédagogiques mobiles, immersifs et réflexifs qui s’appuient sur l’expérience par la pratique et sur l’éprouvé de participants issus de disciplines et d’univers différents. Le participant sera appelé parcoureur – celui qui parcourt (une distance) – plutôt que promeneur. Nous empruntons à l’OuLiPo[3] l’idée de la promenade comme « ouvroir potentiel ». Pendant le parcours, l’espace public devient une épreuve, un lieu d’expérimentation qui permet d’habiter, au sens d’exister, d’expérimenter le fait d’être présent dans un lieu (Maldiney, 1985), d’« être-au-monde » (Heidegger, 1986, p. 95). À partir de ces parcours, nous transformons de simples points sur la carte du monde en lieux qui nous invitent à exister (Maldiney, 1985). Ces parcours peuvent être qualifiés d’« utopies concrètes » (Gwiazdzinski, 2016, p. 135) en mouvement. Elles agissent bien comme une force de changement qui tente de briser la suprématie de l’actuel sur le possible (Ricoeur, 2005), une alternative critique à ce qui existe.

Pour qualifier ce qui se joue dans ces parcours, nous pouvons parler avec Deleuze et Guattari (1980) de « territoire éphémère » mais en mouvement, d’« agencement » mais temporaire; de communautés temporaires « d’affect » (Lordon, 2015), « d’expérience » (Dewey, 2012) ou « de pratique » (Lave, 1991); de « zone autonome temporaire » (Bey, 1997) – réticulaire – ou de « tiers temps ». À l’échelle internationale, et pour tenter de qualifier ceux qui travaillent sur et avec ces dispositifs, nous proposons d’utiliser le concept de scène réticulaire, qui associe à la fois un groupe de personnes qui bougent de place en place, les places sur lesquelles elles bougent et le mouvement lui-même (Straw, 2002).

Sur la métamorphose du territoire traversé, nous pouvons parler d’augmentation, d’hypertopie, voire d’artetopie, pour reprendre un terme employé par l’urbaniste Maud Le Floc’h pour définir les agencements suscités par les géoartistes; rythme évoquera pour sa part la possible répétition de ces agencements dans le paysage. L’esthétique dégagée renvoie au fragile, au temporaire et à l’évolutif. C’est une esthétique foraine et circassienne du mouvement, de l’éphémère et de l’exagération multisensorielle pour un spectateur consentant, à la fois enchanté et « arnaqué ».

À propos des participants ou parcoureurs, nous pouvons parler de néo-situationnistes qui recherchent des solutions ailleurs que dans les livres (Debord, 1967). Dans la démarche, il y a une réappropriation du réel émergeant de la fabrication de situations contre lesquelles « on se cogne » (Lacan, 1975, p. 53). Il y a bien un dépassement par « un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne » (Debord, 1989, p. 8). Le parallèle s’arrête là, car il n’y a pas dans cette approche une critique de la société du spectacle, doublée d’un désir de révolution sociale, d’une volonté de changer les choses ici et maintenant, concrètement.

Les acteurs sont des géoartistes qui sortent des institutions classiques. Ils sont hors les murs, dans l’espace public. Ils ont le territoire comme terrain de jeu à différentes échelles. Ils arpentent le terrain. Ils utilisent des stratégies spatiales. Ils fabriquent des représentations cartographiques. Ils sont festifs. Ils associent les populations. Ils transforment le réel. Ils produisent un discours et une expertise. Ils laissent des traces.

Les compétences qu’ils ont développées sont multiples. Ils sont des « sérendipiteurs » qui savent (Andel & Bourcier, 2008); des « hackers » citoyens modèles de l’ère du numérique, des « bricoleurs » qui manquent naturellement de génie, des « braconniers » (Certeau, 1980) qui connaissent l’art de la ruse; des tacticiens plus que de grands stratèges; des « ambianceurs » qui mobilisent l’émotion, des créateurs et des forains-bonimenteurs, à la fois enchanteurs et arnaqueurs d’usagers-citoyens consentants.

12. Des dérives et des rêves

Après cette première exploration, nous devons naturellement nous interroger sur les risques et sorties de pistes possibles pour les promenades, espaces et dispositifs de médiation déjà largement mobilisés par les politiques publiques, le secteur touristique ou le marketing territorial (Gwiazdzinski, 2013a).

Un premier risque bien réel est celui de l’uniformisation de ces espaces publics fabriqués par les mêmes architectes, s’appuyant sur les préconisations des mêmes parcours apprenants, construits dans les mêmes matières et encombrés du même mobilier urbain standard, dans lesquels on cheminerait à l’abri des caméras de sécurité et encadré par les forces de l’ordre.

La promenade est ambiguë. En tant qu’espace et aménagement, elle participe à un « urbanisme fictionnel » (Matthey, 2011) qui privilégie la mise en spectacle dénoncée par Debord. En tant que parcours apprenant inclusif, elle augmente effectivement la capacité des habitants à intervenir directement sur leur cadre de vie, elle permet le déploiement d’une « parole habitante », une éducation à la ville; elle devrait ainsi assurer le rééquilibrage vers les usages et la vie quotidienne. Avec d’autres dispositifs (ateliers habitants, événements participatifs), il faut cependant bien admettre qu’elle contribue également au « bavardage » urbain et à la mise en spectacle de la concertation. Elle participe à une « spectacularisation » (Debord, 1967) et à une marchandisation des espaces et des temps de la métropole, de même qu’à la production d’une esthétique de la ville foraine, mobile, légère qui arnaque et qui enchante à la fois. En ce sens, elle peut constituer un leurre ou un appât – « objet rassemblant un ou plusieurs caractères essentiels d’un stimulus susceptible de déclencher un comportement donné » (Larousse) – habile et mobilisateur pour attirer, rassembler et faire travailler ensemble les parties prenantes.

On parcourt la ville, mais à travers cette déambulation bien d’autres choses se jouent. Dans ce domaine, la boucle est bouclée avec l’aménagement du chemin Walter Benjamin, parcours de randonnée transfrontalier entre Portbou (Espagne) et Banyuls (France) qui fut le dernier voyage du philosophe juif allemand qui, après Baudelaire, contribua à définir la figure du flâneur.

Dans un design total où chaque espace et temps serait utilisé au risque de la fin de l’ennui, de la dérive et de l’improvisation, le déploiement de ces dispositifs peut participer à la saturation des espaces et des temps de la métropole, ainsi que des sens de l’individu : « La valeur des villes se mesure au nombre des lieux qu’elles réservent à l’improvisation » (Kracauer, 2013, p. 85). Les risques existent aussi pour les citoyens invités à cheminer dans la ville, à participer à la coproduction de l’espace public et de la ville, susceptibles de se voir « ubérisés » par des professionnels et des chercheurs désorientés ou « encadrés » dans des dispositifs participatifs les sommant d’innover.

Nous sommes également en droit de nous interroger pour l’avenir de nos disciplines. Le succès des promenades urbaines contribue-t-il à une nouvelle fin de l’urbanisme et à l’émergence de nouvelles disciplines hybrides, porteuses de la fabrique de situations et de liens appelés à prendre différentes appellations hybrides : urbartisme, qui insisterait sur le lien entre l’art et l’urbanisme; urbanisme des situations, qui insisterait sur la fabrique de « situations », au sens que les situationnistes donnaient à ce terme; nychtolisme ou urbanisme nocturne. Ou, au contraire, après une période de découverte, de croisement, de frottement, les différents acteurs vont-ils oublier leur indisciplinarité, « rentrer à la maison », capitaliser leurs expériences et tenter les transferts vers leurs disciplines respectives?

Au-delà de ces interrogations, les promenades participent déjà à l’émergence de nouveaux imaginaires et de nouveaux savoirs géographiques. Dans un parallèle avec la science des territoires, ils sont des éléments constitutifs d’un art des territoires qui reste à construire.

Nous avions démarré cette réflexion en insistant sur un intérêt personnel pour la promenade. Les kilomètres n’ont pas érodé une envie nourrie par cette impression d’inventer, de se mettre en danger, d’improviser en mobilisant in vivo un vécu, des compétences et un savoir. Pour nous, la suite s’écrit en promenades. Celles qui se poursuivent avec les étudiants. Celles qui s’esquissent, en collaboration avec des partenaires italiens et roumains, autour du projet international Erasmus + Territoire apprenant[4].

N’en déplaise à Pascal (1977), pour qui « [l]e malheur de l’homme vient de ce qu’il ne peut se tenir tranquillement dans une pièce » (p. 118), ce besoin de bouger et de partir en promenade tout près d’ici ou ailleurs est aussi un bonheur.