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Introduction

L’atelier n’a pas cessé, depuis sa formalisation dans les Écoles des Beaux-Arts, d’être un sujet de controverses quant à la compréhension et à la définition de sa pédagogie. Celle-ci prône un apprentissage par-le-faire dans une approche basée sur le projet (Curry, 2014; Schön, 1985). Mais la question du transfert des connaissances reste jusqu’à ce jour un sujet d’actualité pour la recherche en design. La connaissance dans ce contexte d’apprentissage de la conception implique les compétences, les savoir-faire et même le mode de penser des designers. Ces connaissances sont souvent d’ordre tacite (Goffin & Koners, 2011), ce qui complique davantage la compréhension de leur transfert, car le caractère tacite de ces connaissances renferme souvent une grande part de subjectivité (Ambrosini & Bowman, 2001). En effet, la pratique pédagogique dominante en atelier, pour ne pas dire unanime, est la critique de projets. Celle-ci dépend amplement de l’expertise et des modes de faire de l’enseignant. L’atelier est alors une simulation de la pratique professionnelle (Schön, 1985), où les apprentissages dépendent des capacités pédagogiques des enseignants en tant qu’experts pour apporter leurs savoirs professionnels et leurs connaissances (Goldschmidt et al., 2010). Il devient à notre sens une vitrine sur les réalités professionnelles dans laquelle l’enseignant joue un rôle principal. Or l’enseignant dans ces écoles de design et d’architecture, étant d’abord un praticien lui-même, n’a reçu aucun entrainement pédagogique et son efficience provient de ses expériences, de sa conscience et de son talent (Goldschmidt et al., 2010). De plus, l’atelier se voit confronté à de nouvelles pratiques, notamment avec l’intégration des usages du numérique, qui impliquent des changements sur le déroulement des critiques de projet (Oh et al., 2013).

Le défi est donc multiple : trouver des approches qui permettent de s’adapter aux changements que voit l’atelier aujourd’hui, traduire ce mystère qu’est la pédagogie de l’atelier et réconcilier le profil du designer ressortissant avec les réalités de la pratique professionnelle.

Notre recherche se focalise sur les échanges enseignant-étudiants dans l’atelier ainsi que l’environnement de ce dernier, surtout avec l’intégration des nouvelles technologies qui ne peuvent être sans impacts sur la pédagogie. Nous proposons une nouvelle approche pédagogique basée sur le codesign. Elle prône un changement des rôles des enseignants et des étudiants dans une synergie basée sur la communication multidirectionnelle et l’implication active de ces derniers à l’étape de la génération des idées. Il nous semble que cette phase est l’une des plus importantes composantes dans les compétences à acquérir par les designers.

Dans cet article, nous présentons une analyse qualitative de l’expérience vécue par dix étudiants qui ont suivi un atelier de projet basé sur l’approche codesign. L’étude a pour objectif d’explorer l’impact de cette approche sur le déroulement de l’atelier, les apprentissages, les échanges enseignant-étudiants ainsi que les dynamiques de groupe. Pour ce faire, nous avons fait des enregistrements audiovidéos des sessions de codesign puis avons mené des entrevues avec les dix étudiants afin de recueillir les perceptions des expériences vécues. Cette étude a permis d’avoir un portrait des caractéristiques de cette approche à travers les lentilles des étudiants quant à l’expérience vécue, ainsi qu’un comparatif avec la critique traditionnelle de projet. Nos résultats montrent que cette approche est enrichissante du point de vue des étudiants pour leur formation. En effet, nous avons fait une identification des principaux changements dans les échanges enseignant-étudiants, les dynamiques du groupe (incluant la contribution de chacun) ainsi que le ressenti d’une façon générale le long de l’atelier par rapport aux ateliers traditionnels. Nous avons trouvé quelques impacts perçus de cette approche, ainsi que distingué les différences qu’implique l’usage de différents environnements de travail en atelier (le Hyve-3D en comparaison avec la salle). Enfin, nous avons élaboré une comparaison entre les critiques traditionnelles dans les ateliers et la nouvelle approche pédagogique employée.

1. Problématique : la critique comme méthode d’apprentissage en atelier de conception

La pratique de la critique est influencée par la façon dont elle est structurée. Ceci inclut ses formats, individuel ou de groupe (Goldschmidt et al., 2010), formel ou informel (Oh et al., 2013); sa fréquence (Uluoǧlu, 2000); son timing (King et al., 2000); les styles de critiques adoptés par les enseignants (Goldschmidt, 2002); ses modalités : par texte, dessins, gestes ou artéfacts (Goldschmidt, 2002; Oh et al., 2013). Elle est aussi influencée par le niveau scolaire des étudiants. En effet, elle est plus directive avec les étudiants novices et plus collaborative et exploratoire avec les experts, selon Dannels et Martin (2008). Les enseignants y jouent aussi de multiples rôles : coach (Adams, Cardella, & Purzer, 2016; Adams, Forin, Chua, & Radcliffe, 2016; Goldschmidt et al., 2010; Schön, 1985), médiateur (Taylor et al., 2001), homme-orchestre (Diham, 1989) et les appellations continuent à se multiplier. Mais ces rôles ont des significations semblables et reviennent tous à une compréhension générale du coaching. Le modèle de coaching selon Schön (1985) repose sur deux stratégies basées sur les couples expliquer/écouter et démontrer/imiter. Par le premier couple, l’enseignant donne des explications sur le design, des descriptions générales, des instructions spécifiques, formule des critiques, des questions ou apportent des suggestions. L’étudiant devrait alors être en écoute afin de comprendre l’enseignant. Dans le second couple, l’enseignant fait des démonstrations sur des parties du processus qu’il pense utiles à l’apprentissage de l’étudiant. Ainsi, il donne à l’étudiant de la substance pour l’imiter. Ce deuxième couple est orienté vers un apprentissage par accumulation d’expériences passées ou par références, développant ainsi un répertoire de solutions (d’où le concept de Répertoire de Schön [1985]). Alors que, selon Uluoǧlu (2000), le coaching devrait inclure des démonstrations de comment performer les actes de design, décrire et interpréter les situations de design, considérer les alternatives et renforcer davantage la communication. De plus en plus, la maximisation de l’apprentissage implique le design d’environnement d’enseignement (Dinham, 1989). Ainsi, l’enseignant cultive un environnement d’apprentissage dans un contexte éducatif formel (Carver, 1996).

La réussite d’un enseignement, selon Daly et Yilmaz (2015), réside dans la faculté de l’enseignant à guider l’étudiant dans son parcours tout en lui donnant la liberté de prise de décisions et de l’amener à passer d’idées divergentes à des idées convergentes. Ceci peut avoir lieu si l’enseignant assure un environnement supportant les interactions sociales (Wang, 2010) à savoir la communication verbale, et les moyens d’expression graphiques et physiques (Goldschmidt, 1991).

Or l’apprentissage de la conception en situation d’atelier se heurte à quatre obstacles interliés : l’individualisation de l’apprentissage, la hiérarchie enseignant - étudiant, le système de représentation utilisé et l’approche axée sur le projet plutôt que sur le processus. Ces quatre éléments interfèrent sur le bon déroulement d’une situation d’apprentissage en influençant la nature et les modes de communication enseignant-étudiant.

Pendant les deux dernières décennies, la critique dans les ateliers de design a été définie comme une activité essentiellement verbale et souvent individuelle (Goldschmidt et al., 2010). La « desk-crit », comme l’appelle Goldschmidt (2002), consiste pour un étudiant à passer au bureau de l’enseignant afin de discuter avec lui de son projet et des problèmes de conception qu’il peut avoir pour réfléchir à des solutions ou à des façons d’améliorer la conception. Cette disposition maintient du coup la hiérarchie enseignant-étudiant, en phase avec la tradition maitre-apprentis. En effet, dans ce modèle, c’est l’enseignant qui est souvent un expert de sa profession (Cardoso et al., 2014; Curry, 2014; Oh et al., 2013; Schön 1985), qui détient la connaissance et l’expertise pour résoudre les problèmes de design sur lesquels l’étudiant travaille. Or cette hiérarchie bloque les échanges spontanés dans les situations de résolution de problèmes de design (Drăgan & Ganea, 2013). L’étudiant a tendance à suivre les directives et les suggestions de l’enseignant sans bien les comprendre, sans intégrer son feedback dans son propre processus de réflexion (Oh et al., 2013). Ce pouvoir de l’enseignant peut diminuer le processus d’apprentissage chez l’étudiant et sa réflexion critique (Dutton, 1991). Schön (1985) mentionne que l’enseignant est dans ce cas confronté à la difficulté de trouver le bon équilibre entre la façon de donner et la façon dont ces dernières seront reçues par l’étudiant afin d’éviter que ce dernier se mette sur la défensive (Anthony, 1991).

Par ailleurs, même si le modèle du coaching semble l’écarter de la figure autoritaire, sa dominance dans l’atelier est toujours perçue comme étant négative dans la démocratisation des échanges (Goldschmidt, Casakin, Avidan, & Ronen, 2014). Yanar (2007) évoque à ce propos la question du silence de l’étudiant face aux directives de l’enseignant. Ce silence n’est pas saisi tout le temps correctement par ce dernier. Selon Schön (1985), l’enseignant, par un « diagnostic implicite », comprendrait les difficultés de l’étudiant, mais nous trouvons ceci discutable. En effet, un enseignant pourrait traduire un silence comme étant le résultat de l’écoute par l’étudiant de ce qu’il explique, alors qu’il est possible que l’étudiant soit plutôt en refus de ses suggestions (Yanar, 2007), ce qui conduit soit à l’application à la lettre sans compréhension des consignes (Oh et al., 2013), soit à un blocage de l’étudiant qui nuit à son processus d’apprentissage et, par la même occasion, au processus de design (Sachs, 1999).

La pratique de critiques de groupe dans les projets individuels a un avantage clair en comparaison avec celle de critiques individuelles. Elle permet aux autres étudiants d’assister aux critiques des travaux des autres et d’assimiler leurs erreurs, de recevoir les commentaires de l’enseignant et, par imitation, d’avancer dans leurs propres projets. Oh et al. (2013) indiquent que cette approche tend à encourager les étudiants moins confiants à participer dans les critiques. En effet, les auteurs précisent que les étudiants peuvent être plus actifs dans la discussion à cause du caractère informel de ces critiques et du faible nombre d’étudiants dans le groupe (Oh et al., 2013). Par contre, il n’y a pas de recherches qui attestent si cette participation provient d’une approche pédagogique prédéfinie ou d’une initiative spontanée de la part des étudiants.

Le caractère verbal de la critique est accentué par les changements dans l’environnement de l’atelier, notamment par l’usage des technologies numériques (Oh et al., 2013). En effet, les laptops, comme outils individuels, sont devenus plus fréquents (Dorta et al., 2016), ce qui implique de travailler avec des outils de conception assistée par ordinateur (CAO) (Salman et al., 2014) qui changent ainsi l’écosystème représentationnel utilisé traditionnellement dans l’atelier (Dorta et al., 2016). Nous entendons par écosystème représentationnel l’ensemble des outils de simulation disponibles dans l’atelier (Dorta & Kinayoglu, 2014). Cela comprend les esquisses bidimensionnelles et tridimensionnelles sur papier (élévations, plans, perspectives), les maquettes physiques ou des modèles 3D. Ces représentations accompagnent les gestes et les communications verbales (Visser & Maher, 2011) pour développer les projets. L’usage adéquat de ces outils, selon la phase de design, influence le processus d’apprentissage de l’étudiant (van Dooren et al., 2017). Salman et al. (2014) ont démontré que l’usage de logiciels de CAO par les étudiants a un grand impact sur l’éducation en design et en particulier sur le processus de développement des idées. L’un d’eux, plutôt négatif, est qu’il est plus difficile pour les étudiants de passer d’une idée à une autre en comparaison avec l’usage des sketchs. En effet, les étudiants passent moins de temps à analyser le problème de design et plus de temps à détailler la solution proposée, déviant ainsi du développement du concept vers des actions opératives du logiciel (Salman et al., 2014). Le processus de conception basé sur une itération entre les divergences et les convergences des idées (Dorst & Cross, 2001) se voit alors atrophié en raison de l’environnement des logiciels qui n’est pas assez agile pour l’expression rapide et flexible des idées durant les conversations de design. (Salman et al., 2014). De même, en générant des dessins, l’étudiant communique ses intentions à l’enseignant et aux autres étudiants. Si ses dessins sont produits à l’avance avec la CAO, sans possibilité d’en générer d’autres avec l’enseignant, on tombe dans la fixation. (Salman et al., 2014). Ceci peut causer une frustration dans le cas où les étudiants ou les enseignants ne maitrisent pas très bien ces logiciels (Basa & Şenyapili, 2005). Et si la fixation sur la première idée chez l’étudiant devient plus dominante (Cross, 2001), cela peut le rendre résistant à la réflexion sur les propositions de l’enseignant, ce qui limite prématurément l’espace de design et restreint la nouveauté (Jansson & Smith, 1991). Or la variété des idées générées est considérée comme une composante clé pour trouver des concepts innovants (Dorst & Cross, 2001).

Aux complications que pose l’usage d’outils numériques induisant à une fixation plus présente chez les étudiants s’ajoute un autre problème dans les critiques, celui de l’approche axée sur le développement du projet plus que celle sur le processus de conception (Curry, 2014; Oxman, 2001; van Dooren et al., 2017). D’une part, l’attitude professionnelle des enseignants les oriente vers la pratique (Cross, 2001; Ştefan, 2012) : les échanges spontanés entre un étudiant et son enseignant concernent le produit (Oxman, 2001) et il y a un manque de discussions autour du processus. Il s’agit d’un clivage entre faire du design (développement de projet) et comprendre le design (comprendre les mécanismes du processus de conception) (Findeli, 2001). D’autre part, les enseignants ne « chalengent » pas assez leurs étudiants à faire des raisonnements de haut niveau (Cardoso et al., 2014). Pourtant, toute la dynamique des critiques repose sur la capacité de l’enseignant à impliquer l’étudiant dans la réflexion. La pression du temps, la structure des critiques et l’expérience de l’enseignant pourraient impacter le niveau de réflexion pendant une session de critique. Aussi, puisque la plupart des enseignants sont des praticiens (Goldschmidt et al., 2010), ils sont davantage portés à donner aux étudiants des feedbacks en lien avec des connaissances pratiques basées sur leur expertise professionnelle, sans avoir forcement une pédagogie de la critique (Oh et al., 2013).

2. Le codesign comme stratégie pédagogique dans l’atelier

Nous proposons l’approche codesign comme stratégie pédagogique pour l’apprentissage de la conception. Coconception, design collaboratif ou collectif, design coopératif et design participatif sont des termes proches de celui de codesign et ils sont parfois même utilisés dans le même sens. Nous distinguons toutefois le codesign de ces autres appellations en nous basant sur diverses caractéristiques propres à chacune d’elles. Le codesign est surtout utilisé dans les pratiques professionnelles du design et les disciplines connexes comme le marketing et la gestion d’entreprises. Malgré son importance comme stratégie, peu nombreux sont les chercheurs qui l’ont étudié dans l’environnement des écoles de design (Steen, 2013). Yalman et Yavuzcan (2015), Dorta et al. (2011) et Dorta et al. (2016) figurent parmi ceux qui s’y sont intéressés, mais leurs travaux en sont au stade exploratoire et demandent à être approfondis quant à la pédagogie de l’atelier.

2.1 Le codesign : éléments de définition

Souvent, le codesign est entendu comme une version moderne du design participatif (Steen, 2011). D’une manière générale, l’approche de design participatif concerne la participation de personnes ou d’une communauté à la conception d’un projet qui leur importe avec des designers (Sanders & Stappers, 2008). Tout acte de créativité collective partagée entre deux personnes ou plus est considéré comme une forme de design participatif, selon Sanders & Stappers (2008). Cette acception générale du terme s’applique aussi souvent au design collectif. Dans une perspective qui nous intéresse, l’approche du design participatif est définie par Esnault et al. (2006) comme étant un processus itératif de négociation entre des acteurs hétérogènes. Le principe de négociation est aussi repris par Kvan (2000) : le processus de design collaboratif est un ensemble de négociations, d’accords, de compromis dans le but d’atteindre le succès du processus. Les différences disciplinaires et d’intérêts de ces acteurs influencent alors le processus de conception (Esnault et al., 2006).

Kleinsmann et Valkenburg (2008), de leur côté, décrivent le codesign comme étant un processus dans lequel des acteurs provenant de différentes disciplines partagent leurs connaissances sur le processus de design et sur le contenu du design afin de créer une compréhension partagée des deux aspects et atteindre un objectif commun, à savoir un nouveau produit. Steen les rejoint et ajoute des éléments importants selon nous : le codesign améliore le processus de génération d’idées, le prise de décision, la communication et la créativité (Steen, 2013; Steen et al., 2011). Il relie le codesign aux idées de Dewey et à la théorie de la réflexion-en-action de Schön (Steen, 2013). Il met l’accent sur le fait que le codesign s’aligne avec le pragmatisme de Dewey se focalisant sur les pratiques concrètes des personnes, leurs expériences personnelles et le rôle des connaissances pratiques (Steen, 2013). Il nous semble que dans ce contexte, coconception et codesign sont employés de façon synonymique. Le codesign est aussi assimilé à une technique du design collaboratif sollicitant des participants simultanément dans un processus de cocréation (Gravel, 2014). Cette idée de simultanéité nous parait importante si on la compare avec le caractère asynchrone d’autres processus de conception, dont la coopération (Kvan, 2000). La coopération concerne un travail de groupe dans lequel chacun fait une tâche séparément pour atteindre un objectif commun (Achten, 2002). Cette approche du design n’est pas d’intérêt pour cette recherche, du moment où nous nous intéressons à l’interaction simultanée dans l’environnement de l’atelier.

Le design participatif et le codesign partagent des caractéristiques avantageuses pour l’apprentissage. Schuler et Namioka (1993) en énumèrent quelques-unes : l’amélioration de l’apprentissage et de la communication, la compréhension mutuelle, l’intégration et la combinaison des idées des participants. Cette dernière est liée aux compétences et aux expériences de chacun, lesquelles se dévoilent grâce aux interactions. Moles et Rohmer (1986) les nomment le répertoire, soit un constitutif des savoirs propres à chacun, ce qui rejoint la notion de répertoire de Schön (1985) recherchée dans l’apprentissage de la conception.

Mattelmäki et Sleeswijk Visser (2011) soulèvent la question du pouvoir à donner à tous les participants d’une façon équitable. Maher et al. (1996) reprennent aussi cette idée dans la catégorisation qu’ils ont fait du design collaboratif, à savoir : la collaboration mutuelle, où tous les participants travaillent ensemble; la collaboration exclusive, dans laquelle les participants travaillent séparément (la coopération, selon Kvan [2000]); la collaboration du dictateur, où les participants décident qui guide le processus. Kvan (2000) mentionne que la collaboration est plus compliquée que la simple participation d’un groupe d’individus. Elle demande une plus grande synchronisation du travail et il ne suffit pas d’apporter des logiciels et du matériel (hardware) pour créer l’environnement adéquat pour collaborer (Kvan, 2000). La communication joue un rôle déterminant pour cette synchronisation et l’évolution des représentations mentales de chacun (Darses, 2006).

De notre côté, nous définissions le codesign comme étant un processus de design collaboratif comprenant des caractéristiques particulières. En effet, il exige une collaboration mutuelle, dans laquelle un groupe travaille ensemble, simultanément, pour atteindre un objectif commun. Il ne prend lieu que lorsque tous les participants sont activement impliqués. La génération des idées s’effectue ensemble à travers un échange spontané où les idées se bâtissent les unes sur les autres, se complètent, se négocient et s’accomplissent par un accord en commun (Boudhraâ et al., 2019).

2.2 L’apport du codesign dans la pédagogie en atelier

Dans un contexte d’apprentissage, le codesign devient une collaboration étroite entre l’enseignant et ses étudiants. Comment cette approche influence-t-elle alors la pédagogie en l’atelier, comment change-t-elle la situation d’apprentissage? À la différence d’un atelier traditionnel, l’enseignant n’est plus une figure d’autorité, un « juge » ou un « expert-évaluateur » qui voit le travail de l’étudiant – déjà fait – et le commente dans une instruction formelle ou informelle. Il fait le design avec l’étudiant dans un processus collaboratif simultané.

L’enseignant est un expert du processus de conception, il est souvent un praticien lui-même (Curry, 2014). Son apport émane du fait que le design est un processus social (Bucciarelli, 1988). Nous pensons qu’enseigner le design est équivalent à faire du design. Dans cette perspective, l’apprentissage de la conception est un processus social, tout comme l’activité de design. Dans l’atelier, cette opération socialement interactive encourage – ce qui pourrait paraitre arbitraire – la situation parfaite de ce qu’appelle Schön la « réflexion-en-action » (Wang, 2010).

Deux éléments clés sont importants dans cet apprentissage : les discussions de design et les représentations physiques. Les premières ont maintes fois été abordées par plusieurs chercheurs, sous des angles différents (Baudrit, 2007; Goldschmidt et al., 2010; Oxman, 2001; Schön, 1985). Selon Jonson (2005), la communication verbale est le premier outil d’explicitation des idées, venant même avant les représentations visuelles. Elle a un caractère fonctionnel dans le partage des intentions et la compréhension mutuelle dans une activité collective (Darse, 1997).

Les représentations physiques (dessins, maquettes etc.) sont quant à elles considérées comme des outils de communications cruciaux pour l’activité de design (Visser, 2010), mais elles le sont plus particulièrement pour le processus d’apprentissage (Dorta et al., 2016; Ferreira et al., 2014). En effet, l’atelier se caractérise par une communication rapide (Valkenburg, 2001) dans laquelle se confondent et vont de pair des représentations matérielles (physiques) avec des représentations verbales (van Dooren et al., 2017). Une tolérance à l’incertitude et à l’ambigüité est nécessaire pour cette interaction sociale prenant la forme d’une collaboration (Wang, 2010). Les communications verbales et les représentations physiques sont toutes deux interdépendantes et complémentaires dans un processus de translation itérative (Tomes et al., 1998), servant ainsi la situation d’apprentissage.

Nous pensons, tout comme Dinham (1989), qu’il est important que l’enseignant s’attarde à cultiver un environnement adéquat. L’atelier devient alors un laboratoire d’expérimentations (van Dooren et al., 2014) dans lequel les étudiants et l’enseignant pensent tout haut, négocient et s’expriment à travers un écosystème représentationnel composé d’outils diversifiés et supportant la communication verbale. Étant donné qu’à la base de chaque processus de design il y a des problèmes mal définis (Rittel & Webber, 1973), la clé pour dénouer ces problèmes devrait se baser sur la négociation (Jin & Lu, 2004). En négociation, les étudiants et l’enseignant définissent et redéfinissent le problème. Dans cet aller-retour entre la négociation et la redéfinition du problème en vue de trouver une solution potentielle – la coévolution du problème et la solution, selon Dorst et Cross (2001) –, un apprentissage effectif se produit.

3. Méthodologie

Cette étude fait partie d’une recherche plus large. Elle vise d’une part l’exploration des caractéristiques de la stratégie de codesign en atelier dans une approche comparative par rapport à la critique traditionnelle de projet, et ce, selon la perception et l’expérience vécue des étudiants eux-mêmes. D’autre part, nous entendons dégager quelques impacts pédagogiques de cette approche. Notre méthodologie s’inspire des recherches ethnographiques, puisque nous avons fait une immersion totale, à travers des observations prolongées de la phase de génération de concepts (4 semaines à raison de 12 heures par semaine) dans le contexte naturel de l’atelier. Ensuite, des entrevues rétrospectives (Boulée, 2011) ont été réalisées auprès d’étudiants afin de saisir leur expérience vécue. Nous nous sommes intéressés à la compréhension des interactions, des façons de penser et de réagir des étudiants ainsi qu’aux situations d’apprentissage ayant émergées.

3.1 Cadre de l’expérience

L’atelier de projet ayant servi pour la recherche était celui offert à des étudiants de 3e année en design industriel dans un programme régulier universitaire. Quatorze étudiants étaient inscrits dans cet atelier de 15 semaines. Le projet en question traitait de la problématique de la recharge des véhicules électriques. Une des spécificités de cet atelier était l’usage du Hyve-3D (Dorta & Kinayoglu, 2014), qui est un système de réalité virtuelle sociale pour supporter le codesign colocalisé ou à distance. Le Hyve-3D permet de dessiner en 3D à plusieurs, simultanément, et d’intégrer des photogrammétries ou des modèles 3D pour enrichir le contexte de conception (Beaudry-Marchand et al., 2018). L’usage du système est intuitif, mais les étudiants ont eu des sessions de pratiques pour se familiariser avec le logiciel.

L’atelier était composé de trois phases :

  1. Phase de recherche contextuelle. Elle vise à relever et à examiner l’existant dans le domaine et à trouver les problèmes techniques concernant le sujet du projet. Ainsi, tous les étudiants font cette recherche individuellement et la présentent à tout le groupe. Cette phase s’achève par le développement d’une liste de critères du design qui alimentera la conception (quatre semaines).

  2. Phase de co-idéation. Cette phase nous semble la plus importante, car elle comprend le processus de génération des idées. Elle consiste en un travail itératif de co-idéation avec chaque étudiant. À cette étape, des sessions de critiques ont lieu avec l’enseignant, des collaborateurs (professionnels, experts) et un binôme – deux étudiants sont jumelés et chacun assiste et participe aux développements du concept de l’autre. Chaque étudiant est amené à travailler avec des représentations graphiques développées dans le Hyve-3D (Dorta et al., 2015), ou bien sur du papier, à développer des photogrammétries du contexte de son projet, ainsi qu’à échanger régulièrement avec l’enseignant, l’étudiant avec qui il est en binôme ou encore les autres étudiants de sa classe. Elle s’achève par la présentation de trois concepts en vue de n’en choisir qu’un (quatre semaines).

  3. Phase de développement du concept final : Il s’agit de développer davantage, par des représentations plus détaillées, des prototypes et des modèles 3D. Les étudiants continuent à être en binômes et à consulter les collaborateurs pendant les séances de critiques de projet (quatre semaines).

Nous nous sommes intéressés en particulier à la phase de co-idéation, puisque c’est là que les idées sont générées, négociées et que des prises de décisions ont lieu.

Les séances de co-idéation organisées par l’enseignant se divisaient en deux parties d’une vingtaine de minutes chacune. Chaque semaine, chaque étudiant était convoqué à une séance dans le Hyve-3D, en collaboration localisée, soit avec l’enseignant et son binôme, et en collaboration à distance, avec les collaborateurs interconnectés (voir Figure 1), et à une séance en salle d’atelier, dans la configuration traditionnelle (tables, papiers et crayons) avec l’enseignant et le binôme (voir Figure 2). Durant le projet, même si les séances de critiques étaient en codesign, chaque étudiant devait générer des idées avant les rencontres en vue d’amener des points et des éléments de discussion. Au début, de mini-exercices de collaboration (coopération et codesign) ont été proposés aux étudiants pour les initier à l’approche de codesign.

Figure 1

Séance de co-idéation dans le Hyve-3D en collaboration localisée (à gauche) et à distance (à droite).

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Figure 2

Séance de co-idéation en salle d’atelier.

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3.2 Méthodes de collecte de données

Les données de cette recherche ont été obtenues de trois manières distinctes : des enregistrements audiovidéos, des observations directes et des entrevues individuelles. Tout d’abord, pendant les quatre semaines de la phase de co-idéation (deux jours par semaine), nous avons enregistré en audiovidéo tous les échanges entre l’enseignant, les étudiants et les collaborateurs. Les enregistrements vidéo, lors de la collecte des données ont été réalisés de deux façon, selon l’environnement où les critiques de projets se déroulaient : 1) en salle : l’enregistrement est fait par un ordinateur portable où l’écran est légèrement baissé, pour enregistrer la feuille de dessin sur laquelle les étudiants et l’enseignant travaillaient, montrant leurs mains et sans montrer leurs visages; 2) dans l’environnement du Hyve-3D, les enregistrements ont été réalisés avec des caméras IP installées et dirigées vers les personnes présentes, ainsi qu’à travers une capture de l’écran immersif que procure le Hyve-3D. Nous avons également fait des observations directes non participantes (shadowing) lors de toutes ces séances. Une chercheuse a en effet assisté à l’ensemble de celles-ci, prenant des notes sur les échanges se déroulant dans la salle traditionnelle de l’atelier ainsi que dans le Hyve-3D.

Environ un mois après la fin de l’atelier, nous avons mené des entrevues rétrospectives auprès des dix étudiants qui ont accepté de participer à l’étude. Une chercheuse a mené les entrevues et elle était accompagnée d’un observateur qui prenait des notes. Toutes les entrevues ont aussi été enregistrées en audiovidéo.

Les entrevues, dont la durée totale variait entre 1 h et 1 h 30, se divisaient en trois grandes sections :

  • Une section générale sur l’approche de codesign où les étudiants de 3e année donnaient leur impression sur cette méthode et pouvaient la comparer à celle de l’atelier traditionnel, puisqu’ils avaient expérimenté les deux formules.

  • Une section portant sur la génération d’idées, l’émergence des problèmes et des solutions ainsi que les moments de négociation qui aboutissent à des prises de décisions.

  • Une section comparative entre les sessions de codesign dans le Hyve-3D et celles dans la salle traditionnelle, avec un retour sur l’approche codesign d’une manière générale.

En ce qui a trait à la deuxième section, les entrevues se sont déroulées par autoconfrontation. Nous avions ainsi sélectionné et préparé deux vidéos – une d’extraits des enregistrements dans le Hyve-3D (Beaudry-Marchand et al., 2017) et l’autre d’extraits dans la salle d’atelier – pour chaque étudiant et nous lui demandions de rapporter ce qu’il avait pensé lors des moments qu’il visionnait. Le choix des séquences de vidéos s’était fait selon deux conditions. Après avoir vu l’ensemble des enregistrements vidéos pour un étudiant, nous sélectionnions les passages qui contenaient l’émergence des trois concepts finaux, puisque le contexte global de la recherche s’intéresse à suivre l’évolution des concepts le long du projet, et ceux qui comportaient des échanges substantiels entre l’enseignant, l’étudiant, son binôme et les collaborateurs.

Les moments clés ont été distingués en nous basant sur les idées générées et proposées, sur leur coconstruction, les questions posées, les moments d’explications ou de négociation d’une idée et toute autre action marquante de la part des participants, que ce soit des actions pédagogiques ou des réactions, des réponses de la part des étudiants (accords, désaccords, etc.). Certains moments de silences des étudiants ont aussi été considérés comme des moments clés afin de faire ressortir des blocages, des fixations, des réflexions, etc.).

Chaque vidéo durait 20 minutes, donc chaque étudiant a visualisé une quarantaine de minutes d’enregistrement au cours de cette partie de l’entrevue.

L’intervention spontanée de l’étudiant était encouragée, donc s’il se souvenait d’un vécu, d’un ressenti ou voulait intervenir, il pouvait demander que l’on arrête la vidéo pour commenter un moment. L’objectif était de recueillir le plus possible son expérience vécue, ses perceptions et d’avoir des réponses formulées dans ses propres termes.

Les questions posées étaient ouvertes, évitant au maximum d’influencer la réponse de l’étudiant. La chercheuse devait avoir la capacité de reformuler des questions et d’improviser pour obtenir des réponses plus détaillées lorsque l’occasion se présentait ou lorsque le participant évoquait une situation spontanément. Mentionnons enfin qu’une première entrevue pilote avait été conduite afin d’améliorer la qualité de celles qui allaient suivre.

Figure 3

Déroulement de l’entrevue en autoconfrontation dans le Hyve-3D.

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3.3 Analyse des données

Dans un premier temps, nous avons fait une synthèse des observations non participantes faites par la chercheuse. L’ensemble est un texte résumant le déroulement global des sessions de critiques en codesign dans la salle et dans le Hyve-3D. Il y est notamment question :

  • des interactions et de la qualité des échanges;

  • de la participation des étudiants, des collaborateurs ainsi que de l’enseignant en termes de contribution dans le processus de design;

  • de l’usage des différents outils à disposition;

  • de l’évaluation des rendus par l’enseignant ainsi que de l’évolution des étudiants tout au long du projet.

La chercheuse se focalisait aussi sur les moments où un évènement, une réaction (par exemple un désaccord, un roulement sur une idée, etc.) survenait, ou même un long silence se produisait. Cela avait un but exploratoire.

Dans un deuxième temps, la chercheuse a effectué un codage textuel des transcriptions des entrevues. Le schème de codage a été inspiré des trois stages de la méthode d’analyse de Miles et Huberman (1984) décrits dans Appleton (1995) :

  1. La sélection de phrases qui définissent, caractérisent ou déterminent une thématique particulière (la génération d’idées, l’usage du Hyve-3D, le dessin, le contexte, l’ambiance dans l’atelier, les échanges verbaux, etc.).

  2. La simplification et la réduction des données en mettant des étiquettes sur un ensemble de termes clés déterminant un même champ lexical et d’une compréhension similaire du sens, selon le contexte et la réponse à la question dans l’entrevue (voir Tableau 1). Les étiquettes peuvent également regrouper leurs antonymes. Ainsi, sous Compétition, on pourrait trouver les termes complémentarité ou collaboration.

Tableau 1

Exemples d’étiquettes ainsi que des phrases, locutions et mots-clés ayant été classés dans chacune d’elles

Exemples d’étiquettes ainsi que des phrases, locutions et mots-clés ayant été classés dans chacune d’elles

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  1. La catégorisation des étiquettes pour créer des ensembles d’aspects de l’atelier, que cela soit sur les dynamiques des groupes, sur l’avancement du processus du design, sur les outils de représentation, etc.

Certaines données ont gardé leurs formes textuelles alors que d’autres ont été transformées en représentations graphiques de variables qualitatives ordinales afin de mieux visualiser les résultats.

4. Résultats

Les résultats portent sur les différentes caractéristiques de l’approche de codesign telles qu’elles ont été relevées par des étudiants en ayant fait l’expérience. Ils montrent les principaux changements dans les échanges enseignant-étudiants et la dynamique de groupe par rapport à la méthode d’enseignement de l’atelier traditionnel. Quelques impacts perçus de cette approche apparaissent ainsi que les différences notables entre les séances dans le Hyve-3D et celles ayant lieu dans la salle d’atelier. Enfin, nous avons élaboré une comparaison entre l’atelier de projet en codesign et l’atelier de critique traditionnelle.

4.1 L’atelier de projet en codesign : transformations et apprentissages

À la suite des entrevues, nous avons pu dégager des éléments récurrents décrits par les étudiants à propos de cette approche. Le Tableau 2 énumère les principaux éléments que nous avons classés en trois catégories : 1) les échanges enseignant-étudiants; 2) la dynamique du groupe; 3) le ressenti général. Notons que les exemples cités ne sont qu’à titre indicatif et non exclusifs.

Sur le plan des échanges avec l’enseignant, les étudiants ont confirmé que le travail était constamment collaboratif au lieu d’être une présentation et une évaluation. Les interactions étaient plus libres et il y avait moins de hiérarchie entre l’enseignant les étudiants, même si celle-ci demeure toujours. Toutes les idées étaient les bienvenues à discuter et les étudiants ont fini par comprendre qu’il s’agit d’un processus où l’on coconstruit les concepts en réfléchissant à voix haute. Une autre caractéristique de ces échanges a consisté à s’habituer à écouter les uns les autres, donnant ainsi le temps de bien cibler et formuler ce que l’on pense.

La dynamique de groupe se distingue par trois grands faits. Le premier est la prise de conscience de l’ensemble des projets. À force d’être amenés à s’écouter, à assister aux présentations des livrables et à échanger entre eux à l’atelier, les étudiants ont pu absorber et comprendre tous les projets des autres, ce qui a été décrit par eux comme une situation enrichissante et formatrice. Le second est la compétition quasi absente, ou plus saine si existante. Les étudiants ont ainsi fait état du plaisir de partager les idées, les situations problématiques et de s’entraider; ils ne se considéraient pas ou peu en compétition par rapport aux autres. Dans ces conditions, neuf étudiants sur dix ont affirmé avoir éprouvé moins de stress que lors d’ateliers précédemment suivis où la critique traditionnelle était à la base de l’enseignement. Le troisième est l’autocensure des idées qui est remplacée par une confiance de s’exprimer au lieu de se taire. En s’exprimant plus facilement, les étudiants ont pu pondre plus rapidement des idées : « je pense que j’ai appris à développer des idées supers, rapidement » (commentaire issu de l’entrevue avec l’étudiante Athéna)[1] et les pousser davantage :

À travers le Hyve-3D ou même sans, l’idée de fonctionner, comme telle, pour moi, c’est une façon d’aller foot forward, par ce qu’elle est plus exigeante, je trouve, en termes du niveau de l’intervention avec le professeur et les gens qui font ce travail, parce que c’est collaboratif. Mais le travail est plus efficace, de meilleure qualité, il mène plus à des véritables résultats de la vraie vie, que de parler des pratiques à vide comme on était corrigés une fois par quelques séances comme en critiques traditionnelles

commentaire issu de l’entrevue avec l’étudiant Alexis

Nous avons également examiné la contribution de l’étudiant en binôme, des autres étudiants et des collaborateurs au projet de chacun (voir Figure 4). Sept étudiants sur dix ont confirmé que l’apport de leur binôme était visible, que cela soit en raison des idées qu’il proposait ou de l’aide apportée pour la compréhension des situations-problèmes. Ce qui était imprévisible était la contribution des autres étudiants dans son ensemble, mais sept personnes sur dix ont aussi affirmé qu’ils avaient contribué d’une manière ou d’une autre à faire avancer leur projet. Pour ce qui est des collaborateurs, sept étudiants ont souligné leur apport technique et leur rôle important lors de l’évaluation des idées. La moitié (5/10) a mentionné que les collaborateurs ont proposé des idées tandis que seulement deux étudiants ont trouvé qu’ils n’avaient rien fait ou n’avaient rien proposé d’intéressant pour les aider.

Tableau 2

Ambiance, environnement générés par l’atelier de codesign

Ambiance, environnement générés par l’atelier de codesign

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4.2 Comparaison entre le codesign dans le Hyve-3D et le codesign dans la salle d’atelier

Nous avons regroupé sous trois grandes catégories les composantes dégagées des entrevues comparant les sessions de codesign dans le Hyve-3D à celles ayant lieu en salle traditionnelle. Ces catégories concernent l’avancement du processus de design, les représentations et la visualisation du projet et l’environnement d’échange entre l’étudiant et les autres participants.

Figure 4

Contribution des autres participants au projet de chaque étudiant

Contribution des autres participants au projet de chaque étudiant

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À la Figure 5 (partie a), nous remarquons que six des dix étudiants ont trouvé qu’on génère plus d’idées dans le Hyve-3D qu’en salle d’atelier. La moitié des étudiants pense que l’émergence des problèmes de design est équivalente dans les deux situations alors que l’autre moitié croit qu’elle est plus marquée dans le Hyve-3D. Huit étudiants ont considéré que l’évaluation des idées se fait mieux dans le Hyve-3D.

Figure 5

Codesign dans le Hyve-3D comparé au codesign dans la salle d’atelier

Codesign dans le Hyve-3D comparé au codesign dans la salle d’atelier

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Par ailleurs, quatre personnes sur dix ont affirmé qu’il leur a été plus difficile de dessiner dans le Hyve-3D (voir Figure 5, partie b); trois étudiants n’y ont pas vu de différence et deux ont trouvé cela plus difficile à faire dans la salle d’atelier. En contrepartie, tous les étudiants ont préféré les séances dans le Hyve-3D à celles en salle d’atelier pour la pertinence du contexte représenté et l’immersion.

Pour ce qui est de l’environnement de l’atelier de codesign, quatre étudiants ont dit avoir ressenti plus de stress dans la salle d’atelier que dans le Hyve3D, mais quatre autres n’ont pas fourni d’informations à ce sujet. Ce stress est notamment dû au fait qu’ils mettent plus de temps à expliquer le contexte de leur concept, à créer une image cohérente avec l’ensemble des participants et qu’ils tentent des fois de représenter le contexte graphiquement et de dessiner leurs idées rapidement. La disposition assise à table lors des séances en salle semble pour sa part rappeler l’ancienne critique traditionnelle et remet les étudiants dans la situation d’évaluation de leurs travaux, ce qui leur cause du stress. La qualité des échanges verbaux est quant à elle considérée comme équivalente dans les deux environnements par six des dix étudiants. Les quatre autres pensent que le Hyve-3D favorise mieux les échanges verbaux. Comme il s’agit d’une position debout dans ce système, ils trouvent que c’est plus facile en bougeant et en faisant des gestes pour accompagner la parole. Enfin, la hiérarchie n’a pas disparu complètement. Toutefois, elle est un peu plus ressentie dans la salle d’atelier que dans l’environnement du Hyve-3D.

4.3 Comparaison entre l’atelier de codesign et l’atelier de critique traditionnelle

Tous les étudiants interviewés ont eu au moins six ateliers de projets au cours de leur programme, certains ayant même cumulé 60 semaines à raison de 12 heures par semaine. Ils sont donc en mesure d’évaluer et de comparer la méthode de codesign avec celle de la critique traditionnelle. Le tableau 3 regroupe les principaux éléments mentionnés par les étudiants en trois catégories : la structure de l’atelier, le processus suivi et les rôles de l’enseignant.

La structure comporte les phases globales du projet. Celles-ci sont quasiment les seules ressemblances existantes entre les deux formes d’ateliers quant à cet aspect. La configuration spatiale en salle d’atelier de codesign se caractérise par un mode de travail en équipe ; de grandes feuilles fournies par l’enseignant sont le support du travail et tout le monde peut intervenir et dessiner dessus. Or en atelier traditionnel, la structure d’enseignement consiste en une « desk-crit » : un passage rapide au bureau de l’enseignant à tour de rôle. Les étudiants travaillent individuellement, et quand il s’agit de travail de groupe, c’est souvent ponctuel et sans la présence de l’enseignant. Les livrables y sont aussi beaucoup plus exigeants, avec des représentations détaillées dès le début du processus, que les étudiants finissent par abandonner en cours du projet.

Tableau 3

Comparatifs entre l’atelier de codesign et l’atelier de critique traditionnelle

Comparatifs entre l’atelier de codesign et l’atelier de critique traditionnelle

Tableau 3 (continuation)

Comparatifs entre l’atelier de codesign et l’atelier de critique traditionnelle

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Le processus en codesign est caractérisé par un suivi régulier des étudiants et pour de longues durées (20 minutes par étudiant), alors qu’en atelier de critique traditionnelle les étudiants ont dix minutes au maximum par rencontre. La génération d’idées est collaborative et transformative en formule codesign, tandis qu’elle est individuelle en critique traditionnelle elle. Le déroulement du projet est axé sur la réflexion sur les problèmes-solutions en amont en coévolution, contrairement à la critique traditionnelle qui est plus axée sur la productivité des livrables (des planches bien présentées, axées sur la forme du produit). L’avancement sur le projet se déroule pendant et entre les sessions de codesign, et seulement entre les sessions dans les critiques traditionnelles. Les critiques sont basées sur la coconstruction des concepts dans une approche inclusive. Or, dans les ateliers traditionnels, l’approche est de validation ou d’invalidation (« approche paternaliste »).

Les rôles de l’enseignant en codesign prennent de multiples formes. Comme indiqué au Tableau 3, l’enseignant est manager/modérateur des équipes en collaboration. Il est le designer-expert qui génère des idées avec les étudiants et les collaborateurs. Il est le « chalengeur » qui lance des défis de réflexion et pousse les étudiants à faire des actions in situ. Il est aussi le consultant faisant des démonstrations et donnant des consignes pour ancrer le concept dans la réalité.

Conclusion

Le codesign comme approche pédagogique nouvelle basée d’une part sur des outils innovants, dont l’écosystème représentationnel System X, et d’autre part sur de nouveaux rôles pour l’enseignant montre un grand potentiel pour redéfinir le profil du futur designer. Les étudiants ont relevé plusieurs avantages de cette approche qui, dans une pédagogie centrée sur l’apprenant, les met au premier plan. Les rôles de l’enseignant dans l’approche codesign, à savoir de manager, de consultant, de designer-expert et de « chalengeur », ont été apprécié par les étudiants et leurs impacts sur leurs apprentissages ont été supérieurs à ceux mentionnés pour la méthode de critique traditionnelle.

Par sa structure et son processus différents, l’atelier en codesign a remodelé la façon de penser et de faire des étudiants. Celle-ci est devenue plus collaborative, moins compétitive, les encourageant à s’entraider. Ils ont appris à réfléchir à haute voix, sans blocage ni crainte du refus. Ils ont désormais plus confiance que le rôle de l’enseignant est de les aider, de les supporter et de les pousser à avancer dans leurs projets. Sortir de leur zone de confort et faire du design devant et avec l’enseignant leur ont dévoilé les mécanismes d’idéation de ce dernier. Ils ont appris à générer des idées et à bâtir sur les idées des autres dans un exercice basé sur l’improvisation et l’exigence de penser ensemble. Ainsi, cette approche s’oppose à l’approche traditionnelle de la critique basée sur l’essai et l’erreur.

Le stress des présentations pendant les critiques traditionnelles s’est transformé en une expérience de partage et de coconstruction des concepts et l’accumulation de connaissances, que ce soit par rapport à leur propre projet ou à ceux des autres étudiants. Certains étudiants ont même utilisé cette « façon de faire de réfléchir et construire ensemble des concepts » (issu de l’entrevue avec l’étudiante Sandra) avec d’autres camarades en dehors de l’atelier, reconnaissant ainsi sa valeur et étant conscients des résultats qu’elle peut procurer.

Cette étude a deux limites. La première est le fait que les étudiants ne sont pas habitués à utiliser le Hyve-3D. Même s’ils ont eu des séances de pratique, cela ne peut pas être aussi spontané et intuitif que le crayon et le papier. La deuxième est que nous avons étudié cette approche avec un seul enseignant, sachant que la pédagogie de l’atelier dépend amplement de la capacité de l’enseignant. Il aurait fallu faire la même expérience avec plusieurs enseignants et croiser les données. Ceci sera parmi nos futurs travaux dans ce contexte de recherche.