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Introduction

Une précédente note de recherche (Maltais et al., 2021) proposait un résumé du document de consultation publié à l’automne 2020 par le scientifique en chef concernant l’université québécoise du futur. Le 19 février 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur, madame Danielle McCann (Ministère de l’Enseignement supérieur [MES], 2021a), et le scientifique en chef du Québec, le professeur Rémi Quirion, ont conjointement présenté la version finale du document sur l’université québécoise du futur (Quirion, 2021).

Ce document « complet et pertinent » servira à donner « un nouvel élan au réseau des universités du Québec », selon les mots mêmes de la ministre qui a mandaté un comité-conseil, présidé par son adjointe parlementaire, madame Émilie Foster, pour assurer le suivi des recommandations qui « couvrent un large spectre d’intérêts et de défis, allant, notamment, du financement à l’accessibilité, en passant par l’intégration du numérique ainsi que la liberté académique et la réussite universitaire » (MES, 2021a).

On a d’ailleurs pu constater un premier suivi public important de leurs travaux avec la mise sur pied du Comité d’experts sur la reconnaissance de la liberté académique (MES, 2021b). De plus, certaines annonces de réinvestissement ont été faites par le ministre Girard au budget 2021-2022 du Québec (Ministère des Finances, 2021).

Étant donné qu’il semble que ce rapport servira de socle de réflexion pour des décisions du gouvernement (concernant principalement le financement) et du ministère de l’Enseignement supérieur (MES) à moyen et long terme, nous avons jugé pertinent de revenir sur ces textes, qui ont évolué de manière importante au cours des derniers mois, afin d’en analyser la portée. En effet, ces textes ont été le résultat de consensus et de compromis, quelquefois importants, si bien que les choix fondamentaux qui sont maintenant documentés font l’impasse sur d’autres orientations possibles. Pour comprendre l’agenda gouvernemental par effet de contraste, nous reviendrons sur certaines de ces voies écartées.

Nous proposons ici un début de réflexion quant aux impacts possibles que pourraient avoir les principales propositions du document. Ainsi, l’université québécoise du futur ouvrirait un dialogue plus large entre les membres des communautés universitaire et collégiale et les instances communautaires et décisionnelles québécoises, ce qui de l’avis même des auteurs du rapport n’a pas eu lieu depuis très longtemps, soit la fin des années quatre-vingt. Nous considérons que ce document, en raison de sa nature consensuelle, donne au MES la légitimité de proposer des voies d’actions aux établissements d’enseignement supérieur et de préserver la place de l’enseignement supérieur dans les priorités gouvernementales postCOVID-19.

1. Des enjeux, des pistes d’action et enfin des recommandations

En 2018, tout au début des travaux qui ont permis de produire le rapport sur l’université québécoise du futur, des problèmes récurrents et structurels d’orientation et de financement des universités ont donné lieu à toute une série de réflexions sur l’avenir de la recherche et plus généralement des activités universitaires au Québec. Cette démarche discursive a abouti dans la tenue du colloque L’université du XXIe siècle : enjeux, défis et prospectives (qui s’est tenu les 29 et 30 mai 2019 dans le cadre du 87e Congrès de l’ACFAS), d’où ont émané trois grands enjeux téléologiques (Pérusse et al., 2020). Ces enjeux, comme nous le verrons un peu plus loin, ont servi de base aux dégagements d’une quarantaine de grandes pistes d’action et à l’élaboration subséquente d’une douzaine de recommandations pour le MES, le gouvernement en général, les universités et les différents groupes qui les composent, et enfin pour toute la société.

Ce document sur l’université québécoise du futur, après une brève présentation des différentes itérations et délibérations qui ont jalonné son écriture, formule des constats et propose des choix qui ont connu un large consensus durant les dernières journées délibératives et qui ont reçu un accueil favorable de la part du MES.

Avec ce document c’est donc une nouvelle étape dans la poursuite d’une dynamique de changement ou d’évolution, selon les points de vue, supportés par l’État, pour continuer la réflexion et élaborer de manière continue des propositions sur l’analyse et le devenir de l’enseignement supérieur au Québec.

2. Des recommandations

Pour mieux les mettre en contexte et les comprendre, nous avons regroupé les 12 recommandations en quatre sections selon leurs finalités. Les quatre premières recommandations veulent « assurer les conditions de base de fonctionnement de l’université québécoise du futur » (Quirion, 2021, p. 10). On s’attarde ici au financement nécessaire et stable (recommandation 1), à une représentation équitable (selon les axes actuels sur l’équité, la diversité et l’intégration – EDI) des différents groupes constitutifs de l’université (recommandation 2), à la liberté académique et son corolaire, l’autonomie universitaire (recommandation 3) et enfin la mise en place d’un lieu ou d’une instance « indépendante » qui recueille, dépose et publie les données sur le secteur universitaire (recommandation 4).

Les quatre recommandations suivantes découlent directement des premiers enjeux identifiés en 2018. Premièrement, les auteurs du rapport insistent sur l’importance stratégique de la réussite des collaborations et des synergies interordres (collégial et universitaire) (recommandation 5). Ensuite, la recommandation 6, qui est vue par la majorité des intervenants comme la plus audacieuse et ambitieuse, porte sur la réussite des collaborations et des synergies interdisciplinaires et intersectorielles à l’intérieur de l’ordre universitaire. L’implantation de cette recommandation aurait des impacts majeurs sur la nature même de l’organisation universitaire, sur son financement ainsi que sur les liens avec la société civile. Les deux recommandations suivantes sont inspirées des valeurs d’accessibilité. Ce sont les recommandations sur l’accroissement de la fréquentation universitaire aux trois cycles (recommandation 7) et sur l’accroissement de la réussite scolaire et de la diplomation aux trois cycles universitaires (recommandation 8).

Les trois grandes recommandations tirent leurs origines du regard critique que les intervenants ont posé sur l’université actuelle tout en voulant proposer ou même fixer des balises pour l’avenir. Il s’agit ici du rôle central des universités en matière d’innovations sociales, technologiques, pédagogiques et organisationnelles (recommandation 9); d’une volonté de collaboration société/université amplifiée et adaptée aux besoins en constante évolution (recommandation 10); et d’une réaffirmation de l’ouverture au monde autour du thème de l’université québécoise comme citoyenne du monde à part entière (recommandation 12).

Enfin, la recommandation 11 traite de la mise en place âprement discutée d’un mécanisme permanent de liaison université-société, qu’on peut toujours mettre en lien avec les recommandations 4 et 10.

3. Éléments de contrastes des visions de l’université du futur

Comme on peut le constater, une vision du présent, du proche avenir et du futur de l’université québécoise émerge de ces travaux. Pour mieux la circonscrire, nous proposons de mettre en contraste quelques-unes des autres visions qui ont été discutées ou évoquées au cours des derniers mois.

Le rapport prône une université de service public accessible et axé sur le bien commun contrairement aux propositions d’autres modèles d’universités. Parmi ceux-ci on peut citer le modèle des universités privées à but lucratif comme l’Acsenda School of Management de Vancouver[1] qui se présente comme une solution à l’endémique sous-financement universitaire. D’un autre côté, il y a la tentation toujours présente au Québec dans certaines universités de revenir à un modèle d’université très sélective et élitiste, à l’exemple de la CentraleSupelec de l’Université Paris-Saclay. Leurs dirigeants affirment avec fierté être très axés sur le palmarès de Shanghai, car ils veulent continuer de définir leur rôle comme celui d’un pôle d’excellence mondial, avec une visibilité leur permettant d’attirer les meilleurs éléments d’une tranche d’âge : « Être les meilleurs de la nation et parmi les meilleurs à l’extérieur de la nation »[2].

On doit souligner ici que le rapport refuse d’établir une hiérarchie ou une classification entre les universités. En effet, les auteurs soulignent la diversité des établissements comme une source de richesse. Ainsi, ils récusent les plaidoyers de certains mémoires reçus demandant des « statuts spéciaux » pour les « trois grandes universités urbaines de recherche » comparativement aux « autres » selon un expert présent lors des délibérations.

En s’appuyant sur la nécessaire diversité des établissements québécois ainsi que sur le principe d’autonomie, le rapport prend le contrepied des propositions d’organisations inspirées du processus de Bologne en Europe[3]. Le rapport, tout en reconnaissant certaines avancées et qualités du processus de Bologne lui-même, surtout sur le plan de la mobilité étudiante, ne souscrit pas au modèle de standardisation centralisé sous-jacent à l’ensemble du processus.

Nous avons remarqué que le rapport considère le numérique essentiellement comme un outil au service des autres finalités de l’enseignement supérieur. Selon le MES toutefois, il sera probablement nécessaire, surtout en contexte postpandémie, de considérer l’apport du numérique dans l’accessibilité à l’enseignement supérieur.

Conclusion

Depuis la fin des années soixante, plusieurs rapports et textes se sont intéressés à l’avenir des universités au Québec (Hurtubise, 1973). Les récentes décisions prises par le gouvernement et les travaux qui se poursuivent (Le courrier parlementaire / L’actualité gouvernementale, 2021) laissent présager que les premiers grands consensus guideront le développement de ce que les auteurs appellent « la nouvelle université québécoise » reposant sur un dialogue renouvelé, dynamique et constant.

Rappelons que le gouvernement et les communautés de l’enseignement supérieur ont à leur disposition les informations, les données, la motivation et les ressources nécessaires à l’implantation de changements dans les politiques et programmes déjà en place.

Sans doute inspirée d’Héraclite, une dynamique de changement continue, consciente et formellement voulue par le gouvernement et une grande partie de la communauté universitaire semble donc se mettre en place. Nous saluons, en tant qu’universitaires nous-même, l’implantation d’organismes et de mécanismes qui visent à entretenir des discussions et une nécessaire collaboration pour l’avenir de nos institutions, réclamée par une majorité d’intervenants depuis le Sommet sur l’enseignement supérieur de 2013.