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Des millions de personnes subissent actuellement les impacts des changements climatiques. Confrontées à des inondations par exemple, les collectivités affectées doivent trouver des solutions pour diminuer les risques encourus pour leurs familles, leur santé et leurs biens. Diverses organisations les accompagnent dans la résolution des problèmes qui les affligent, afin de les aider à retrouver une qualité de vie et un environnement sain. Toutefois, il arrive trop souvent que ces intervenants externes comprennent peu le vécu, le contexte ou les contraintes culturelles et matérielles des victimes, ce qui compromet l’atteinte des objectifs poursuivis. Comment cet écueil peut-il être surmonté pour que l’apport de ces intervenants, ressources cruciales en temps de crise, contribue à l’identification de solutions originales, pertinente, efficaces et réalistes pour des groupes victimes de problèmes environnementaux ? Nous pensons que la meilleure stratégie consiste à mettre en œuvre une démarche collaborative de résolution de problèmes, dans laquelle les enjeux sont co-définis et co-solutionnés par les personnes concernées et leurs accompagnateurs (Chambers, 1994).

Une problématique

Selon van Steenberghe (2015), quand on intervient avec un public adulte fragilisé socialement et économiquement, il importe de se questionner sur l’adaptation du dispositif pédagogique et des pratiques éducatives à mettre en œuvre. Villemagne (2017, p. 170) observe pour sa part que « les adultes sont souvent détenteurs de savoirs écologiques à partir desquels il est possible de construire leur engagement, menant à la transformation de leur relation à l’environnement ». Ainsi, pour les apprenants adultes, Villemagne propose une éducation relative à l’environnement (ERE) collaborative et communautaire « qui informe, émancipe et développe le pouvoir d’agir des apprenants » (Idem, p. 168). Lafitte (2017 ; 2015), lui aussi favorable à une éducation à l’environnement des adultes centrée sur l’analyse collaborative des controverses environnementales et sur l’action communautaire, explique que les problèmes environnementaux ont une dimension d’urgence qui exige que l’on soit à l’écoute des solutions efficientes et créatives des acteurs locaux touchés par ces situations.

Quant aux problèmes environnementaux, par nature multidimensionnels, ils intègrent un grand nombre de caractéristiques et de variables interdépendantes – causes, lieux, acteurs en interaction, fréquence, intensité, durée et impacts à court et long terme, etc. (Pruneau et Langis, 2015 ; Lafitte, 2015 ; Jonassen, 2000) – qui se modifient constamment et rapidement, ce qui accroît le degré d’incertitude qui les entoure et la difficulté de les appréhender (Pourdehnad et coll., 2011). Pour ces problèmes, à la fois sociaux, physiques et biologiques, on ne trouve ni règle ni procédure pouvant faciliter la recherche de solutions. La résolution d’un problème environnemental nécessite donc qu’on définisse et redéfinisse sa structure et ses éléments de façon à la fois détaillée et systémique (Irwin, 2000 ; Thakker, 2012). Selon English (1997), la résolution d’un problème implique d’abord que celui-ci soit adéquatement formulé. Le cas échant, les bénéfices sont nombreux pour les intervenants : avoir une idée précise de ce que l’on cherche, distinguer l’information pertinente, réduire le sentiment de désorientation et apporter des solutions efficaces (Pruneau et coll., 2015). Stoyanova (2000) explique par ailleurs que, durant la phase de définition d'un problème, le résolveur interprète la situation problématique en utilisant ses propres mots, réarrange les informations reliées au problème et formule à plusieurs reprises l’énoncé du problème, afin de le clarifier, d’identifier les obstacles et de préciser les buts poursuivis à travers le processus de résolution. Il s’agit en quelque sorte d’une appropriation personnelle du problème par le résolveur et d’une formulation spécifique qui aide à le résoudre. Cette opération est toutefois difficile à réaliser, car le résolveur doit faire appel ses connaissances, associer des idées, raisonner, abstraire, questionner, synthétiser, évaluer et visualiser les données recueillies (Pruneau et coll., 2015). La difficulté est amplifiée par la complexité des composantes en jeu dans l’accompagnement des victimes d'un désastre environnemental, ce qui appelle une définition élargie du problème.

De plus, une approche créative est incontournable pour la résolution des problèmes environnementaux et globaux comme les changements climatiques ou la pollution, ou encore les questions de santé environnementale (Dos Santos, 2010). Tel que signalé par les Nations-Unies (2015) dans les Objectifs de développement durable (2015-2030), si l’on veut résoudre les problèmes globaux, des pratiques différentes doivent être développées et mises en place : énergies renouvelables, transports efficients, systèmes agricoles résilients, etc. En ce sens, Villemagne (2017) soutient que l’éducation relative à l’environnement, de par ses visées et les approches pédagogiques qu’elle privilégie, est nécessaire pour aider les apprenants adultes à inventer de nouvelles façons, plus justes et plus écologiques d’habiter leurs territoires.

Pour accompagner adéquatement des groupes dans la résolution de leurs problèmes environnementaux, il importe de mettre en œuvre des démarches collaboratives et créatives, fondées sur la meilleure définition possible des problèmes éprouvés. Mais quelles seraient donc les démarches qui permettraient d'atteindre au mieux ces objectifs lorsqu'on travaille avec des groupes affaiblis par des problèmes environnementaux ?

Deux approches de résolution de problèmes sont proposées dans la littérature : l’approche scientifique, avec laquelle on découvre les lois qui régissent la réalité du monde actuel et, plus récemment, la pensée design, avec laquelle on invente un futur différent (Liedtka, 2000). L’approche scientifique fait appel aux pensées inductive et déductive pour résoudre des problèmes fermés : par exemple, quel est l’effet de l’érosion des rives sur l’écosystème de la rivière ? Dans cette première approche, les résolveurs se placent à distance de l’objet d’étude (Dos Santos, 2010). Par contre, pour résoudre des problèmes complexes, comme trouver des mesures d'adaptation au changement climatique, l'addition d'un autre type de pensée est nécessaire : la pensée abductive, consistant à envisager des choses qui pourraient fonctionner. La pensée design, laquelle implique des résolveurs qu’ils s’immergent dans l’environnement de l’objet d’étude, fait appel aux pensées inductive, déductive et abductive. Elle serait particulièrement efficace dans des situations d’incertitude.

Éléments d’un cadre théorique

Depuis une dizaine d’année, la firme de design et d’innovation IDEO utilise une démarche de résolution de problèmes créative et collaborative qu’elle a appelée pensée design. Dans la démarche de la pensée design, l'intuition importe, les solutions sont nombreuses, l'expérimentation arrive rapidement, les échecs sont perçus comme des apprentissages et, surtout, les besoins des usagers sont pris en compte (Liedtka et Ogilvie, 2011 ; Lockwood, 2010). Cette démarche d'innovation, qui a été adoptée par de nombreuses entreprises, a permis la réalisation de produits efficients et originaux dans différents domaines d’activité, par exemple, en technologie (la souris des ordinateurs Apple) ; en science, en génie et en éducation. IDEO a également inspiré l'élaboration de nombreuses démarches de résolution créative de problèmes, comme le laboratoire d'innovation, le design stratégique, le design transformatif, le design centré sur l'humain.

La pensée design applique la sensibilité et les méthodes du designer à la résolution de problèmes complexes. En effet, les designers, qui possèdent généralement d’indéniables qualités artistiques, ont l'habitude d'affronter des problèmes complexes en générant diverses solutions qu'ils testent en vue de les améliorer de manière graduelle. Dans le cadre d’un processus rigoureux et avec le recours à des d’outils variés, la pensée design fait appel à des modes à la fois créatifs et analytiques de raisonnement, qui s’apparentent aux processus artistique et scientifique (Lietdka, 2015). Elle se déroule selon six étapes bien définies. Lors de la première étape appelée Observation-inspiration, on fait une enquête ethnographique pour comprendre les personnes concernées par le problème et la situation. On suit les personnes dans leur vie quotidienne pour saisir leurs aspirations et leurs besoins non satisfaits. Lors de la Synthèse, qui correspond à la deuxième étape, on pose le problème à plusieurs reprises et de différentes façons. On cherche de l'information et diverses perspectives pour aborder le problème. L'information est synthétisée pour poser le problème en quelques énoncés et à l’aide de représentations visuelles. Par la suite, lors de l’Idéation, on formule de nombreuses idées et on en choisit un certain nombre. Durant la quatrième étape, appelée Prototypage, on construit rapidement des prototypes illustrant les idées qui ont été retenues dans le but de partager ces idées avec d'autres et d’évaluer leur potentiel en termes de formes et de fonctions. L’étape des Essais succède au prototypage et a pour but d’évaluer les prototypes en allant chercher les opinions d'experts, de novices et d'utilisateurs. On raffine ensuite les prototypes gagnants (Scheer et coll., 2012). Finalement, lors de la Communication, on fait connaître le produit (Brown, 2009).

Seidel et Fixson (2013) résument ainsi le processus de pensée design : recherche approfondie des besoins des consommateurs, remue-méninges pour produire de multiples idées, puis prototypage pour tester et choisir les meilleures idées. Les étapes de la pensée design ne sont toutefois pas linéaires, puisque l'attention des designers se déplace entre l'espace-problème et l'espace-solution, alors que l'empathie pour les besoins du consommateur s'élargit et que la solution gagnante se raffine. Le processus – d’abord divergent, puis convergent – est centré sur les besoins humains. Les prototypes, réalisés rapidement et sans chercher la perfection, agissent en fait comme des « terrains de jeux » pour discuter et apprendre à propos de certaines solutions (Liedtka, 2015). Ainsi, le problème et les solutions coévoluent (Dorst et Cross, 2001).

La pensée design, qui a initialement été employée pour créer des produits commerciaux, est maintenant utilisée pour favoriser l’épanouissement humain et la santé de l’environnement. Dans des mouvements tels que Design for Life (Buchanan, 2001) et Human-Centered Design, ou dans des organisations telles que IDEO.org et MindLab, on recherche des solutions pratiques favorables à la qualité de vie et à l’éradication de la pauvreté. Les personnes affligées par différents types de problèmes collaborent aux étapes 1 et 5, et parfois davantage. Cette préoccupation du champ du design pour la transformation positive de l’environnement et l’action humanitaire est une tendance qui prend de plus en plus d’ampleur. Avec les raisonnements déductifs, inductifs et abductifs (imaginer ce qui pourrait exister) qu’elles mettent à contribution et leur potentiel pour la production de solutions créatives, la pensée design et ses variations (comme le laboratoire d'innovation et le design transformatif) se présentent comme des stratégies d'accompagnement particulièrement appropriées pour les groupes qui tentent de résoudre des problèmes environnementaux (Pruneau et Langis, 2015). À cet effet, signalons que Pruneau et coll. (2014) ont clairement observé la compétence de pensée créative chez des leaders du développement durable.

Par ailleurs, en matière de résolution de problèmes, les spécialistes ont nouvellement recours à des outils numériques pour accompagner les citoyens quand ceux-ci se trouvent à distance. En effet, il existe aujourd'hui des TIC qui peuvent être mises à contribution dans les diverses étapes de la résolution de problèmes : par exemple, Stormboard pour partager des opinions et des informations au sujet d’une situation, Popplet pour synthétiser les informations, Skype pour consulter des experts, Padlet pour proposer et commenter des idées, Loomio pour voter sur un choix d’idées, iDroo pour dessiner des prototypes, Wrike pour planifier et Facebook pour communiquer (Pruneau et Langis, 2015). Plusieurs réseaux sociaux numériques fournissent un espace d'’interaction et permettent aux utilisateurs de se connecter et de s’engager autour d'intérêts communs (Bortree et Seltzer, 2009). Facebook présente aussi un potentiel éducatif (Luckin et coll., 2009), peut stimuler l'interaction, la collaboration, l'information, le partage de ressources (Mazman et Usluel 2010 ; Wang et coll., 2012) et contribuer à consolider d’un mouvement de protestation sociale (Cardon et Granjon, 2013 ; Valenzuela, Arriagada et Scherman, 2014). Certaines recherches ont aussi montré le potentiel des outils de remue-méninges numériques : partage rapide, indépendant et simultané des idées ; stimulation de la motivation ; temps de réflexion pour laisser mûrir les idées ; appel à la créativité, etc. (DeRosa et coll., 2007). Les outils numériques ont toutefois encore été peu évalués sur leur capacité de faciliter la résolution de problèmes (en général) ou de problèmes environnementaux (en particulier), par des groupes sociaux ou des communautés (Pruneau et Langis, 2015).

Les forces de la pensée design pourraient ainsi se situer dans son approche collaborative, son exigence d’une définition approfondie du problème à l’étude, sa prise en compte des vrais besoins des usagers, son étape de prototypage qui permet un développement optimal des idées, la créativité qu'elle stimule et le fait qu’elle peut favoriser une meilleure adoption, par les usagers, des solutions trouvées. Étant donné sa nouveauté, la pensée design et ses outils numériques facilitateurs ont fait l'objet de peu d'études, en particulier dans le domaine de la résolution collaborative de problèmes environnementaux. C'est donc dans le cadre d’une telle réflexion sur l'accompagnement de citoyens aux prises avec des problèmes environnementaux qu'une étude de cas exploratoire a été menée au Maroc avec des femmes peu instruites du milieu rural, aux prises avec des inondations dévastatrices. En mettant à profit la pensée design et Facebook comme outils d'accompagnement et de réseautage, dix femmes de la région de l'Ourika, près de Marrakech, ont été assistées dans leur démarche pour s’adapter aux crues fréquentes de ce fleuve.

Les questions de recherche

Les questions suivantes ont été formulées :

  • Comment la pensée design pourrait-elle aider des groupes à définir et à résoudre les problèmes environnementaux auxquels ils sont confrontés ?

  • Comment Facebook pourrait-il faciliter la résolution collaborative de problèmes environnementaux ?

La première question situe notre étude dans l’un des enjeux contemporains de l’ERE, tels qu’identifiés par Sauvé (2009) : Comment l’ERE pourrait-elle contribuer à l’innovation sociale ? Comment l’ERE pourrait-elle favoriser la résolution des problèmes socioécologiques ? Le choix de la pensée design comme démarche est motivé par des objectifs de créativité. Nous sommes à la recherche d’approches et de stratégies pédagogiques en ERE pouvant faciliter l’identification, le développement ou l’adoption de nouvelles technologies et modes de vie chez les apprenants adultes aux prises avec des problèmes environnementaux. Nous souhaitons évaluer si la pensée design a la capacité de faire émerger, chez les apprenants adultes, des solutions adaptés aux problèmes environnementaux qui les affectent ?

La première question situe aussi notre étude dans le domaine de l’ERE par l’art. En effet, la pensée design emprunte des éléments à la démarche artistique, car elle fait appel à des représentations visuelles de situations problématiques et implique l’observation et le développement de solutions potentielles. Comme l’explique Mantere (1998), l’ERE par l’art peut viser la création d’un produit nouveau et significatif, que ce soit un objet, une œuvre d’art, une idée ou un style de vie. En effet, selon Mantere, la production artistique consiste souvent en la composition d’images et de visions de choses immatérielles (non directement observables). Durant l’étape 1 de la pensée design, l’usage de représentations visuelles (cartes, journey maps, réseaux conceptuels, etc.) permet d’illustrer des situations problématiques dans le temps et dans l’espace, avec plusieurs de leurs dimensions. Les représentations visuelles (ou compositions visuelles) deviennent une « condensation significative des images et des relations qui caractérisent une problématique environnementale » (d’après Mantere, 1998, p. 2). En pensée design, on fait appel à la fois à la réflexion et à l’expression visuelle, tel que proposées dans la récente vision de l’ERE par l’art développée à l’University of Art and Design en Finlande. Dans cette école de pensée, inspirée de Papanek (1972), l’un des pionniers de la pensée design, l’art sert à montrer, définir, décrire, filmer, photographier et dépeindre les situations de l’environnement (Pohjakallio, 2007).

La deuxième question de recherche situe également notre étude dans le nouveau courant de l’utilisation pédagogique des outils numériques pour faciliter la résolution de problèmes. Rappelons qu’en 1977, le développement des compétences de résolution de problèmes était déjà l’un des objectifs de l’ERE, tels que définis par l’UNESCO et le PNUE. Pruneau et Langis (2015), Fabien (2013), Martinovic, Freiman et Karadaz (2011) et Stevens (2011) soutiennent que les outils numériques peuvent apporter une contribution intéressante en résolution conjointe de problèmes, entre autres pour communiquer, recueillir, emmagasiner et partager des informations, pour créer et choisir des idées, pour dessiner des modèles ou des prototypes, et pour planifier et accomplir des actions. Grâce aux outils numériques, toutes ces opérations, souvent évoquées en résolution collaborative de problèmes environnementaux (Stapp et Wals, 1994), pourraient être poursuivies, voire approfondies, quand les résolveurs de problèmes se trouvent à distance (Pruneau et Langis, 2015). Ainsi, certains outils numériques pourraient changer les façons dont on organise l’enseignement et l’apprentissage en ERE (Fauville, Lantz-Anderson et Salzo, 2014).

Méthodologie

Pour répondre aux questions de recherche, dans le cadre du grand projet Gestion intégrée des ressources en eau et paiement des services environnementaux (GIREPSE), rappelons qu’une étude de cas exploratoire a été menée, au Maroc, avec dix femmes de la région éloignée et pauvre de l’Ourika. Ces femmes, choisies en raison de leurs capacités minimales en lecture et en écriture, provenaient de six douars isolés (Aghbalou, Timalizen, Amlougi, Oualmes, Tazitount et Setti Fatma), situés dans la région de l’Ourika à plus ou moins 35 km de Marrakech. Dans cette région, l’économie est basée essentiellement sur l’agriculture et l’élevage. Les activités industrielles et minières, le tourisme et l’artisanat occupent aussi une partie importante de la population. Depuis 2011, les crues de l'oued Ourika ont augmenté en fréquence et en importance, en raison des changements climatiques. Ces crues ont des effets dévastateurs sur le paysage, l'agriculture, la santé humaine (blessures et décès), les infrastructures (routes et ponts) et la sécurité alimentaire (eau et aliments). Les femmes, gardiennes de leur famille pendant que leurs maris travaillent à Marrakech, sont confrontées à des crues et doivent protéger leurs familles et leurs biens.

Les interventions avec les femmes se sont déroulées sur une période de six mois, durant laquelle deux crues mineures de l'Ourika se sont produites. La démarche de pensée design a dicté les activités de trois ateliers organisés avec les femmes et un groupe Facebook privé (Femmes GIREPSE) a été créé pour permettre le réseautage lorsque les femmes se trouvent à distance. Dans le cadre des deux premières étapes de la pensée design (observation-inspiration et synthèse), des entrevues individuelles ont été menées avec les femmes pour les inviter à décrire le grand problème des inondations et leurs besoins face à ce désastre. Une Journey Map – une représentation visuelle résumant leur vécu avant, pendant et après une inondation – a ensuite été préparée par deux chercheuses de l’équipe. Les femmes ont raconté qu’avant les inondations, elles entreposaient du bois de la forêt et elles emmagasinaient la nourriture essentielle (blé, huile, légumes, etc.) pour ne pas en manquer en cas de fermeture des routes. Elles mettaient du plastique sur le toit de leur maison pour empêcher l’eau de s’infiltrer. Certaines creusaient des canaux devant la maison pour changer le circuit du courant et empêcher l'eau d’envahir la maison. Pendant les inondations, elles rangeaient les biens dans une pièce peu sujette à l’immersion et certaines se réfugiaient chez les voisins avec leurs enfants. Après les inondations, elles débloquaient les routes couvertes de roches et tentaient de surmonter les problèmes d'approvisionnement en eau, celle-ci étant alors chargée de sédiments. À cet effet, elles remplissaient d’eau des récipients de plastique de façon à ce que les matières en suspension se déposent au fond. Après décantation, l'eau pouvait être consommée ou utilisée pour divers usages.

En août 2015, lors des deux premiers ateliers de deux jours chacun avec les 10 femmes réunies, les étapes de la pensée design correspondant à l’observation-inspiration et à la synthèse ont été reprises et animées en arabe par une chercheuse de notre équipe. Les femmes ont été invitées à commenter ensemble la Journey Map préparée au préalable pour repésenter leur vécu de l'inondation. Elles ont de plus été formées à l’utilisation de tablettes électroniques et de Facebook. Une connexion 3G permettait aux participantes d’accéder à l’Internet de façon régulière, même durant les inondations. Elles ont ensuite choisi de travailler sur un problème plus petit et donc plus facile à résoudre, celui de la qualité de leur eau potable après les inondations. Les échanges Facebook ont ensuite débuté, de septembre à novembre 2015 ; les femmes ont communiqué entre elles et avec nous au sujet du sous-problème de la qualité de l'eau après les inondations, grâce à ce réseau social. Au départ, les femmes ont été invitées à publier sur Facebook des photos, des vidéos et des commentaires sur les inondations (en général). Par la suite, des questions spécifiques ont été posées aux femmes sur Facebook pour les inviter à définir le sous-problème de la qualité de l’eau après les inondations : Où ? Quand ? Pourquoi ? Impacts ? Solutions ? Les femmes devaient observer le problème localement et répondre à ces questions avec les outils disponibles sur Facebook.

Le troisième atelier, tenu en novembre 2015, a réuni de nouveau les femmes pendant une journée pour la réalisation des étapes synthèse (2), idéation (3), prototypage (4) et essais (5) de la pensée design sur le sous-problème de la qualité de l’eau. La première étape de cet atelier a été consacrée à la réalisation d’une synthèse des éléments du problème de l’eau potable et des solutions proposées sur Facebook. L'eau de l’oued recueillie dans les villages a ensuite été testée avec les femmes, pour tester sa qualité (ph, coliformes, autres bactéries, etc.). Les femmes ont alors été conviées à inventer des prototypes de filtres en utilisant des matériaux disponibles dans leur maison (tissu, charbon, bouteilles de plastique, sable, roches, etc.). Elles devaient vérifier les capacités de ces filtres de nettoyer l’eau. Après ce troisième atelier, les échanges Facebook ont repris, de novembre à janvier, planifiés en fonction des étapes du prototypage (4), des essais (5) et de la communication (6) de la pensée design. Les femmes ont essayé de construire leurs propres filtres à la maison et elles ont partagé leurs essais sur Facebook, recevant les critiques de leurs pairs. Sur Facebook, une évaluation générale des solutions trouvées a conclu la démarche.

Durant la démarche de pensée design facilitée par Facebook, des entrevues individuelles (dans les villages) et de groupe (dans le lieu où se déroulaient les ateliers) ont été menées avec les femmes afin de répondre aux deux questions de recherche. Durant les entrevues, des questions ouvertes ont été posées aux participantes pour les inviter à expliquer dans leurs propres mots le problème de l'eau potable et à raconter leur expérience sur l’utilisation des tablettes et de Facebook.

Les données ainsi recueillies, de même que les publications des participantes sur Facebook ont été analysées. Il s’agissait d’interpréter les résultats de la démarche d'accompagnement choisie (pensée design + Facebook). L’utilisation de Facebook durant la démarche de pensée design avait-elle amélioré la collaboration, la définition élargie du problème de l'eau potable et la créativité des solutions retenues ?

Pour observer la collaboration des femmes à la résolution du grand problème de l'inondation et du sous-problème de l'eau potable, un tableau a été construit à partir d’indicateurs de participation aux réseaux sociaux, tels que proposés par Garau (2013) : nombre total de publications pour un temps donné, types d'activités sur la plateforme (images, vidéos, textes, etc.), nombre moyen de commentaires par publication et nombre moyen de mentions J’aime par publication.

Pour examiner la définition (élargie ou non) du problème de l’eau potable par les femmes, les données des entrevues et les publications sur Facebook ont été soumises à une analyse thématique de contenu (Paillé et Mucchielli, 2012) par deux chercheuses, d’abord individuelle, puis en concertation. Cette procédure a permis de dégager et de préciser les représentations des femmes au sujet du problème de l'eau potable et les apprentissages qu'elles déclarent avoir faits ensemble.

Quant à la créativité des solutions au problème de l’eau potable proposées par les femmes, celle-ci a été évaluée par deux chercheuses, à partir de trois critères : fluidité, originalité et faisabilité (Torrance, 2008). Selon Amégan (1993), la fluidité est la capacité du résolveur « d’avoir un débit rapide d’idées, de penser à plus de choses, d’idées et de questions, d’envisager le plus de solutions possibles devant un problème donné en un laps de temps donné » (p. 25). Torrance et Goff (1999) expliquent l’originalité comme l’habileté à produire des idées nouvelles, innovatrices et inhabituelles, alors que Torrance (2008) parle de réponses statistiquement rares. La fluidité et l’originalité permettent d’évaluer la production divergente (créativité), alors que la faisabilité sert à évaluer dans quelle mesure les solutions proposées peuvent être mises en pratique et résoudre le problème. Pour évaluer les solutions des participantes, les deux chercheuses ont accordé séparément, puis en concertation, des scores de 0 à 2 pour chacun des critères de créativité. Le score de fluidité a été calculé en fonction du nombre de solutions pertinentes généré en lien avec la tâche demandée. Le score d'originalité a été accordé en fonction de la nouveauté des solutions proposées (selon la perception des chercheuses). Le score de faisabilité a été défini en fonction de deux indicateurs : réalisabilité et efficacité. La réalisabilité a été considérée en fonction de la disponibilité locale du matériel et des ressources humaines ou matérielles pour mettre en place telle solution alors que l’efficacité a été déterminée en mesurant son potentiel d'amélioration de la qualité de l'eau. Un score moyen de créativité pour toutes les solutions a enfin été calculé en additionnant les scores de fluidité, de faisabilité et d’originalité des huit solutions (44) et en divisant ce nombre par le score maximum possible (48).

Résultats

Présentons maintenant les principaux résultats de cette recherche en ce qui a trait à la participation des femmes et à leurs apprentissages, à l’évolution de leurs représentations, à la nature et la créativité de solutions proposées.

La participation des femmes au groupe Facebook

Malgré leur faible niveau de littératie, les participantes ont été capables de tirer profit des outils de Facebook : photos, vidéos, textes, commentaires, mentions J'aime, et ce, de façon assez régulière. La publication de photos et de vidéos illustrant les situations des deux principales crues a été très populaire chez les participantes ; elles ont partagé les impacts des crues dans leurs villages. Elles ont aussi choisi les photos et vidéos pour illustrer les prototypes de filtres qu'elles avaient elles-mêmes construits. L'écriture de textes décrivant les divers aspects du problème (lieux, causes, impacts, etc.) a toutefois représenté un défi pour ces femmes peu instruites, dont l’arabe était la deuxième langue après le berbère. Toutefois, celles-ci ont répondu activement aux questions de la semaine portant sur les divers éléments du problème. Les commentaires au sujet des publications des autres femmes et les J'aime ont été plus fréquents au début de la création du groupe Facebook. À la fin de la période de six mois consacrée au problème de l'eau potable, la motivation à participer au groupe Facebook a diminué, sauf au moment d'une deuxième crue importante de l'Ourika, laquelle a stimulé la publication de nouvelles vidéos de l’inondation.

Les apprentissages collaboratifs rapportés par les femmes

Durant les entrevues individuelles et de groupe, les femmes nous ont expliqué que les interactions entre les membres du groupe durant le projet leur a fait réaliser des apprentissages de divers ordres :

  • Techniques : utiliser des tablettes électroniques et Facebook ;

  • Environnementaux : mieux connaître le problème de la qualité de l’eau, prendre conscience de la piètre qualité de l'eau consommée ;

  • Pratiques : mieux choisir les sources d’eau, identifier ou concevoir des solutions, savoir comment nettoyer et conserver leur eau ;

  • Sociaux : se faire de nouvelles amies, faire partie d'un réseau qui veut améliorer les conditions de vie ;

  • Géographiques : savoir ce qui se passe avec l’eau dans les autres villages, mieux connaître les événements dans leur pays et dans le monde.

Sur le plan de la communication, elles ont signalé qu’elles étaient sorties de leur isolement et qu’elles aimaient participer à un réseau amical qui permet d’échanger des nouvelles personnelles et de collaborer à l'adaptation aux inondations. En effet, lorsqu’une crue s’annonce, les femmes qui vivent en amont de l’oued avertissent maintenant les participantes en aval. Elles disent aimer fournir leurs idées au groupe, à leurs concitoyens et être entendues. Elles affirment également être motivées et capables de s’impliquer dans la résolution d'autres problèmes, comme par exemple les comportements polluants de leurs concitoyens qui jettent leurs déchets domestiques dans l'Ourika et les bris des tuyaux d'eau potable lors des crues. Elles veulent poursuivre la démarche amorcée par le groupe pour améliorer leur capacité d’adaptation aux inondations.

Les représentations du problème de l’eau potable

Nous avons remarqué un enrichissement des représentations qu’ont les femmes du grand problème de l'inondation et du sous-problème de la qualité de l'eau après les inondations. Dans leurs propos, elles soulèvent divers éléments au sujet de la nature du problème (le quoi) : « Les crues arrivent tout d’un coup et emportent tout sur leur passage. » « Les grosses pluies et les crues détruisent les canalisations d’eau potable des villages. » « Nous n’avons plus d’eau. Il faut consommer l’eau sale de l’oued ou chercher d’autres sources. » « Après les inondations, l’eau est très polluée. Sa couleur et son odeur changent. » « Les façons traditionnelles (nettoyer l’eau par l’ajout de l’eau chlorée et la décantation) sont inefficaces. » Leurs propos manifestent qu’elles sont conscientes de plusieurs impacts des crues : « Malgré sa mauvaise qualité, les habitants utilisent l'eau des puits pour la boisson et la cuisson. Après consommation, certains habitants, surtout les enfants et les personnes âgées souffrent de fièvre, de diarrhées, d’infections de la vessie et de l’estomac, d’allergies. » Elles démontrent qu’elles connaissent de nouvelles causes de la mauvaise qualité de l'eau consommée : « Les crues transportent des roches et des sédiments, ce qui salit l’eau. » « Les gens jettent des déchets au bord de la rivière. Ceci est pire pendant la saison touristique et près des restaurants. Ces déchets se mélangent à l’eau de l’inondation. » Elles ont enfin plus de choses à dire au sujet des suites d’une inondation : « Après une inondation, l’eau reste polluée pour une semaine ou plus dépendamment des conditions climatiques. » « Les tuyaux restent brisés pour une quinzaine de jours. » « L’eau reste sale même après la réparation des tuyaux. »

Les solutions proposées par les participantes

Cet élargissement de leurs représentations de l'espace problème semble influencer directement les solutions que les femmes proposent sur Facebook. Voici leurs principales solutions : chercher de meilleures sources d’eau, construire des structures d’entreposage d’eau, traiter l’eau des puits avec des quantités convenables de chlore, sensibiliser les gens à ne plus jeter leurs déchets dans la rivière, construire des canalisations solides, construire les puits loin de la rivière et des zones inondables et filtrer l’eau avant son arrivée au robinet. On remarque ici que certaines solutions visent à éliminer les causes du problème (adaptations proactives), alors que d'autres visent à réagir aux impacts du problème (adaptations réactives), ce qui, dans l'ensemble, démontre leur connaissance plus approfondie du problème à résoudre.

Pour ce qui est du défi de nettoyer l'eau contaminée à l'aide de filtres artisanaux, fabriqués à partir de matériaux domestiques, les prototypes construits par les femmes s’avèrent d'une grande faisabilité (les matériaux employés étant disponibles localement), mais d'une efficacité moyenne. Les prototypes construits par les femmes ont été essentiellement des variations dans l’utilisation des matériaux fournis lors du quatrième atelier : sable, tamis, roches, charbon et tissu superposés dans des contenants plastiques. Les filtres construits par les femmes rendent l'eau plus claire, mais ne la nettoient pas nécessairement des coliformes et des bactéries. La figure 1 montre un modèle de filtre typique construit par une femme avec une bouteille en plastique, un tamis, du charbon, du sable, des pierres et du tissu.

Figure 1 

Exemple d’un prototype de filtre construit par les participantes

Exemple d’un prototype de filtre construit par les participantes

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Pour ces femmes, le défi de la construction de filtres était énorme, étant donné la faible diversité des matériaux filtrants chez elles, leurs connaissances scientifiques limitées et les contraintes culturelles. En effet, les femmes pauvres de cette région ne sont pas habituées d’affirmer des idées divergentes de celles d’animateurs plus instruits. Toutefois, les femmes se sont dites satisfaites de ces filtres, parce qu’auparavant, elles laissaient leur eau décanter, puis la consommaient, ce qui rendait leurs enfants malades. Lors d’une prochaine inondation, elles veulent utiliser ces filtres pour nettoyer l’eau.

La créativité des solutions proposées par les femmes

Le tableau 1 présente l’évaluation par l’équipe de recherche de la créativité des solutions proposées par les participantes. Rappelons ici que trois indicateurs ont été employés pour évaluer cette créativité : fluidité, faisabilité et originalité. Avec la méthode d’analyse choisie, le taux moyen de créativité obtenu pour toutes les solutions a été de 91,7 %.

Tableau 1 

Scores de créativité accordés par l’équipe aux solutions des participantes

Scores de créativité accordés par l’équipe aux solutions des participantes

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Étant donné la diversité des solutions valables proposées par les participantes, l’équipe de recherche a accordé à toutes les solutions un score de 2 sur 2 pour le critère de fluidité. Pour les huit solutions, la faisabilité a aussi souvent reçu un score élevé (2 sur 2 en général ; 1 sur 2 dans un seul cas). Les solutions proposées semblaient toutes plus ou moins réalisables avec le matériel et les ressources de la région et pouvaient contribuer à améliorer la qualité de l'eau potable. Étant donné le caractère inédit des solutions proposées pour la région, des scores élevés (2 sur 2) ont aussi été accordés à la plupart des solutions, pour le critère d’originalité, sauf pour la solidification des canalisations et pour les prototypes de filtres, solutions auxquelles des scores de 1 sur 2 ont été attribués. En effet, les filtres construits n’ont pas entièrement satisfait notre équipe de chercheurs même si ceux-ci satisfont les participantes. Nous avons considéré que les femmes n'avaient pas conçu de filtre innovateur, mais plutôt construit des variations du prototype expérimenté durant le troisième atelier. En effet, les femmes ont elles-mêmes superposé plus ou moins différemment, le charbon, les roches, le sable, le tissu et les contenants plastiques.

Discussion

Notre approche d'accompagnement des participantes marocaines visait une définition élargie des problèmes étudiés et se voulait collaborative et créative. À la suite des résultats exposés ci-haut, on peut avancer que la démarche adoptée (pensée design + Facebook) a permis aux femmes de collaborer pour une définition élargie du grand problème de l’inondation et du sous-problème de la qualité de l’eau et ce, à partir de leur vécu et de leurs besoins. Cette prise en compte des besoins réels des apprenants adultes fragilisés, tels qu’exprimés par la collectivité, est soulignée comme essentielle par van Steenberghe (2015). La pensée design et Facebook ont aussi favorisé des apprentissages pratiques, géographiques et environnementaux en lien avec le grand problème de l’inondation et le sous-problème de l’eau potable. Sans nécessairement être originales, les solutions proposées par les femmes sont diverses, réalisables et potentiellement efficaces ; elles leur ont permis de mieux s’adapter au problème en changeant leurs façons de gérer l'eau potable.

Les tablettes et Facebook se sont avérés faciles d’utilisation par des personnes peu instruites. Facebook a particulièrement contribué à des apprentissages sociaux et techniques chez ces femmes originaires de villages éloignés. Facebook a également permis la création d’un réseau social serré et engagé pour définir et résoudre un problème local. Les femmes sont sorties de leur isolement, ont appris à communiquer leurs idées, se sont senties écoutées et ont collaboré. Grâce au réseau social et aux ateliers, elles ont acquis de nombreuses connaissances relatives, par exemple, au déroulement et aux lieux précis des inondations, à leurs causes, à leurs impacts (à court et à long terme), aux modes de gestion de l’eau des autres femmes, aux critères de qualité de l’eau consommée et aux diverses façons de choisir, de purifier et de conserver l’eau. Puisque le temps est un élément crucial en résolution de problèmes environnementaux, ces connaissances leur serviront sans aucun doute à formuler d’autres solutions ultérieurement. Le prototypage de filtres à eau semble les avoir motivées à apprendre et à agir dans leur milieu. La démarche en général a changé leurs comportements en matière de consommation d’eau. Elles ont instauré des mesures d’adaptation proactives et réactives aux inondations : mieux choisir leurs sources d’eau, mieux filtrer l'eau, construire et employer un système d’alarme pour avertir les autres de l’émergence d’une crue. Finalement, le projet a fortifié le sentiment d’auto-efficacité chez les participantes : elles disent qu’ensemble elles peuvent améliorer leurs modes de vie. Pour composer avec les inondations, ces femmes devront éventuellement aborder d'autres sous-problèmes associés aux crues : les bris des tuyaux d’eau potable, le comportement des citoyens qui jettent leurs déchets dans le fleuve, la déviation potentielle du courant d'eau pour que les crues contournent les villages. La diversité de ces sous-problèmes montre l’ampleur des défis que pose l'adaptation aux changements climatiques.

Conclusion

Cette recherche apporte des réponses à l’enjeu soulevé par Sauvé (2008) : Comment l’ERE pourrait-elle contribuer à l’innovation sociale ? La pensée design et Facebook apparaissent comme des outils pédagogiques féconds pour définir et solutionner des problèmes en collaboration avec leurs victimes. Ces deux outils combinés ont suscité divers apprentissages, permis un élargissement de l’espace-problème et contribué à l’identification de solutions localement applicables. Cette recherche rappelle que la résolution de problèmes liés aux changements climatiques devrait bénéficier d’une approche d’accompagnement structurée, créative et participative, qui se déroule sur une période prolongée, car des sous-problèmes apparaissent durant la définition des problématiques globales (Pruneau et coll., 2012).

Cette recherche apporte des connaissances sur l’approche créative (artistique au sens large) en ERE. Dans ce projet, l’approche créative n’a pas servi uniquement à faire exprimer les émotions des participantes sur les problèmes. Grâce aux stratégies d’intervention de la pensée design et aux outils de Facebook, les femmes ont partagé leurs représentations, photos, vidéos, opinions et prototypes. Il ne s’agissait pas ici d’une éducation par l’art destinée à sensibiliser les personnes aux problèmes, mais d’un emploi de médias à dimension artistique pour mieux comprendre les problèmes afin de générer des solutions applicables et efficaces. Dans cette recherche, l’approche créative de l’art s’est donc fusionnée avec la science pour mieux définir les divers aspects d’un problème complexe et pour évaluer des solutions potentielles. Les représentations visuelles et le prototypage auraient peut-être le potentiel de favoriser une définition élargie des problèmes et l’élaboration de solutions valables.

Cette recherche renforce enfin les potentialités de Facebook comme outil de communication d’opinions, d’informations et de solutions au sujet d’un problème. Elle montre aussi l’impact intéressant de Facebook dans un pays en développement où les populations isolées, surtout les femmes, ont accès à un maigre réseau social d’informations pour résoudre leurs problèmes et améliorer leurs conditions de vie.

Lors de recherches futures, il y aurait lieu de documenter les façons d’exploiter Facebook pour d’autres opérations de la résolution de problèmes : synthèse des informations, consultation d’experts, sélection des idées et planification des stratégies d’adaptation sur le terrain. On enrichirait ainsi les nos connaissance sur la manière de mettre en œuvre la pensée design et de générer, dans une démarche collaborative de résolution de problèmes environnementaux, des solutions plus originales et plus efficaces.