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Le désintéressement des jeunes pour les sciences a fait l’objet de nombreuses études (entre autres, Cachapuz et coll., 2005 ; Jones, Howe et Rua, 2000 ; Potvin et Hasni, 2014 ; Pronovost et coll., 2017 ; Silveira et coll., 2015). La culture des jeunes est souvent assez

différente de celle de leurs enseignants actuels et les méthodes d’enseignement traditionnelles ne semblent qu’accentuer ce désintéressement (Hoskins, 2010). Une option qui aiderait à dépasser ces méthodes trop souvent obsolètes consisterait à recourir aux arts dans les leçons ou les activités pédagogiques en sciences – dont celles qui traitent d’environnement –, en développant un « tiers espace » entre les deux cultures. Comme didacticiens des sciences, notre motivation est celle de contribuer à l’enrichissement d’un répertoire de pratiques d’enseignement qui suscitent l’intérêt des jeunes pour les sciences et technologies (ST). Ce répertoire de pratiques s’adresse aux groupes d’élèves âgés entre 9 et 15 ans. Outre l’acquisition de concepts, qui semble devoir émerger de toute éducation scientifique, notre démarche heuristique vise à identifier des approches qui inciteraient les élèves à réinvestir les apprentissages acquis en classe, dans leur vie de tous les jours et dans l’expression active de leur citoyenneté.

Différentes approches s’offrent en effet aux enseignants pour intégrer plus de créativité à leur pratique. Parmi celles-ci, on retrouve l’enseignement créatif et l’intégration des arts dans les sciences et les technologies (Kind et Kind, 2007). Nous les aborderons de façon intégrée dans la cette étude. Toutefois, il importe de préciser que l’enseignement créatif se réaliserait surtout lorsque l’enseignant utilise des artefacts culturels ou les arts médiatiques en éducation scientifique et technologique. Par arts médiatiques et artefacts culturels, nous entendons les vidéoclips, les films, les émissions de télé, la musique, les jeux vidéo, les bandes dessinées, les romans « jeunesse », les revues qui intéressent les élèves. Quant à l’intégration de différentes formes d’arts dans les sciences, il s’agirait entre autres d’encourager l’élève à exprimer sa compréhension conceptuelle par une démarche artistique (réalisation de dessins, bricolages, sculptures, poèmes, etc.). Malgré l’influence documentée de ces types d’approches authentiques avec les jeunes, peu d’enseignants se sentent outillés pour le faire. Pour plusieurs, les arts sont isolés du champ scientifique. Une des conséquences de cette séparation entre les arts et les sciences a été pour nous-mêmes, comme chercheurs, de négliger la place que peut occuper l’art dans l’enseignement des sciences, et cette négligence prend son origine dans nos formations scientifiques monodisciplinaires respectives comme biologiste et physicien (Eisner et Powell, 2002).

Notre compréhension de l’intégration des arts à l’enseignement des sciences et technologies (ST) relève davantage de la sociologie que de la didactique ; elle rejoint l’idée de démocratiser les savoirs et d’utiliser les arts comme instrument de médiation pour aider les jeunes à trouver du sens à leurs expériences scolaires dans un contexte où nous nous éloignons de l’idée d’interdisciplinarité (Bernstein, 1997).

Notre analyse itérative, c’est-à-dire permettant des allers-retours entre nos répertoires et nos référents théoriques respectifs, nous a permis de sélectionner et de présenter des pratiques d’enseignement créatif et intégrant les arts en ST, que nous jugeons pertinentes pour les éducateurs scientifiques. En premier lieu, en nous penchant sur nos référentiels respectifs, nous avons pu faire émerger un cadre commun qui a servi à l’analyse de nos pratiques d’enseignement des ST. Ce cadre repose sur la médiation engendrée par l’art (Vygotsky, 1986 ; Wertsch, 1995) et sur la pédagogie de la joie de Snyders (Snyders, 1986), mais aussi sur deux critères gagnants soit l’engagement des élèves et l’usage de représentations multimodales (Couture et coll., 2015 ; Dionne, 2016ab ; Dionne, Couture et Savoie-Zajc, 2018), ces dimensions contribuant à encourager l’apport de la créativité en enseignement des ST. En second lieu, l’analyse nous a permis de faire ressortir quelques exemples qui pourraient être susceptibles d’enrichir la réflexion des didacticiens ou des praticiens, dans le but d’intégrer les arts dans les sciences afin de permettre aux élèves de communiquer ou de consolider leurs nouvelles connaissances, d’affiner leur raisonnement critique et/ou de développer une nouvelle lecture du monde. Les pratiques présentées ici en exemples font partie de nos répertoires d’intervention et de recherche, comme didacticiens des sciences qui travaillons en milieu universitaire au Canada et au Brésil.

Problématique

Selon une étude à grande échelle, menée dans divers pays, la moitié des jeunes adolescents de 14 à 16 ans trouveraient les sciences ennuyeuses (Jones, Howe et Rua, 2000). Également, plusieurs recherches portent sur le désintéressement des jeunes face aux sciences et aux carrières scientifiques (Cachapuz et coll., 2005 ; Jones, Howe et Rua, 2000 ; Potvin et Hasni, 2014 ; Pronovost et coll., 2017 ; Silveira et coll., 2015). La culture des jeunes est assez différente de celle de leurs enseignants actuels, soit celles des « baby boomers » ou de la génération X (Hoskins, 2010). Les enseignants qui enseignent actuellement les ST adopteraient trop souvent des méthodes traditionnelles qui font en sorte que les jeunes se désintéressent des sciences (Eisner et Powell, 2002). Un enseignement des ST – tel que préconisé par les générations d’enseignants boomers et X reposant sur un mode frontal ou encore sur l’utilisation de manuels scolaires – ne répond plus à la réalité de la génération Z, soit la génération des jeunes nés après les années 2000 (ibid.). De plus en plus, les enseignants doivent dépasser les modes d’enseignement traditionnels pour utiliser davantage d’artefacts culturels utilisés par les jeunes pour « ressusciter » leur intérêt.

Recourir à des démarches artistiques dans le but d’intéresser les élèves aux leçons de sciences, technologies et environnement permettrait de développer un tiers espace entre les deux cultures. Enrichir le curriculum en ce sens pourrait permettre aux jeunes d’être davantage dédiés à leurs apprentissages. Apprendre sur les arts, apprendre avec les arts et apprendre à travers les arts apparaît comme une voie intéressante pour enrichir le curriculum (Goldberg, 1997). Ici les arts sont multiples, pas seulement visuels, car ils incluent également la musique, la littérature et la nature.

Holton (1978) a mis en évidence le rôle de l’imagination et de la créativité en sciences. Il y aurait donc un intérêt de combiner arts et sciences pour développer la créativité des apprenants. Ainsi, l’intégration des arts en enseignement des sciences peut se réaliser entre autres, en encourageant l’élève à exprimer sa compréhension conceptuelle par une démarche artistique (réalisation de dessins, bricolages, montage photos, sculptures, poèmes, etc.). Par ailleurs, des chercheurs comme Root-Bernstein (1997) mentionnent que les arts et les sciences partagent toutes deux une motivation esthétique. Les scientifiques trouveraient leur motivation et leur désir de participer aux champs scientifiques à travers l’aspect esthétique de ceux-ci (la beauté d’un raisonnement par exemple, ou d’une explication). L’esthétique serait un facteur critique pour expliquer les progrès et les révolutions scientifiques (Root-Bernstein, 1997).

L’enseignement des ST pourrait être ainsi bonifié par l’intégration d’art médiatique ou d’artéfact culturel (vidéoclips, films, musique, jeux, BD, romans ou revues, etc.). Les jeunes écoutent des films, de la musique, jouent à des jeux vidéo dont ils ne saisissent pas toujours bien la portée des messages dans leur développement intellectuel, affectif et social. Selon Gonnet (2004), les médias sont omniprésents dans le quotidien des jeunes gens et ont un impact profond sur leurs visions du monde, leurs valeurs, leurs pratiques sociales, leurs intérêts, et même leurs compétences. Plusieurs produits des arts médiatiques et les artéfacts culturels peuvent influencer les jeunes négativement en ce qui concerne leurs valeurs et leur intérêt de même que leur vision à l’égard des sciences et de l’environnement, car ils absorbent souvent cette culture sans filtre (Gonnet, 2004). L’influence médiatique et culturelle sur les jeunes pourrait même être plus importante que celle de leurs parents. Les craintes qu’entretiennent certains éducateurs à l’égard de l’influence néfaste que peuvent avoir ces produits culturels sur l’identité et le développement intellectuel des adolescents sont bien réelles (Gonnet, 2004). Ainsi, si les arts médiatiques et les artéfacts culturels peuvent susciter un intérêt accru pour les ST, les contenus de ces produits culturels et les valeurs qu’ils véhiculent pourraient aussi faire l’objet d’intéressantes discussions d’approfondissement. Les enseignants pourraient tirer un grand avantage à développer des stratégies d’enseignement en ST intégrant des médias et artéfacts, à la fois pour engager les jeunes mais aussi dans l’idée de susciter une prise de conscience de l’effet qu’ont ces visions et ces valeurs véhiculées sur la culture des jeunes, en particulier celles qui concernent l’avenir de la société, des sciences et de l’environnement.

Malgré tout l’intérêt d’adopter des approches pédagogiques combinant les arts, les artéfacts culturels et les sciences auprès des adolescents, peu d’enseignants possèdent l’expertise ou les compétences pour le faire ; ils ne se sentent pas outillés (Eisner et Powell, 2002). Il y a un net besoin de mieux documenter les pratiques d’enseignement qui intègrent les arts en ST, et plus spécifiquement celles qui servent à développer chez les adolescents une pensée critique et une vision des sciences et de l’environnement qui fasse du sens pour eux (Hurd, 1998).

Ces constats nous ont conduits à vouloir identifier dans nos répertoires de pratiques respectifs, celles qui intègrent les arts et les sciences et qui puissent servir d’exemples pour inciter d’autres enseignants à expérimenter cette voie d’intégration.

Méthodologie

C’est à la suite à notre participation conjointe à un séminaire et un colloque international que nous avons décidé d’amorcer une collaboration dans le but d’approfondir la compréhension de nos pratiques gagnantes. Nous avons alors convenu d’explorer et d’analyser celles-ci, avec l’intention de les diffuser pour sensibiliser les didacticiens et les praticiens à l’intérêt de telles pratiques pour eux-mêmes et pour les élèves.

Pour ce faire, nous avons entrepris une démarche exploratoire pour examiner nos cadres théoriques et conceptuels respectifs afin de déterminer des critères permettant d’analyser nos pratiques. Nous avons pu nous rallier autour d’un référentiel d’analyse commun.

Nous avons ensuite examiné nos répertoires de pratiques respectives à l’aide de ces quatre dimensions, et avons sélectionné les exemples de pratique qui répondaient le mieux à ce référentiel dans le but de les diffuser. Ces pratiques d’enseignement utilisent les arts, soit comme outils pour enseigner, soit comme moyen proposé aux élèves pour consolider leurs apprentissages.

Avant de présenter les pratiques retenues, voyons plus en détails la construction de notre référentiel commun.

Référentiel conceptuel et théorique : une conjonction entre Snyders, Vygotsky et des critères de pratiques gagnantes

Dans nos travaux, en tant que didacticiens des sciences, nous avons à cœur de saisir les caractéristiques des pratiques d’enseignement qui encouragent les jeunes à s’intéresser aux sciences et technologies. À l’instar de plusieurs auteurs (Brouillette et coll., 2014 ; Graham et Brouillette, 2016), nous sommes d’avis que l’intégration des arts dans l’enseignement des sciences et technologies peut permettre de rejoindre des jeunes qui ne sont pas encore rendus au stade des opérations abstraites ou encore qui privilégient l’approche artistique des réalités, pour les inciter à s’engager dans l’apprentissage des sciences, mais aussi dans la société (Graham et Brouillette, 2016 ; Inhelder et Piaget, 1958).

Nous proposons à cet effet un référentiel conceptuel et théorique qui consiste en un arrimage entre la pédagogie de la joie de Snyders (1986), la théorie socioculturelle de Vygotsky, en particulier le principe de médiation, et deux critères des pratiques gagnantes en enseignement des sciences, soit l’engagement des élèves et l’usage de représentations multimodales (Figure 1).

Figure 1

Proposition d’un référentiel pour l’intégration des arts en enseignement des ST

Proposition d’un référentiel pour l’intégration des arts en enseignement des ST

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Les théories de Snyders et de Vygotsky, adoptées plus particulièrement dans les travaux menés au Brésil (Gomes et Piassi, 2016), ont été approfondies en vue de l’élaboration de notre référentiel. Concernant les deux critères retenus, ils tirent leur origine de l’analyse de pratiques gagnantes canadiennes définies selon une triple vraisemblance, entre la vision de praticiens, les recherches en didactique et certains programmes ministériels en enseignement des ST (Dionne, Couture et Savoie-Zajc, 2018). En effet, un processus de deux ans, qui a consisté à travailler avec des enseignants de ST de 4e, 5e et 6e années du primaire, a débouché sur l’identification et la sélection de plusieurs pratiques gagnantes en ST. À partir d’une sélection de neuf critères provenant de cette recherche, deux d’entre eux soit l’engagement des jeunes et l’usage de représentations multimodales ont été choisis et approfondis pour l’analyse des pratiques gagnantes dans le cadre de notre projet Canada-Brésil.

Une fois rassemblées, il nous est apparu que ces quatre dimensions constituent un cadre d’analyse approprié pour identifier des approches d’enseignement intégratives qui stimulent certes la créativité en ST, mais qui favorisent aussi une meilleure compréhension des concepts scientifiques et la prise de conscience de réalités sociétales. Abordons maintenant ces théories et concepts avec un peu plus de profondeur.

Pédagogie de la joie de Snyders

Nous préconisons une perspective didactique qui crée des ponts dialectiques entre la « culture dite première », comme celle à laquelle les jeunes adhèrent de nos jours, et la « culture dite élaborée » soit celle érigée culturellement dans la société du savoir (Gomes et Piassi, 2016 ; Snyders, 1986). La culture première, selon Snyders, embrasserait tous les intérêts culturels des jeunes. Elle comprendrait plusieurs types d’artéfacts ou de médias culturels provenant de l'industrie culturelle, comme les médias de divertissement de masse, la musique pop, les jeux vidéo, les bandes dessinées, les séries télévisées, la littérature fantastique, etc. La culture première des jeunes, celle qui leur apporte la « joie première », soit un plaisir éphémère lié aux cinq sens, serait aussi celle qui leur permet de se distinguer du monde des adultes, par leurs façons de s’habiller, leurs lieux de socialisation, etc. Pour Snyders, la « culture élaborée », est celle qui permettrait de comprendre des phénomènes socio-historiques plus profonds et nourrirait une compréhension du monde qui nous entoure de manière à nous donner du pouvoir sur l’avenir de celui-ci. La culture première procure une satisfaction à court terme, comme celle qui émane lors d’une randonnée de motoneige à haute vitesse, mais elle ne permet pas de s’outiller pour intégrer ses idées et ses actions dans la société et de ressentir la joie de contribuer à améliorer le sort de l’humanité, comme peut le faire la culture élaborée.

Médiation selon la théorie socioculturelle de Vygotsky

Notre référentiel fait intervenir également la théorie socioculturelle de Vygotsky (1986) avec son principe de médiation, afin d'enseigner aux élèves comment lire la culture, pour comprendre ce que les artéfacts culturels et l’art médiatique nous révèlent sur le monde, et comment cette présence culturelle peut façonner les désirs, les comportements et l'identité (Kellner, 2004). Une telle perspective critique à l’égard des arts médiatiques et des artéfacts culturels peut conduire à de nouvelles formes d’enseignement en salle de classe, réalisées à partir de ces artefacts. La jeunesse actuelle constitue la cybergénération, soit le groupe qui a vu sa culture se médiatiser autant, en jouant à des jeux vidéos, en ayant accès à une multitude de chaînes de télévision et de sites Internet, et en se réunissant dans les médias sociaux tout en créant des identités culturelles originales pour lesquelles la vision postmoderne du monde se présente comme un marqueur sémiotique (ibid.). Partant de l’idée de médiation, cette culture est perçue comme étant productive pour créer des communautés, des groupes, des nouveaux styles de vie et pratiques culturelles. Mais d'autres peuvent y voir un espace passif de consommation d’arts médiatiques par les jeunes, avec les risques de dérive que cette consommation sans « lunette critique » peut opérer sur leurs systèmes de valeurs (Kellner, 2004 ; Kellner et Share, 2007).

S’appuyant sur ces fondements, il devient plus aisé pour les enseignants de prendre conscience de la pertinence d’adopter des pratiques pédagogiques en sciences qui utiliseraient les arts comme principe de médiation, et par conséquent, de réaliser comment de telles pratiques se lient à la culture de la génération Z pour intéresser et engager les jeunes en sciences et technologies.

Certaines pratiques d’enseignement inscrivent, comme nous le verrons plus loin, l’étude critique des produits médiatiques comme point de départ de la construction de connaissances en ST. Elles s’inspirent également de Paulo Freire (2005) selon lequel la lecture des médias culturels devient une façon de lire le monde. Par cette médiation, qui consiste à approfondir leurs connaissances des arts médiatiques et des artéfacts culturels, les jeunes développeraient leur compréhension des défis auxquels fait face notre monde moderne, et ceci leur fournirait en quelque sorte des moyens de faire des choix sociaux et de s’engager dans l’amorce de transformations (Wertsch, 1994).

Ces pratiques s’inspirent aussi de l’expérience esthétique transformative. Selon John Dewey (1934, 2005), grâce à l’expérience esthétique, la relation de la personne au monde se transforme lorsque cette personne commence à percevoir des aspects du monde selon une nouvelle perspective ou en fonction de nouvelles significations. À travers l’expérience, la personne occupe littéralement une nouvelle position dans le monde (Wong et coll., 2001 dans Pugh et Girod, 2006).

Critères de pratiques gagnantes en enseignement des ST : l’engagement des élèves et l’usage de représentations multimodales

Partant d’une recension exhaustive de la documentation pour circonscrire ce qui distingue une pratique jugée gagnante des autres pratiques, et d’une démarche empirique de deux ans visant la caractérisation des pratiques en ST avec deux groupes d’enseignants de deux provinces canadiennes, des chercheuses canadiennes ont pu mettre en évidence neuf critères pour définir une pratique gagnante (Couture et coll., 2015 ; Dionne, 2016ab ; Dionne, Couture et Savoie-Zajc, 2018).

Parmi ces critères qui caractérisent les pratiques gagnantes rassemblées dans le Tableau ST[1], deux critères ont été retenus aux fins de la présente analyse : l’engagement des élèves (associé à un contenu stimulant) et l’usage de représentations multimodales.

L’engagement est suscité lorsque la pratique pédagogique concerne un sujet qui touche les jeunes dans leur quotidien ; il est associé à la curiosité et à l’intérêt que l’activité d’enseignement provoque auprès des élèves. L’engagement est un construit complexe qui serait constitué de différents types d’engagement comme l’engagement comportemental, émotionnel et cognitif. Notre compréhension empirique de l’engagement – dans le contexte des exemples de pratique que nous avons identifiés – correspond davantage à l’engagement émotionnel qui se définit comme les sentiments de l’élève envers la situation d’apprentissage, son intérêt envers la tâche et l’interaction sociale qu’il vit grâce à la situation d’apprentissage (Friedricks, Blumenfeld et Paris, 2004).

Utiliser divers modes de représentations, tant par l’enseignant que par l’élève, ferait partie des critères qui caractériseraient les meilleurs exemples de pratique retenus dans le répertoire canadien (Dionne et coll., 2018). La multimodalité signifie ici les diverses formes de langages et de représentations que les ST peuvent prendre. L’apprentissage y serait donc stimulé par les interactions entre le visuel, le langage et l’action que procurent les représentations multimodales (Jewitt et coll., 2001). Nous n’avons qu’à penser à la façon dont les scientifiques conceptualisent leurs idées et leurs résultats, que ce soit à l’aide de diagrammes, de tableaux, d’équations mathématiques, de dessins assistés par ordinateur, de modèles, etc. L’utilisation de l’ordinateur pour produire des modèles et des schémas, présenter des films ou des photos, enrichit cette diversité multimodale. La combinaison de ces divers modes de représentation correspond à la multimodalité. Le modèle de la structure de l’ADN de Watson et Crick constitue un bon exemple d’application de la multimodalité : des étudiants en didactique des sciences l’ont déjà reproduit avec des bonbons et des réglisses ; ils doivent s’en souvenir encore, malgré que les moyens de production de cette modalité soient discutables, nous en convenons. Les pratiques d’enseignement qui utilisent les arts pour communiquer des contenus en ST font appel, elles aussi, à la multimodalité. Elles dépassent le simple texte ou la présentation orale pour permettre à l’élève de transformer l’information à l’aide de différents systèmes de communication comme l’expression visuelle ou auditive.

Au bilan, il nous apparaît que ce sont ces deux critères, issus de l’examen des pratiques gagnantes, qui rejoignent le mieux la médiation qu’apportent les arts dans les pratiques d’enseignement en ST. Voyons maintenant l’éventail des pratiques canadiennes et brésiliennes qui ont fait l’objet de notre analyse.

Exemples canadiens : pratiques gagnantes intégrant les arts en sciences et technologies au primaire

Tel que mentionné précédemment, les pratiques canadiennes présentées ici proviennent d’un plus vaste projet de caractérisation et de diffusion d’exemples de pratiques gagnantes en sciences et technologies (Dionne et coll., 2018). Dans ce projet initial, il a été possible de repérer certaines pratiques, parmi celles proposées par les enseignants participants, qui utilisaient les arts pour intéresser les élèves.

Deux pratiques gagnantes sont ici sélectionnées pour leur exemplarité, soit une en sciences de la Terre, en 4e année du primaire (9-10 ans), et l’autre portant sur les systèmes vivants soit sur le thème de la biodiversité en 6e année (11-12 ans). D’autres pratiques du Tableau ST utiliseraient aussi les arts en ST mais dans une moindre mesure.

Fabrication d’Inukshuk

La première pratique pédagogique que nous retenons à titre d’exemple pour notre analyse est celle de la fabrication d’un Inukshuk. Elle s’insère dans le cadre de l’enseignement du domaine de la Terre et de l’espace en 4e année de l’élémentaire en Ontario (9-10 ans)[2] Cette pratique gagnante a pour objectif de faire connaître les types de roches aux élèves, mais aussi de comprendre des liens qui existent entre les sciences, la technologie, la société et l’environnement. Dans cette activité, l’enseignante demande aux élèves de recueillir des roches pour en reconnaître les caractéristiques et pouvoir ensuite les classifier. Elle explique aussi que la collecte des roches va leur permettre de réaliser un Inukshuk, une sculpture Inuit qu’ils pourront conserver par la suite.

La signification de l’Inukshuk est expliquée aux élèves en leur présentant diverses images de ces sculptures ; ces structures servant la plupart du temps de panneaux de signalisation aux peuples Inuits, pour se retrouver dans des régions géographiques dépourvues d’arbre.

Cette pratique qui combine les arts à l’enseignement des sciences de la Terre se divise en quatre principales étapes. D’abord, les élèves sont invités à concevoir une boite décorative pour leur collection de roches (Fig. 2). Ils doivent y déposer les spécimens recueillis, que ces spécimens soient recueillis dans le moment présent ou qu’ils aient été collectés par le passé. La création de la boite intègre des éléments d’esthétique, au choix des élèves et selon les matériaux proposés par l’enseignante.

Figure 2

Boites décoratives fabriquées par les élèves pour recueillir une collection de roches

Boites décoratives fabriquées par les élèves pour recueillir une collection de roches

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Dans la séquence proposée, l’enseignante enseigne les notions de classification des roches selon les trois classes principales : ignées ou magmatiques, métamorphiques et sédimentaires. Elle approfondit ces connaissances en leur enseignant la différence entre les roches et les minéraux, puis insiste sur les diverses caractéristiques qui servent à identifier les minéraux comme la dureté (capacité à se faire rayer), le trait (caractéristique de la couleur du minéral comme le rouge-brun de l’hématite), le magnétisme (présence de minéraux ferriques) et l’effervescence (présence de calcite).

Dans la fabrication de l’Inukshuk, les élèves reçoivent la consigne d’intégrer les trois classes de roches à leur sculpture. Les élèves sont ensuite invités à faire un plan global de leur sculpture. À partir d’un morceau de carton rigide servant de base, ils utilisent avec précaution un fusil à colle chaude pour faire le montage de leur Inukshuk (Figure 3).

Figure 3

Exemple d’Inukshuk réalisé par un élève

Exemple d’Inukshuk réalisé par un élève

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Dans le contexte d’une intégration potentielle des matières avec les sciences sociales, l’enseignante pourrait réinvestir l’activité pour discuter avec les élèves de l’importance de conserver les traditions autochtones, et de comprendre comment cette culture pourrait nous fournir des moyens pour préserver notre environnement.

Cette pratique répond à plusieurs critères des pratiques gagnantes (Dionne et coll., 2018). Mais ce sont les critères d’engagement et de représentations multimodales qui retiennent le plus notre attention. En effet, l’idée d’initier chaque élève à une collecte de roches l’engage immédiatement et personnellement dans ses apprentissages (Friedricks et coll., 2004). La présentation à l’ordinateur de diverses formes d’Inukshuk, la fabrication du plan sur papier et la création de l’Inukshuk avec des roches répondent au critère de représentations multimodales (Jewitt et coll., 2001). L’approfondissement conceptuel procuré par la démarche et la discussion avec les élèves au sujet de la culture autochtone apportent aux élèves une dimension qui va au-delà d’une joie strictement première (Snyders, 1986). En outre, l’Inukshuk sert d’objet de médiation pour permettre aux élèves de s’initier à culture inuite et en saisir certaines valeurs (Vygotsky, 1986).

Créature fantastique

En 6e année (11-12 ans), l’enseignante convie ses élèves à concevoir une créature fantastique dans le cadre de son cours de ST sur le thème de la biodiversité. Les élèves doivent d’abord décider d’un habitat puis créer une créature fantastique, en déterminant les caractéristiques qui permettront à leur animal imaginaire de survivre dans son environnement. L’objectif d’apprentissage consiste pour l’élève, partant d’une découverte des principes de classification des animaux, à comprendre les moyens d’adaptation qui contribuent à la survie d’une espèce dans son habitat. D’abord, l’enseignante convie les élèves à apporter divers matériaux recyclables de la maison. Elle met également à la disposition des élèves une variété de matériaux de bricolage (cure-pipes, balles en polystyrène, tissu, plumes, carton, cure-dents, etc.). Aux dires de l’enseignante, les élèves sont engagés dès le départ puisque cette pratique fait intervenir leur créativité. Les jeunes présentent avec fierté leur produit final. La démarche permet de vérifier aisément si les élèves comprennent les concepts d’adaptation, d’environnement et de survie. De surcroît, cette pratique d’enseignement favorise le travail d’équipe et la collaboration. Aussi, en encourageant l’utilisation de matériaux recyclables et réutilisables, elle développe une certaine conscience environnementale chez les jeunes élèves.

Cette pratique, retenue comme pratique gagnante, fait appel à des représentations multimodales, qui se multiplient grâce aux nombreux plans dessinés de la créature fantastique et au bricolage que sa conception suscite (Jewitt et coll., 2001). Il faut aussi reconnaître l’aspect captivant de cette pratique engageante qui amène l’élève à concevoir un animal et faire appel à toutes ses connaissances sur la biologie et l’écologie animale, et sur les différentes adaptations à la diversité des habitats sur Terre (Friedricks et coll., 2004). En ce qui concerne la pédagogie de la joie (Snyders, 1986), les élèves sont conviés, à travers des discussions entourant l’écologie des animaux, à développer une compréhension plus approfondie de la biodiversité, des principes qui la soutiennent et des menaces qui peuvent peser sur les êtres vivants dont les habitats sont altérés par les interventions humaines. Enfin, la créature fantastique agit comme élément médiateur pour remettre en question nos rapports avec les animaux et la nature (Vygotsky, 1986).

Exemples brésiliens : pratiques d’enseignement intégrant les artéfacts culturels en ST

Comme mentionné précédemment, l’enseignement en ST pourrait être bonifié par l’intégration des arts médiatiques ou des artéfacts culturels. Les jeunes écoutent des films et de la musique où ils jouent à des jeux vidéo dont ils ne saisissent pas toujours bien la portée des messages pour leur développement intellectuel, affectif et social. Certains enseignants pourraient mettre à profit l’intégration d’artéfacts culturels comme les films ou la musique dans leurs leçons de sciences. Ce faisant, ils pourraient contribuer à approfondir une compréhension des valeurs sociétales chez les jeunes et les guider pour remettre en question les valeurs parfois douteuses que peuvent receler certains médias culturels.

Les enseignants n’ont pas nécessairement eu la chance de développer, durant leur formation à l’enseignement ou durant leurs années de pratiques, des stratégies d’enseignement intégrant ces médias et artéfacts à l’enseignement des ST. Nous croyons que les exemples ci-après peuvent fournir une illustration de la façon dont cette intégration des artéfacts culturels peut engager les élèves dans leurs apprentissages, mais aussi développer leur prise de conscience de l’influence que les valeurs véhiculées dans les artéfacts culturels peuvent avoir sur la culture des jeunes, en particulier en ce qui concerne les valeurs scientifiques et environnementales. Dans l’intention de contribuer au développement de leur identité et de leur pensée critique, les enseignants pourraient vouloir aborder avec les jeunes, les effets qu’ont par exemple certains films ou chansons rock sur leurs façons de penser le monde qui les entoure.

Un intéressant programme d’intégration d’arts médiatiques et d’artéfacts culturels à l’enseignement des sciences et technologies a pris naissance à l’Université Sao Paulo au Brésil en partenariat avec quelques écoles publiques de la ville de São Paulo (Gomes, 2016 ; Piassi, 2013). Intitulé ALICE (Arte e Lúdico na Investigação em Ciēncias na Escola, qui peut se traduire en français par Les arts et les divertissements pour la recherche en éducation scientifique à l’école), les activités du programme sont réalisées à l’intérieur et à l’extérieur des heures de classe habituelles et s’adressent à des élèves de 13 à 15 ans. Nous avons choisi de présenter deux volets de ce programme intégrant les artéfacts culturels : le premier utilise les films de science-fiction pour aborder des questions scientifiques mais aussi les valeurs véhiculées par ces médias, et le second met à contribution les chansons rock pour aborder, entre autres, les thèmes de l’exploration spatiale et de la pollution. Selon notre analyse, ces deux volets rejoignent toutes les dimensions de notre référentiel théorique soit la pédagogie de la joie, la médiation, l’engagement et les représentations multimodales.

PROGRAMME ALICE : volet intégrant des films de science-fiction en enseignement des ST

Selon Brake et Thornton (2003), la science-fiction existe non seulement comme type de livres et de films, mais aussi comme phénomène culturel qui encourage à observer et à interpréter le monde d’une certaine manière. Selon Jameson (2005), la science-fiction est généralement définie comme la tentative d'imaginer l’inimaginable. Mais l’une de ses retombées possibles, pourrait être d’influencer irrémédiablement notre présent et de marquer notre histoire. Plusieurs produits médiatiques et artefacts culturels embrassent des thèmes et des caractéristiques de la science-fiction. Des médias culturels comme des films, et en particulier les films de science-fiction ont de tout temps véhiculé des idées fausses et mais aussi des notions scientifiquement valides sur les sciences et l’environnement. Mais par le passé, les jeunes n’étaient pas, comme ceux d’aujourd’hui, continuellement branchés sur ces médias.

Dans le programme ALICE, Piassi (2013, 2015) a tenté d’utiliser cette stratégie d’intégration des arts médiatiques et des artéfacts culturels dans divers contextes éducatifs. Avec l’utilisation d’œuvres de science-fiction comme des films par exemple, le but était de développer, chez les jeunes, une pensée critique à l’égard des messages qui y sont véhiculés. Des situations d’enseignement centrées sur un projet de communication scientifique, intègrent ces artéfacts culturels : les débats, les discussions, l'analyse et les synthèses invitent les jeunes à s’attarder aux messages parfois erronés transmis par ces produits culturels. Voici quelques films qui pourraient être utilisés en classe de sciences.

Datant de 1954, le film de Tintin « Objectif Lune » renferme plusieurs fausses conceptions scientifiques, en particulier sur la notion d’apesanteur (le whisky du capitaine Haddock qui sort du verre en boule), sur la position de l’astéroïde Adonis et sur l’apparence de la Terre vue de la Lune. Les films de Tintin sont encore beaucoup visionnés, de nos jours, par les jeunes de tous âges. Captivant l’intérêt des jeunes, ces films peuvent créer des situations de démarrage pour des activités en ST, sur le thème de la Terre et l’espace, fort pertinentes.

Dans la culture des jeunes actuels, certaines valeurs idéologiques véhiculées dans les films pourraient encourager à l’intolérance et à l’exclusion. Ainsi, un film comme "Gang de requins" soulève plusieurs questions, car les valeurs de ce film pourraient être interprétées comme une incitation à l’homophobie ou au cynisme à l’égard de personnes qui sont végétariennes, associant ce régime alimentaire à un signe de faiblesse. Par contre, un film comme Interstellar peut fournir un enrichissement conceptuel crédible car il recèle beaucoup d’informations scientifiquement valides. La qualité des informations tient au fait que ce film a été réalisé en collaboration avec le célèbre astrophysicien Kip Thorne, récent récipiendaire du prix Nobel de Physique en 2017[3]. D’autres films peuvent aussi servir de base de discussion pour enseigner des notions de sciences. À cet effet, un site comme Geolor.com propose des sujets de discussion avec les élèves en sciences de la terre en se basant sur des films de science-fiction[4].

Les situations d’enseignement qui utilisent ces films comme outil didactique comportent à divers degrés les éléments de notre référentiel des pratiques intégratives des arts aux sciences. Les films seraient multimodaux par définition et toucheraient le côté affectif de plusieurs jeunes en abordant des thèmes qui les intéressent et les rejoignent (Friedricks et coll., 2004). En conviant les élèves à s’impliquer collectivement dans un projet de communication portant sur un film de science-fiction, ceux-ci pourraient prendre conscience que leur réflexion sur ces produits médiatiques active de nouvelles connaissances et leur raisonnement critique, et que ce processus peut aboutir à une nouvelle lecture du monde, doublée d’une meilleure compréhension des concepts en ST (Snyders, 1986 ; Vygotsky, 1086).

PROGRAMME ALICE : volet d’intégration de la musique rock à l’enseignement des sciences

Faisant partie d’ALICE, un volet du programme interdisciplinaire actuellement en marche à São Paulo s’appelle RITA (Rock n'Roll Integrated in Technoscience for Adolescents – La musique rock intégrée dans les technosciences pour adolescents, aussi nommé en l’honneur de la chanteuse rock brésilienne Rita Lee) (Gomes, 2016). Cet exemple d’intégration des arts dans les pratiques d’enseignement concerne entre autres le domaine de l’astronomie, en utilisant des métaphores véhiculées par des chansons rock comme celles du groupe Muse, soit la chanson Supermassive Black Hole[5]. Ce type d’artéfacts propose un scénario alternatif à la réalité, mais on peut se demander quelle influence ces sombres propositions ont sur les jeunes et sur leur vision du futur. Plusieurs artistes rock ont exploité le thème de l’exploration spatiale dans les paroles de leurs chansons. Les artistes et les groupes dont les chansons sont utilisées dans les pratiques d'enseignement du projet RITA sont Black Sabbath, David Bowie, Genesis, Muse, Pink Floyd, Queen et Rush.

En jouant un rôle de médiation pour entrer dans la culture, l’écoute active de ces chansons avec les jeunes permet d’approfondir la réflexion au niveau conceptuel, épistémologique et sociopolitique sur la science, la technologie et leurs relations avec la société et l'environnement (Vygotsky, 1986). Pour cela, nous identifions des thèmes par exemple, l’exploration spatiale selon trois différentes sphères de connaissance : la sphère conceptuelle, la sphère historique et la sphère sociopolitique. La sphère conceptuelle se rapporte aux produits des sciences et technologies, tels les concepts, les phénomènes et les lois qui en émergent : par exemple, l'énergie et l'interaction entre les corps célestes ou les conséquences spatio-temporelles liées à la théorie de la relativité. La sphère historique se rapporte aux processus qui concernent la science, comme son histoire, sa philosophie et sa méthodologie. Dans ce cas, nous pouvons associer les thèmes à des questions touchant intimement l’histoire des sciences, soit en étudiant les scientifiques impliqués dans le processus de l’exploration de l'espace, soit en étudiant le rôle des protagonistes dans ces missions. En outre, il convient de souligner le rôle des questions épistémologiques et de la nature des sciences impliquées dans l'exploration spatiale. La sphère sociopolitique se rapporte aux aspects extérieurs des sciences, aux résultats des interactions entre la société et les sciences. Par exemple, l'exploration spatiale contemporaine tire son origine du conflit idéologique de « la course à l’espace » (1957-1969) lors de la Guerre Froide entre les États-Unis d'Amérique et l'ex-Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). En remontant à cette époque, nous pouvons identifier dans les chansons, des discours idéologiques et des découvertes scientifiques qui ont contribué aux innovations technologiques qui ont marqué cette période.

Guidé par ces sphères de connaissance, nous avons proposé à des jeunes d’une école élémentaire de São Paulo au Brésil d’analyser des chansons rock pour apprendre des contenus en sciences et réfléchir à la présence des sciences et des technologies dans la société et leur influence sur l'environnement (Gomes, 2016). Une première chanson utilisée dans le volet RITA est celle du groupe Rush : Cygnus X-1. Cette chanson, qui fait partie de l’album A Farewell to Kings aborde un voyage interstellaire autour d’un trou noir, dans la région de la constellation du Cygne.

Le thème de cette activité d’enseignement est l’Univers ; divers concepts liés à l’astronomie y sont plus spécifiquement abordés. Après l’écoute de la chanson Cygnus X-1, qui est aussi présentée avec la traduction des paroles en portugais, l’enseignant débute la discussion en effectuant un diagnostic des conceptions initiales des élèves au sujet de l’Univers, de l’exploration spatiale, des constellations et des trous noirs. Puis, l’enseignant utilise un grand carré de tissu noir et les élèves sont invités à lancer diverses sphères de poids différents mais pas trop lourds. Cette démarche avive une discussion qui convie les élèves à aborder les concepts astronomiques plus en profondeur. L’enseignant lance ensuite une balle d’un poids plus important pour montrer comment se forme le trou noir. Les sphères qui reposent sur le tissu se trouvent alors attirées dans le trou formé par la balle plus lourde. Puis, une présentation théorique aborde les notions de façon plus détaillée, pour approfondir la compréhension de l'évolution des étoiles, des galaxies et de la formation des trous noirs. Ensuite, dans la poursuite de la discussion, les élèves font émerger d’autres questions abordant les liens qui existent entre les sciences physiques comme l’astronomie, la société, la technologie et l’environnement.

Concernant maintenant le thème de la pollution et voulant approfondir les aspects reliés à l’environnement de la planète Terre, une autre activité est menée avec la chanson Watcher of the Skies. Produite en 1972 par le groupe anglais Genesis, cette chanson sert à approfondir la vision qu’ont les élèves de l'avenir de la planète Terre. La chanson raconte l'histoire d'un personnage extraterrestre qui visite la planète Terre après une destruction massive et n’y retrouve que des reptiles et des paysages où règnent vide et désolation. Analysant le discours de la chanson, les élèves réalisent que cet observateur des cieux est en réalité une divinité qui erre seule dans l’espace jusqu'à son arrivée sur la Terre. Les paroles de la chanson soulignent que l'espace de désolation qui caractérise la Terre a été créé par l'humain lui-même. Dans le processus d'écoute, on comprend que les auteurs de la chanson présupposent que les auditeurs saisissent le contexte de crise environnementale qui sévit à cette époque (par exemple, la catastrophe de Love Canal et celle de Buffalo Creek aux États-Unis). Après avoir écouté la chanson et lu les paroles, les élèves sont invités à colorier une carte du monde pour illustrer leurs visions personnelles du futur de notre planète (Fig. 4).

Figure

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De ces quatre exemples, il ressort un certain pessimisme par rapport à l'avenir de notre planète. Excepté le dessin de l'élève qui a peint les continents en vert, représentant une vaste végétation et des océans bleus, sans polluants, les trois autres cartes représentent un futur peu enviable pour la planète Terre, la couvrant presqu’en totalité de brun et indiquant ainsi la pollution des régions terrestres et des océans. Il ressort même d’une des représentations de la Terre, la présence d’air fétide illustrée par des traits sinueux qui s’élèvent dans l’atmosphère. L’enseignant qui veut conclure sur une note plus optimiste pourrait explorer avec les élèves les modes de vie plus respectueux de l’environnement qu’il serait possible d’adopter afin d’éviter la pollution et de résoudre d’autres problèmes environnementaux.

Le volet RITA innove en intégrant des artéfacts culturels comme les chansons rock, ce qui aide les élèves à mieux comprendre le monde, leur environnement, les ST mais aussi l’histoire ancienne et plus récente de notre humanité. Tout notre référentiel d’analyse est mis à contribution dans ces pratiques de ST intégrant la musique rock. La pédagogie de la joie et la médiation sont bien intégrées à cette approche, de même que l’engagement, l’intérêt des élèves et l’usage de représentations multimodales, comme nous le verrons de façon plus détaillée ci-après.

Discussion et conclusion

Comme mentionné précédemment, nous proposons un référentiel en quatre dimensions pour analyser les pratiques d’enseignement qui unissent les arts et les sciences. Tout d’abord, le concept de médiation de Vygotsky (1986) considère la culture comme un lieu de construction des connaissances, mais aussi de confrontation des valeurs sociétales. L’élève est ici invité à réfléchir aux valeurs véhiculées par les artéfacts culturels et à les appréhender de manière critique. En second lieu, la pédagogie de la joie de Snyders (1986) relie la joie « première » ressentie à l’écoute d’un pièce musicale, à la joie « élaborée » que les jeunes ressentent quand ils comprennent des phénomènes complexes, tels les risques environnementaux et humains reliés aux déchets toxiques, et quand ils réfléchissent à leurs actions. De plus, nous avons sélectionné deux critères des pratiques gagnantes en sciences et technologies, partant d’une recherche qui a mené au Tableau ST (Dionne et coll., 2018). Le premier critère est celui de l’engagement, qui est stimulé lorsqu’une activité débute par une question ou une situation intrigante, ou par l’utilisation d’artéfacts qui font partie de l’environnement immédiat, quotidien de l’élève. L’engagement rejoint la dimension cognitive mais surtout affective de celui-ci (Friedricks et coll., 2004). Le second critère, la multimodalité, correspond au recours à diverses représentations des objets et des phénomènes, qu’elles soient sonores, visuelles, graphiques ou autres. Ces diverses formes de représentation peuvent être mises à contribution par l’enseignant comme outils didactiques ou encore, l’élève qui s’engage dans l’activité de sciences peut être invité à recourir lui-même à des représentations diverses (Jewitt et coll., 2001). À l’aide de ces quatre dimensions, nous avons analysé les pratiques de nos répertoires pour rassembler celles qui nous apparaissaient les plus pertinentes pour leur potentiel d’exemplarité concernant l’intégration des arts en ST.

Au Canada, les pratiques sélectionnées l’ont été en raison de leur potentiel de créativité et d’engagement, mais aussi par la qualité de leurs représentations multimodales. Fabriquer des boîtes décorées avec soin pour y conserver une collection de roches, sculpter un Inukshuk selon les règles de l’art, confectionner un animal qui possède des adaptations pour lui permettre de survivre dans un habitat spécifique, stimulent l’engagement des élèves de 9 à 12 ans (Friedricks et coll., 2004) et leur demandent de témoigner de leurs apprentissages par des représentations multimodales (Jewitt et coll., 2001). Ces pratiques rejoignent également la dimension de la pédagogie de la joie, en ceci que les élèves en ressortent avec une joie plus profonde : la joie de développer une compréhension de l’art Inuit et des menaces qui pèsent sur l’environnement et la survie des animaux surpasse la joie immédiate procurée par le bricolage (Snyders, 1986).

Le principe de médiation (Vygotsky, 1986) est également présent dans les pratiques canadiennes. En effet, la fabrication de la créature fantastique amène les élèves à un certain niveau de remise en question des valeurs actuelles au regard de la protection des espèces animales et de la protection de l’environnement. Quant à l’activité visant la production d’un Inukshuk – adressée à des élèves plus jeunes – son contenu est orienté vers l’acquisition de savoirs scientifiques tout en intégrant l’exploration de la culture autochtone.

Au Brésil, dans le programme ALICE, les pratiques d’intégration d’artéfacts culturels pour enseigner les ST – comme des films de science-fiction ou des chansons rock – répondent davantage à la pédagogie de la joie et à la médiation (Gomes et Piassi, 2016). Les pratiques ciblées s’adressent à des élèves plus âgés (13-15 ans) et par conséquent, en quête de plaisir immédiat mais aussi de sens, puisque les adolescents sont à la recherche d’une identité qui leur soit propre (Snyders, 1986). Néanmoins, nous constatons dans l’analyse qu’elles répondent également aux critères gagnants d’engagement et d’usage de représentations multimodales. L’aspect engageant et stimulant d’une pratique qui fait intervenir des chansons rock pour aborder des notions de sciences ou d’environnement ressort de façon très claire. La musique rejoint aussi le côté affectif des élèves (Friedricks et coll., 2004). La musique rock constitue ici un apport multimodal inusité qui ne se retrouve pas dans la plupart des pratiques en sciences et technologies (Jewitt et coll., 2001). Mis à part certains contenus très spécifiques, comme l’étude des sons en physique (acoustique) ou l’audition en biologie, très peu de pratiques en sciences feraient intervenir les modalités sonores dans les pratiques d’enseignement. Les films de science-fiction capteraient aussi l’imaginaire des jeunes, les toucheraient au niveau de leurs émotions et les intéresseraient en suscitant leur engagement. De très nombreux films sont utilisés en enseignement des sciences, surtout des films documentaires, mais il serait beaucoup plus rare de voir des enseignants intégrer des films de science-fiction à leur pratique enseignante. Or nous croyons que l’usage de tels films peut rompre la monotonie d’un enseignement « papier-crayon ».

En ce qui concerne le développement de la perspective critique chez les jeunes, qui rejoint le concept de médiation (Vygotsky, 1986), elle est beaucoup plus présente dans les pratiques brésiliennes. Une activité qui consiste à approfondir les paroles d’une chanson et par conséquent à comprendre les valeurs véhiculées par celle-ci, amène les jeunes à poser un regard critique sur ces artéfacts culturels. Ici, l’artéfact culturel est au centre du processus d’enseignement-apprentissage, tant en ce qui concerne l’utilisation des chansons rock que celle des films de science-fiction. Dans ces pratiques, l’artéfact culturel devient un outil d’enseignement. Dans les pratiques canadiennes, où des bricolages sont intégrés aux pratiques gagnantes, ce sont les élèves eux-mêmes qui deviennent les artistes. Or devenir critique de ses propres œuvres stimule un certain niveau de maturité.

En conclusion, nous espérons que le recours à de telles pratiques pourra mener à un intérêt accru des jeunes envers les sciences et éventuellement, à une carrière scientifique (Cachapuz et coll., 2005 ; Jones et coll., 2000 ; Potvin et Hasni, 2014 ; Pronovost et coll., 2017 ; Silveira et coll., 2015). En utilisant davantage la médiation par les arts dans les sciences et en intégrant les artéfacts culturels à l’enseignement scientifique, les enseignants pourraient en effet susciter un tel intérêt (Eisner et Powell, 2002).

Certes, il serait intéressant d’appliquer notre proposition de référentiel conceptuel et théorique à une plus grande diversité de pratiques gagnantes pour mieux en valider la rigueur. En outre, il serait intéressant de soumettre davantage de critères gagnants à l’épreuve dans l’analyse des pratiques de ST utilisant les arts, comme les ressources du milieu et l’enrichissement conceptuel (Dionne et coll., 2018). Cependant, malgré ses limites, nous croyons à l’intérêt du référentiel dégagé pour susciter une réflexion. Il peut fournir aux didacticiens des sciences et aux enseignants des pistes intéressantes pour explorer de telles pratiques et les intégrer à leur répertoire, tant dans l’enseignement primaire et secondaire qu’en formation à l’enseignement.