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L’éducation relative à l’environnement (ERE) auprès des adultes est en plein essor. Les adultes, jeunes et moins jeunes, se retrouvent en effet dans un nombre grandissant de sphères d’activités qui proposent des éducations en matière d’environnement. Que l’on soit par exemple un adulte participant à une animation guidée dans un musée, un élu fraichement en poste dans un conseil municipal ou un citoyen inquiet des incidences d’un projet industriel local sur la qualité de vie de sa communauté, les occasions d’apprentissage, par nécessité ou plaisir, sont nombreuses au sujet de questions socioécologiques contemporaines.

Il n’est toutefois pas toujours pertinent que l’ERE commence par accabler ces adultes avec une énumération de catastrophes environnementales et l’impératif de s’engager dans la résolution de problèmes environnementaux. Car à travers les médias omniprésents, les adultes sont généralement alertés au sujet des questions vives. C’est davantage une formation à l’approche critique des réalités socioécologiques et du monde de l’information qu’il faut privilégier, de même que l’exploration de moyens d’action à leur portée individuelle et collective. Mais plus encore, au fondement de leur rapport au monde, il importe de les inviter à découvrir ou re-redécouvrir le territoire où ils vivent, leur milieu de vie, et toute cette nature de laquelle ils font partie. Il faut pouvoir s’émerveiller par exemple, de la diversité des oiseaux qui cohabitent au parc ou encore, s’imprégner de l’odeur d’un sous-bois et apprécier le bruit des feuilles sous les pas. Ces moments de vie sont autant d’expériences qui peuvent être fondatrices d’un rapport à l’environnement sensible, plaisant et apaisant, sur lequel peut prendre appui l’envie de participer à de projets environnementaux ou encore à des mobilisations écocitoyennes.

Louis Espinassou (2015) considère que l’expérience du dehors est essentielle pour le développement des enfants, pour fonder leur relation au monde et favoriser leur compréhension de celui-ci. Il en est de même pour les adultes. « Être adulte » a longtemps été associé à un état, un statut qui conférait des caractéristiques immuables ; il n’en est plus ainsi aujourd’hui. L’intelligence, l’identité, les compétences, les intérêts et les sensibilités de l’adulte sont reconnus comme évoluant sans cesse dans le creuset fertile des expériences de la vie. Du berceau jusqu’à la fin, la personne humaine se transforme et ne cesse de faire des apprentissages dans des contextes variés, informel, non-formel ou formel. L’ERE se penche sur une dimension fondamentale d’un tel développement de l’adulte, celle de sa relation aux réalités écologiques, à travers un processus expérientiel et dialogique qui, en lien avec la rationalité critique, laisse également place à l’imaginaire, à la créativité et à l’appréhension symbolique des réalités (Cottereau, 2003 ; Pineau et Galvani, 2017). Et ces réalités - où se croisent les dimensions naturelles et sociales de l’environnement -, sont d’abord celles de son milieu de vie, de sa maison, de sa ruelle, de son quartier, et puis de sa ville, de sa région, de son pays, de la planète.

Si le champ de l’ERE auprès des adultes était encore récemment qualifié de sous-théorisé par divers auteurs anglophones (Clover, de O. Jayme, Hall et Follen 2013 ; Walter, 2007, 2009), force est de constater une certaine effervescence dans la francophonie et le monde hispanophone. Dans les années 2000, pour Walter (2009) comme pour Lange et Chubb (2009), le grand défi de l’ERE auprès des adultes était celui du peu d’intégration de ses fondements et objectifs dans le domaine global de l’éducation des adultes. On observait également que les pratiques d’ERE auprès des adultes étaient encore trop axées sur les changements de comportements et/ou sur des démarches peu participatives. Même si ces telles pratiques demeurent, on observe que la dégradation accélérée de l’environnement, l’accroissement des inégalités sociales ainsi que l’érosion de la démocratie (Kempf, 2009, 2017) forcent les individus comme les institutions à s’interroger en profondeur ses les possibilités d’un renversement de la crise socioécologique mondialisée. Des éducateurs comme Pierre Danserau au Québec ou David Attenborough en Grande-Bretagne posaient un regard lucide sur les importants changements induits par les activités humaines, mais ils demeuraient confiants en l’avenir. Comme adultes et comme éducateurs, il nous faut bien sûr entendre ces signes alarmants, mais aussi cultiver l’espoir. Transformer les rapports de domination et d’exploitation entre les personnes et les sociétés, comme entre celles-ci et leur environnement, apparait une nécessité de premier ordre à laquelle l’éducation relative à l’environnement, en tant que force de changement, doit répondre (Sauvé, 2015, 2017, 2019). Et l’ERE auprès des adultes est interpelée ici de façon particulière puisque ce sont des adultes qui, dans l’exercice de leurs rôles sociaux et citoyens, prennent actuellement, à court et moyen termes, des décisions déterminantes localement et globalement, pour l’environnement et la société en général (Villemagne, 2008, 2017). Et ils peuvent devenir éducateurs à leur tour au sein de leur milieu, comme certains qui œuvrent déjà en milieu d’enseignement formel.

Ce numéro thématique témoigne du nombre grandissant de chercheur.e.s qui placent les adultes au cœur de leurs intérêts. Même si elles ou ils n’intègrent pas toujours de manière explicite l’éducation des adultes au cadre théorique de leurs travaux, la trame andragogique de leurs préoccupations est bien là. Les articles que nous rassemblons dans ce numéro 16 (1) de la revue Éducation relative à l’environnement donnent ainsi à voir une diversité de recherches et de regards sur l’ERE auprès des adultes dans une pluralité de contextes. Nous verrons qu’un premier ensemble d’articles traite de l’apprentissage et de la formation en milieux non formels. Suivent des contributions qui abordent la formation dans le contexte de l’action politique formelle, puis en milieu universitaire.

En milieu non formel

Constatant la responsabilité que doivent désormais assumer les citoyen.ne.s au regard de « l’urgence du vivant », Majo Hansotte propose d’abord un parcours pour le développement d’intelligences citoyennes correspondant à différents « registres de paroles agissantes » qui permettent de passer » du subir à l’agir » dans l’espace public. Sa proposition s’inspire des grands courants de l’éducation populaire pour stimuler la délibération et la mobilisation des collectifs citoyens autour des questions qui les concernent.

Arnaud Morange se penche ensuite plus spécifiquement sur l’éducation relative à l’environnement auprès des classes populaires en France, soulignant l’importance de ne pas stigmatiser leur rapport à l’environnement et de reconnaitre les particularités de leur condition : d’une part, « qu’elles soient dictées par la nécessité ou par une conscience écologique », certaines de leurs pratiques méritent d’être valorisées, car elles sont particulièrement inspirantes et appropriées ; d’autre part, toute initiative éducative doit s’ancrer dans la réalité de leur vécu.

Insistant également sur l’importance de prendre en compte la réalité et les savoirs des adultes apprenants, Allali Boujema nous transporte en Bolivie où il traite des facteurs qui déterminent les apprentissages des paysans indigènes en matière d’agroécologie. Ici, l’expérience des participants et le dialogue des savoirs doivent se retrouver au cœur de la dynamique de formation. Sur le même thème de la formation en agroécologie, Kylyan Bisquert propose des balises pour une éducation relative à l’environnement auprès des adultes concernant la co-construction de systèmes agroalimentaires socialement équitables et écologiquement responsables. Cet auteur convoque une approche dite écologiste de l’ERE, à dimension critique et politique, pour promouvoir la mobilisation sociale en faveur de l’adoption de pratiques agroécologiques axées sur le changement des modes de production et de consommation.

Toujours en milieu non formel, cette fois celui d’un Parc naturel régional français, Dominique Bachelart et Emmanuelle Crépeau présentent une réflexion méthodologique sur une démarche participative visant à sensibiliser et mobiliser les habitants de la région sur la question des changements climatiques. Les auteures insistent sur l’importance d’adopter des stratégies qui renforcent l’ancrage territorial et stimulent une dynamique dialogique et démocratique. À cet effet, elles invitent entre autres les participant.e.s à un exercice de prospection du futur pour l’élaboration d’un « plan climat ».

Darlene Clover avec le concours de Carine Villemagne nous transporte ensuite en milieu muséal. Reconnaissant que les musées « structurent et autorisent des façons particulières de voir et de savoir », ils perpétuent des rapports de domination à travers les « représentations » du monde qui sont sous-jacentes aux expositions. Le Hack écologique au musée est ainsi proposé comme une stratégie d’éducation relative à l’environnement auprès des adultes visiteurs, qui stimule l’analyse critique des représentations de la nature, de la société et du rapport de celle-ci à la nature, véhiculées par ces institutions culturelles. Une telle « pédagogie critique du visuel » invite à la discussion sur le rapport entre culture et nature et à l’adoption d’une posture de résistance de la part des visiteurs.

Également en lien avec une ERE en milieu non formel, deux articles contribuent à la section « Regards »de ce numéro. Justine Daniel et Carine Villemagne relatent une recherche-développement participative concernant la mise au point d’une pratique éducative auprès d’adultes en situation de pauvreté, visant à développer une compétence en matière de résolution de problème environnemental dans leur milieu. Les auteures soulignent les défis soulevés par le caractère interdisciplinaire des questions traitées, par l’hétérogénéité du groupe de participants et par la construction d’un partenariat entre le milieu universitaire et le milieu d’éducation populaire.

Enfin, Linda Binette partage un regard réflexif sur quelques initiatives d’éducation relative à l’environnement développées et mises en œuvre dans le cadre de sa propre pratique éducative à la confluence de contextes formels et non formels : dans un programme régulier d’éducation des adultes, auprès de groupes de citoyen.e.s retraité.e.s et en contexte de formation continue d’enseignant.e.s. De ces expériences, elle retient surtout l’importance d’adapter la formation aux caractéristiques des participants et à leurs intérêts, d’inclure des éléments d’actualité et « d’encourager les dispositions à agir ».

En contexte de politique formelle

Les deux contributions suivantes nous amènent sur le plan politique. Jérôme Lafitte nous invite d’abord à examiner certains aspects d’une démarche d’élaboration d’un Agenda 21 local dans la région des Pyrénées, démarche qui s’appuie sur les principes du « développement durable ». Au terme d’une recherche axée sur des stratégies d’étude de cas, il met au jour le rôle déterminant de la dynamique communicationnelle dans la construction dite participative de ce plan de développement territorial. En particulier, il caractérise la représentation dominante d’un « environnement label » utilisée par les acteurs du monde politique et économique pour rejoindre leurs publics et il invite à porter un regard critique sur la rationalité à tendance économiciste qu’un tel discours véhicule.

Pour sa part, Marc-André Guertin s’intéresse à la formation des élus municipaux en matière d’environnement, comme champ de formation professionnelle des adultes. Il présente les résultats saillants d’une recherche descriptive, interprétative et critique de l’offre de formation des élus au Québec, caractérisant les visées, les contenus et les approches adoptées. S’il apparait que la formation actuellement offerte est davantage axée sur le développement de compétences en gestion environnementale, il est certes souhaitable que celle-ci invite également les élus à clarifier leur identité politique et à « mieux appréhender leur rôle de décideurs et d’arbitres au regard des questions relatives à l’environnement et de façon plus globale, au bien commun ». L’auteur propose à cet effet quelques repères pour la conception de programmes ou d’initiatives de formation appropriés aux élus municipaux.

À l’Université

Dans le contexte de la formation universitaire, Yves Laberge rappelle l’importance de prendre en compte la diversité des trajectoires de vie, des croyances, des valeurs et des attentes des étudiant.e.s. S’inspirant du champ de la sociologie de l’éducation, et en particulier de l’approche de l’« idéal-type » de Max Weber, l’auteur identifie cinq types d’étudiant.e.s comme autant de catégories qui permettent de caractériser leurs manières de s’inscrire dans le monde et d’ajuster en conséquence l’approche de formation relative à l’environnement qui leur est offerte.

Mélanie Champoux se penche ensuite sur les programmes universitaires visant à former des « acteurs de changement » dans le contexte d’une transition écosociétale. Au-delà d’un slogan visant à recruter des étudiants, qu’entend-on par « acteur de changement » ? L’auteure présente les résultats d’une démarche intégrant une analyse de publications de recherche et la synthèse critique d’entrevues semi-dirigées afin de proposer des repères théoriques, axiologiques et praxéologiques pour le développement de parcours de formation orientés vers la compréhension critique des réalités et qui invitent à s’engager dans une « relation mutuelle de création et de re-création du monde ».

Carine Villemagne et Enrique Correa Molina posent pour leur part un regard diagnostique et critique sur les possibilités d’intégration de l’éducation relative à l’environnement (ERE) dans un programme de formation des futur.e.s enseignant.e.s soit un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale. Les auteurs montrent que les intérêts et les préoccupations environnementales des personnes étudiantes et chargées de cours sont bien là, mais se heurtent à plusieurs limites : celles imposées par un référentiel de compétences peu enclin à intégrer les questions socioécologiques de même que la difficulté à faire de la place à ces questions au sein d’un programme de formation considéré comme déjà très chargé.

Abordant le champ spécifique de la formation universitaire des éducatrices et éducateurs en petite enfance, Neus Banque Martinez et Genina Calafell soulignent à leur tour l’importance d’ancrer celle-ci dans les réalités socioécologiques des milieux de vie. Les auteures présentent à cet effet la démarche et les résultats d’une recherche-action visant le développement d’une proposition pédagogique qui invite les enfants à explorer leur milieu de vie, à formuler des questions à propos de celui-ci et à mener une démarche interdisciplinaire de recherche pour y répondre. La collaboration avec les différents acteurs de la communauté éducative prend ici toute son importance.

Un regard transversal

On saura certes trouver des repères pédagogiques communs à ces divers articles traitant de réalités et d’enjeux dans différents contextes d’éducation et de formation des adultes en matière d’environnement : en particulier, la prise en compte du contexte et des caractéristiques spécifiques des groupes et des personnes en formation, la valorisation du savoir des apprenants, l’ancrage de l’apprentissage dans les préoccupations de vie personnelle ou professionnelle de ceux-ci, la « réconciliation » entre les savoirs théoriques disciplinaires et les autres modes d’appréhension du réel, l’adoption d’une approche dialogique et participative favorisant le co-apprentissage, l’invitation à s’engager dans une approche critique des discours et des réalités socio-écologiques, stimulant ainsi l’agentivité et enfin, les apports du partenariat entre acteurs de la société éducative. Bien sûr, ces repères ne sont pas le propre de l’éducation relative à l’environnement ni celui de l’andragogie, mais ils trouvent ici une pertinence toute particulière au regard de la nécessité de mobiliser tous les acteurs de l’éducation autour de l’effort incontournable de reconstruction de notre rapport personnel et social à ce monde. Et cela, d’autant plus que les décideurs du monde politique semblent trop souvent vouloir occulter « le mur écologique vers lequel nous fonçons » (Méheust, 2014).

Enfin, pour clore ce numéro thématique, nous avons invité Dolorès Contré à porter un regard transversal sur les propos des auteur.e.s et à partager sa propre vision de l’éducation relative à l’environnement auprès des adultes. En tant qu’artiste et pédagogue d’origine anishinaabeh, elle adopte une « pédagogie par symboles », inspirée du mode de vie autochtone et de l’éthique du rapport à la Terre. L’auteure rappelle que la perspective autochtone met en évidence la nature holistique, profondément écologique de notre rapport au monde et elle propose d’enrichir de ces fondements essentiels l’éducation et la formation des adultes en matière d’environnement. C’est ainsi que nous partageons une illustration de cette artiste, synthétisant les multiples liens fondamentaux qui nous unissent les uns aux autres et nous ancrent au creux de la Terre-Mère.

Nous vous souhaitons bonne lecture !