Abstracts
Résumé
Cet article identifie et caractérise une nouvelle représentation sociale de l’environnement, celle de l’environnement-label qui vient s’ajouter à la typologie des sept représentations sociales qui résulte de la recherche en éducation relative à l’environnement menée par Sauvé et Garnier en 2000. Une telle représentation a émergé d’analyses produites dans le cadre de notre recherche doctorale. Cette recherche avait pour but d’étudier la dynamique dialogique du savoir environnemental, soit principalement, la construction et les échanges de savoirs intervenant à l’occasion d’une démarche participative Agenda 21 local, démarche qui applique et promeut les principes du cadre référentiel du développement durable. Cet article contextualise l’analyse qui permet le repérage de cette représentation sociale de l’environnement, ancrée dans la communication, soit la communication territoriale pour le cas présent. La représentation sociale de l’environnement-label semble répondre à une préoccupation de plus en plus affirmée d’un environnement envisagé comme objet de communication. Dans cette perspective, il semble opportun de porter attention aux enjeux éducationnels associés, notamment dans une perspective analytique et critique.
Mots-clés :
- démocratie participative,
- environnement-label,
- territoire,
- communication,
- développement durable
Abstract
This article puts in light a new social representation, the environement as branding, in addition to the typology of seven social representations of the environment resulting from the research in environmental education conducted by Sauvé and Garnier in 2000. Such a representation emerged through our doctoral research. The aim of this research was to study the dialogical dynamics of environmental knowledge, mainly the construction of knowledge through a participatory Local Agenda 21process, which applies and promotes the principles of the reference framework of sustainable development. The article contextualizes the analysis that led to the emergence of this specific social representation of the environment, anchored in communication, and more precisely in territorial communication in this case. The social representation of the environment as branding seems to respond to a more and more asserted concern for an environment considered as an object of communication. In this perspective, it seems appropriate to pay attention to the associated educational stakes, particularly from an analytical and critical perspective.
Keywords:
- deliberative democracy,
- participation,
- environment-branding,
- territory,
- sustainable development
Article body
Cet article prend appui sur une recherche doctorale à la croisée de la géographie et de l’éducation auprès des adultes, ces deux champs étant appliqués à l’environnement (Lafitte, 2019). Il vise à présenter une nouvelle représentation sociale qui joue un rôle structurant au sein d’un projet territorial : celle de l’environnement-label. Celle-ci vient enrichir la typologie produite par Sauvé et Garnier (2000) et présenter les implications éducationnelles d’une telle représentation sociale. La recherche qui a permis l’émergence de cette représentation sociale a été menée dans les Pyrénées centrales auprès d’une communauté villageoise sollicitée par une démarche participative dite Agenda 21 local (A21L) prenant en compte des questionnements environnementaux. Ce type de démarche participative est porté par le maire et se trouve mis en œuvre par des bureaux d’études. Une telle démarche consiste, pour l’essentiel à dessiner un projet territorial (dit A21L) qui décline à l’échelle locale, le cadre référentiel du développement durable selon le programme « Action 21 », lequel émane de la conférence de Rio (1992). La recherche avait pour objectif d’étudier la dynamique dialogique du savoir environnemental appelée à se déployer dans et à l’occasion de l’A21L, en considérant la prise en compte des temporalités environnementales[1]. Cet article prend appui sur l’analyse du processus participatif et communicationnel à l’œuvre dans la démarche participative A21L étudiée. Cette démarche a permis l’élaboration de soixante-six propositions. Ces énoncés ont été construits par un dialogue des savoirs intervenant entre des acteurs-habitants prenant part à des ateliers participatifs et des experts scientifiques exerçant à titre de professionnels dans leur domaine. De manière générale, dans notre recherche, nous interrogeons ce dialogue des savoirs depuis le cadre conceptuel que nous avons structuré par l’articulation entre dialogique du savoir et temporalités environnementales. L’analyse particulière qui permet de faire saillir la représentation sociale de l’environnement-label s’appuie sur l’approche phénoménographique proposée par Sauvé et Garnier (2000). C’est par le recours à cette approche que les autrices ont pu dégager sept représentations sociales canoniques. Notre recherche apporte une contribution à cette typologie en proposant une huitième représentation sociale qui se noue autour de la relation entre environnement et communication, plus spécifiquement la communication territoriale dans le cas présent.
Quatre parties composent cet article. La première présente certains aspects de la problématisation de recherche. Elle se centre sur le dispositif des Agendas 21 locaux, structurés par une démarche participative et territoriale. Dans cette partie, nous présenterons une brève analyse à partir d’un paradoxe pointé par les instances gouvernementales et les municipalités françaises au sujet de l’efficacité de tels projets A21L. Elle nous permettra de questionner le modèle éducationnel en jeu dans la démarche participative. La seconde partie aborde plus spécifiquement le cas de l’A21L étudié, et ce, afin de rappeler le déroulement de la démarche participative. Ce sera alors l’occasion de présenter certains des résultats qui témoignent du rôle joué par la communication environnementale. La troisième partie traite des énoncés analysés à l’aune de la méthode de la phénoménographie des représentations sociales de l’environnement, et ce, afin de rendre compte de la transformation subie par les énoncés au cours de la démarche participative de l’A21L. La quatrième partie présente succinctement, sous forme de tableau, les prolongements éducatifs possibles en lien avec l’émergence de la représentation de l’environnement-label. Cette dernière se trouve désormais particulièrement mobilisée pour des campagnes, des projets promouvant l’environnement, avec toute la complexité de l’intentionnalité d’une telle publicisation. Des enjeux éducationnels surgissent aussi bien en amont (conception, mise en œuvre) que pendant (pratiques mobilisatrices par exemple) et en aval (analyse critique des motifs de l’action, effets attendus et réels par exemple) de telles initiatives.
Les A21L comme illustration de la mise en œuvre d’une démocratie participative adossée au cadre référentiel du développement durable
La première partie présente certains aspects, notamment contextuels, de la problématisation de recherche centrée sur la dynamique dialogique du savoir environnemental qui intervient à l’occasion d’une démarche participative et territoriale A21L. La brève analyse proposée ici cherche à clarifier le modèle éducatif qui sous-tend l’éducation au développement durable et son intentionnalité qui préside aux agendas 21 locaux.
Brève périodisation et tension entre théorie de la délibération et pratiques participatives
Les années 2000 vont connaître le déploiement de démarches participatives, initiées dès les années 90. Blatrix (2012) précise que pour la France tout particulièrement, une première période de développement des dispositifs participatifs interviendrait entre 1992 et 2002. Elle serait marquée par une demande de savoirs d’expertise, émanant de secteurs de l’action publique tels que l’environnement et l’aménagement des territoires. Les années 2002-2012 vont connaître une normalisation de la démocratie participative accompagnée de l’autonomisation du champ de recherche dit des « sciences de la participation », contribuant à alimenter « la modernisation du processus de décision publique ». Entre ces deux périodes, la date charnière de 2002 correspond à l’émergence de l’expression de l’« impératif participatif ou délibératif » (Blatrix, 2000 ; Blondiaux et Sintomer, 2002). Cette expression évoque à la fois un tournant participatif largement soutenu par la production d’une théorie dite de la démocratie délibérative, omniprésente dans la littérature anglophone (Chambers, 2003, entre autres). Ce dialogisme théorique s’appuie sur l’éthique de la discussion, autour des travaux de Habermas notamment, tandis que se développerait depuis la pratique, un appel à la participation publique. Or, la confrontation entre les finalités éthiques de la délibération ainsi théorisée (dialogue valorisé a priori, où l’échange d’arguments tend à converger par la nécessité communicationnelle, vers une résolution consensuelle dans l’irénisme garanti par la « transparence » des procédures), avec ce qui se passe dans le réel des dispositifs participatifs à l’œuvre, montre que le tournant délibératif est surtout prégnant dans les cadres théoriques retenus, plutôt que dans les réalités observées des pratiques participatives (Bacqué et Sintomer, 2011 ; Blatrix, 2012 ; Blondiaux et coll., 2011).
Les A21L et leur mise en œuvre participative
Les A21L concrétisent sur le terrain les principes internationaux d’Action 21, programme mondial résultant de la conférence de Rio en 1992 et institutionnalisant le cadre référentiel du développement durable. Un A21L est une démarche de projet territorial et de développement local qui vise à promouvoir une politique publique de planification du développement durable « sur mesure », depuis les territoires locaux. Parmi les axes de la démarche A21L, se retrouvent la promotion de l’éducation, la sensibilisation du public et la formation, le partage de l’information et des données en vue de la prise de décision. Une méthodologie dite « décisionnelle » est structurée autour d’un processus participatif cherchant à développer les capacités humaines sur le territoire concerné. L’A21L recherche la diversification des usages du territoire en vue d’une meilleure qualité de vie et la valorisation de ressources locales impliquant les écosystèmes (Joyal, 2011 ; Thuillier et coll., 2002). Une telle démarche constitue cependant un défi en raison du temps nécessaire pour, sensibiliser, convaincre, former, pour engager et maintenir la concertation afin de pérenniser la démarche (Lafitte, 2019).
Une mise en œuvre axée sur le modèle instructionniste du déficit
Dans un document bilan portant sur les A21L, les instances gouvernementales françaises reconnaissent quelques limites à l’efficacité de la mobilisation des A21L :
À l’appui des témoignages, les collectivités éprouvent une grande difficulté à mobiliser les citoyens et particulièrement pour les faire participer à des instances de concertation. Pourtant, elles font appel à un grand nombre de supports (campagne, exposition, journal, outil pédagogique…) pour informer, sensibiliser et former le citoyen[2].
Une schématisation de la conception de l’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD) dont témoigne la figure 1 accompagne un tel constant (Comité 21, 2008, p. 3).
Ce paradoxe, pointé par l’association des maires de France, entre l’investissement dans la transmission d’informations et les résultats obtenus en termes de mobilisation et de participation citoyenne renseigne sur la conception éducationnelle en jeu. En effet, une telle conception est envisagée selon une logique transmissive et descendante qui privilégie une « accumulation d’informations » sans souci de la compréhension (Clover, 2003, p. 10). L’acte de « savoir » est réduit à un « faire connaître » qui vient « d’en haut ». Quant à l’acte de « comprendre », il est limité au déclenchement d’une prise de conscience, ouvrant sur un changement d’attitude de nature consumériste.
Tel qu’illustré par le schéma ci-dessus, la relation éducative est descendante, limitée à la transmission d’informations (one way learning) (Rowe et Frewer, 2000), qui se justifie par sa visée moralisatrice et instrumentale : la mise en œuvre de bonnes pratiques et de bons comportements qui réduisent l’agir et le faire à des gestes de consommateurs. La personne est conçue de manière « mécanomorphique », instrumentale et individualiste. Elle est considérée comme un simple rouage qui, soumis à un stimulus, produit une réaction donnée, une prise de conscience qui se traduit par des gestes de consommateurs qui seront agrégés ensuite. L’éducabilité de l’apprenant adulte, dans la diversité de ses potentialités, n’est pas prise en compte.
La réduction de la liberté de choix qui sous-tend la mise en œuvre de cette éducation au développement durable fait naître chez Bachelart (2006) une crainte relative à l’éducation et au développement durable dans ses tendances généralisantes : « Si nous adoptons ce concept sans en débattre, j’ai peur que ce qui a trait aux rapports entre l’homme et son milieu ne passe à la trappe, au profit de la promotion des ampoules à basse tension… ». En effet, la médiation environnementale ainsi conçue n’ouvre pas sur de nouvelles pratiques environnementales susceptibles de modifier notre rapport au monde de manière collective, collaborative et axée sur une transformation à la fois sociale et écologique (Barbier et Larrue, 2011 ; Fortin-Debart, 2004 ; Vare, 2008). Or, dans notre recherche portant sur l’élaboration d’un A21L, l’un des habitants exprime ceci venant à l’appui de la crainte formulée par Bachelart (2006) au sujet d’actions qui résultent d’une éducation au développement durable :
Voilà, l’agenda 21, tu finis par mettre des lampadaires, alors que tu devrais les enlever ! Quand on s’est rendu compte que la dimension communication primait, on a décroché. C’est du verdissement[3]. Donc, nous, quand on se rend compte que c’est encore cette logique de verdissement qui arrive dans notre commune, on est déjà tellement pris par ailleurs !
Cet extrait de verbatim provient d’un acteur-habitant ayant participé aux ateliers participatifs, doté de compétences en agroécologie et engagé dans sa communauté locale, verbalisant par ailleurs une attente réelle et positive à l’égard de cette démarche participative et territoriale, sans illusion toutefois. Ce constat verbalisé n’est pas isolé et recoupe les avis de ce groupe d’acteurs-habitants néo-ruraux que j’ai identifiés dans ma recherche comme le groupe dit des « écologistes » en référence aux travaux de Lefebvre (2007), mobilisés et adaptés dans ma thèse.
En contexte politique, ici envisagé dans la perspective de la démocratie représentative et technique (Callon, 1998), le rapport au savoir « pédagogique » qui s’instaure autour des questions de développement durable semble marqué par une visée de communicativité[4] qui favorise un apprentissage passif plutôt qu’actif, qui est donc insuffisamment axé sur le pouvoir agir des habitants (Glasser, 2007).
Cette brève analyse atteste de l’enjeu que représente la communication au sein d’un espace public, mais selon une conception transmissive et descendante de la communication politique et de l’action pédagogique, basée sur le modèle du déficit, stigmatisée par la métaphore d’une logique éducative « bancaire » (Freire, 1974). La communication publique est dominée par la communicativité des informations, plutôt que la communicabilité du sens, constituée au sein d’une « communauté débattante »[5] ouverte au dialogue véritable et à l’incertitude des décisions prises adossées à un projet d’habiter qui fasse communauté. En effet, l’éducabilité des personnes adultes dans la diversité des situations et des profils formant le public concerné des habitant.e.s-citoyen.n.e.s n’est pas prise en compte. La plupart des propositions initiales émanant des premiers ateliers participatifs de la démarche A21L manifestaient une sensibilité agroécologique axée sur l’idée de mise en commun, par exemple : « Sensibilisation des propriétaires de forêts privées au travail en commun » ou encore, « amélioration de la gestion de la faune et la mise en place de moyens techniques pour entretenir l’espace (haies, fougères) » explicitée par la mise en œuvre de pratiques communes. L’énoncé sera transformé lors des derniers ateliers participatifs dits « stratégiques » en « Gestion de la faune sauvage et sensibilisation des usagers de l’espace », témoignant de la rationalité gouvernementale qui transcode les énoncés non sans ambigüité.
Il s’agit plutôt de fabriquer, de « créer du consentement », et ce, par la dynamique démocratique (Stiegler, 2019, p. 67). D’un point de vue éducatif, Freire dénonçait cette fabrication du consentement qu’il observait dans un public accommodé, adapté, immergé « dans la logique spécifique de la structure dominante » qui limite la liberté de choix et qui cantonne les personnes à un « moins-être » (Freire, 1974, p. 25). Selon Freire (2006, p. 151), cette logique est celle d’une « idéologie néolibérale » qui « forge une éducation froidement techniciste et qui requiert un éducateur excellant dans la tâche de l’accommodation au monde et non à celle de sa transformation. Cette idéologie attend moins d’un éducateur qu’il soit formateur, qu’entraîneur, agent de transfert des savoirs ».
Le rôle déterminant de la communication territoriale et environnementale dans la démarche participative
Cette seconde partie aborde le cas de l’A21L que nous avons étudié dans la région des Pyrénées centrales. Il s’agit de rappeler le déroulement de la démarche participative et de présenter certains des résultats qui témoignent du rôle joué par la communication environnementale au sein du dispositif de l’A21L et de sa démarche participative déployée au cours de deux années (2006-2007). Les détails de l’analyse seront présentés dans la prochaine partie.
Une démarche de projet très encadrée et encadrante
Tel que le stipule l’institutionnalisation de la démarche A21L en France, le premier élu initie le projet territorial dit A21L et le dialogue participatif qui doit y être associé. Le maire alors en poste dans la commune en question va profiter d’un mandat régional, cumulé avec un premier mandat de premier élu municipal, pour se trouver sensibilisé à cette démarche et profiter du soutien logistique associé à un tel dispositif. Une personne chargée de mission est recrutée pour le lancement de la démarche A21L, sa mise en œuvre et le suivi du projet territorial qui en émerge, l’un des premiers des Pyrénées[6]. La démarche participative A21L sera mise en œuvre par un consortium de bureaux d’études qui travaillera de concert avec la Mairie.
Les consultants en marketing territorial et en environnement vont alors appliquer une démarche participative dite D2MIP, préconisée par l’Agence régionale pour l’Environnement de Midi Pyrénées (ARPE)[7]. Quatre phases sont déclinées : 1) « sensibilisation au développement durable » 2) phase « diagnostique » 3) phase stratégique »et 4) « publicisation de l’A21L ».
Éléments méthodologiques
Afin de caractériser à travers une étude de cas, la dynamique dialogique intervenant à l’occasion de la démarche participative A21L et pouvoir cerner les principaux enjeux relatifs à cette dynamique dialogique, considérant plus spécifiquement la prise en compte des temporalités environnementales et le rôle qu’elles ont pu jouer au sein d’un tel projet territorial, nous avons d’abord analysé une diversité de documents : le journal de suivi de la démarche A21L, les livrables issus de la mise en œuvre de l’A21L par le consortium de bureaux d’études et un corpus d’une cinquantaine d’articles de journaux issus de la presse régionale notamment. D’autre part, nous avons réalisé des entretiens semi-dirigés : 8 entretiens semi-directifs avec des acteurs-habitants impliqués dans la démarche A21L à des degrés divers, 9 entretiens complémentaires auprès notamment d’informateurs-clefs, participants réguliers à la démarche A21L et à sa mise en œuvre. Par ailleurs, nous avons effectué un certain nombre d’observations de type ethnographique. Ces observations se sont déroulées lors des jours de marché et ont donné lieu à un certain nombre d’entretiens ponctuels et informels (16 observations étalées sur 3 ans). Ces observations ethnographiques accompagnées d’entretiens informels ponctuels ont permis de pallier une limite importante du recueil de données, qui est celle de ne pas avoir pu assister de visu aux séances participatives qui ont eu lieu six ans avant le déroulement de cette recherche. Dans cette perspective, les séances participatives observées pour d’autres cas du territoire intercommunal (14 entretiens semi-directifs) ont nourri l’analytique dialogale[8], en offrant un ancrage pour la comparaison[9].
Si la mémoire des acteurs-habitants a pu parfois manquer, leur recul réflexif (dialogique intra et intersubjectif) à l’occasion des entretiens nous paraît avoir constitué un atout concernant l’étude de la signifiance de la démarche participative et territoriale. En effet, un des acteurs-habitants participant à l’un des 8 entretiens semi-directifs dira plus tard qu’il regrettait de ne pas avoir davantage apporté lors de l’entretien, notamment d’un point de vue critique et que l’entretien avait particulièrement mobilisé sa réflexion.
La communication territoriale au cœur de la démarche A21L
La figure 2 présente le profil chronologique de la démarche A21L et tente de manière diachronique et synthétique, de rendre compte de la relation entre les moments participatifs et le rayonnement spatial de ladite démarche participative soutenue par la communication territoriale à trois niveaux d’échelle : celui de la communauté des habitants (une ville de 1 000 habitants), celui du canton ou de l’intercommunalité (5 000 habitants environ) et celui du pays de Comminges ou de l’ancienne région Midi-Pyrénées (un peu moins de 3 millions d’habitants) aujourd’hui fusionnée avec la région Languedoc-Roussillon, l’Occitanie.
Comme en atteste cette matrice chronologique (Fig. 2), la publicisation est structurée à partir des moments-clefs de la démarche. Le premier moment de communication intervient notamment à l’échelle régionale. Il correspond au lancement de la démarche et sa publicisation, avec à l’échelle locale, le choix des membres des ateliers participatifs et du comité de pilotage. Un autre moment de publicisation de la communication territoriale est la série d’articles en lien avec les ateliers stratégiques et le « forum de restitution ». Les articles ont donc été diffusés tout au long de la démarche. Cette dernière a donné lieu à une plaquette publicisant les soixante-six actions qui en ont résulté (voir section suivante). À noter que des journalistes se trouvent « embarqués » dans le comité de pilotage et dans les ateliers participatifs ainsi que dans les forums en tant que « parties prenantes »[10] de la démarche participative. Comme nous allons le montrer dans la partie suivante, la représentation de l’environnement-label domine l’intentionnalité qui guide le projet territorial.
Du point de vue de la dynamique dialogique et des stratégies communicationnelles[11] à l’œuvre, nous remarquons la bifurcation qui intervient durant les ateliers participatifs stratégiques (8). Celle-ci s’éclaire à la lumière de l’énoncé évoqué plus haut dans l’article (la prise de conscience par les participants de la visée communicationnelle qui prime sur la construction d’un projet politique en commun qui serait à la hauteur des enjeux environnementaux). La bifurcation donne naissance à une association citoyenne « Aspet durable » (12). Celle-ci vise à prolonger la dynamique initiée par l’A21L, à assurer un suivi et une surveillance de la concrétisation de l’A21L, tout en promouvant des actions dans une perspective écocitoyenne. En cela, dans ce contexte interlocutif, il semble de prime abord que les conditions pour rendre possible le dialogue existent puisqu’émerge un espace de dialogue horizontal. En effet, on observe une certaine continuité discursive avec des transgressions limitées demeurant au service de la dynamique dialogique, attestant d’une certaine reconnaissance des compétences communicationnelles des citoyen.ne.s-habitant.e.s et, enfin, de l’émergence d’une possible expertise citoyenne. Mais l’association citoyenne cherche également à pallier la déception et la frustration ressentie à l’issue de la démarche, déception et frustration qui portent entre autres sur le cadrage de la participation par des thématiques données en amont ; elle déplore que des propositions des acteurs-habitants engagés dans la démarche n’aient pas été retenues au profit d’intérêts communicationnels ou idéologiques autour du développement durable, énoncés socioécologiques « transcodés »[12] par la rationalité gouvernementale adossée à une rationalité technoscientifique ; elle formule des critiques à l’égard du suivi du projet territorial A21L et du support institutionnel des initiatives de l’association citoyenne. En effet, la grande majorité des acteurs lors des entretiens expriment leur déception quant à la dynamique dialogique à l’œuvre dans la démarche participative. L’émergence d’un kaïros comme construction d’un moment opportun dans l’action politique atteste d’une « communauté débattante » en action (voir note 5), s’inscrivant dans une temporalité politique dialogique. Une telle association qui incarne une communauté débattante est alors susceptible de se prolonger en une communauté de gestion environnementale participative et intégrée, voire en une véritable communauté politique responsable du problème public selon Barbier et Larrue (2011, p. 89). Nous retrouvons l’idée de la politique comme projet d’autonomie : « activité collective réfléchie et lucide visant l’institution globale de la société comme telle » (Castoriadis, 1977, p. 166). Les citoyen.ne.s, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit de leur habiter local, se donnent la scène politique comme instrument pour re-présenter les problèmes de la polis, en tant que cité formant une totalité civique. Représentation qui revient vers la société politique pour légitimer − ici, par la communication territoriale − les actions et projets entrepris (Lévy, 2013). Une telle démarche territoriale donne à voir des rapports de force tramés par la relation étroite entre savoir-pouvoir. Hélas, bien que déclarativement soutenue au départ par les élus et les experts du consortium de bureaux d’études, l’association citoyenne va rapidement péricliter pour une pluralité de raisons que les limites de cet article et de sa thématique ne permettent pas d’aborder.
La prégnance de la représentation sociale de l’environnement-label
Cette troisième partie effectue un survol des énoncés recueillis à l’issue de la démarche participative A21L, témoignant de l’émergence de la représentation sociale de l’environnement-label en tant que représentation dominante de l’environnement. Nous y rendons compte du traitement des énoncés produits lors des ateliers participatifs. Ces énoncés ont d’abord été compilés dans un document appelé « diagnostic partagé ». Puis, ils ont donné lieu à la publicisation de la plaquette présentant les soixante-six actions prévues dans le cadre de l’A21L.
Phénoménographie des représentations sociales de l’environnement
L’analyse tirée de notre recherche doctorale ici évoquée reste bien entendu limitée. Nous nous permettons de renvoyer à notre recherche pour l’entièreté du processus et des résultats de l’analyse des énoncés (Lafitte, 2019). Dans le cadre de cet article, il s’agit d’examiner plus spécifiquement ce cas afin d’explorer la pertinence de la représentation sociale de l’environnement-label que nous proposons d’ajouter à la typologie des représentations de l’environnement initialement avancée par Sauvé (1997) et souvent mobilisée en éducation relative à l’environnement.
Dans le « diagnostic partagé », sur 242 énoncés produits au total, 100 ont été identifiés comme étant socioécologiques. Les énoncés ont été associés à la typologie des représentations de l’environnement émanant d’une recherche envisagée dans la perspective phénoménographique proposée par Sauvé et Garnier (2000)[13]. Cette typologie demeure opératoire pour notre étude de cas campée en éducation auprès des adultes, malgré les différences de contexte et de public avec la recherche menée par ces deux chercheuses. Leurs analyses permettent d’identifier sept représentations types, chacune d’entre elles se caractérisant par un mode de relation privilégiée : l’environnement-nature (à apprécier, à respecter, à préserver) ; l’environnement-ressource (à gérer) ; l’environnement-problème (à résoudre) ; l’environnement-système (à comprendre, pour décider) ; l’environnement-milieu de vie (à connaître, à aménager) ; l’environnement-biosphère (où vivre ensemble et à long terme) ; l’environnement-projet communautaire (où s’engager) (voir aussi Sauvé, 2002a, 2017).
Cette typologie permet d’appréhender le savoir produit par la démarche participative, et ce, en plusieurs moments de la démarche : 1) au terme de l’étape du « diagnostic partagé » intervenant après les trois premiers ateliers participatifs ,2) au terme des deux ateliers dits stratégiques et de la validation par un groupe municipal, alors que sont publiés dans la plaquette de communication, les énoncés de l’A21L dans leur version finale. Soulignons que ces énoncés ouvrent sur un savoir-résultat, produit sous la forme d’énoncés socioécologiques classés selon des thématiques imposées par le consortium, soit les 3 thématiques préalables de l’A21L données aux acteurs des ateliers participatifs (les patrimoines, le développement territorial, les liens sociaux), ainsi que les 4 catégories de l’analyse canonique dans le milieu des consultants dite « AFOM » pour Atouts−Faiblesses−Opportunités−Menaces, SWOT en anglais). Dans la prochaine section, nous ne mentionnerons, à titre illustratif, que quelques exemples relevés dans l’analyse et nous nous permettons de renvoyer à notre thèse pour plus de détails (Lafitte, 2019, p. 372-373 et p. 379 notamment).
L’application au cas de l’A21L
À l’issue du « diagnostic partagé », le rapport à l’environnement qui domine de manière générale − en tant qu’il est un indicateur d’un certain rapport au savoir − est la représentation sociale de l’environnement-ressource. Le rapport à la gestion des ressources est axé sur la question de l’énergie, son économie, ses alternatives (méthanisation, alimentation biologique, transports alternatifs). La transformation des ressources est orientée vers une mobilisation locale (bois, produits bioagricoles par exemple, notamment le bois-énergie), mais aussi sur l’alimentation biologique et locale des cantines scolaires. Le recentrage sur l’usage de ressources locales semble faire consensus au sein du groupe de travail des acteurs locaux et se trouve confirmé par l’enquête réalisée par la chargée de mission et les bureaux d’études auprès de la population. Nous retrouvons également le problème des déchets, de leur usage et de leur recyclage. Ces représentations sociales de l’environnement-ressource et de l’environnement-problème ont d’ailleurs tendance à se combiner, avec l’environnement-projet communautaire, correspondant en France et dans ce contexte de démarche A21L, à l’environnement-projet de territoire (par exemple, gestion des ressources du territoire : transformation du bois sur place, récupération des déchets et réduction à la source, amélioration de la gestion de la ressource en eau). Si une telle combinaison dessine un rapport au savoir environnemental classique et cohérent avec la démarche A21L associée au cadre référentiel du développement durable, l’orientation a priori des thématiques suggère un biais de cadrage pour la production des énoncés. Pour rappel, l’une des thématiques imposées et ici détaillée s’intitulait : « Patrimoines, gestion raisonnée des ressources naturelles et des déchets, maîtrise de la consommation de l’espace ». Nous rencontrons ensuite, de manière plus diffuse dans les énoncés socioécologiques, la représentation sociale de l’environnement-nature. Ces énoncés se trouvent associés à la biodiversité et ses services écologiques, ainsi qu’à la dimension patrimoniale et « pédagogique » qui, ensemble, structurent cette représentation sociale qui fait référence ici à la « Prise en compte de l’environnement : protection du patrimoine naturel, information et éducation ».
Quant au terme de la démarche participative, nous retrouvons dans la plaquette finale la forte présence du couplage entre la représentation sociale de l’environnement-ressource, associée à celle de l’environnement-projet communautaire (ou local, voire environnement-territoire [Sauvé, 2002b, 2017]) exprimant le pouvoir explicite institué et normatif. En effet, ce pouvoir municipal apparaît comme le garant d’une logique de rationalisation de la consommation d’énergies, de la protection des ressources naturelles et de la préservation du patrimoine naturel. Il est aussi promoteur d’activités de nature socioécologique, mais qui restent soumises à une logique développementaliste. Un autre couplage mis en évidence par l’analyse est celui de l’association entre l’environnement-milieu de vie et environnement-nature ainsi qu’entre environnement-milieu de vie et environnement-projet territorial (classiquement intitulé environnement-projet communautaire). Une telle association se retrouve dans la communication territoriale, à travers notamment la notion de cadre de vie et son association normative avec la qualité de vie. Cette référence à la qualité de vie se rencontre aussi dans le compte rendu de l’enquête menée auprès des habitants : « La qualité de vie d’Aspet est fortement liée à son cadre de vie, avec 19 % des réponses pour la catégorie “ vivre dans un bel environnement ” ». Le rapport à l’environnement qui ressort ici est celui d’une Nature spectacle, une Nature-décor que le terme de « cadre » traduit bien avec le sous-entendu du paysage à ménager et mettre en valeur. Cette Nature spéculaire l’est en tant que miroir de la maîtrise humaine, exprimant plus spécifiquement, des positionnements politiques, notamment ceux des élus.
Émergence de l’environnement-label
La plaquette finale de l’A21L[14] témoigne toutefois de deux autres représentations sociales, l’une identifiée par la typologie de Sauvé et Garnier (2000) : l’environnement-système et l’autre, que notre recherche a fait émerger et qui est l’objet de cet article : l’environnement-label. La première se trouve associée au couplage entre rationalité gouvernementale et techno-scientifique adossé au savoir technoscientifique ou logico-formel, incluant le savoir territorial gouvernemental, largement pensé en fonction de la norme urbanistique et orienté vers des pratiques d’ingénierie environnementale et territoriale (« bilan énergétique des bâtiments municipaux » ; « schéma des énergies renouvelables locales » ; « protection des périmètres de captage autour des sources »), recoupant les missions étatiques de protection de la Nature et de préservation et valorisation du patrimoine.
La représentation de l’environnement-label apparait pour sa part avec saillance dans la plaquette finale du projet A21L. Cette représentation sociale de l’environnement-label soutient une activité de communication. L’environnement y incarne une « marque » (branding) susceptible de participer à la construction d’une image de marque.
Cette représentation sociale repose sur l’idée d’un environnement à communiquer, à publiciser pour mobiliser les citoyens-usagers. Elle s’appuie sur des clichés, slogans, formules et topoï. Elle est mobilisée par la communication d’entreprise, la communication territoriale ou encore dans le cadre de campagnes de sensibilisation environnementale et use de procédés pédagogiques pour informer les citoyens-usagers (par exemple pour l’A21L étudié : « Informations sur la récupération des eaux de pluie ou sur la gestion de la forêt »). Les problèmes associés sont ceux de l’écoblanchiment (greenwashing) ou du verdissement et de l’astroturfing. Cette représentation sociale porte les valeurs de la participation, de la délibération, du dialogue, de la publicisation et de l’espace public (par exemple dans le cas de l’A21L étudié : « Structure de suivi de l’Agenda 21 »). Ces valeurs invoquées peuvent être instrumentalisées à des fins d’écoblanchiment.
La forte saillance de la représentation sociale de l’environnement-label dans les énoncés à caractère socioécologique définissant les actions à mener pour l’A21L témoigne de l’intentionnalité d’une telle démarche participative. Cette démarche est axée sur la communication territoriale qui promeut le cadre référentiel du développement durable, pour lequel elle mobilise les citoyens-usagers (par exemple, « Axe 1 - Promouvoir le développement durable par l’éducation, la sensibilisation et l’exemplarité », dont le premier thème est « A. Diffuser les principes du développement durable » ; et toujours dans cet axe : « Création d’un emploi « vigilance développement durable » notamment, ou encore « communication régulière »). En cela, elle joue donc un rôle de levier idéologique en intégrant les normes en jeu, les valeurs et les croyances.
Or, dans le « diagnostic partagé » dans lequel les énoncés socioécologiques sont produits par le groupe de travail des acteurs locaux, il n’est pas question de développement durable, et encore moins d’éducation au développement durable. En revanche, dans les énoncés socioécologiques proposés dans le cadre des trois premiers ateliers participatifs, il est question d’« information et éducation à l’environnement ». Face à ce constat, nous cherchons à expliquer les dynamiques qui expliquent cette métamorphose.
Dans la perspective d’une éducation au développement durable, les énoncés socioécologiques associent l’éducation à des actions impliquant l’environnement-ressource, l’environnement-problème, l’environnement-nature (« Enseigner la biodiversité »), l’environnement-projet local ou territorial, et ce, avec les systèmes socioécologiques leur étant associés. Ces représentations sociales se trouvent soutenues par la temporalité patrimoniale. En effet, l’axe 3 de l’A21L a pour titre : « Préserver et valoriser les patrimoines naturels locaux » et se trouve portées par la communication territoriale.
Les dynamiques éducatives en jeu vont de l’information à l’enseignement, en passant par la sensibilisation. L’éducation s’y trouve plutôt associée à la sphère scolaire. D’une approche d’éducation à l’environnement holistique, telle qu’elle est d’abord observée dans les énoncés issus du « diagnostic-partagé » et des trois premiers ateliers participatifs, est ensuite observé un glissement dans la plaquette finale, à partir des ateliers, dits stratégiques, vers des énoncés socioécologiques qui expriment une approche éducationnelle ciblée sur des objectifs peu engageants. Ces énoncés témoignent de la prégnance du modèle instructionniste qui découple la production du savoir d’expertise scientifique de celle du savoir issu des citoyen.ne.s-habitant.e.s. La visée éducative demeure marquée par la prégnance du modèle scolaire dans l’imaginaire social-historique relativement à l’acte d’apprendre. Ce modèle scolaire, et son imaginaire, constitue le « relais » du modèle instructionniste à visée idéologique que l’on retrouve dans les procédures participatives de la démocratie technique.
Ouverture géographique
Pour éclairer la dernière ligne du tableau proposant la représentation sociale de l’environnement-label, nous mobilisons une autre section de notre recherche dont les données proviennent cette fois-ci davantage des entretiens de recherche autour du positionnement de la mairie et de sa stratégie communicationnelle, laquelle repose sur l’idée de l’exemplarité. Par exemple, il est question de la tonte des terrains sportifs qu’il convient de réduire « par rapport à la biodiversité, en plus ce n’est pas propre », où l’on retrouve le rapport à une Nature-décor à visée morale. Dans la même veine, mentionnons le cas fort de conscientisation de la population par la méditation d’un agencement spatial spectaculaire à l’aide de lumières LED éclairant la chapelle sous l’ancien donjon en ruine qui domine le village. Ce projet d’aménagement esthétique fera débat comme évoqué précédemment. Il est aussi question du poêle à bois compacté de la mairie, véritable écosymbole (Berque, 2000), mobilisé systématiquement lors de réunions dans la salle qui l’accueille, en exemple d’un chauffage « vertueux » permettant « d’expliquer le développement durable ». L’usage d’un tel système d’énergie dit « durable » se serait d’ailleurs diffusé (à l’exemple des aménagements réalisés par la municipalité) à la mairie elle-même, mais aussi dans les administrations publiques et les écoles. Ces exemples manifestent un véritable éthosystème (un système moral et son système normatif et prescriptif axé sur l’usage « exemplaire » de l’environnement à visée communicante). Poursuivant l’exemple du poêle à bois, celui-ci relie symboliquement la scène politique de la salle de réunion, la figure du maire initiateur de l’aménagement et l’écosystème de la forêt pyrénéenne en tant que cette dernière est envisagée comme ressource avec des débouchés économiques locaux et ce, en cohérence avec l’imaginaire du développement durable. Cet agencement manifeste une médiance (ici ressourciste), soit un agencement spatial technique (donc symbolique) donnant à voir un technosystème. Ce dernier intègre la Mairie, qui est elle-même raccordée à un réseau de chaleur se déployant autour et dans « l’environnement ». Cela donne à voir le géo-anthroposystème actuel, largement mis en œuvre et rendu visible (voire impulsé) par le discours, et sa dimension performative grâce aux actes de langage que permet cet objet, au demeurant anodin. L’usage communicationnel de l’écosymbolicité de cet objet dialogique qu’est le poêle témoigne d’une figure rhétorique dite de la synecdoque, suivant les réflexions de de Certeau (1980), ouvrant sur un usage scalaire, mais non moins discursif. En effet, cet objet permet d’évoquer le tout (ici, le technosystème et au-delà, le géoanthroposystème) par la partie. Il dilate les éléments de l’espace pour lui faire jouer le rôle d’un « plus » (une totalité) et s’y substituer, amplifiant le détail et miniaturisant l’ensemble.
Les écosymboles sont des supports communicationnels en politique et soutiennent la posture affirmée de l’exemplarité (en l’occurrence municipale et territoriale). La communication et la posture de l’exemplarité sont dès lors consubstantielles au politique. C’est ce dont témoigne l’expression de la représentation de l’environnement-label dans la formulation des énoncés de la version finale de l’A21L.
Quelques avenues éducatives
Cette section permet d’achever la réflexion proposée par cet article en se positionnant dans la continuité de la proposition de la représentation sociale de l’environnement-label (tableau 1), mais cela de manière plus générale et décontextualisée. Le tableau suivant propose quelques prolongements du point de vue éducatif. Ceux-ci sont exprimés en matière de visées et de stratégies qui pourraient se déployer en éducation relative à l’environnement, ainsi que dans des actions d’ordre environnemental.
Toute représentation sociale est un savoir de « sens commun » arrimé à des systèmes de valeurs, des idées, des pratiques socialement partagées. Les représentations sociales ont cela de spécifique qu’elles naissent de l’interaction sociale et fournissent un code à la communication contribuant largement à la construction du social. Si particularité il y a pour une telle représentation qui s’inscrit dans le travail typologique de Sauvé et Garnier (2000), c’est peut-être son usage stratégique et très en lien avec des visées éducatives, en plus d’être omniprésente aujourd’hui dès que l’on parle d’environnement. En France, la logique patrimoniale des parcs naturels régionaux par exemple, tend à mobiliser une telle représentation de l’environnement-label, en tant que marque (Caron, 2008), promue notamment par une « éducation au territoire ». Bien entendu, la représentation sociale de l’environnement-label ne peut être réduite à des usages instrumentaux. Elle peut aider également à caractériser des visées communicationnelles de l’ordre de la sensibilisation relative à l’environnement. Dans cette perspective et dans une visée stratégique, l’analyse critique de publicités en relation avec l’environnement constitue une activité formatrice. Il en est de même de l’analyse des discours qui interviennent de plus en plus à l’appui des logiques de certification environnementaliste. Ces discours instituent une comparaison concurrentielle entre organisations territoriales ou entrepreneuriales (Green benchmarking). La représentation sociale de l’environnement-label peut donner lieu à l’élaboration et à la mise en œuvre de diverses activités, notamment des activités à caractère artistique (souvent fécondes d’un point de vue éducatif et politique) (Clover, 2013, entre autres). Elle peut aussi soutenir des stratégies communicationnelles de l’ordre de la sensibilisation à un enjeu, à un risque environnemental ou encore, en lien avec une mobilisation environnementale et écocitoyenne. Elle peut, par ailleurs, donner lieu à un repérage des réseaux d’acteurs intégrant des actants autres qu’humains aux stratégies d’action tels qu’évoqué dans la section « ouverture géographique », ou encore dans le cadre d’analyse de controverses environnementales. Enfin, une analyse critique des positionnements de divers acteurs, éclairée par la représentation de l’environnement-label combinée avec certaines autres représentations de la typologie de Sauvé et Garnier (2000), peut constituer le support à un travail de clarification des alliances entre actants autour des arguments développés relativement à un enjeu environnemental, et aider à mieux comprendre les logiques d’acteurs.
Conclusion
Dans cet article, nous avons présenté une huitième représentation sociale de l’environnement afin de contribuer à la typologie proposée par Sauvé et Garnier (2000), et ce, dans un but d’actualisation. En effet, l’environnement-label semble attester de l’émergence et de la prégnance d’une nouvelle représentation sociale amenée à prendre de plus en plus d’importance dans le contexte de la nécessaire intégration des préoccupations environnementales par les acteurs politiques, économiques, et plus largement, par les sociétés. Cette représentation sociale s’est imposée à l’occasion de notre recherche doctorale. Elle a en effet émergé de l’analyse d’une démarche participative et territoriale de type Agenda 21 local. Cela nous a permis de replacer l’intentionnalité associée à une telle représentation, au sein du cadre référentiel du développement durable, sans toutefois qu’elle s’y réduise. De plus, nous avons tenté de montrer comment l’environnement-label a été la représentation sociale structurante, à la fois au cours de la démarche d’A21L et dans son résultat final. Si cette remarque est normative, elle ne l’est pas dans un sens réductionniste à connotation morale, mais bien plutôt normative en tant que la normativité est une condition pour toute société, s’appuyant sur l’éducation et une certaine « pédagogie » à visée politique à portée normative. Ici, la communication territoriale assure la promotion du « mode de reproduction décisionnel ou opérationnel » caractérisant la société moderne suivant Freitag (1986). La rationalité technocratique à l’œuvre à travers l’A21L mobilise l’idéologie du développement durable que l’usage critique de la représentation de l’environnement-label permet de mieux comprendre. Cependant, la relation entre la communication et le politique est aussi ancienne que la démocratie elle-même, car elle lui est consubstantielle. Comme le montrent les travaux de Vernant (1965/1996) sur la Grèce ancienne, la fonction communicationnelle, attachée au « paraître » demeure l’apanage du politique et accompagne sa fonction expressive-normative sans que cela soit nouveau ni même condamnable. La dialectique entre scène et société politique, qui fait jouer les processus de légitimation et de représentation des acteurs et des savoirs en jeu, serait même une condition démocratique. Les instrumentalisations et visées idéologiques en jeu, notamment à travers le cadre référentiel du développement durable et la transformation du savoir environnemental par une rationalité gouvernementale à tendance économiciste et communicationnelle, n’ont rien d’exceptionnel, mais n’en soulèvent pas moins des interrogations radicales questionnant le rôle de l’acte éducatif. Ces interrogations appellent non seulement un effort de clarification quant à l’intentionnalité de tout projet dit éducatif, mais également à une attention critique à la signification et à la portée du projet éducatif en question, ce à quoi la mise au jour de la représentation sociale de l’environnement-label avec sa visée communicationnelle tentent modestement de contribuer.
Appendices
Notes
-
[1]
Les temporalités environnementales peuvent se définir comme l’expérience, l’action de la durée dans et par des actants humains et non humains au sein de sociétés et de réalités biophysiques (Lafitte, 2019).
-
[2]
Note de cadrage relative à la conférence internationale de Bordeaux (Comité 21, 2008). Bilan de l’action des collectivités pour l’éducation au développement durable. [Brochure]. Récupéré le 10 mai 2014 du site du Comité 21 : http://www.comite21.org/docs/actualites-comite-21/2008/note-de-cadrage-colectivitesbordeaux23102008.pdf
-
[3]
Ici, verdissement est à entendre comme un projet cosmétique et réducteur qui pourrait se rapprocher d’une forme matérielle d’écoblanchiment (greenwashing).
-
[4]
Le philosophe du langage, Jacques (1985, p. 12) associe la « communicativité » au sens passif de la communication, avec l’idée de communiquer quelque chose à quelqu’un, par opposition à la « communicabilité » qui désigne une condition de possibilité de l’interaction et de la compréhension du sens, communiquer avec quelqu’un, au-delà de la simple transmission d’informations d’un organisme à l’autre. Nous renvoyons à notre recherche doctorale pour des analyses et des considérations théoriques plus poussées sur le sujet (Lafitte, 2019).
-
[5]
En tant que communauté d’argumentation qui émerge souvent à l’occasion de projets territoriaux, et qui manifeste en cela un résultat participatif, offrant les conditions pour qu’un débat public puisse avoir lieu, se maintenir et mettre en dialogue différents acteurs concernés par les enjeux territoriaux divers et sectoriels, en vue d’une éventuelle résolution du problème ou, à tout le moins, de sa clarification (D’après Fourniau, 2007).
-
[6]
L’A21L est en ligne à l’adresse suivante : http://www.mairie-aspet31.fr/fr/tourisme/developpement-durable.html
-
[7]
D2MIP pour « développement durable en Midi-Pyrénées ». Elle profite alors de financements structurels européens qui interviennent dans le cadre de la réflexion menée au sein de la Commission Européenne afin d’« orienter une économie régionale vers un modèle de développement durable » l’ARPE (1999) (p. 14).
-
[8]
Analyse de dialogues véritables, intervenant dans des circonstances soulevant des problèmes territoriaux et environnementaux proches de ceux de l’A21L et de sa méthodologie mise en œuvre.
-
[9]
Notre recherche portait sur une étude de cas holistique centrée sur l’A21L d’Aspet. Il s’agissait d’étudier la construction et les échanges de savoirs intervenant entre acteurs issus d’une communauté d’expertise scientifique de type académique ou professionnelle et d’acteurs-habitants d’une communauté engagée dans un territoire en projets de « développement durable ». Par ailleurs, nous avons étudié, au sein de cette dynamique dialogique intervenant à l’occasion de projets d’habiter personnel et collectif, la prise en compte des temporalités environnementales, mais nous explorions également les conditions d’émergence d’une expertise citoyenne. À l’origine, la recherche devait donner lieu à une ambitieuse étude de cas imbriqués qui n’a pu être menée à terme, notamment en raison des réformes territoriales, obligeant à opérer des choix draconiens pour le cadrage de la recherche. À cette occasion, mais à des échelons autres (intercommunal, et du pays), deux évènements participatifs dotés de qualités contextuelles et épistémiques proches de l’A21L ont été observés. En effet, une partie des acteurs-habitants réunis autour de la thématique étudiée adossée au cadre référentiel du développement durable étaient présents.
-
[10]
La « stakeholder theory » ou « théorie des parties prenantes » s’impose comme l’un des courants majeurs de la pensée managériale actuelle. Elle est structurante de la gouvernance qui émerge dès les années 70-80 dans le milieu de la grande entreprise, puis percole dans les institutions publiques. Ces idées remettent en question les logiques institutionnelles étatiques (Semal, 2006). Plusieurs auteurs (Bell, 2016 ; Deneault, 2013 ; Duchastel, 2000 ; Somers, 2004) dénoncent une forme de « privatisation de la citoyenneté » privilégiant des logiques d’intérêt. En dépit de ces dérives, notre recherche est nuancée et montre que l’État et l’administration publique tente de résister à de telles pressions suivant les travaux de P. Birnbaum (2018).
-
[11]
Nous renvoyons à notre recherche doctorale pour de plus amples détails (cf. le tableau 2.4 dans Lafitte, 2019, p. 250, inspirés du travail de Jacques [1985]).
-
[12]
Nous renvoyons à notre recherche doctorale (Lafitte, 2019) pour la lecture des analyses portant sur ce processus de transcodage d’une part − notion proposée par Lascoumes (1994), notamment les pages 471 et suivantes – et d’autre part, portant sur le développement durable en tant que formation discursive à l’issue de l’étude de discours que nous avons menée.
-
[13]
Nous renvoyons à l’article des auteures pour des précisions sur la perspective phénoménographique qui s’intéresse aux différentes façons de percevoir, d’expérimenter, de comprendre et de conceptualiser plusieurs phénomènes, à les caractériser, et les regrouper en un nombre limité de « visions du monde ».
-
[14]
La plaquette des soixante-six actions est accessible à l’adresse suivante : https://www.mairie-aspet31.fr/_resources/PDF/Agenda 21/agenda21-aspet plaquette pdf.pdf
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