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Nous assistons aujourd’hui à la détérioration de notre propre milieu de vie. Malheureusement, nous y participons activement. Cette dévastation envers nous-mêmes et envers la vie en général est sans précédent (Bourg, 2018). Les perturbations environnementales, ainsi que les divers problèmes qui en découlent, font maintenant partie de ce triste état généralisé à l’échelle planétaire. L’un de ces problèmes, « le réchauffement du climat est sans équivoque » (Wynes et Nicholas, 2019, p. 4). Dans ce contexte, il devient l’affaire de tous. Ainsi, les acteurs de tous les milieux sont appelés à considérer de telles problématiques pour éventuellement interroger leurs rôles et mandats respectifs (Sauvé, 2015 ; Bordeaux, 2017 ; O’Farrell et Kukkonen, 2017).

C’est en ce sens qu’un processus de vaste remise en question, individuelle et collective, apparait primordial pour repenser l’éducation afin d’en élargir la mission et la portée. Dans cette perspective, l’éducation peut devenir un espace de questionnement et d’analyse du monde (Deslauriers, 2017 ; Morel, 2013) pour les enseignants spécialistes en arts plastiques et leurs élèves. Ainsi orientés, l’école et ses acteurs peuvent accueillir et intégrer la question climatique d’une manière pleinement éducative et sensible ; ces perturbations socioécologiques redessinent en effet à grande vitesse le présent et l’avenir de l’humanité.

Parmi les six domaines d’apprentissage[1] au sein du Programme de formation de l’école québécoise ([PFEQ] MELS, 2007), les enseignants du domaine des arts sont également appelés à prendre en compte les grandes problématiques contemporaines. À sa façon, l’art en milieu scolaire peut aborder ces défis (Frank, 2017 ; O’Farrell et Kukkonen, 2017). Avec les élèves, engager et vivre des activités réflexives liées aux enjeux climatiques permet de les initier au rôle qu’ils peuvent jouer dès maintenant et qu’ils pourront jouer dans la société ou dans l’arène politique. À cet effet, les enseignants spécialistes en arts plastiques doivent répartir équitablement le temps consacré à l’exercice de la réflexion et celui dédié aux expériences de création. Cette idée soulève toutefois la question suivante : est-ce le but du cours d’art à l’école ?

Dans les faits, la classe d’art consiste en « un espace dynamique, ouvert sur le monde, à l’intérieur de laquelle, ont lieu des apprentissages signifiants pour les élèves et où s’amorce une compréhension du monde » (Trudel, 2006, p. 67). Ces apprentissages liés à la vie réelle (Samson et coll., 2012) prennent une tout autre importance aux yeux des élèves et ce, d’autant plus que les bases d’une relation avec le monde sont semées par leur enseignant. De notre point de vue, l’éducation artistique dispose de tous les ingrédients pour faire émerger, puis, consolider cette relation.

Cet article expose en premier lieu quelques volets de la problématique d’une recherche doctorale visant à développer où un modèle éducationnel en enseignement des arts plastiques au secondaire[2]. Nous constaterons ensuite que ce modèle conjugue harmonieusement éducation artistique (EA) au secondaire et éducation relative à l’environnement (ERE). Précisons que l’examen de la littérature a révélé qu’un tel modèle n’existe pas à ce jour. Entre autres suggestions, il propose d’intégrer les dimensions fondamentales du PFEQ, soit les visées de formation, les domaines généraux de formation (DGF) ainsi que les compétences transversales (CT). Également, il intègre des questions socioécologiques, en l’occurrence les enjeux climatiques, comme objet de réflexion avec les élèves. Enfin, il accorde une place importance à l’interdisciplinarité, à la réflexivité et à la criticité en classe d’art.

Interpellés en même temps, ces trois concepts se dynamisent constamment l’un l’autre. Mentionnons d’abord que l’interdisciplinarité existe dans le rapprochement et la considération de plusieurs disciplines lorsqu’un projet de création pédagogique est développé, mais également, à travers le croisement éclairé de l’éducation artistique (EA) et de l’éducation relative à l’environnement (ERE). Évoquons ensuite que la réflexivité s’impose à travers l’apport réflexif accru qu’engendre la rencontre de l’EA et de l’ERE, ouvrant la voie à l’exercice de la pensée critique. Puis, ajoutons à cela le concept de criticité comme « alternative qui implique de penser différemment, et en particulier, de situer les réalités dans le contexte idéologique qui les génère ou les supporte », comme le soutiennent Sauvé et Orellana (2008, p. 8). Après avoir exposé ces quelques éléments de définition, poursuivons en exposant sommairement le contexte d’émergence de ce modèle éducationnel.

La situation socioécologique du monde

La situation socioécologique planétaire confronte les êtres humains à un enchainement de problèmes sociaux et environnementaux majeurs, complexes et interreliés (Wattchow et coll., 2014 ; von Lennep, 2015 ; Larrère, 2017). En effet, « la dégradation de l’environnement, qu’il s’agisse de pollution toxique, de changements climatiques ou de la réduction de la biodiversité, comporte des répercussions majeures sur la santé humaine » (Thériault et Robitaille, 2011, p. 237). Parmi les conséquences néfastes de cette pollution, nous le savons maintenant, le climat est perturbé et cause des déséquilibres majeurs à l’intérieur des milieux de vie. Augagneur et Fagnani (2015, p. 8) en témoignent : « dans le sillage de ces alertes et à la suite de la multiplication des catastrophes provoquées par l’usage industriel de polluants », le dérèglement du climat est en grande partie responsable de la situation critique dans laquelle se trouve notre milieu de vie. À propos, rappelons que depuis trop longtemps, des décisions politiques, obnubilées par une vision économique de l’avenir, sont à l’origine de ce bouleversement du climat.

Au cœur de cette crise, les rapports entretenus avec notre monde sont fragilisés. Dans l’urgence, on tente de les reconstruire à la hâte, au gré des évènements qui accaparent l’actualité. L’ampleur du problème amène de nombreuses personnes à éprouver le besoin de s’exprimer, de dénoncer, de lutter, à partir de leurs propres moyens, voire de se responsabiliser, tant bien que mal, face aux problématiques aussi complexes que le changement climatique. En effet, « répondre à ce défi en contextualisant à l’échelle mondiale, voire en globalisant, est devenu absolument vital, même si cela parait très difficile » (Morin, 1996, p. 2). Comme mentionné précédemment, une reconfiguration des rôles et des responsabilités de chacun afin de se préoccuper des changements climatiques (Legardez, 2016) demeure inévitable.

Or, en éducation, les pistes d’action à entreprendre sont imprécises. Toutefois, nombreux sont ceux qui sont persuadés qu’il faille tout de même agir. Car, une chose est claire : « de plus en plus de chercheurs et d’acteurs du monde de l’éducation mettent en lumière la responsabilité majeure de l’éducation », explique Sauvé (2019, p. 82) face aux enjeux contemporains, « étroitement liés aux enjeux écologiques actuels caractérisés par leur ampleur, leur gravité et leur accélération croissante » (Ibid).

La situation éducationnelle générale au Québec

Le ministère de l’Éducation prône une formation pour les jeunes qui s’arrime au contexte social complexe, mouvant, en partie modulé désormais par les changements climatiques. Le programme en vigueur insiste justement sur l’importance de former des individus capables d’affronter de tels défis. À l’évidence, pour répondre à cette invitation, les pratiques éducatives doivent se réajuster, un arrimage qui appelle une forme de responsabilisation professionnelle, éthique et sociale.

Actuellement, éduquer en fonction de grands défis contemporains (peu importe la discipline enseignée) est une préoccupation portée sporadiquement par certains enseignants. Seuls ceux qui sont sensibilisés aux changements climatiques introduisent le sujet ou encore, ceux qui en trouvent la trace dans leur programme ou manuel (parfois désuets)[3].

Dans un entretien accordé à Radio-Canada, Patrick Charland (cité dans Gobeil, 2019) explique que les enseignants souhaitent surtout préparer leurs élèves à réussir l’examen du ministère de l’Éducation. En science par exemple, ils se concentrent sur des concepts scientifiques fondamentaux qui font l’objet de l’évaluation et mettent souvent de côté les changements climatiques. On observe donc que l’intégration de tels enjeux au secondaire en tant qu’objet d’étude s’effectue sur une base volontaire.

Dans un même ordre d’idée, une étude pancanadienne révèle qu’au Québec, la question du consensus scientifique sur le réchauffement climatique est absente des programmes (Wynes et Nicholas, 2019). Plus encore, les auteurs notent un écart entre les attentes véhiculées dans le PFEQ, à travers les visées, les domaines généraux de formation (DGF) et les compétences transversales (CT), les domaines d’apprentissage et la réalité de ce qui s’enseigne à l’école. Quelles en sont les conséquences pour les élèves qui cheminent ou terminent leurs études secondaires ?

Wynes et Nicholas (2019, p. 1, traduction libre) rapportent que « malgré l’accablant consensus scientifique sur le fait que les changements climatiques présentent de graves risques pour les systèmes humains et naturels, de nombreux jeunes adultes canadiens ne les considèrent pas comme un problème majeur ». En regard de ce constat, l’école doit se demander si elle remplit son rôle d’éducation au sens large, si elle apprend aux élèves à penser et à prendre conscience des besoins relatifs à l’existence de l’humain sur la Terre.

Afin de garder un certain optimisme à l’égard du futur, la formation offerte à la jeunesse québécoise doit favoriser, nous semble-t-il, une lecture juste de la réalité, ainsi que le développement de certaines compétences, dont une compétence critique, nous y reviendrons. Ainsi proposée, la formation de l’élève pourra renforcer sa capacité de voir et de lire le monde dans toute sa complexité (Sauvé et Orellana, 2008). Nous sommes d’avis, comme d’autres également, que les enseignants spécialistes de chaque discipline peuvent partager cette responsabilité, de façon à contribuer à la formation d’une société consciente, aimant et préservant la vie.

La situation en éducation artistique

Bien que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS, 2007, chap. 8) « invite à la diversification des expériences artistiques liées aux grandes questions universelles pour une vision du monde enrichie », la réalité des arts à l’école répond à des préoccupations formalistes (Trudel, 2010).

Par conséquent, une inquiétude bien réelle persiste chez les enseignants spécialistes en arts plastiques, soit celle de l’évaluation des compétences disciplinaires. Ces dernières s’intéressent davantage à la progression des apprentissages liée au langage plastique, à la maitrise technique et ce, au détriment de l’accompagnement des élèves dans leur démarche de réflexion, relative à l’objet créé. Par conséquent, les questions comme les changements climatiques sont souvent laissées pour compte, puisqu’elles ne correspondent au programme disciplinaire et n’ont que très peu de valeur normative.

À dire vrai, les cours d’art à l’école minimisent le traitement de tels enjeux, puisque la réalité de la pratique n’en facilite pas l’application. Un fossé profond reste à combler entre les volontés ministérielles et l’engagement sur le terrain, entre le dire et le faire pour reprendre l’expression de Kerlan (2007) en arts plastiques au secondaire. En effet, entre les murs des écoles, persiste une conception des arts plastiques latente, encouragée par un système d’éducation qui entrave les élans de changement et qui refuse systématiquement d’accorder du temps aux enseignants spécialistes en arts plastiques pour se réunir, réfléchir et développer de nouvelles ressources pédagogiques qui vont en ce sens.

Malgré ce qui semble être une impasse, l’horizon disciplinaire des arts a la capacité d’élargir sa portée vers des considérations sociales ou environnementales, notamment celle du changement climatique. Celle-ci peut nourrir et enrichir une proposition de création pédagogique faite à la classe et ainsi contribuer à la construction d’une conception de l’éducation artistique différente, qui se rapproche d’une conception de la création chez certains artistes ayant traité de ce sujet.

La formation en art chez les jeunes du secondaire et l’expérience qu’elle propose s’en trouve alors transformée : elle « est nécessairement constitutive de la manière dont on appréhende le monde » (Glicenstein, 2017, p. 12). Ainsi vécue, l’expérience de l’art à l’école offre la possibilité aux élèves de tisser des liens, d’ajouter du sens à leur cheminement académique (Darbellay, 2011), ainsi qu’à leur existence. Au-delà du faire, l’éducation artistique porte alors une mission éducative qui ajoute à l’expérience un axe qui lui permet d’être contextualisée.

L’absence de modèle en éducation artistique axé sur des préoccupations socioécologiques

Au Québec, les enseignants spécialistes en arts plastiques se réfèrent au PFEQ (Simard, 2004) pour orienter leur pédagogie. Également, différents modèles en éducation artistique peuvent les inspirer. À titre d’exemples, mentionnons le modèle de Pierre Gosselin (1993) qui s’intitule Un modèle de la dynamique du cours optimal d’arts plastiques au secondaire. Ce modèle présente une manière idéale de concevoir et vivre la classe d’art. Nous y retrouvons une représentation de la dynamique de création sous la forme d’une spirale, figure de référence pour le domaine des arts dans le PFEQ[4]. Ensuite, le modèle de Maryse Gagné (2018), Un modèle d’enseignement des arts visuels et médiatiques compris comme un travail de création, témoigne d’un processus de modélisation dans une perspective systémique qui s’articule autour du concept d’enseignant-artiste. Pour le domaine des arts, ces deux modèles disciplinaires sont non négligeables. Qu’en est-il des modèles interdisciplinaires en enseignement des arts au secondaire, c’est-à-dire des modèles qui intègrent une dimension socioécologique ?

En dépit de la pression qu’exerce la prise en compte de problèmes écologiques liés aux réalités climatiques, les modèles auxquels se réfèrent les éducateurs en art (Bordeaux, 2017) continuent de négliger la gravité de la situation planétaire (O’Farrell et Kukkonen, 2017). Manifestement, nous dit Atkinson (2005, p. 26, traduction libre), « on assiste à une tendance qui est celle de promouvoir des modèles de curriculum obsolètes, demeurés en place en partie, par le pouvoir quasi caricatural de pratiques dépassées ». Mentionnons qu’au Québec, le modèle formaliste exerce encore une grande influence. Il met l’emphase sur l’apprentissage de techniques et de notions de langage plastique aux dépens des contenus d’art ou de problématiques culturelles, sociales (Trudel, 2010). Conséquemment, les problèmes environnementaux globaux dont fait partie le changement climatique ne sont pas au programme et aucun guide n’a été pensé pour leur accorder une place en tant qu’objet d’éducation.

Malgré ce manque, nous tenons à mentionner que plusieurs éducateurs redoublent d’efforts pour arrimer leur enseignement (Atkinson, 2005) à ce contexte préoccupant. En effet, des initiatives sont développées par des enseignants spécialistes en arts plastiques qui n’hésitent pas à recourir à certains thèmes sans guide de référence ou modèle sur lesquels s’appuyer. Dans un même ordre d’idée, des étudiants, futurs enseignants, sont animés par un sens des responsabilités, travaillent intuitivement à partir de leurs valeurs écologiques, sans pouvoir s’appuyer sur un cadre à cet effet[5].

Ajoutons qu’en Ontario, les travaux d’Hilary Inwood[6] (2009), enseignante, chercheure, environnementaliste et artiste cadrent bien avec le modèle dont nous présenterons quelques aspects un peu plus loin. L’éducation artistique chez Inwood est perçue comme un moyen dynamique d’accroître la puissance et la pertinence de l’éducation environnementale. Cette chercheure identifie l’écoart comme une avenue pédagogique privilégiée.

De même, à l’instar d’enseignants spécialistes en arts plastiques qui ont rejoint la nature par l’entremise de leur pédagogie, des artistes établissent ce rapprochement depuis de nombreuses décennies. À juste titre, Lemerise et Richard (1999) observent que depuis les années 80, les enseignants intègrent dans leur classe des activités inspirées par l’art contemporain, tel le Land Art. Certes, les pratiques actuelles constituent une source d’inspiration pour les spécialistes dans les écoles[7]. Malgré leur richesse, la mise en œuvre de projets d’art liés aux enjeux contemporains demeure complexe. L’une des difficultés qui s’impose chez les praticiens de l’enseignement des arts est celle du « comment faire ». La section suivante propose quelques éléments d’un modèle éducationnel comme piste de solution.

Quelques axes fondamentaux d’un modèle éducationnel en enseignement des arts plastiques au secondaire

Le modèle que nous proposons intègre les visées de formation, les DGF et les CT du PFEQ comme dimensions essentielles à l’enseignement des arts plastiques au secondaire dans une perspective socioécologique. Intéressons-nous aux visées, soit la construction d’une vision du monde, la structuration de l’identité et le développement du pouvoir d’action. En quoi sont-elles si importantes ?

La construction d’une vision du monde correspond à la première visée de formation du programme. Sous-jacente à cet énoncé, la question d’une lecture consciente de la réalité nous parait fondamentale. Il s’agit d’amener l’élève à comprendre ce qui se passe autour de lui. Les enjeux de compréhension passent nécessairement par la réflexion. Celle-ci doit s’installer dans la durée, occuper chacune des phases de la démarche de création de l’élève, soit les phases d’ouverture, d’action productive et de séparation[8]. Découlant de cela, l’élève, invité à vivre des expériences artistiques diversifiées, peut parvenir à construire pas à pas une vision du monde éclairée.

Abordons maintenant la structuration de l’identité comme deuxième visée. En quoi consiste-t-elle ? Ici, le principe sous-jacent d’un monde changeant (Sauvé, 2015 ; O’Farrell et Kukkonen, 2017 ; Bourg, 2018) doit inévitablement être pris en compte à travers la quête identitaire de l’adolescent. Pour participer pleinement à son projet identitaire ou encore, à la réalisation de son être en classe d’art (Gosselin, 1993), l’élève doit s’engager dans son projet (Sauvé et van Steenberghe, 2015). En creusant des questions socioécologiques dans le cours d’art, la construction d’une identité écologique et sociale peut se développer (Robitaille, 2015 ; Girault, 2018 ;) en lien avec d’autres dimensions de l’identité.

Poursuivons avec la troisième visée, soit le développement de son pouvoir d’action, qui implique un savoir-agir. Comment aider l’élève à le développer ? Le pouvoir d’action en art peut prendre forme lorsque l’enseignant spécialiste en arts plastiques met en place une série de mesures qui permet de l’activer et de l’exercer. Le PFEQ (MELS, 2001, chap. 1, p. 6) maintient que

savoir agir, tant pour faire face à la complexité des enjeux sociaux actuels que pour répondre aux grandes questions éthiques et existentielles, s’avère pour le jeune une source de pouvoir sur sa vie. Ce pouvoir est d’autant plus grand qu’il prend appui sur une vision du monde cohérente et sur une identité affirmée.

Également, à ces trois visées s’ajoutent les cinq DGF, dont nous retiendrons les suivants : environnement et consommation, vivre-ensemble et citoyenneté, santé et bienêtre. Tenir compte des DGF en classe d’art consiste à fortifier le lien entre l’EA et l’ERE. Pourquoi ?

Parce que tels que nous les interprétons, les DGF composent le noyau dur de l’ERE (Deslauriers, 2019) et sont partie intégrante du modèle éducationnel proposé. Dans les faits, ils constituent une ouverture vers des possibilités infinies de création ouvertes sur le monde. Les DGF font référence à des contenus de formation qui confirment l’importance d’ancrer les questions socioécologiques dans les différents domaines d’apprentissage, dont celui des arts.

La situation mondiale actuelle ayant révélé l’urgence de s’en préoccuper, les questions qui gravitent autour des perturbations climatiques sont à l’ordre du jour. Cependant, pour être actualisés, les DGF doivent être interpelés en même temps que les compétences transversales (CT).

Parmi les neuf CT regroupées en quatre ordres, rappelons entre autres celles d’ordre intellectuel, où exploiter l’information, résoudre des problèmes, exercer son jugement critique et mettre en œuvre sa pensée créatrice (MELS, 2001, 2007) sont des compétences qui peuvent fort bien se développer à travers une éducation artistique telle que nous la concevons. De même, les compétences d’ordre méthodologique, personnel et social et de la communication.

Selon Guillemette (2010, p. 1), une éducation qui prend en compte les CT « devrait contribuer à former des personnes qui, grâce au développement de leur pouvoir d’action, maitrisent les ressources et les compétences pour comprendre leur monde et en devenir les acteurs ». En faisant appel aux CT, les enseignants spécialistes en arts plastiques définissent leur orientation pédagogique en réaffirmant leur intention d’engager l’esprit et la pensée de leurs élèves dans la création, tout en visant le développement d’actions pédagogiques conscientes liées aux DGF et au vivre ensemble sur la Terre chez leurs élèves.

Ainsi, se soucier des CT à partir du cours d’arts plastiques consiste à participer au devenir écocitoyen de la jeunesse au sens où Bader et coll. (2017) et Claret (2014) l’entendent. À n’en point douter, les jeunes doivent développer leurs capacités à penser, à raisonner, à juger et à agir, ce qui caractérise l’ultime visée des compétences transversales.

En classe d’art, il y a nécessité de faire appel à ce type de compétences, au même titre qu’aux compétences disciplinaires. Leur prise en compte est donc essentielle au sein du modèle éducationnel proposé. En effet, les CT constituent un cadre de références large (Guillemette, 2010) pour les enseignants. Leur prise en compte permet de créer et d’agir (Guillemette, 2010) dans des situations complexes (Gagnon, 2000). Elles requièrent donc « l’expérience de penser » concomitante à « l’expérience de créer ». Il s’agit là d’un autre point de rencontre entre l’EA et l’ERE, comme le sont les visées et les DGF exposés précédemment.

Nous verrons que ces composantes essentielles du PFEQ associées à l’intégration de l’ERE à l’EA font appel à l’interdisciplinarité qui « s’appuie sur le pluralisme multidisciplinaire, tout en se fixant un objectif plus ambitieux de mise en dialogue, d’interaction et d’intégration entre différents points de vue disciplinaires » (Darbellay et coll., 2019, p. 11), à la réflexivité et à la criticité comme compétences à développer chez les élèves en arts plastiques.

L’intégration de questions socioécologiques en enseignement des arts plastiques au secondaire

Dans une conception de l’éducation artistique où le traitement de questions socioécologiques est fondamental, l’élève développe sa propre compréhension de l’enjeu ciblé par l’enseignant spécialiste en arts plastiques. Autrement dit, l’enjeu demeure une proposition. La démarche réflexive qui s’ensuit fait évoluer l’enjeu de départ vers son appropriation. Il s’agit d’un aspect fondamental du modèle éducationnel proposé.

La figure 1 illustre le déploiement possible d’une question socioécologique en l’occurrence, celle du changement climatique, qui devient l’objet de discussion entre l’enseignant spécialiste en arts plastiques et ses élèves. Introduite par l’enseignant au début du projet et grâce aux échanges réalisés avec les élèves, cette question peut se développer en une multitude d’autres sujets plus spécifiques, tous pertinents et porteurs de réflexion.

Il importe de mentionner que dans cette figure, les quatorze petits encadrés sont des extraits d’enjeux nommés, puis développés par les élèves, lesquels découlent de la proposition de départ, tel qu’explicité aux paragraphes précédents.

Figure 1

Déploiement d’une question socioécologique en classe d’art

Déploiement d’une question socioécologique en classe d’art

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Ainsi soulevées, les questions complexes forment une matrice socioécologique comme base fondamentale de l’enseignement des arts. Les différentes réalités du monde jusqu’alors demeurées abstraites dans la représentation que peuvent s’en faire les jeunes deviennent ainsi plus concrètes, parce qu’elles sont réfléchies, discutées, débattues, nommées, bref, intégrées.

Ainsi, en se dotant d’un mandat d’éducation plus vaste, le cours d’art habituel est voué à une transformation qui fait dorénavant appel « à une épistémologie de la complexité et à l’intégration de divers types de savoirs, nécessaires au déploiement d’une approche critique des réalités » (Sauvé, 2013, p. 22).

La chaîne interdisciplinarité-réflexivité-criticité en classe d’art au sein du modèle éducationnel proposé

Pour cette section, nous cherchons à mettre en lumière métaphoriquement, les maillons d’une chaîne, afin de présenter de quelles façons l’éducation artistique rejoint l’éducation relative à l’environnement au sein du modèle proposé. Il s’agit de l’interdisciplinarité, de la réflexivité et de la criticité.

Le premier maillon de la chaîne est l’interdisciplinarité, ici convoquée par l’intégration de questions socioécologique comme amorce aux projets de création. Celles-ci sont « par nature interdisciplinaires » (Simonneaux, 2008, p. 180). Elles sont des déclencheurs illimités de réflexion et de création. Larsen (2018) observe d’ailleurs qu’un enjeu socioécologique peut devenir source de motivation pour nourrir l’interdisciplinarité. Incidemment, le dialogue interdisciplinaire qu’il suscite peut aisément exister à travers les projets de création dynamisés par ce type de questions plurielles (Simonneaux, 2008), pensées comme des opportunités pour écouter, s’ouvrir, discuter, rejoindre l’autre et le monde.

À l’instar de Sauvé (2019, p. 75), nous sommes d’avis que « l’interdisciplinarité – voire la transdisciplinarité – est désormais indissociable d’un projet éducatif contemporain ». En ce sens, Keiny et Zoller (1991) reconnaissent que les problèmes sociaux ainsi que les problèmes environnementaux sont des problèmes liés à la « vraie vie » et ne peuvent être envisagés autrement que dans une perspective interdisciplinaire. Bien que la réalité des adolescents soit dorénavant davantage virtuelle, il n’en demeure pas moins que l’idée de traiter d’enjeux climatiques en classe d’arts plastiques au secondaire s’inscrit dans cette perspective de mise en relations, de croisements entre deux champs d’interventions éducatives, eux-mêmes au croisement de savoirs de divers types : l’éducation artistique et l’éducation relative à l’environnement.

Précisons toutefois que les arts plastiques ne disparaissent pas derrière l’interdisciplinarité. Ils renaissent autrement, dans un métissage de disciplines, au moins deux (Germain, 1991), reliées entre elles (Morin, 1996). Fourez et coll. (2002) évoquent l’importance de l’interaction entre les différents champs éducatifs. Jollivet et Pena-Vega (2002, p. 81) précisent :

il ne s’agit pas de dissoudre les disciplines, mais de les rendre utilisables en jouant de leurs voisinages. La peur de la mort des disciplines n’a aucun sens, car sans arrêt, en marge, se créent des disciplines nouvelles qui ont un caractère hybride. La question est de savoir par quels moyens nous sommes capables de relier les connaissances.

Le deuxième maillon important de la chaîne est celui de la réflexivité. Au sein du programme, l’élève est invité à traverser les phases d’un processus de création, nous l’avons dit. La réflexion devrait faire partie de ces phases, mais trop souvent, cette facette du processus est évacuée. Or, de notre avis, elle devrait être encouragée et revalorisée pour éviter une déviation de la nature même du processus de création. D’ailleurs, pour réfléchir à l’environnement, certaines conditions doivent être mises en place par l’enseignant spécialiste en arts plastiques, car plus que jamais, « la connaissance du monde en tant que monde devient nécessité à la fois intellectuelle et vitale » (Morin, 2000, p. 35).

Découlant de cela, les propositions de création doivent permettre à l’élève de mobiliser simultanément certaines compétences intellectuelles et créatives. Il s’agit du coeur de l’éducation artistique. En effet, réfléchir, prendre la parole, discuter sont des actions qui contribuent à ce qu’il convient d’appeler un changement de culture ou d’habitude en éducation artistique, soit celle de nourrir la réflexivité.

Brière (2017, p. 123) définit la réflexivité comme un concept « qui évoque à la fois la réflexion (la pensée) […] et la rétroaction (le retour sur l’action) ». Selon Bader et coll. (2017, p. 123), « le concept de réflexivité évoque à la fois la réflexion (la pensée), le reflet (celui du miroir qui renvoie une certaine image) et la rétroaction (le retour sur l’action) ». Cela nous amène à discuter du troisième maillon de la chaîne, celui de la criticité.

L’éducation artistique dans une perspective réflexive mène tôt ou tard à une dimension voisine, la dimension critique. Pruneau et coll. (2017) et Beames (2012) renchérissent que l’exercice de la réflexion entretient des liens étroits avec l’exercice de la criticité. Ils sont insécables. On les retrouve au fondement de la complémentarité et de la réciprocité fondamentale qui caractérisent la coexistence de l’EA et de l’ERE.

De notre avis, l’exercice de la criticité commence lorsque la pensée critique s’est éveillée. Giroux et coll. (2011) sont d’avis que le développement de la pensée critique exige d’abord une mise en route de situations complexes dans lesquelles les élèves pourront s’engager. À travers un processus de création en quelque sorte reconfiguré, l’élève prend conscience de problématiques complexes pouvant lui donner envie de s’engager dans la résolution créative d’une situation problème, comme celles reliées à l’actuel enjeu climatique.

Au sein du modèle que nous proposons, notre façon de composer avec le PFEQ et ses dimensions essentielles, d’intégrer des questions socioécologiques, d’accorder de l’importance à l’interdisciplinarité, à la réflexivité, à la criticité et ainsi convoquer l’ERE en EA, trace une voie privilégiée pour accéder à une compréhension lucide des différentes réalités, dont plusieurs sont engendrées par les dérèglements du climat.

Différentes conditions, nous l’avons vu, mais également, différents moyens peuvent être mis en place par l’enseignant spécialiste an arts plastiques. Des liens peuvent être tissés avec le curriculum en place. En effet, une éducation artistique qui accorde de l’importance à la réflexion peut mettre à profit le levier d’une question socioécologique[9]. L’élève y est libre de faire évoluer la question de départ vers une autre, cette fois plus proche de ses préoccupations personnelles et devenir plus critique à leur égard. Cela n’est pas sans rappeler les propos de Kerlan (2004, p. 72) : « l’éducation intellectuelle elle-même est engagée dans la pratique artistique, apprentissage et mise en œuvre d’une pensée elle-même mobile et souple, inventive, ouverte ». Dès lors, il n’appartient qu’à l’élève en arts plastiques du secondaire de construire le chemin de sa réflexion, dorénavant éclairée.

Conclusion

L’expérience d’une vingtaine d’années d’enseignement en arts plastiques m’aura menée à m’intéresser autrement au PFEQ. À la lumière des enjeux de notre monde, ma lecture du programme a changé. Cette relecture, faut-il le préciser, était motivée par la recherche d’un chemin permettant d’intégrer les questions sociales et environnementales dans la classe d’art et d’autoriser leur prise en compte de manière plus formelle.

Il a été ainsi possible de cibler plusieurs éléments permettant une convergence entre l’éducation artistique et l’éducation relative à l’environnement, capables donc de cohabiter de manière organique, en s’actualisant dans la classe d’art sans jamais dénaturer l’essence de la discipline des arts plastiques au sein de la formation globale de l’élève.

Au bilan, l’ERE apparaît comme l’un des éléments indispensables à l’EA pour la construction d’un modèle éducationnel permettant d’affronter la complexité actuelle du monde et les défis que soulèvent les changements climatiques (Larsen, 2018 ; MELS, 2007 ; Sauvé, 2013).