Mutation est un ouvrage qui théorise finement les concepts et processus en jeu au cœur de la nécessaire mutation humaine qu’il nous faut envisager en réponse à la mutation de la planète en cours. La transformation de l’humanité doit nécessairement prendre acte de la transformation en profondeur de notre monde, des limites de la Terre et de l’altération systématique du système Terre par les activités anthropiques. Nathanaël Wallenhorst ancre en effet son propos au sein de l’Anthropocène, « nouvelle époque géologique caractérisée par une modification durable des conditions d’habitabilité de la Terre pour l’ensemble du vivant » (p. 9), dont il est un expert en France, mais aussi dans la sphère internationale, en lien avec les nombreux ouvrages et articles qu’il a publiés sur le sujet. Face à ce processus de transformation de la Terre et de sa biosphère, un changement radical (au sens étymologique du terme radix « racine ») est nécessaire. La transformation en profondeur de l’humain doit s’exercer dans la façon dont nous vivons, dans la façon dont humains et non-humains coexistent (p. 8), mais aussi dans la façon dont nous nous considérons (p. 137) : « devenir autres que ce que nous sommes » c’est pour l’auteur l’« enjeu principal du xxie siècle » (p. 8). Il définit ainsi les contours et les possibilités de cette mutation politique et anthropologique fondée sur une relation avec le vivant (la biosphère). Nathanaël Wallenhorst mène alors une enquête à travers les écrits scientifiques, sociologiques et philosophiques pour mettre au jour les soubassements de cette transformation profonde de l’humanité. L’auteur s’appuie par exemple sur la pensée des théoriciens critiques de la modernité (École de Francfort) et sur celle d’Hannah Arendt (p. 25-29), sur le concept de « résonance » d’Hartmut Rosa (p. 29-30, p. 44) et sur la notion de « limites planétaires » (et leurs transgressions) de Johan Rockström et coll. (p. 43). Le travail est richement étayé de nombreuses références théoriques dans le champ anthropo-politico-philosophique : Dominique Bourg, Christian Arnsperger, Andreas Weber, Jürgen Habermas, Ivan Illich, Maurice Merleau-Ponty, Günther Anders, Aristote, Descartes, etc. Ce cadre épistémologique est fondamental pour comprendre le développement de la thèse de l’auteur qui se résume ainsi : « seule une mutation anthropologique de nature à consolider le politique permettra à l’aventure humaine de se poursuivre » (p. 10). Tout au long de l’ouvrage, l’auteur précise les différents jalons de la thèse d’une anthropologie politique alternative à construire, de sorte que celle-ci s’enrichit au fil des cinq chapitres. Ceux-ci peuvent certes se lire séparément, mais gagnent assurément à être consultés globalement. Il s’agit d’apprendre à faire société avec les non-humains (p. 14) et à coexister avec eux (p. 44) selon les principes du convivialisme post-prométhéen (p. 15-16, p. 44-46). Il est désormais nécessaire de penser dans le cadre d’une anthropologie de l’« immersion dans la nature » (p. 130-133, p. 137-138, p. 179, p. 191) et il s’agit aussi de rompre avec plusieurs écueils de la société moderne : L’« erreur fondamentale » se situe selon l’auteur du côté de l’anthropologie prométhéenne de la modernité (p. 21, p. 112) : cette mutation des transhumanistes qui consiste à améliorer ou augmenter la puissance humaine et à maîtriser son environnement (p. 20, p. 44, p. 116, p. 140-141, p. 234) en appui au capitalisme, au néolibéralisme (p. 8, p. 145) et à la technocratie (via la quête infinie du progrès de la science et le « génie technoscientifique », p. 110). Pour Nathanaël Wallenhorst, l’enjeu de l’entrée en Anthropocène est que celle-ci « est révélatrice d’une problématique anthropologique dans le rapport à la limite …
Pour en lire plus : Mutation : L’aventure humaine ne fait que commencer[Record]
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Cécile Redondo
Chercheure post-doctorante, Université Aix-Marseille – courriel : cecile.REDONDO[@]univ-amu.fr