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L’œuvre scientifique, sociologique, épistémologique et philosophique d’Edgar Morin est immense et il n’est pas question ici de la synthétiser. Cette année, plusieurs colloques de par le monde ont lieu en l’honneur de son centième anniversaire. L’objectif de ce court article est de souligner quelques points-clés de l’épistémologie de la complexité pour les champs de l’éducation relative à l’environnement et de l’écoformation. 

Le terme complexité désigne une réalité que l’on ne peut résoudre en la réduisant à un seul caractère parce qu’elle est constituée d’éléments inséparables. La racine latine complexus signifie « tisser ensemble ». 

Le premier apport fondamental de cet auteur est certainement le changement de paradigme épistémologique de la complexité développé dans « La méthode » (Morin, 2008), c’est à dire le passage de la méthode analytique héritée de Descartes qui divise la réalité en parties indépendantes à la méthode que Morin appelle « dialogique » qui essaie de relier les parties et le tout dans une perspective écosystémique.

Du point de vue de l'éducation et de la formation, nous devons prendre la mesure de ce problème. Car il ne suffit pas de lire Edgar Morin ; il ne suffit pas de comprendre les diverses dimensions de la complexité (Morin, 1988). Les principes de la pensée complexe doivent être transformés en de nouvelles habitudes de pensée.

Les principes de la complexité : une perspective écosystémique d’auto-éco-formation tout au long de la vie

À travers l’ensemble de son œuvre épistémologique fondamentale intitulée La méthode, Edgar Morin considère qu’il nous faut enfin reconnaître la complexité intrinsèque de tout problème, c’est-à-dire l’impossibilité de la décomposition de ce problème en des parties simples, fondamentales. Morin a plusieurs fois formulé les principes fondamentaux de la méthode de la complexité, en les regroupant en trois principes (Morin, 2005, p. 98-100). 

  • Le principe d’auto-éco-ré-organisation systémique est à la base de la conception tripolaire : autoformation, socioformation, écoformation ;

  • Le principe dialogique qui articule le couple antagonique et complémentaire autonomie/dépendance ;

  • Le principe hologrammatique : “le tout est dans la partie comme la partie est dans le tout”.

Le paradigme de l’autos 

Le principe d’auto-éco-socio-ré-organisation systémique est le principe fondateur. Morin le nomme parfois le « principe récursif » ou plus généralement « le paradigme de l’autos [1] » (Morin, 2008). Pour l’auto-écoformation ce principe permet de penser la capacité de l’être humain à générer sa propre autonomie en utilisant récursivement ses multiples interdépendances avec l’environnement physique et social. 

La théorie tripolaire de l’auto-socio-éco-formation développée par Gaston Pineau a été nourrie dès l’origine par le concept d’auto-éco-organisation systémique. Dans cette perspective écosystémique, l’auto-formation est l’un des trois pôles qui orientent le processus de formation : soi (autoformation), les autres (socio-formation) et le monde (écoformation). L’autoformation n’est donc pas un processus indépendant, mais un processus de rétroaction sur l’environnement et de récursivité sur soi-même. 

La dimension de formation pilotée par le pôle éco se compose des influences physiques, climatiques, et des interactions physico-corporelles qui mettent en forme la personne. Dans les sociétés occidentales modernes, cette dimension a été refoulée comme un inconscient culturel et commence seulement à émerger avec l’écologie.

Le principe de ré-introduction du sujet connaissant dans toute connaissance est nécessaire pour inclure la réflexivité du sujet sur ses interdépendances avec l’environnement socio-historique. Pour Morin, toute connaissance doit être « connaissance de la connaissance » incluant auto-réflexivité et auto-critique pour ne pas tomber dans les illusions de la connaissance.

Peut-on accepter que la connaissance se fonde sur l’exclusion du connaissant, que la pensée se fonde sur l’exclusion du pensant, que le sujet soit exclu de la construction de l’objet ? (Morin, 2008, p. 34)

Ce principe de rétroaction (non-linéarité) et le concept de boucle rétroactive nous permettent de penser des causalités écosystémiques non-linéaires où l’effet rétroagit sur la cause.

« Le principe de rétroactivité » qui permet de rompre avec le principe réducteur de causalité linéaire par le concept de boucle rétroactive. Face au principe linéaire cause-effet, nous nous situons à un autre niveau : non seulement la cause agit sur l’effet, mais l’effet rétroagit de façon informationnelle sur la cause, permettant l’autonomie organisationnelle du système. » (Morin et coll., 2003, p. 43).

Le principe dialogique

Le principe dialogique articule les polarités antagoniques en dynamiques complémentaires. Il permet de comprendre entre autres la relation paradoxale entre autonomie et dépendance dans le processus d’auto-éco-formation. L’autoformation est un processus paradoxal qui se nourrit de ses interdépendances avec l’environnement. Elle est constituée de la prise de conscience et de la rétroaction sur les influences socio-formatives et éco-formatives (Galvani, 2020).

(Le principe d’autonomie/dépendance…) permet de comprendre le processus auto-éco-organisationnel. Toute organisation, pour conserver son autonomie, a besoin d’être ouverte à l’écosystème dont elle se nourrit et qu’elle transforme [...] Aucune autonomie n’est possible sans de multiples dépendances. Notre autonomie en tant qu’individu ne dépend pas seulement de l’énergie que nous captons biologiquement de l’écosystème, mais aussi de l’information culturelle. Les dépendances qui nous permettent de construire notre organisation autonome sont multiples. » (Morin et coll., 2003, p. 45).

Le principe d’autonomie/dépendance est un exemple du principe dialogique, puisque l’auto-organisation d’un système dépend de ses interactions avec son environnement.

Le principe hologrammatique 

Le troisième principe hologrammatique peut être formulé ainsi : « le tout est dans la partie comme la partie est dans le tout ». Le principe hologrammatique est fondamental pour les méthodes biographiques et éco-biographiques utilisées dans les recherche-formation en éducation relative à l’environnement, car chaque vie personnelle reflète l'ensemble de la société. Le singulier reflète l'universel.

Ces méthodes biographiques utilisées en groupe reposent sur la capacité de réflexivité de chaque sujet. Dans un groupe de recherche-formation, la mise en dialogue des réflexions individuelles produit une prise de conscience et permet de formaliser les nouvelles connaissances issues d'expériences alternatives. 

Le principe hologrammatique permet aussi de comprendre que les « kaïros » qui sont les moments décisifs contiennent toute la richesse des expériences de vie (Galvani, 2020). Dans l’étude des pratiques, on voit par exemple qu’un moment de pratique contient potentiellement l’ensemble de l’expérience accumulée par le sujet. Chaque moment d’une pratique est ainsi une forme d’hologramme de la pratique étudiée (Galvani, 2020).

La globalisation et les multi-crises de l’ère planétaire

À partir de cette pensée de la complexité, les dernières publications d’Edgar Morin affrontent le défi des multi-crises de l’ère planétaire. Pour lui, la globalisation comporte de multiples crises en effet : crise démographique planétaire, crise urbaine des mégapoles, crises économiques, crises écologiques de destruction de la biosphère, crise politique d’incapacité à envisager des alternatives. L’interdépendance mondialisée fait que ces multi crises sont enchevêtrées : « la crise écologique s’accentue avec la dégradation de la biosphère, laquelle va elle-même susciter de nouvelles crises, économiques sociales et politiques » (Morin, 2011, p. 22). 

Nous savons aujourd’hui que la mondialisation et son quadrimoteur « science-technique-économie-industrie » menacent les équilibres de la biosphère terrestre à l’horizon du siècle (Morin, 2011). Le système techno-économique mondialisé basé sur l’idée de développement n’est tout simplement plus viable pour l’avenir de l’humanité et semble se diriger « vers l’abîme ». 

Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre, ou bien se révèle capable de susciter un méta-système à même de traiter ses problèmes : il se métamorphose. (Morin, 2011, p. 31)

Si le plus probable semble la poursuite du système vers sa désintégration, Morin rappelle que l’improbable reste possible. Cet événement improbable serait une métamorphose des consciences et du système mondialisée ouvrant une nouvelle voie pour l’humanité (Morin, 2011). 

Pour Morin cette métamorphose est déjà à l’œuvre. Même si nous ne pouvons pas encore savoir qu’elle forme elle prendra on peut déjà en observer, en soutenir et en développer les germes :

  • La conscience anthropologique, qui reconnaît notre unité dans notre diversité.

  • La conscience écologique, c’est-à-dire la conscience d’habiter, avec tous les êtres mortels, une même sphère vivante (biosphère) ; reconnaître notre lien consubstantiel avec la biosphère nous a conduits à abandonner le rêve prométhéen de la maîtrise de l’univers, pour au contraire nourrir l’aspiration à la convivialité sur terre.

  • La conscience civique terrienne, c’est-à-dire de la responsabilité et de la solidarité entre les enfants de la Terre. La conscience dialogique qui vient de l’exercice complexe de la pensée et qui nous permet à la fois de nous entre-critiquer, de nous autocritiquer et de nous entre-comprendre. (Morin, 2000, p. 82)