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Cette parution de Économie et Solidarités accuse un important retard. La rédaction tient à s’excuser tant auprès de son lectorat, du Ciriec-Canada et surtout auprès des auteurs qui, tout en étant inquiets, se sont armés de patience et n’ont pas retiré leurs textes en dépit des inconvénients qu’ils pouvaient en subir. Nous interprétons cette attitude comme une marque tangible d’attachement à ce périodique et nous espérons que ce délai de parution ne nous privera pas des collaborations nécessaires à la qualité d’un tel périodique de langue française sur l’économie collective qui reste unique en Amérique du Nord.

Ce délai est attribuable à une nouvelle transition dans le fonctionnement de la revue qui a été affectée par des imprévus sur le plan du financement, mais aussi par des évènements et des contraintes dans la vie des personnes qui s’occupent de sa production au quotidien. Mais les choses ont commencé à se rétablir à partir de septembre dernier (2014) et l’équipe de rédaction est en train de se réorganiser avec le soutien du Comité exécutif du Ciriec-Canada et de l’Université du Québec en Outaouais.

Le dossier de ce numéro a été monté à même des textes qui nous ont été fournis à l’occasion d’un colloque tenu sur l’économie sociale et le développement territorial comme il est expliqué dans son introduction, mais aussi avec d’autres contributions qui nous sont parvenues après le colloque. Or, l’ensemble du dossier thématique s’avère d’une pertinence de premier plan dans le contexte politique, économique et social actuel. Au moment où le gouvernement libéral de Philippe Couillard accumule les projets de loi et les décisions de réaménagement ou de restructuration de programmes de services publics à la population, voici que ce numéro de la revue illustre, par un certain nombre de cas, qu’il s’est construit, au Québec, à diverses périodes depuis le début des années 1980, des dispositifs ou organismes de coordination de développement territorial dans divers milieux qui ont soutenu l’entrepreneuriat, le développement de l’emploi et des services ainsi que la cohésion sociale. Ces mécanismes de coordination ont contribué non seulement à rassembler diverses ressources et différents acteurs sociaux locaux et régionaux pour en faire des « parties prenantes » du développement, mais aussi à construire des interrelations continues entre ces acteurs et ressources de la société civile et les instances publiques tant sur les plans local et régional que national. Nous en avons des illustrations très claires dans ce dossier avec les Corporations de développement économique (CDÉC) de Montréal, les Centre locaux de développement (CLD) que le gouvernement actuel entend oublier après que le gouvernement de Jean Charest en ait rapetissé la représentation interne de la société civile ou la participation citoyenne, des cas développement de communautés rurales comme Sainte-Irène et d’expériences plus récentes comme celle de la Coopérative régionale de développement de l’Outaouais et des Laurentides (CDROL).

Nous en avons des illustrations très claires dans ce dossier avec les Corporations de développement économique (CDÉC) de Montréal, les Centre locaux de développement (CLD) que le gouvernement actuel entend oublier après que le Gouvernement de Jean Charest en ait rapetissé la représentation interne de la société civile ou la participation citoyenne, des cas développement de communautés rurales comme Sainte-Irène et d’expériences plus récentes comme celle de la Coopérative de développement régional Outaouais-Laurentides (CDROL).

Or, ce même gouvernement a décidé de faire disparaître littéralement les Conférences régionales des élus (CRÉ) qui, bien que sous l’égide des élus municipaux, s’associent de façon durable dans la plupart des cas d’autres agents de développement socioéconomiques, bref, des acteurs de la société civile. Plusieurs organisations et regroupements de la mouvance communautaire qui croise souvent l’économie sociale se voient aussi bousculer par les restrictions budgétaires annoncées quand leurs missions ou cibles ne sont pas visées. C’est le cas des Carrefours jeunesse emploi (CJE) à qui l’on exige de se centrer sur les jeunes dépendants de la sécurité du revenu, laissant de côté le dynamisme des interactions avec d’autres jeunes qui détiennent un meilleur capital social et culturel et qui sont susceptibles de mobiliser leurs compagnons plus dépendants dans le démarrage d’initiatives et même d’entreprises qui, dans certains cas, font preuve d’audace et d’innovation. Voilà un cas, parmi bien d’autres, d’arrimage entre des acteurs mobilisés et regroupés de la société, habituellement désignée comme la société civile, et les pouvoirs publics de diverses instances. Or, si les pouvoirs publics viennent décider désormais de l’orientation des ces organisations de la société, ils remettent en cause leur nature et leur existence même, et nient leur capacité de construction sociale et économique.

À cet égard, la volonté gouvernementale de modifier l’échelle des coûts des services dans les garderies subventionnées et de vouloir contrôler les journées de garde payées par les parents mais non utilisées pour diverses raisons constitue, délibérément ou pas, une remise en cause de ce modèle emblématique de ces arrangements entre l’État et la société. En effet, les coûts des services de ces organisations sont en grande partie assumés par l’État, les intégrant ainsi dans le réseau des services publics à la population, mais leur gestion est assumée par les utilisateurs des services, c’est-à-dire les parents, conjointement avec les salariés de ces centres, qu’ils aient le statut de coopératives ou d’organismes à but non lucratif (OBNL). Or, le projet gouvernemental vise nettement à intervenir dans l’orientation des CPE, leur gouvernance et leur gestion tout en remettant en cause le plan de généralisation d’accès à ce service de garde nettement orienté sur l’éduction des tout petits. Pourtant, ce modèle tout à fait innovant d’accessibilité, de proximité et de participation citoyenne à son orientation et à sa gestion relève d’une construction sociale de plusieurs décennies à l’initiative d’organisations communautaires et de femmes.

Bref, cette forme d’intervention gouvernementale actuelle dans le réseau des CPE, dans d’autres initiatives sociales comme les CJE et dans d’autres secteurs de la société et des services publics que nous n’avons pas relevés ici vise clairement une façon de vivre en société. Plusieurs commentateurs, des responsables de réseaux de services et des acteurs de la société civile ont relevé que ces politiques auront des conséquences négatives sur le plan social, allant de l’emploi à la qualité des services et même leurs coûts. Il apparaît aussi, et sans doute plus profondément, qu’il remet en cause une façon québécoise, mais qui n’est pas exclusive, de vivre la société, qui a été construite progressivement, et souvent discrètement, depuis les années 1970 et qui fait que l’État n’agit pas seul dans l’espace public. Curieusement, sous le motif questionné qu’il y a trop d’État au Québec, il est fort possible que l’on cherche plutôt à modifier le rôle de cet État en un État contrôleur du social. Tout se passe comme si l’objectif pressant de l’équilibre budgétaire n’était qu’un alibi pour restreindre l’action de la société sur elle-même.