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1. L’initiation à l’épistémologie : une composante de l’éducation scientifique

Au cours des dernières décennies, l’initiation à l’épistémologie[1] s’est affirmée comme composante essentielle de la formation scientifique aussi bien dans les publications portant sur les finalités éducatives que dans les curriculums de tous les pays occidentaux (Dushl, Schweingruber et Shouse, 2007; Hasni, 2005; Hasni et Bousadra, sous presse; Lederman, Bartos et Lederman, 2014; McComas et Olson, 1998). Outre le foisonnement d’articles dans des revues d’envergure comme le Journal of research in science teaching et le Science education, des numéros thématiques de revues (p. ex. : Hodson et Wong, 2017) et des ouvrages (Erduran et Dagher, 2014; Khine, 2012; Matthews, 2014) regroupant des dizaines de chercheurs internationaux tentent périodiquement de faire le point sur la question.

Les expressions utilisées dans le monde anglophone pour désigner cette initiation à l’épistémologie sont nombreuses[2] : « Ideas about science » (Osborne, Collins, Ratcliffe, Millar et Dushl, 2003); « how science works » (McComas, 2017; Jenkins, 2004; Williams, 2011); « scientific epistemological view » et « scientific epistemological beliefs » (Cam et Geban, 2011; Hoskins, Lopatto et Stevens, 2011; Schwartz et Lederman, 2008); etc. Cependant, c’est le concept de nature of science ou NOS qui s’est imposé pour désigner cette initiation (Sandoval, 2005,). Alors que certains auteurs considèrent que les fondements théoriques de ce concept bénéficient d’une vision consensuelle, d’autres remettent en question le caractère consensuel de ce cadre de référence et plaident pour sa reconceptualisation.

Le présent article s’inscrit dans ce débat et poursuit les principaux objectifs suivants : 1) faire le point sur la signification du concept de NOS, tout en soulignant ses apports et ses limites; 2) présenter les principales tendances de reconceptualisation de la NOS; 3) proposer un cadre d’initiation à l’épistémologie en sciences, qui mobilise les conceptualisations précédentes et qui fait appel à l’engagement des élèves dans des pratiques scientifiques scolaires (dimension cognitive et épistémique), complété par l’analyse de pratiques de scientifiques et de cas contemporains ou tirés de l’histoire des sciences (dimensions institutionnelle et sociale). Ces deux dernières dimensions seront illustrées à l’aide de deux composantes : les modalités institutionnelles de production et de validation des savoirs et l’éthique comme composante du fonctionnement des sciences.

2. La NOS : significations, apports et limites

L’examen, par Chang, Chang et Tseng (2010), des publications parues entre 1990 et 2007 sur le concept de NOS montre qu’un ensemble de caractéristiques reviennent souvent pour définir ce dernier. Ce constat rejoint les déclarations de nombreux auteurs qui affirment l’existence d’une « vision consensuelle » de la notion de NOS (Abd-El-Khalick, 2012; Lederman, Abd-El-Khalick, Bell, Schwartz, 2002; Deng et coll., 2011; McComas, 2017). La plupart des publications qui font appel à cette conceptualisation reprennent, en les enrichissant, les sept caractéristiques proposées initialement par Lederman et ses collaborateurs (Abd-El-Khalick, Bell et Lederman, 1998; Lederman, 1992, 2007) pour définir la NOS, les Lederman Seven, selon l’expression de Matthews (2012) : la nature empirique des sciences; les lois et les théories; la créativité et l’imagination; le rôle des théories et de la subjectivité des chercheurs; l’ancrage social et culturel; le mythe de la méthode scientifique; le caractère incertain des savoirs. D’autres auteurs ajoutent à cette liste d’autres caractéristiques, souvent pour prendre en considération les critiques formulées à l’égard de la vision dite consensuelle. Ainsi, Aydin, Demirdögen, Muslu et Hanuscin (2013) font appel à huit caractéristiques; McComas (2005) à neuf; d’autres auteurs à un nombre pouvant aller jusqu’à 12 (Summers, Alameh, Brunner, Maddux, Wallon et Abd-El-Khalic, 2019).

Le tableau 1 résume les principales caractéristiques qui reviennent souvent dans la définition dite consensuelle de la NOS. Dans ce tableau, nous présentons la liste élargie de caractéristiques résultant de l’adaptation que de nombreux auteurs font des Lederman Seven dans des publications récentes (Aydin, 2013; Abd-El-Khalik, Waters et Le, 2008; Summers et coll. 2019). Nous pouvons regrouper ces caractéristiques en deux dimensions : la dimension cognitive et épistémique (caractéristiques 1 à 7), puis la dimension institutionnelle et sociale (caractéristiques 8 et 9).

Tableau 1

Principales caractéristiques de la NOS (adapté de : Aydin, 2013; Abd-El-Khalik, Waters et Le, 2008; Summers et coll., 2019)

Principales caractéristiques de la NOS (adapté de : Aydin, 2013; Abd-El-Khalik, Waters et Le, 2008; Summers et coll., 2019)

Tableau 1 (continuation)

Principales caractéristiques de la NOS (adapté de : Aydin, 2013; Abd-El-Khalik, Waters et Le, 2008; Summers et coll., 2019)

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Malgré les apports incontestables de la vision consensuelle de la NOS, des critiques de cette conceptualisation se sont multipliées au cours des dernières années (p. ex. : Allchin, 2011; Allchin, 2017; Duschl et Grandy, 2013; Hodson et Wong, 2011; Matthews, 2012; van Dijk, 2011). Les qualificatifs utilisés pour décrire ses limites sont nombreux et témoignent d’une remise en question de cette vision qui semblait s’installer comme la seule façon pour approcher l’initiation à l’épistémologie en éducation scientifique : vision naïve, déficiente, confuse, pédagogiquement dangereuse, etc. Dans un récent numéro thématique de la Revue canadienne de l’enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie, dédié à la discussion de la conception de NOS, Hodson et Wong (2017) parlent d’un « consensus view lobby », tout en soulignant que « concern has been expressed about the overall thrust of the consensus-oriented movement and its failure to reflect contemporary scientific practice and the overly simplified, sometimes confused, frequently misleading, often unhelpful, and philosophically naive nature of some of the individual items that comprise it » (p. 7). Que reprochent ces auteurs et de nombreux autres à la vision consensuelle de la NOS? Sans faire le tour de toutes les critiques, rapportons-en ici quelques-unes parmi les plus fréquentes.

1) La liste des caractéristiques proposées est réductrice et ne reflète pas la complexité du fonctionnement des sciences. À titre d’exemple, Erduran et Dagher (2014) et Matthews (2012) soulignent qu’il n’y a aucune raison valable pour laquelle seule la liste des Lederman Seven, ou encore cette liste enrichie, doit servir à décrire la NOS, alors que l’entreprise scientifique comporte de nombreuses autres composantes renvoyant aux dimensions épistémique, historique, psychologique, sociale, etc. Allchin (2017) considère de son côté que cette vision de la NOS est incompatible avec le développement d’une culture scientifique fonctionnelle : « If we focus only on a small sample of preselected NOS features – as the consensus list currently does – we cannot fully prepare our students in the context of functional scientific literacy. » (p. 20).

2) La vision dite consensuelle de la NOS ne tient pas compte du point de vue des scientifiques (en sciences naturelles) et des spécificités disciplinaires. Pour les auteurs qui formulent cette critique (Berkovitz, 2017; Erduran et Dagher, 2014; Irzik et Nola, 2014; Hodson et Wong, 2017), la vision dite consensuelle repose presque exclusivement sur les travaux de la philosophie, de l’histoire et de la sociologie des sciences (sur le point de vue des scientifiques en sciences humaines et sociales) et ne prend pas en considération le point de vue des scientifiques sur leurs pratiques. En outre, cette vision ne permet pas de rendre compte des spécificités des différentes disciplines qui composent les sciences naturelles.

3) La distinction entre l’observation et l’inférence (caractéristique 5, tableau 1) constitue une simplification et une distorsion de la pratique scientifique. Les auteurs qui rapportent cette critique insistent sur le fait que les observations ne sont pas seulement perceptuelles, mais qu’elles sont fortement associées aux cadres théoriques qui les génèrent et qui permettent de les expliquer. Pour illustrer ce point de vue, Hodson et Wong (2017) expliquent que c’est la théorie de la solubilité qui nous permet de constater que des substances mélangées à l’eau sont dissoutes et non pas disparues : l’observation ne se limite pas à la perception visuelle de la disparition, mais repose sur une lecture éclairée par la connaissance qu’on a sur la solubilité. En ce sens, déjà au milieu du siècle dernier, Poincaré (1948) notait la nécessité de distinguer entre le fait brut (le perceptuel) et le fait scientifique (guidé par un regard théorique).

4) L’interprétation littérale de l’idée d’une science provisoire véhicule un relativisme qui met en doute la capacité des sciences à comprendre le monde de manière objective (Dagher, 2016; Sandoval, 2005). Si certains auteurs de la conception de NOS affirment qu’il n’y a pas de méthode scientifique universelle, d’autres vont plus loin en niant la possibilité de l’existence d’une méthode fiable, qu’on pourrait qualifier d’objective. En ce sens, Erduran et Dagher (2014), par exemple soulignent que « there are as many methods of science as there are practitioners » (p. 4). Ce type de déclaration est fortement critiqué par les auteurs qui plaident pour une reconceptualisation de la NOS. Ils critiquent également d’autres déclarations véhiculant une vision relativiste des sciences, comme celle qui considère que les savoirs ne sont qu’une tentative : « it is commonplace among NOS researchers to assert that a sophisticated epistemological viewpoint acknowledges that scientific knowledge is tentative […] This assertion smacks many the wrong way, as if it implies an inescapable relativism: since scientific knowledge is not known to be absolutely true, then there is no particular reason to believe it » (Sandoval, 2005, p. 640-641). La façon avec laquelle les auteurs de la conception de NOS rapportent l’idée de la créativité, en insistant sur son caractère personnel et subjectif, remet également en question toute objectivité des sciences (Romero-Maltrana, Benitez, Vera et Rivera, 2019). Pour ces derniers auteurs, la vision dite consensuelle de la NOS donne l’impression que tous les éléments qu’on utilise pour définir les sciences ne font de celle-ci qu’un mythe, puisque le message final véhiculé semble être que les sciences n’ont pas de méthode, qu’elles ne reposent pas sur des preuves solides, que leurs résultats sont partiels et peu corroborés et, par conséquent, qu’elles sont aussi provisoires que toute autre forme de connaissance.

5) Malgré ses apports potentiels, la conception dite consensuelle de la NOS est accompagnée de limites et de dérives sur le plan pédagogique. Une de ces principales limites est le fait que la liste des caractéristiques utilisées pour définir la NOS offre peu d’indices pour développer les curriculums et pour orienter les pratiques d’enseignement et de formation en sciences (Norris, 2014). Hodson et Wong (2017), pour leur part, considèrent que le recours à une liste de caractéristiques pour définir la NOS est « dangereux » sur le plan pédagogique puisqu’il peut devenir la norme pour les enseignants concernant l’enseignement et l’évaluation de l’épistémologie. C’est dans le même sens que vont les propos de Matthews (2012), qui souligne que l’hypothèse selon laquelle l’apprentissage de la NOS peut être jugé et évalué à partir de la capacité des élèves à identifier un certain nombre d’énoncés déclaratifs ne permet pas le développement d’une compréhension nuancée de la nature des sciences. L’auteur souligne que cette liste a largement été utilisée dans l’enseignement des sciences comme une liste de contrôle qui apparaît sur les murs des salles de classe un peu comme les « Sept Commandements » et que, malgré les souhaits de ses créateurs, elle est utilisée comme un catéchisme à apprendre par coeur, au lieu d’amener les élèves à analyser des situations illustratives, à argumenter et à construire leur propre point de vue sur le fonctionnement des sciences. Romero-Maltrana et coll. (2019) mettent bien en évidence dans leur analyse le paradoxe de la vision dite consensuelle de la NOS : elle prétend présenter aux apprenants une vision constructiviste des sciences, mais en adoptant une posture positiviste (une liste d’énoncés à apprendre).

3. Des appels pour une reconceptualisation de la NOS

En raison des critiques dont nous venons de présenter un aperçu, de nombreux auteurs plaident soit pour une reconceptualisation de la NOS, soit pour une pluralité de cadres de référence (Bazzul, 2017; Hodson et Wong, 2017).

Hodson et Wong (2017) proposent une reconceptualisation qui vise à mettre les pratiques actuelles des scientifiques au coeur de la compréhension du fonctionnement des sciences. Les élèves pourraient être exposés à ces pratiques sous trois aspects : « learning about scientists », « learning from scientists » et « learning with scientists ». Selon cette perspective, les rencontres avec les scientifiques, la participation à certaines de leurs activités (par des visites des chercheurs dans les écoles ou par les déplacements des élèves dans les laboratoires, par exemple) et l’observation de leur travail, etc., exposeraient directement les élèves aux réalités de la pratique scientifique. Cette approche permettrait de compléter, d’illustrer ou, pourquoi pas, de défier le point de vue exprimé par des historiens, des philosophes et des sociologues de la science. Tout en soulignant l’intérêt de cette proposition, Bazzul (2017) lui reproche le manque de clarté conceptuelle, puisque les fondements qui lui sont sous-jacents en lien avec l’éducation scientifique ne sont pas explicités.

Matthews (2012) propose de remplacer la notion de « nature » de la science (NOS) par celle des « caractéristiques » des sciences (Features of Science ou FOS). Cette proposition vise à englober un éventail plus inclusif d’idées sur les sciences que celles retenues par la vision de la NOS. Les caractéristiques proposées par Matthews (2012) comprennent, entre autres, l’expérimentation, l’idéalisation, les modèles, les valeurs et les questions socioscientifiques, la mathématisation, la technologie, l’explication, les relations avec la religion, le féminisme, le réalisme et le constructivisme, etc. Matthews (2012) estime cependant que, sur le plan pédagogique, il faut avoir des objectifs modestes lorsqu’on enseigne les caractéristiques des sciences, puisqu’il serait difficile de faire comprendre aux élèves l’ensemble de ces caractéristiques.

Irzik et Nola (2011, 2014) proposent l’approche des familles de ressemblances (Family ressemblance approach, FRA) pour conceptualiser le fonctionnement des sciences. Cette approche, reprise et enrichie par la suite par d’autres auteurs (Dagher, 2016; Erduran et Dgher, 2014) vise à comparer les différentes disciplines scientifiques de manière à dégager leurs points communs et leurs spécificités, sur les plans de la méthodologie, de la théorie, des valeurs, des normes sociales, etc. Cette conceptualisation vise également à établir une distinction entre les sciences en tant que système cognitif et épistémique et les sciences comme système institutionnel et social. Cette distinction rejoint celle que nous avons proposée dans des travaux antérieurs (p. ex. : Hasni, 2001), en nous appuyant notamment sur les travaux de Stichweh (1990), et que nous reprenons dans cet article comme base de conceptualisation de l’initiation à l’épistémologie : le système épistémique et cognitif renvoie aux fondements intellectuels de chaque discipline (problématique et questions pertinentes par rapport à un cadre théorique admis; méthodes d’établissement des faits fondées sur la rationalité et reproductibles; différentes formes de conceptualisation du monde naturel; etc.). Le système institutionnel et social renvoie, d’une part, au fonctionnement des communautés de pairs, réunies par des événements conjoints (équipes de recherche, colloques, etc.) et des revues savantes, d’autre part, aux influences réciproques entre les sciences et la société (financement de la recherche, éthique, conflits d’intérêts, etc.).

4. Une approche d’initiation à l’épistémologie basée sur les pratiques scientifiques scolaires

L’approche d’initiation à l’épistémologie des sciences que nous proposons tient compte des débats dont nous venons de présenter un aperçu. Notre approche propose une autre alternative que celle de l’enseignement formalisé d’une liste d’énoncés ou de principes découlant des travaux de la philosophie, de l’histoire et de la sociologie des sciences. Outre les critiques déjà formulées plus haut sur la conceptualisation de la NOS, nous sommes d’avis, avec Matthews (2012), qu’il est « unrealistic to expect students, or trainee teachers, to become competent historians, sociologists or philosophers of science (p. 21) ». Norris (2014), de son côté, souligne que les enseignants des sciences ne cherchent pas et ne veulent pas donner des cours d’histoire, de philosophie ou de sociologie de la science. Aussi précieux que ces cours puissent être dans d’autres contextes de formation, ils ne sont pas ce que les enseignants de sciences désirent ou peuvent implanter dans les cours de sciences.

Notre approche repose sur l’engagement des élèves dans des pratiques scientifiques scolaires. Tout en lui étant complémentaire, elle se distingue cependant de la proposition de Hodson Wong (2017), qui met l’accent sur le point de vue des scientifiques (about, from and with scientists) comme moyen de compréhension du fonctionnement des sciences.

L’apport distinctif de l’approche que nous proposons repose, entre autres, sur les deux aspects suivants :

1) Elle s’appuie d’abord sur l’engagement des élèves dans les pratiques scientifiques scolaires (dans le cadre de disciplines scolaires, à distinguer des disciplines scientifiques de référence) et dans la réflexion sur ces pratiques, une sorte d’épistémologie pratique (Berland et coll., 2016; Fourez et Larochelle, 2002). Cet engagement vise prioritairement l’appropriation par les élèves de la dimension cognitive et épistémique (figure 1).

2) Elle repose également sur l’apport complémentaire et nécessaire de l’étude de pratiques de scientifiques ainsi que de cas contemporains ou tirés de l’histoire des sciences (Allchin, 2014), nécessaire à la compréhension des dimensions institutionnelle et sociale (figure 1). Les situations à analyser avec les élèves doivent cependant être choisies avec l’éclairage de l’histoire, de la philosophie et de la sociologie des sciences.

Figure 1

Cadre opérationnel pour l’initiation à l’épistémologie par les pratiques scientifiques scolaires[3]

Cadre opérationnel pour l’initiation à l’épistémologie par les pratiques scientifiques scolaires3

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4.1 Les démarches d’investigation scientifique au coeur des pratiques scientifiques scolaires

Les curriculums (cas des derniers standards étasuniens : NGSS Lead States, 2013) et les publications dans le domaine de l’éducation scientifique (p. ex. : Bartos et Lederman, 2014; Stroupe, 2015) considèrent que le recours aux démarches d’investigation scientifique constitue l’entrée privilégiée pour l’introduction des élèves aux pratiques scientifiques. Nos analyses antérieures de ces publications (Hasni et Bousadra, 2018; Hasni, Belletête et Potvin, 2018) nous ont permis de proposer une conceptualisation de ces démarches qui repose sur trois questions (composantes) fondamentales (figure 2). Nous en rappelons ici les grandes lignes, en soulignant surtout la manière avec laquelle elles peuvent servir de levier pour l’initiation à l’épistémologie.

Figure 2

Les démarches d’investigation scientifique au coeur de l’initiation à l’épistémologie

Les démarches d’investigation scientifique au coeur de l’initiation à l’épistémologie

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1) Quels problèmes ou questions considérer en sciences? Comme le dit Bachelard (2004), « l’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes » (p. 16). C’est en ce sens que s’expriment Astolfi, Darot, Ginsburger-Vogel et Toussaint (1997) et Fabre (1999) lorsqu’ils soulignent que, dans le contexte scolaire, le problème doit être construit avec les élèves dans la classe, car l’activité scientifique ne revient pas seulement à résoudre des problèmes, mais elle consiste d’abord à apprendre à les poser.

Les élèves ne travaillent pas, comme les chercheurs, sur des problématiques spécifiques sur de longues périodes en fonction de leurs champs d’expertise. C’est l’école qui doit les engager dans des problématiques qui dépendent des prescriptions des programmes et d’un déroulement orchestré par l’enseignant en fonction des visées éducatives retenues. Par conséquent, le processus de problématisation doit être soigneusement préparé par ce dernier. C’est la fonction première des mises en situation : un artifice intellectuel qui doit amener les élèves à se rendre compte de l’existence d’un problème scientifique à considérer. Dépasser la perception de sens commun des problèmes à une problématisation scientifique nécessite par ailleurs l’acquisition préalable d’un degré de conceptualisation du monde (ce que nous avons appelé la conceptualisation préalable dans la figure 2). Ainsi, les élèves ne peuvent pas problématiser les besoins nutritifs des plantes s’ils n’ont pas acquis préalablement un degré de conceptualisation du vivant; ils ne peuvent pas non plus problématiser la résistance de certains reptiles à des températures inférieures à zéro s’ils n’ont pas acquis des bases théoriques sur les reptiles (animaux dont la température intérieure varie en fonction de la température externe) et sur le changement de l’état de l’eau en fonction de la température, entre autres. Cette conceptualisation préalable joue le même rôle, dans le contexte scolaire, que celui des théories et des savoirs établis dans le cadre des sciences institutionnalisées.

Au regard de l’initiation à l’épistémologie, l’engagement des élèves dans des problématisations variées et soigneusement sélectionnées pour refléter le fonctionnement des sciences et la diversité des disciplines, devrait les conduire à comprendre, entre autres, que :

  • Les sciences ne peuvent pas prétendre répondre à tous les problèmes rencontrés par les humains. Les seuls problèmes à considérer sont ceux qu’on peut éclairer en faisant appel aux preuves, à des faits qu’on peut observer ou produire en interrogeant la nature, et seulement celle-ci. À cet effet, l’analyse de Stichweh (1990) démontre que le système scientifique actuel est né au passage du 18e au 19e siècle, en rejetant toute forme de savoir qui ne peut pas être soumise à l’examen de la preuve : ce qui caractérise les sciences modernes et leur caractère autopoiétique (la production par elles-mêmes de leurs preuves). En ce sens, de nombreuses questions (sur la beauté du monde, sur les raisons de notre existence sur Terre, sur les effets présumés des esprits sur les humains, sur l’existence d’une vie après la mort, etc.) ne peuvent pas avoir de réponses dans le cadre des sciences.

  • Les problèmes scientifiques doivent s’inscrire dans des champs théoriques reconnus.

  • Les problèmes en sciences rejettent toute forme de finalisme : pourquoi nous avons deux yeux?; pourquoi sommes-nous sur Terre?; etc. Ce type de questions ne fait pas partie des problèmes auxquels les sciences peuvent apporter des réponses.

  • Certains postulats guident le travail scientifique et l’élaboration des problèmes dans les différentes disciplines : les mêmes causes produisent les mêmes effets; le principe d’actualisme[4]; etc.

2) Quels sont les preuves (les faits) scientifiques qui permettent d’apporter une réponse au problème ou à la question scientifique retenue? Comment ces faits sont-ils obtenus et validés? (figure 2)

En diversifiant les problèmes à étudier dans les différentes disciplines scientifiques à l’école, il est possible d’amener les élèves à découvrir la diversité des méthodes d’établissement de la preuve et leurs points communs. Par exemple, pour comprendre la composition et la dynamique d’un écosystème, la méthode de recueil des données repose essentiellement sur l’observation systématique et contrôlée (description et identification des vivants qui composent l’écosystème et de leur densité en fonction du temps; recherche des relations trophiques et de dépendance; etc.). Ces observations n’ont rien de spontané, elles doivent être guidées par des préoccupations théoriques clairement identifiées et par des critères de recueil de faits précis. En outre, pour comprendre l’effet de certains types d’engrais sur le développement des plantes, les faits servant de preuve à l’explication proposée doivent être provoqués : il s’agit du recours à une démarche expérimentale avec un contrôle de variables. Par ailleurs, les démarches d’investigation à l’école peuvent s’inspirer de recherches réalisées dans de nombreuses disciplines pour illustrer un autre mode d’établissement de la preuve en sciences : la simulation. À titre d’exemple, dans certaines disciplines médicales, des molécules et leurs modes de fonctionnement sont d’abord simulés informatiquement, souvent comme étape préalable à la production de molécules prometteuses et à leur étude approfondie par l’observation ou l’expérimentation.

Les exemples que nous venons de présenter brièvement montrent la diversité des démarches d’investigation que doivent vivre les élèves pour comprendre le fonctionnement des sciences et s’initier à différents aspects de l’épistémologie. Il s’agit entre autres de les amener à :

  • Conceptualiser la notion de méthode ou de démarche d’investigation scientifique, au lieu de l’apprendre par le biais d’un énoncé formalisé.

  • Comprendre que les méthodes scientifiques ne constituent pas une recette à appliquer de manière technique, qu’elles sont diversifiées et qu’elles dépendent des problèmes étudiés et des disciplines d’appartenance. Contrairement à une interprétation relativiste qui plaide pour l’absence de méthode, les élèves pourraient constater que, malgré leur diversité, les démarches d’investigation scientifique reposent sur quelques principes partagés qui permettent la production de faits qui font clairement le lien entre le problème retenu et le savoir produit. À cet égard, Bachelard (1934) fait remarquer, à la suite de l’analyse historique des processus scientifiques, que « les qualités du réel scientifique sont […] au premier chef, des fonctions de nos méthodes rationnelles. Pour constituer un fait scientifique défini, il faut mettre en oeuvre une technique cohérente […] » (p. 172).

  • Nuancer le sens accordé aux notions de créativité et d’imagination associées par la NOS au fonctionnement des sciences. Contrairement au caractère subjectif qu’on semble leur associer, la création et l’imagination sont plutôt contrôlées (Cariou, 2015) par la rationalité (elles doivent respecter les critères de la scientificité attendus) et par les pairs (qui se chargent de l’évaluation des méthodes utilisées). Cariou (2015) utilise l’expression suivante pour souligner cette nuance dans le cadre des démarches d’investigation scientifique : articuler esprit créatif et esprit de contrôle.

  • Comprendre les modalités et les critères qui permettent de conférer le statut de savoir aux résultats de la recherche : a) les chercheurs ne peuvent pas exposer leurs seuls résultats (leurs « découvertes »), mais doivent également présenter l’ensemble du processus scientifique (ancrage théorique, méthode, faits, etc.) qui permettent d’en témoigner; b) l’ensemble du processus et des conceptualisations qui en découlent sont soumis au jugement critique des pairs, qui doivent statuer sur leur scientificité ou non. C’est là que se joue l’idée d’objectivité, remise en question par la conception de NOS. Comme le notait Bachelard (1971), « l’objectivité ne peut se détacher des caractères sociaux de la preuve. On ne peut arriver à l’objectivité qu’en exposant de manière discursive et détaillée une méthode d’objectivation » (p. 16). Dans la classe, cette dimension doit être assurée par l’engagement des élèves dans la communication et l’argumentation tout au long du processus scientifique : choix du problème de recherche, rationnel sous-jacent aux choix de la production ou de l’observation des faits; utilisation des faits en vue de proposer une conceptualisation de l’objet ou du phénomène étudié; etc. Avec l’argumentation, le savoir n’a de légitimité que par le fait qu’il est en mesure d’être prouvé (Buty et Plantin, 2008).

3) Quelle conceptualisation du monde naturel à partir des faits produits ou observés? (figure 2). Les faits validés sont la source de la compréhension des objets et des phénomènes étudiés. Les faits ne parlent cependant pas d’eux-mêmes. Il faut les organiser (les analyser) et les interpréter pour en construire le sens (voir, par exemple, Hasni et Bousadra, 2018).

Cette phase de l’exploitation des données est importante dans la construction des savoirs par les élèves, parce qu’elle les amène à élaborer différentes formes de conceptualisation du monde (concepts, modèles, théories, etc.), fondées sur les faits, et plus complexes que leurs conceptualisations de départ (figure 2). C’est une phase qui permet également de contribuer à l’initiation à l’épistémologie au regard de divers aspects :

  • Comprendre la signification de « construction des savoirs » à partir de pratiques scientifiques concrètes. Cette signification ne repose pas sur une simple explication personnelle et subjective, mais sur une abstraction et une généralisation fondées sur les faits et l’argumentation (sur la rationalité).

  • Distinguer les différentes formes de savoirs construits : concepts, loi, modèles, théorie, etc.

  • Comprendre et nuancer la signification de la formulation (de la NOS) selon laquelle les savoirs scientifiques ne reflètent pas la réalité. L’engagement dans les démarches d’investigation scientifique permettront aux élèves de constater que certains savoirs sont bien établis (même si on ne peut pas prétendre qu’ils décrivent le réel comme il est, puisqu’on n’aura jamais accès à ce dernier), alors que d’autres ne font pas consensus ou encore sont contestés ou controversés. La notion de degrés de certitude (Sandoval, 2005) nous semble plus fertile pour l’initiation à l’épistémologie que les énoncées qui laissent croire en l’absence de toute certitude scientifique.

  • Terminons cette section en soulignant que l’engagement dans les pratiques scientifiques, s’il est nécessaire pour comprendre en partie le fonctionnement des sciences, n’est pas suffisant pour l’initiation souhaitée à l’épistémologie des sciences (Abd-El-Khalick, 2012; Sandoval, 2005). Il serait important de rendre cette initiation explicite en incluant, par exemple, dans les cours de sciences des moments dédiés à une réflexion de nature épistémique sur les pratiques vécues (figure 2).

4.2 Les dimensions institutionnelle et sociale du fonctionnement des sciences

L’engagement des élèves dans les pratiques scientifiques à l’école et dans la réflexion sur ces pratiques (figure 2) permet une initiation à l’épistémologie qui tient compte surtout de la dimension cognitive et épistémique du fonctionnement des sciences. Nous avons souligné ailleurs (Hasni, 2001), l’importance d’une éducation scientifique qui intègre les dimensions institutionnelle et sociale. Irzik et Nola (2014) ainsi qu’Erduran et Dagher (2014) présentent une analyse élargie de ces deux dimensions, en les décrivant à l’aide de plusieurs composantes intégrées, dont les activités professionnelles (des chercheurs), les modalités de certification et de diffusion des savoirs, l’éthique et les valeurs sociales, les influences politiques, le système de financement, les influences idéologiques et culturelles, etc. Malgré l’importance de toutes ces composantes dans la construction d’une vision intégrée du fonctionnement des sciences, les cours de sciences ne peuvent avoir le luxe de les aborder toutes avec l’approfondissement requis. Une priorisation nous semble nécessaire. De notre point de vue, deux composantes sont prioritaires : 1) les modalités institutionnelles de production et de validation des savoirs, parce que leur compréhension permet de compléter l’appropriation de la dimension cognitive et épistémique; 2) l’éthique et les valeurs, parce qu’elles sont au coeur de la formation scientifique citoyenne, retenue comme finalité centrale dans les curriculums de la plupart des systèmes éducatifs.

4.2.1 Les modalités institutionnelles de production et de validation des savoirs

Cette composante renvoie à la manière avec laquelle les sciences fonctionnent comme institution, en faisant appel notamment aux communautés de pairs. Sur le plan pédagogique, puisque cette composante ne peut pas se vivre en classe par les élèves, sa prise en considération nécessite l’exposition de ces derniers aux pratiques vécues par des scientifiques et à l’analyse de cas historiques ou récents (les sciences institutionnalisées) (figure 1).Comme le soulignent Hodson et Wong (2017), les différentes formes d’interaction des élèves avec des scientifiques peuvent les amener à mieux comprendre certains aspects du fonctionnement des sciences : comment les scientifiques choisissent les problèmes à étudier et parviennent à en convaincre les pairs qui évaluent leurs projets dans le cadre de programmes de recherche subventionnés, par exemple; comment ils travaillent avec les membres de leurs équipes; comment ils gèrent les méthodes de la preuve au quotidien en tenant compte de leur créativité (contrôlée) et comment ils rapportent ces méthodes dans leurs communications et leurs publications; à partir de quel moment leurs « découvertes » peuvent faire partie des savoirs scientifiques; etc. L’analyse du fonctionnement institutionnel des sciences permet de comprendre que celles-ci ne sont ni le résultat d’une créativité personnelle et subjective ni celui d’opérations complètement objectives et indépendantes de la pensée humaine (voir, à la section 4.1, la discussion sur l’objectivité et le processus de validation des savoirs par les pairs).

4.2.2 L’éthique comme composante de la dimension sociale

Nous avons développé ailleurs (Hasni et Lebrun, 2008) l’importance de la prise en considération des valeurs en éducation scientifique. Nous complétons ici cette réflexion en rappelant la place importante de la composante éthique.

Des auteurs en éducation scientifique soutiennent que l’utilisation des problématiques ou des controverses socioscientifiques (socioscientific issues) constitue un contexte propice pour l’initiation des élèves aux questions éthiques comme composante essentielle du fonctionnement des sciences (Allchin, Andersen et Nielsen, 2014; Barrett et Nieswandt, 2010).

Prenons le cas de la controverse entourant la vaccination contre le virus du papillome humain (VPH). La question éthique s’y manifeste à au moins deux niveaux. D’une part, certains des auteurs qui remettent en question l’efficacité et la sécurité du vaccin soulignent qu’un grand nombre des études en faveur du vaccin sont menées par des chercheurs financés par des pharmaceutiques (Nicol et coll., 2015, 2016), dont la mission est prioritairement lucrative. Les chercheurs engagés dans des études financées par les pharmaceutiques considèrent de leur côté qu’ils sont « protégés » par leur intégrité intellectuelle et que leur déclaration de conflit d’intérêt et du processus de sa gestion atteste du caractère éthique de leurs travaux et de l’indépendance des résultats de leurs recherches. L’analyse par les élèves des déclarations des uns et des autres constitue une opportunité pour la sensibilisation à la place de l’éthique en sciences : un chercheur peut-il accepter d’être financé par les pharmaceutiques, dont le but est de développer des produits à commercialiser?; est-ce que la déclaration de conflit d’intérêts et l’annonce de mesures garantissant l’objectivité de l’étude peuvent suffire sur le plan éthique?; quelle est la valeur scientifique des résultats qui découlent de ce type d’études?; etc.

D’ailleurs, la question éthique est au coeur des campagnes de vaccination contre le VPH menées dans les écoles, comme c’est le cas au Québec, où le vaccin est offert gratuitement aux filles dès la quatrième année du primaire (depuis janvier 2016, cette campagne touche également les garçons). Par exemple, puisque ce vaccin est controversé au sein de la communauté scientifique et dans la société (Nicol et coll., 2015, 2016), est-ce que la campagne vaccinale actuelle respecte les principes d’un consentement éclairé? Cette question a été soulevée par des étudiants universitaires dans le cadre d’une recherche que nous menons sur la conception que les participants ont de la vaccination en lien avec leurs connaissances scientifiques. Dans le cadre d’un recueil de données impliquant des débats en équipe de quatre à six étudiants, plusieurs interrogations ont été formulées par les participants à l’étude en lien avec le consentement, comme l’illustre le court extrait suivant :

Étudiant 1 (E1) : On dirait que les vaccins qu’ils offrent au primaire sont tous comme automatiques. Tu sais, les parents pensent que si ça se fait à l’école, c’est que ça doit être nécessaire; puis les jeunes, bien ils n’ont juste même pas le choix, là, à cet âge-là, ce sont tes parents qui choisissent.

E2 : Je sais que je me suis fait vacciner, mais je ne savais même pas c’était pourquoi.

E3 : Le consentement n’est pas libre et éclairé comme mentionné à l’article 11 du Code civil du Québec.

E2 : Est-ce que tu as lu l’article 11 du Code du Québec ?

E4 : Bien, les faiblesses au niveau du consentement, là, ils[5] parlaient que les dépliants qui ont été remis [aux élèves et aux parents] expliquaient juste qu’il y’avait des réactions allergiques, mais ne parlaient pas de la liste [d’autres effets secondaires], comme l’anémie, la dyspraxie, etc.

Ce court extrait illustre le type de débat dans lequel les élèves peuvent être engagés afin de débattre des questions éthiques associées aux campagnes vaccinales. Par exemple, à partir de quel moment peut-on considérer que le consentement est éclairé? Quelles connaissances scientifiques est-il nécessaire de présenter aux parents et aux enfants pour leur permettre de prendre une décision libre et éclairée?

Prenons également les recherches actuelles entourant la pandémie COVID-19. Des acteurs sociaux proposent, par exemple, que les scientifiques infectent des personnes volontaires en bonne santé avec le coronavirus afin de développer une immunité de groupe. Quelle position peut-on avoir face à ce type de proposition? Est-elle éthiquement acceptable? Sur un autre plan, l’équipe de l’éminent scientifique québécois Yoshua Bengio a développé une application de traçage permettant à chaque individu l’ayant téléchargée sur son téléphone portable de recueillir des informations lui permettant d’évaluer les risques d’être infecté par le coronavirus. Cette application est jugée par ses développeurs non seulement « intelligente », mais « éthique » et respectant la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, des citoyens et des chercheurs (dont le professeur Gingras, 2020) soulignent, entre autres, que ce n’est pas aux développeurs de l’application de se prononcer sur son caractère éthique. Ce type de situation constitue une occasion d’initier les élèves aux débats sur l’éthique en lien avec les avancées scientifiques et techniques. Est-ce que tout ce que la science permet de réaliser est éthiquement valable? Est-ce aux scientifiques de se prononcer sur le caractère éthique de leurs recherches et des impacts de celles-ci? Quel est le rôle des citoyens dans la prise de décision sur ce qui est éthiquement acceptable comme recherche ou non? Ces questions concernent, de manière plus large, diverses disciplines, notamment la biologie, avec les orientations des recherches récentes en génie génétique, sur les cellules souches, le clonage, etc. Les débats sur les recherches « acceptables » et « non acceptables » dans ces domaines ne peuvent être laissés entre les seules mains des scientifiques. Les élèves, comme citoyens, doivent être formés à comprendre les enjeux associés à ces développements scientifiques de manière à leur permettre de participer de façon active et éclairée aux choix sociaux. En outre, l’analyse de situations portant, entre autres, sur l’expérimentation sur les animaux, l’expérimentation de certaines technologies sur les humains, la propriété intellectuelle, la fraude scientifique, etc., offrent un contexte permettant d’élargir l’initiation des élèves à l’éthique comme composante du fonctionnement des sciences.

Conclusion

Après avoir exposé l’apport de la conception de NOS à l’initiation à l’épistémologie en sciences ainsi que les critiques qui lui sont adressées, nous avons présenté les principales reconceptualisations de cette approche, développées par des auteurs spécialistes de l’éducation scientifique. En nous appuyant sur ces analyses, nous avons proposé une approche alternative de l’initiation à l’épistémologie et complémentaire aux précédentes, basée d’abord sur les pratiques scientifiques scolaires (et la réflexion sur ces pratiques) à faire vivre aux élèves dans les cours de sciences.

Afin d’éviter que cette initiation se limite à la compréhension de la dimension cognitive et épistémique du fonctionnement des sciences, nous avons proposé de l’élargir et de la consolider par l’analyse du travail de scientifiques et de cas tirés des sciences contemporaines ou de l’histoire des sciences. La visée est de permettre aux élèves la construction d’une vision du fonctionnement des sciences qui tient compte également des dimensions institutionnelle et sociale. Considérant la diversité des composantes qui couvrent ces deux dimensions, nous avons proposé de privilégier deux d’entre elles, considérant leur contribution importante aux finalités éducatives : les modalités institutionnelles de production et de validation des savoirs scientifiques, et les valeurs et l’éthique. La posture que nous avons adoptée est celle de la prédominance de la dimension cognitive et épistémique, complétée par les dimensions institutionnelle et sociale. Nous voulons éviter d’engager les élèves dans l’acquisition d’un discours sur les sciences sans une initiation préalable de ce qui fait le coeur de celles-ci : la proposition d’explications sur le monde naturel fondées sur la preuve et, par conséquent, sur les démarches à caractère scientifique. Sur le plan pédagogique, puisqu’il est difficile de faire vivre aux élèves des situations concrètes renvoyant aux deux composantes institutionnelle et sociale, nous avons proposé de les traiter en faisant appel à la compréhension du travail des scientifiques et à l’analyse de cas contemporains ou tirés de l’histoire des sciences.