Comptes rendusReviews

Collections - Collectionneurs. Textiles d’Amérique et de France. Par Jocelyne Mathieu et Christine Turgeon, dirs. (Québec : Célat et Presses de l’Université Laval, 2002. Pp. 240, ISBN 2-7637-7856-9)Le fil de l’art. Les broderies des Ursulines de Québec. Par Christine Turgeon (Québec : Musée du Québec et Musée des Ursulines, 2002. Pp. 155, ISBN 2-551-21530-7)[Record]

  • Anne-Hélène Kerbiriou

…more information

  • Anne-Hélène Kerbiriou
    CÉLAT, Université Laval

« … filé plein, lame, filé riant, point lancé empiétant polychrome » ; « lampas fond satin blanc, broché soie, chenille, filé et frisé or » ; ou encore « velours ciselé deux-corps », « broderies au passé plat, point de tige et point de sable polychrome »... Si ce n’était que pour le vocabulaire délicat des « artistes à l’aiguille », la finesse d’exécution, voire les prouesses techniques qui se découvrent au fil des broderies anciennes, l’ouvrage Collections-Collectionneurs vaudrait déjà bien le détour. Mais les désignations si fines de cet ouvrage spécifiquement voué aux textiles, des parements d’autels aux teintures, des courtepointes aux dentelles, nous font aussi entrer de plain-pied dans une petite partie du vaste monde que l’on appelle familièrement les « arts déco ». Dans les musées, les collections de textiles, volumes gigantesques de pièces fragiles, entre le beau et l’utile, au carrefour des objets d’art et des objets ethnographiques (si tant est qu’il faille distinguer entre les deux, ce que cet ouvrage se garde de faire), soulèvent des questions particulières, en Amérique du Nord et en France. Le problème le plus crucial en ce domaine est que les collections, particulièrement volumineuses, se trouvent être très insuffisamment inventoriées et documentées. Cet ouvrage, dirigé par Jocelyne Mathieu et Christine Turgeon, confronte les questionnements qui découlent de ce problème essentiel sur une grande échelle. Ce sont les actes du colloque éponyme, exclusivement voué aux textiles, qui se trouvent rassemblés ici ; fait assez rare, car la plupart du temps les spécialistes de ce domaine interviennent ponctuellement dans le cadre de colloques disciplinaires différents. Les rassembler permettait de rapprocher des traditions d’approche complémentaires : « les conférenciers français avec leur expérience dans l’analyse des pièces, la publication de catalogues, la réalisation de thesaurus et d’inventaires très documentés [et] les participants québécois et canadiens avec la diversité des corpus, l’approche pluridisciplinaire, l’expertise en muséologie et en mise en espace, en restauration et en conservation » (5). Les intentions de l’ouvrage paraissaient de prime abord suffisamment techniques pour laisser présager pour le moins d’une certaine austérité, d’une orientation réservée aux muséologues spécialistes. Mais Jocelyne Mathieu et Christine Turgeon, après avoir élaboré en introduction un tour d’horizon synthétique et efficace de l’état de la question — et signalé notamment que là, comme ailleurs, s’est effectué pour les chercheurs le passage de l’ethnographie de terroir à l’ethnologie des influences et des métissages (2) —, surprennent très heureusement le lecteur par le choix des articles de ce collectif, dont l’ordonnancement permet une vue d’ensemble de l’extrême variété d’approches de ce monde des textiles et de l’immense variété de ces textiles eux-mêmes. La première surprise vient de l’article de Nicole Pellegrin, « Les charmes du périssable. Pour une approche anthropologique des collections de textiles européens ». À la recherche des motivations des collectionneurs de textiles, pour comprendre les ressorts profonds de la constitution des collections muséales — chaque collection étant unique et réfractaire à toute « généralisation historicisante » (30) —, elle plonge, littéralement, dans la préconscience et les secrets des collectionneurs privés, littérairement aussi, ce qu’on ne saurait reprocher, dans leurs sensualités et psychés : « [L]es jeux avec les morts, leurs fantômes et leurs anciennes (secondes) peaux — déjà usées mais convoitées, achetées, nettoyées, rassemblées, exposées — sont à la fois des affaires de possession et des rêves de résurrection ». Là où le fétichisme est métaphysique (13), la collection frôle une dimension du sacré. Pour Nicole Pellegrin, chaque collection est un système en soi, « inscrite qu’elle est… dans un temps, dans une morale, dans un ensemble de valeurs esthétiques et dans le …

Appendices