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L’art de faire peur. Des récits légendaires aux films d’horreur. Par Martine Roberge. (Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2004. Pp. Xiii + 233, ISBN 2-7637-8198-5)[Record]

  • Denise Lamontagne

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  • Denise Lamontagne
    Université de Moncton

Il faut avertir le lecteur, d’entrée de jeu, ce livre de Martine Roberge procure des sensations fortes ! Il faut ajouter que ces sensations, loin d’être épidermiques, sont d’abord théoriques. Nous sommes ici devant une étude savante (dans le sens canonique du terme, puisqu’il s’agissait au départ d’une thèse), qui vise principalement à découvrir et à faire découvrir la finalité et le rôle des récits qui portent sur le thème de la peur. Afin d’illustrer la facture savante et fort complexe de cette étude, nous passerons en revue les six volets qui composent cet ouvrage, dans l’ordre : un aspect épistémologique par la définition des préalables théoriques et conceptuels, un aspect expérimental et modélisant par l’étude du cinéma d’horreur qui explore les marges de l’ethnologie, un aspect descriptif par l’inventaire des représentations de la peur, un aspect analytique par la comparaison des représentations, un aspect systématique par la production d’une typologie et un aspect interprétatif par l’explication des fonctions des discours. Tout ceci nous mène à comprendre l’existence et le rôle des « histoires de peur » comme mode de comportement social et culturel ainsi qu’à expliquer le fonctionnement des représentations de la peur et leur mode d’expression à l’intérieur du discours (11-12). L’ouverture du premier chapitre invite le lecteur à se familiariser avec l’approche ethnologique du phénomène de la peur. L’auteure part du principe voulant que, contrairement à l’angoisse « qui ne peut être maîtrisée » et « demeure indéfinissable », la peur peut être contrôlée, parce que son objet est nommé. Or, si la peur peut être nommée, elle peut être mise en représentation et en récit, bref, elle débouche sur un discours et le rôle de l’ethnologue dans l’étude de la peur se situe « au plan du discours comme acte de communication » (18). C’est donc précisément en tant qu’acte de communication que le récit filmique mérite ici une attention spéciale de la part de l’ethnologue (ce passionné du discours oral) qui s’intéresse aux films d’horreur en tant que discours médiatisé sur la peur. C’est à partir de cette prémisse que Martine Roberge nous convie à une fine analyse du cinéma d’horreur à partir de la notion de genre (et de sous-genre) qui, en dernière analyse, ne pourra se préciser qu’à travers ses fonctions. L’auteure nous propose un certain nombre de distinctions entre le fantastique, le merveilleux et l’étrange et ce, à partir d’études savantes de spécialistes de ce domaine, dont Todorov, pour nous plonger au coeur de l’évolution du cinéma d’horreur qui se serait détaché peu à peu du cinéma fantastique classique pour devenir un genre autonome. « En effet, depuis la fin des années 1960, ce type de censure s’est orientée vers le gore movie, où l’horreur sanglante, vomitive et gratuite a atteint son paroxysme au début des années 1980 » (70). Encore faut-il rappeler ici que la finalité du cinéma d’horreur étant de faire peur, la véritable intention du gore est de choquer, écoeurer ou répugner, les grandes images qu’il utilise étant la mutilation et le meurtre. L’auteure nous convie à cette « fascination de la laideur » dans sa présentation de l’évolution de ce cinéma d’horreur comme digne héritier de la tragédie antique dans une perspective de longue durée ; mais, plus près de nous, il serait tributaire du théâtre du Grand-Guignol qui lui aurait légué la tradition des scènes sanglantes (83). Cette expédition horrifiante au coeur des sous-genres du cinéma d’horreur nous donne accès à ses multiples extensions telles que le gore italien (giallo), le gore mystérieux (snuff movie), le psycho-killer, le hardgore, comme autant …