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Empire et métissages. Indiens et Français dans le Pays d’en Haut, 1660-1715. Par Gilles Havard. (Sillery et Paris, Septentrion et Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003. Pp. 858, ISBN 2-84050-281-X)[Record]

  • Stéphanie Chaffray

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  • Stéphanie Chaffray
    Université Laval
    Québec

L’expansion coloniale française en Amérique du Nord, à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, aboutit à l’émergence d’une nouvelle région : le Pays d’en Haut. Dans ce vaste territoire, qui s’étend du nord des Grands Lacs jusqu’au confluent du Mississipi et de la Missouri, les contacts entre Européens et Amérindiens sont nombreux et génèrent de multiples échanges, interactions et interdépendances. C’est la genèse de cet espace que décrit de manière tout à fait originale Empire et métissages. Indiens et Français dans le Pays d’en Haut, 1660-1715. Cet ouvrage, adaptation de la thèse de doctorat de Gilles Havard (Université Paris VII, 2000), a reçu le prix Jean-Charles-Falardeau du meilleur ouvrage de langue française en sciences sociales. Gilles Havard, spécialiste reconnu des relations entre Autochtones et Européens à l’époque de la Nouvelle-France, est membre du Centre de Recherches sur l’histoire des États-Unis et du Canada. Il est co-auteur, avec Cécile Vidal, de L’histoire de l’Amérique française (Paris, Flammarion, 2003). Après la remarquable étude de Richard White (The Middle Ground. Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815), Empire et Métissages propose une nouvelle approche de l’histoire des Grands Lacs et des relations franco-amérindiennes. Son but est de décrire les spécificités géostratégiques et culturelles du Pays d’en Haut et de mettre en avant l’importance de cette région au sein de l’empire français. Havard puise ses sources dans un corpus très vaste (manuscrits de la correspondance coloniale, récits de voyage et relations des missionnaires) qu’il confronte à la tradition orale et à l’archéologie. Il utilise une méthode interdisciplinaire, recourant à la fois à l’histoire, à la géographie et à l’anthropologie dans un souci constant de prise en compte des valeurs culturelles des Français et des différents groupes amérindiens. L’ouvrage se présente sous la forme d’un essai thématique et s’articule autour de trois parties. La première brosse le contexte géographique, historique et démographique du Pays d’en Haut. Dans la seconde partie, l’auteur s’interroge sur les limites de l’intégration de cette région dans l’empire. La dernière partie du livre dépeint, à travers les phénomènes de métissages et d’acculturation, la naissance d’une « culture du milieu ». Havard s’attache d’abord à brosser le contexte géopolitique du Pays d’en Haut à la fin du XVIIe siècle. À la différence de la vallée laurentienne, principalement peuplée de colons, dans le Pays d’en Haut, les Amérindiens étaient majoritaires. La population française était composée de coureurs de bois, de résidents temporaires des postes (militaires, employés et aumôniers) et de missionnaires. L’infériorité numérique des Français les obligeait à être en contact constant avec les Amérindiens. Elle les empêchait aussi d’empiéter sur le territoire amérindien, ce qui constituait un gage de l’amitié franco-amérindienne. Pour les Français, les Grands Lacs constituaient « un réservoir d’alliés » (95) et la présence des voyageurs permettait de maintenir les alliances avec les Amérindiens. Le Pays d’en Bas et le Pays d’en Haut étaient donc interdépendants. La population autochtone avait largement décliné à la fin du XVIIe siècle sous l’effet conjugué des épidémies et des guerres et avait subi d’importants déplacements. Les nations amérindiennes étaient issues de trois familles linguistiques : les Iroquoïens, les Algonquiens et les Sioux. Ces nations étaient culturellement diversifiées et leur conception du monde, du temps, du territoire et de la guerre différait radicalement de celle des Européens. Les groupes étaient très perméables et intégraient de nouveaux membres par exogamie ou par adoption des prisonniers de guerre. Entre nations, l’alliance et la paix se scellaient par la médiation et l’échange d’objets ou d’individus, par les jeux, les danses et les festins. …

Appendices