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Dans cet ouvrage fort dense, le concept central de multiculturalisme désigne l’ensemble des associations, communautés, institutions ou mouvements engagés dans la mise en valeur des différences ethniques et culturelles de même que leurs luttes diverses visant à pluraliser les sociétés dans lesquelles ils s’inscrivent et évoluent, dans ce cas-ci, les sociétés d’origine européenne. Il s’agit donc d’une acception beaucoup plus large que celle accordée au multiculturalisme au sens de la Loi sur le multiculturalisme canadien. En peu de pages (183), l’auteur retourne, de façon critique, aux origines des différents mouvements de protestations sociales ayant eu cours dans les sociétés d’origine européenne pour une reconnaissance ou une valorisation de la diversité ainsi que sur les processus d’institutionnalisation et de pédagogisation en découlant (Chapitre 1), il aborde l’impact de cette institutionnalisation sur la configuration de nouvelles disciplines et approches académiques penchées sur l’interculturalité et la diversité (Chapitre 2), il présente le corpus théorique et conceptuel apporté par l’anthropologie à l’étude des phénomènes interculturels ainsi que les transformations structurelles au coeur des états-nations contemporains dans un contexte où des processus de diversification identitaire et institutionnelle supranationaux, intra-nationaux et transnationaux se développent (Chapitre 3) et, finalement, il propose une intégration conceptuelle anthropologique au modèle d’étude ethnographique de l’éducation interculturelle qui permette d’éviter un certain réductionnisme ou une certaine instrumentalisation de laquelle la « school ethnography » a souvent souffert (Chapitre 4). L’auteur cherche en définitive à présenter une perspective et un point de vue selon lequel l’éducation interculturelle ne saurait être conçue et réduite à une réaction académique et professionnelle à l’arrivée et à l’intégration des « autres » au système scolaire. Il cherche en outre à dénoncer le fait que les programmes ou stratégies d’éducation interculturelle se résument trop souvent à cibler les autres comme étant problématiques dans le cadre du système en place, sans jamais remettre en cause les fondements de ce système à fonction uniformisante.

Dietz articule une argumentation visant à démontrer que le traitement différencié — que ce soit par des visées assimilationnistes, ségrégationnistes, intégrationnistes ou de remise en cause du pouvoir dominant — accordé par les systèmes éducatifs officiels à des groupes identifiés comme minoritaires fait partie intégrante des politiques identitaires des états-nations. Les perceptions de l’« autre » (otherness) ainsi créées sont en ce sens à la fois produits et productrices d’identité. Pour l’auteur, les pédagogies tant nationalistes que multiculturalistes (ou ethnicistes) émanent de politiques identitaires qui reposent sur des stratégies qui cherchent à établir, maintenir et légitimer les frontières entre « eux » et « nous ». Toujours selon l’auteur, à la manière dont l’ethnicité nécessite un antagoniste devant lequel se définir, le nationalisme culturel et linguistique requiert d’un « autre » pour se développer.

L’auteur affirme que les différentes politiques de la différence appliquées dans les milieux scolaires et éducatifs, comme c’est le cas en Espagne, induisent généralement une conception de l’autre fondamentalement problématique où les solutions deviennent culturalistes et où les inégalités socioéconomiques, politiques et légales sont interprétées comme relevant des différences culturelles. Dans cette même perspective, faire de la diversité ou de l’intégration des migrants en milieu scolaire un problème est une voie erronée. « Le problème, ce ne sont pas les immigrants. L’obstacle principal auquel se trouve confrontée toute stratégie visant à interculturaliser l’éducation est l’institution scolaire en elle-même, profondément ancrée dans une pédagogie nationaliste qui prend racine dans la nature même de l’état-nation. Selon l’analyse présentée, il est urgent qu’une perspective de la diversité en milieu scolaire reconnaisse l’hétérogénéité comme normale et qu’elle soit à même de rende visible les multiples formes de diversité identitaire existante, mais souvent invisible ou silencieuse dans une classe scolaire. Par ailleurs, Dietz appuie également l’idée de Waldmann (1989) selon laquelle, lorsque deux acteurs d’identités culturelles dites différentes sont en relation, il faille notamment prendre en compte la stratification sociale à l’intérieur du groupe ethnique ou culturel socialement et économiquement dominant, la stratification sociale à l’intérieur du groupe ethnique ou culturel non-dominant ainsi que la stratification sociale existante entre les deux groupes, ce qui réduirait les possibilités de réductionnisme ethnique.

L’école, encore aujourd’hui, et avec succès, résiste à une véritable interculturalisation de son fonctionnement et développe un curriculum assimilationniste tout en promouvant l’homogénéisation des savoirs et des comportements. C’est le constat auquel en arrive l’auteur. Selon lui, le type d’interculturalisation auquel on assiste encore dans la plupart des pays étudiés réifie la diversité culturelle et réduit cette diversité à un folklore et à une vision exotique de l’ « autre ». La réduction formelle, voire officielle de la diversité culturelle à des « items » qui identifient cet « autre » ainsi que la réification du phénomène interculturel contribuent à ethniciser les discours des différents acteurs du milieu scolaire.

Face à ce constat, et pour une meilleure appréhension de la diversité en milieu scolaire, Dietz suggère l’adoption d’une posture analytique à trois dimensions; (1) soit la dimension « sémantique » centrée sur le discours identitaire des acteurs mêmes (emic) qui est alors analysé en relation avec leurs définitions de leurs stratégies identitaires et ethniques; (2) la dimension « pragmatique » orientée sur les pratiques culturelles et relationnelles étudiées par le biais de l’observation participante (etic) et analysées en relation avec leurs fonctions à la fois d’habitus et de compétences interculturels et, finalement; (3) la dimension « syntactique » centrée sur les institutions au sein desquelles ces discours et pratiques se développent et analysée par le biais des contrastes et contradictions systématiques émergeant de la superposition des données emic et etic qui révèlent la « cohérence des incohérences » (coherent inconsistencies), c’est-à-dire la logique singulière et propre aux institutions concernées. La vision de l’institution ainsi créée, et complétant les analyses « sémantique » et « pragmatique », permet une compréhension du discours identitaire de tous les acteurs impliqués et de leurs pratiques respectives. Ce faisant et, affirme Dietz, « en tournant notre regard sur celui qui problématise plutôt que sur le problème, sur l’institution sédentaire plutôt que sur les migrants ou autochtones et sur l’hégémonique et « bienfaiteur » état-nation plutôt que sur les minorités marginalisées ou les bénéficiaires, la proposition anthropologique acquiert un caractère à tout le moins dérangeant » (143).

L’auteur termine son ouvrage par la proposition d’une triade paradigmatique permettant l’analyse des constellations de modes de vie et de la diversité ainsi que de leurs approches normatives et de traitement de la diversité. Cette triade permet la mise en évidence de la complexité intrinsèque à l’interculturalité et à la diversité et inclus le paradigme de l’inégalité (analyse verticale des structurations socio-économiques et de genre), le paradigme de la différence (analyse horizontale des particularités ethniques, culturelles, religieuses, sexuelles, de genre, etc.) et le paradigme de la diversité qui repose caractère nécessairement hybride, pluriel, multi-situé et contextuel de toute identité culturelle, ethnique, religieuse, de classe ou de genre.

Dans texte dense, riche et pertinent, l’auteur présente donc un tour d’horizon critique de l’appréhension de la diversité et de l’interculturalité dans les milieux éducationnels des sociétés d’origine européenne. Peu de références directes sont formulées à l’égard du Québec et du Canada, ce qui n’enlève par ailleurs rien à la pertinence de la réflexion proposée qui constitue un apport théorique valable aux débats que connaissent nos sociétés sur la place de la diversité dans nos milieux scolaires.