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L’ouvrage Adaptation et socialisation des minorités culturelles en région est issu du colloque du même nom tenu en juin 2008 grâce au travail de collaboration entre l’Université Laval (Québec) et l’Université de Bordeaux (France). Dirigé par Yvan Leanza, Camille Brisset et Colette Sabatier, il regroupe les articles de 17 collaborateurs provenant du Québec et de la France. Les travaux présentés interrogent les processus d’adaptation et de socialisation des minorités culturelles qui vivent loin des grands centres urbains, c’est-à-dire « en région », ce qui répond d’ailleurs aux préoccupations annoncées en introduction par les directeurs de l’ouvrage.

On reconnait l’originalité scientifique de cet ouvrage, entre autres dans l’acceptation assez large du concept de « minorité culturelle ». Il fait place non seulement aux minorités culturelles issues de l’immigration, mais également aux minorités historiques et linguistiques, soit les Premières Nations au Québec et les Basques en Aquitaine, ainsi qu’aux étudiants internationaux et aux enfants issus de l’adoption internationale. Ces deux derniers groupes, qui ont fait l’objet de peu d’études dans une telle perspective, participent pourtant de façon importante à la transformation à moyen et à long terme des « régions » qui les accueillent, du fait de leurs interactions quotidiennes avec les membres des communautés locales et de leur présence accrue au sein des établissements scolaires.

Cet ouvrage collectif s’articule en quatre parties, « Théories », « Minorités culturelles en région », « Migrants en région », « Étudiants migrants en région », dans une logique qui permet au non-initié de s’approprier graduellement les différentes facettes de l’étude de la diversité en région, ici mises de l’avant.

La première partie, « Théorie », est la plus brève et est constituée d’un seul chapitre. John W. Berry présente, dans une perspective historique, ses modèles d’adaptation écoculturelle et de transmission culturelle à travers l’exemple du développement de l’art Inuit, peuple autochtone vivant dans le Grand Nord canadien. Il explique comment l’adaptation ancestrale des Inuits aux exigences de l’environnement arctique leur a permis de développer des capacités perceptuelles et cognitives spécifiques qui sont à la source de l’originalité de l’art inuit. Par la suite, il démontre de quelle façon le développement du caractère mercantile de cet art traditionnel, découlant d’une initiative des autorités fédérales canadiennes à la fin des années 1940, a contribué au foisonnement de l’art sculptural inuit aujourd’hui très prisé. En grande partie théorique, la réflexion de ce chapitre sert au lecteur qui se dote ainsi d’une assise conceptuelle, influencée par le courant de la psychologie interculturelle, pour étudier les enjeux reliés aux minorités culturelles en région soulevés dans les parties suivantes.

La deuxième partie, « Minorités culturelles en région », comporte trois chapitres où sont portés à l’avant-plan deux groupes culturels minoritaires qui partagent le fait d’une présence millénaire sur leurs territoires respectifs de part et d’autre de l’Atlantique : les Basques (en France et en Espagne) et les Premières Nations du Nord du Québec. Le chapitre 2, rédigé par Errarum Bachoc et Terexa Lekumberri, aborde la question du sentiment identitaire et des pratiques culturelles des Basques à partir des résultats d’une étude menée par l’Institut culturel basque (ICB) en 2005. Celle-ci visait à comprendre la façon dont les Basques vivent leur langue (l’euskera), leur identité, leur culture et leur conscience territoriale, selon qu’ils résident au nord ou au sud de la frontière franco-espagnole. Le chapitre 3, signé par Elorri Garat-Bidart, Sofia Hue et Colette Sabatier, poursuit la réflexion sur l’acquisition de l’identité culturelle chez les Basques, mais en examinant ce processus chez les enfants. Les auteurs présentent les résultats d’une recherche qui examine le développement des identités basque, française et européenne des enfants basques inscrits dans des écoles bilingues (français-basque) ou en immersion basque (ikastola). Ils cherchaient à déterminer le degré d’influence de certaines variables, internes et externes, sur ce processus. Sans surprise, il appert que la transmission familiale joue un rôle prépondérant dans le développement identitaire des enfants. Toutefois, les institutions scolaires y exercent également une influence considérable qui leur est propre. Les résultats de cette étude démontrent que lorsque l’influence provenant de l’institution scolaire s’inscrit en complémentarité avec celle issue du nid familial, cela contribue à la construction d’une identité culturelle forte. Le chapitre 4, dernier chapitre de cette partie (), écrit par Michel Tousignant et Nathalie Morin, conduit le lecteur dans le monde de la socialisation des enfants chez les Premières Nations du Nord du Québec. Par un retour dans l’histoire, les auteurs tentent d’identifier les facteurs qui peuvent nuire à la socialisation de ces enfants, tout en examinant les relations parents-enfants dans leur quotidien qui est marqué négativement, dans le cas présent, par « l’effet région ».

La troisième partie de cet ouvrage, le chapitre 5 « Migrants en région », débute avec l’article de Colette Sabatier et Virginie Avezou-Boutry. La question de la transmission des identités culturelles et nationales, déjà abordée dans la partie précédente, fait l’objet de ce texte. Celui-ci se distingue du fait qu’il examine une population adolescente, soit les jeunes de deuxième et troisième générations d’origine marocaine, installés dans la région de Libourne (Aquitaine). Principalement intéressées par les « facteurs familiaux de la transmission de l’identité » (105), les auteures démontrent que les comportements et pratiques culturelles des mères marocaines ont une influence positive sur la transmission de l’identité marocaine chez leurs enfants. De ces communautés marocaines installées en territoire français depuis deux ou trois générations, Martin Charland, auteur du sixième chapitre, conduit le lecteur au coeur de la réalité des réfugiés colombiens dans la ville de Québec. Il examine l’expérience que font ces derniers de la structure d’accueil au cours de leur première année d’installation. L’analyse des récits recueillis auprès des réfugiés rencontrés lui permet d’étudier les impacts découlant du climat de tensions et de violences prévalant dans le pays d’origine sur l’établissement de liens de confiance entre les compatriotes colombiens dans le pays d’accueil. Le chapitre 7, oeuvre de Réjean Tessier, aborde la question de l’intégration sociale et scolaire des enfants issus de l’adoption internationale dans une perspective psychosociale. Il pose l’hypothèse que l’environnement social et économique de la famille adoptive serait un facteur de première importance dans le processus d’adaptation de ces enfants. Élément intéressant, il appert que le milieu, urbain ou rural, dans lequel est élevé l’enfant n’a à peu près pas d’impact sur le processus d’adaptation sociale de ce dernier. En fait, ce sont des variables intrafamiliales, telles que la relation parent-enfant, qui semblent avoir une incidence notable sur le développement de ces enfants. Le dernier chapitre de cette partie (chapitre 8) résulte de la collaboration de Maxime Amar, Geneviève Roberge et Yvan Leanza. En présentant les difficultés d’accès aux soins de santé auxquelles font face les travailleurs agricoles migrants sur l’île d’Orléans (Québec), les auteurs attirent l’attention sur les conséquences, imputables à « l’effet région », qui affectent ces travailleurs. En plus de se retrouver dans une situation d’isolement géographique, due à l’éloignement des centres de soins de santé et à l’inexistence de réseaux de transport en commun, ils se retrouvent également isolés au point de vue linguistique et culturel, l’adaptation culturelle des services de soins de santé étant encore à faire dans la région de Québec. Il est à noter que sur les quatre articles constituant cette partie, c’est dans ce dernier qu’un véritable « effet région » se fait sentir sur le processus de socialisation et d’adaptation culturelle des minorités étudiées.

Enfin, tel que l’annonce son intitulé, « Étudiants migrants en région », la quatrième partie du livre interroge le processus d’adaptation et d’intégration de jeunes adultes ayant choisi de vivre une migration pour leurs études. Camille Brisset (chapitre 9), de l’Université de Bordeaux, compare la période d’adaptation au contexte universitaire français vécu par des étudiants français en première année à celle d’étudiants internationaux vietnamiens. En distinguant les niveaux local et international de l’adaptation, et en considérant les aspects psychologiques et socioculturels de ce processus, Brisset tente d’esquisser un « modèle général de l’adaptation » (199) au milieu universitaire pour les deux groupes à l’étude. Les résultats démontrent, entre autres, que la présence de soutien social (réseau familial ou réseau ethnique) apparaît comme un facteur ayant une influence positive sur le processus d’adaptation, qu’il s’agisse des étudiants français ou vietnamiens. Ce constat fait d’ailleurs le lien avec le dixième et dernier chapitre de l’ouvrage, signé par Abdoul Echraf et Johanne Boisjoly. Les auteurs soulèvent la question des modes de socialisation des étudiants internationaux installés en région et de leurs impacts dans leur processus d’intégration sociale. Plus concrètement, ils ont cherché à identifier les éléments qui permettent à ces étudiants de faire leur place dans leur nouveau milieu de vie, de se l’approprier et de nouer des relations sociales de qualité. Selon l’analyse, les jeunes étudiants rencontrés se disent satisfaits de leur vie en région. Toutefois, l‘appréciation de leurs différentes expériences de socialisation diffère selon leur âge et les lieux fréquentés (établissements scolaires, lieux de culte, lieux publics). À cet effet, il semblerait que certaines mauvaises expériences ou tensions vécues dans des lieux publics de loisirs (bars, terrains de sports) seraient davantage à mettre en lien avec l’âge des étudiants internationaux et des jeunes Québécois que sur le fait de leurs différences culturelles.

Sans conteste, cet ouvrage met de l’avant la question des minorités culturelles, linguistiques et historiques présentes en France et au Québec. Les différents auteurs nous les présentent sous des aspects souvent méconnus, tout en soulevant des enjeux fondamentaux reliés aux impacts de leur présence en ces territoires et de leurs interrelations quotidiennes avec les communautés locales majoritaires. En fait, en lisant l’ensemble des travaux, c’est l’influence réelle d’un certain « effet région » (9) sur les rapports entre les groupes majoritaires et minoritaires qui est sérieusement remise en doute. Mis à part l’étude portant sur la socialisation des enfants des Premières Nations dans le Nord du Québec (chapitre 4) et celle présentant le cas des travailleurs saisonniers à l’île d’Orléans (chapitre 8), les résultats de la majorité des travaux présentés ne permettent pas de prétendre à l’existence d’un tel effet. Toutefois, il ne faudrait pas voir là un argument visant à remettre en doute la pertinence de mener des études en ce sens. Au contraire, les processus d’adaptation et de socialisation des minorités – culturelles, linguistiques, historiques ou même religieuses – en région demeureront encore un thème d’actualité. En effet, considérant l’ampleur qu’occupent les migrations internationales au XXIe siècle (Wihtol de Wenden, 2010), il importe de mieux comprendre les processus d’adaptation des uns et des autres pour ainsi favoriser le développement de relations humaines et interculturelles harmonieuses.