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Matériaux filmiques pour l’étude des expositions. Notes sur une séance de la rétrospective Shirley Clarke (Paris, 21/09/2013)[Record]

  • Stéphanie E. Louis

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  • Stéphanie E. Louis
    Institut d’histoire du temps présent

Du 16 au 29 septembre 2013, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, le Centre Pompidou a consacré une rétrospective à Shirley Clarke, figure majeure du cinéma indépendant américain. La séance du 21 septembre à 18h montrait des films liés à des expositions internationales tenues pendant la Guerre froide, les Brussels Loops et Opening Moscow. Le public se trouvait confronté à des objets fort singuliers, supposant, pour les appréhender au mieux, une approche culturelle plutôt qu’uniquement esthétique. Au final, cette séance illustrait plusieurs aspects importants liés à l’usage des matériaux filmiques pour l’étude des expositions. D’abord, comme documentation de l’exposition elle-même : avec d’une part les films montrés dans un circuit expographique, et d’autre un reportage sur une manifestation. Ensuite, comme sources sur le contexte géopolitique qui environnent la tenue d’un tel événement. Films d’exposition, les Brussels Loops ont été réalisées en 1957 par différents réalisateurs dont Shirley Clark, qui en a aussi effectué le montage. Cette série d’une vingtaine de films commandée pour animer le parcours du pavillon américain lors de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958. Destinées à faciliter l’immersion du visiteur dans la culture américaine, les boucles apparaissent comme des cartes postales mouvantes des USA, défilement d’environnements et de stéréotypes propres à nourrir le travail de l’imaginaire autour des produits de consommation de masse qui soutiendront la diffusion de l’American Way of Life. Le dispositif d’exposition initial influence la facture de ces films. Muets, ils peuvent être disposés en différents points de l’espace d’exposition sans interférences sonores ou difficultés d’audibilité. Chacun dure environ une minute, ayant ainsi plus de chances d’être vu entièrement par un visiteur en déambulation. Le passage en boucle s’apparente à une technique publicitaire où le film produit un contexte visuel attractif sans pour autant capter durablement l’attention du spectateur, il reste ainsi au service de l’objet qu’il doit valoriser. Également commandé par l’administration américaine, Opening Moscow répond d’une autre esthétique. C’est une sorte de carnet de voyage filmé à Moscou des semaines précédant jusqu’à la l’inauguration de l’Exposition américaine du Parc Sokolniki en 1959. Aux séquences captées dans le microcosme la manifestation, il confronte les vues de la ville et de ses habitants. Et, par moments, le reportage laisse la parole à ses auteurs et à ceux qu’ils filment. Il peut être vu comme le regard porté par de jeunes américains sur l’URSS du temps de la Guerre froide, comme le suggère le commentaire des réalisateurs en voix off. Le film documente cependant l’exposition, de sa production à sa réception. Des séquences montrent la maquette du lieu et les organisateurs en discussion, le montage sur le site, les préparatifs et activités des personnels d’accueil, puis, au cours de l’événement, les divers stands d’exposition, les comportements des visiteurs (bousculades, émerveillement, consommation, séances de photographies…) ainsi que leurs impressions. Plus généralement, les films de cette séance ouvraient une fenêtre sur une charnière des relations Est/Ouest du temps de la Guerre froide. D’abord, sur la politique étrangère américaine. En 1953, Eisenhower a créé l’United States Information Agency pour promouvoir avec acharnement l’American Way of Life, notamment en direction de l’Europe pour lutter contre le communisme. Tant l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958 que l’Exposition américaine du Parc Sokolniki à Moscou en 1959, témoignent de cette stratégie mettant en scène le « capitalisme du peuple ». Le passage en quelques mois d’un bloc à l’autre, marque la poursuite du réchauffement des relations Est-Ouest notamment sous l’égide de Khrouchtchev et de sa doctrine de la coexistence pacifique. La conclusion de l’Accord Zarubin-Lacy, fin janvier 1958, impulsera une politique d’échanges technologiques, culturels …

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